Une question que l’on me pose souvent, quand j’échange avec des collègues, des proches et des connaissances. Ce sont souvent des regards amusés et sceptiques, avec des exclamations ahuries : « Toi ? Tu lis de l’imaginaire ? Alors ça, j’aurais pas cru, vu ton parcours/poste/caractère ». Après quoi, l’on me dit souvent « tu devrais t’intéresser un peu plus au monde réel, quand même ». Alors j’explique ce qu’est l’imaginaire, pour moi. Pourquoi j’en lis, ce que j’y trouve, et je blablate sur son rapport étroit au réel. « Ah bon, les trucs de dragons et de vaisseaux dans l’espace, là » ? Cette Pause Café #39 est donc une tentative d’exposé sur le sujet pour toutes les personnes novices passant par là. Zoé prend la plume, et vous ouvre les portes de l’imaginaire !
Des questionnements dans mon entourage
Je vous propose de commencer cette Pause Café #39 par une petite histoire qui m’est arrivée la semaine dernière.
J’étais dans un salon de coiffure, et la coiffeuse m’expliquait qu’elle aimait aller, petite, à la bibliothèque, mais qu’elle n’avait plus l’âge maintenant pour y aller, n’étant plus une enfant. Et puis elle m’a dit aussi qu’elle était incapable de lire plusieurs lignes d’affilée sans images, ça n’imprimait pas. Et je sentais qu’elle en avait un peu honte, qu’elle se sentait exclue d’un monde culturel pas fait pour elle. Alors elle ne lisait rien. Je lui ai alors parlé des BD et artbooks qui offrent de belles expériences de lecture et de l’audiolecture. Vu comment ses yeux se sont remplis d’espoir, cela lui a certainement ouvert des horizons.
Ensuite, je lui ai expliqué que je ne lisais plus que de l’imaginaire. Elle a souri, surprise, et a alors eu les mêmes réflexions que beaucoup de gens autour de moi : « les trucs de dragons et comme Harry Potter » ? Incroyable comme les préjugés peuvent avoir la vie dure ! Voilà une personne coincée entre une culture qu’elle considère trop élitiste qui l’exclut et une autre dont elle s’exclut volontairement car jugée trop enfantine. C’est quand même le comble 😐
Il y a donc, encore et toujours, et malgré sa reconnaissance petit à petit, une mise de côté de la littérature de l’imaginaire. Car considérée comme jeunesse, détachée complètement du réel. Uniquement là pour divertir, proposer un moment de rêve et d’optimisme hors du temps. Me revoilà donc à expliquer pourquoi je lis de l’imaginaire et pourquoi il est essentiel, aujourd’hui plus que jamais. Ca ne me gêne pas, au contraire. C’est pour cette raison que j’avais pensé ce blog, comme une porte ouverte à toutes les personnes qui n’y connaissent rien. Autour de moi, avec le temps, le dialogue s’est instauré et j’ai désormais des échanges, avec mes proches, au boulot, beaucoup plus intéressants et ouverts. Le blog a ce même but, à une échelle plus grande.
Des questionnements dans l’actualité culturelle
L’omniprésence de la littérature bourgeoise et parisienne dans les médias
Cette croyance que l’imaginaire est une littérature de divertissement simpliste me semble encore très répandue dans l’esprit des personnes qui n’en lisent pas du tout. Elles sont sans doute incitées à le croire, du fait de l’absence de ces littératures des événements livresques majeurs. Que ce soit à Livre Paris qui a tout fait pour virer petites maisons et indépendants. Ou quand les médias ne daignent pas inclure, dans leur revue de la rentrée littéraire, un titre SFFF d’une maison indépendante. Ou enfin quand les grandes librairies inondent les rayons des têtes de Da Costa, Lévy et Nothomb et consorts (encore et toujours les mêmes). La persistance de classiques généraux dans les programmes scolaires apporte également sa pierre à la consolidation de l’idée « imaginaire = divertissement pour enfants ».
Je vous invite, à écouter le podcast L’imaginaire sur le fil, un épisode de La science CQFD paru ce jeudi. 3 éditeurs, Jérôme Vincent (ActuSF), Olivier Girard (Le bélial) et Mireille Rivalland (L’Atalante) analysent le secteur éditorial de l’imaginaire en France et donnent quelques explications supplémentaires.
Ils reviennent sur le gros déficit de représentation du genre dans les médias, mais évoquent aussi une réticence chez les non initiés à aller vers ce genre. A été évoquée aussi la manière dont la SF est beaucoup mieux perçue, considérée (et étudiée) dans les pays anglophones. Et surtout, l’éternel problème en France de déconsidérer systématiquement tout ce qui est lié de près ou de loin à la jeunesse. Or, l’imaginaire étant le seul genre littéraire vers lequel la jeunesse se tourne de son plein gré, il pâtit de cette image non sérieuse, alors même que son lectorat majoritaire se situe entre 20 et 50 ans.
Un épisode qui propose une remise en perspective particulièrement juste et qui permet de comprendre un peu mieux les caractéristiques de l’édition indépendante en imaginaire en France.
Une tentative de visibilité complètement loupée
Pourtant, octobre est le mois de l’imaginaire, depuis 2017. Le saviez-vous ? Beaucoup de médiathèques, librairies et maisons d’édition proposent des événements autour des littératures de l’imaginaire. Ce mois de l’imaginaire est « une grande fête dédiée aux littératures de l’Imaginaire : fantasy, fantastique, science-fiction et tous les sous-genres qui les nuancent « . Chouette, non ? De la visibilité pour mettre en valeur les littératures de l’imaginaire et casser les a priori. Alors, on a vu un peu partout l’affiche de l’année. Et puis patatras.
Que dire. L‘imagerie bisounours accolée au genre, le retour. Du rêve, des nuages, des rivages et des paysages chaleureux, de la zénitude… Pour couronner le tout, le « Soyez optimiste ». Visiblement, il y a quelque chose que les organisateurices n’ont pas bien saisi : l’imaginaire n’est PAS optimiste. Il n’a pas pour but ultime de nous détourner du réel pour nous faire rêver. Certaines œuvres le font, certes, mais cela ne définit pas le genre. D’ailleurs, je ne suis pas plus optimiste parce que je lis de l’imaginaire. Bref, ça m’énerve. Je trouve que le message est loupé.
L’imaginaire et le réel : deux concepts liés
L’imaginaire dans le monde universitaire
Ce n’est pas une première, et c’est d’ailleurs ce qui a contribué à la reconnaissance du genre. Beaucoup de travaux m’ont inspirée. Ceux d’Anne Besson pour commencer, dont j’ai déjà parlé sur ce blog : les MOOC fantasy et SF que j’ai pu suivre pendant le confinement ont été révélateurs en ce qui me concerne. J’aime aussi beaucoup le travail de médiévistes comme Justine Breton, William Blanc et Florian Besson. Et je peux aussi citer les travaux de Florie Maurin, qui a soutenu une thèse sur les itinéraires des figures féminines de la fantasy jeunesse chez Pierre Bottero. Mais aussi toute la valorisation du genre qu’effectue DoctriZ sur sa chaîne Twitch.
Peu à peu, l’imaginaire investit musées et grandes institutions, comme la BNF (avec son expo Tolkien ou encore son site Fantasy, retour aux sources). A Sorbonne Université, une expo Tolkien et les sciences s’est tenue à Jussieu en 2021, construite autour du livre du même nom. Elle a accueilli une partie des auteurs dans des conférences et tables rondes.
Et cette année, c’est la BIS (Bibliothèque interuniversitaire de la Sorbonne) qui propose expo, tables rondes, concours de micro nouvelles… à l’occasion de l’année de la SF. Catherine Dufour, Laurent Genefort, Emilie Querbalec… Pas mal d’invités qui évoquent leur vision de l’imaginaire, leur travail et le rapport entre imaginaire et société.
Imaginaire et pop culture
Plus largement, l’imaginaire s’intègre totalement dans ce qu’on appelle la pop culture. C’est une abréviation de culture populaire, qui désigne une culture plus large, « produite et appréciée par le plus grand nombre » . Une définition que l’on trouve dans l’ouvrage de vulgarisation Comprendre le monde avec la pop culture de Boris Attaviano, alias SocioloGeek. Cet enseignant agrégé de SES a créé sa chaîne Youtube SocioloGeek, de vulgarisation en sociologie.
Fort intéressant à plusieurs titres. Il rappelle d’abord en intro le duel millénaire entre réel et fiction (avec Platon, notamment, et son mythe de la caverne). Puis l’auteur va, dans une dizaine de chapitres, remettre en perspective plusieurs figures de l’imaginaire. De Tarzan aux super-héros, en passant par Harry Potter, Mr Spock… Un ouvrage facile d’accès, qui rappelle le contexte de création des différentes œuvres présentées, un résumé et surtout des axes d’analyse qui démontrent en quoi ces personnages et œuvres reflètent le réel, l’interrogent, le remettent en question.
Ce sont par ailleurs des réflexions que j’ai retrouvées très récemment, en écoutant un numéro de La science, CQFD, au sujet du monde de Julia, que je suis en train de lire. Ce « conte juridique du futur » est sorti chez Mnemos (au label Mu) en avril. Ses deux auteurs, Ugo Bellagamba et Jean Beret, sont respectivement historien du droit et docteur en droit, en plus d’être écrivains de SF. Il y a eu notamment un échange fort intéressant sur la pop culture (une des dernières questions), et son pouvoir sur le monde. Je vous invite à écouter ce podcast passionnant, j’ai trouvé que cela coïncidait en plus parfaitement avec le sujet du jour.
N’a t-on pas déjà tout dit en blanche ?
C’est une question que je me pose régulièrement. La littérature générale a t-elle encore quelque chose à dire ? Est-elle encore en capacité de prendre du recul pour réfléchir sur son propre substrat, tout en conservant les recettes romanesques qui ont fait le succès du genre ? En ces temps de crise sociale, économique et politique de nombre de pays dits riches et d’incertitude quant à l’avenir, l’imaginaire n’est-il pas le seul capable désormais de faire ce pas de côté, de prendre du recul pour analyser les dysfonctionnements présents dans nos sociétés ? De les remettre en question, les critiquer ? De foncer, d’imaginer à la fois le meilleur et le pire, pour prendre les devants ? Et enfin de préparer les esprits et d’éveiller les consciences ?
Oui, l’imaginaire permet une certaine évasion, et peut aussi, à l’occasion, offrir une vision utopiste du monde, faire un peu rêver son lectorat. Mais avec toujours des perspectives de réflexion, sur l’actualité et le monde qui nous entoure. J’ai lu peu de titres où le rêve et le divertissement pur sont gratuits.
L’imaginaire, une (re)lecture du réel ?
Quand l’imaginaire permet de comprendre le monde et d’anticiper le futur
Dans son ouvrage Comprendre le monde avec la pop culture, SocioloGeek offre un beau panorama d’exemples. Tarzan qui fait écho au mythe du bon sauvage et qui offre une critique acerbe du monde moderne. Tolkien, qui évoque le poids du pouvoir, la corruption et l’industrialisation maléfique doublée d’un désenchantement du monde. Ou encore les super-héros, figures de lanceur d’alerte (Superman), justicier moderne (Batman) et ambassadrice féminine (Wonder Woman). Et Harry Potter bien sûr, figure de résistant face à la montée du fascisme.
En bref, on finit par comprendre que l’imaginaire s’empare à merveille du réel, pour l’interroger, le remettre en question, imaginer des futurs possibles. C’est notamment le projet de la Red Team, créée en 2019. Qu’on soit d’accord avec cette initiative ou pas n’est pas le sujet ici. L’important est plutôt de souligner le rapport étroit entre écrivains, scénaristes et artistes d’imaginaire et instances gouvernementales, dans le but d’anticiper les menaces technologiques, économiques, sociétales et environnementales de l’avenir. On retrouve notamment dans cette équipe Laurent Genefort, Romain Lucazeau, François Schuiten… Si cela vous intéresse, je vous invite à lire ce billet de Julien Amic sur son blog Les carnets dystopiques, au sujet du livre Ces guerres qui nous attendent, écrit par le collectif Red Team Défense (2022).
Enfin, dans le podcast de La science CQFD que j’ai partagé plus haut sur Le monde de Julia, il y a cette question de Natacha Triou : « Pourquoi de la SF pour parler de droit ? » La réponse des deux écrivains est univoque : cela ne pouvait pas être un autre genre que la SF. Le droit étant un filtre fictionnel déposé sur la réalité pour garantir un vivre-ensemble qui naturellement ne va pas de soi, il était logique pour eux que ce soit une fiction qui s’empare de ce sujet. Et pour aller plus loin, la SF décrivant et traitant l’évolution des sociétés comme des êtres organiques, il était également logique qu’elle s’empare de cette question du droit, inhérent à toute société. On voit bien, alors, que même les sujets qu’on pense le plus éloignés de l’imaginaire s’y rattachent aisément. Cela fait totalement sens.
Des lectures qui ont changé ma perception du réel
Alors maintenant, j’aimerais vous présenter les bouquins d’imaginaire qui ont changé mon regard, m’ont fait réfléchir sur notre monde contemporain, passé et futur, m’ont instruite…
Pour éviter la liste à la Prévert, aussi je vais essayer de faire court, efficace et ordonné.
Mes deux plus grosses baffes me viennent de Noir d’absinthe, qui n’est pas ma maison de cœur pour rien. Vert-de-Lierre de Louise Le Bars et le recueil de nouvelles Monstresse(s) m’ont complètement chamboulée, dans mon rapport au corps, surtout. Réfléchir à la féminité par le prisme du gothique, du vampirisme végétal et de la figure du monstre ne coulait pas de source, mais chez moi ça a fait mouche.
Trois titres qui interrogent notre nature d’être humain et ce qui nous définit : Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques de Philip K. Dick, La monture de Carol Emshwiller et Neuromancien de Gibson ont été trois lectures spéciales. La première parce qu’elle réfléchit avec force et poésie à ce qui différencie l’Homme de la machine. Quant à la seconde, pfiou, quelle histoire dérangeante ! Inverser les rôles relativise complètement notre position. Enfin, Neuromancien évoque le transhumanisme, la limite entre matière, corps et esprit, autant de questionnements qu’on retrouve dans Ghost in the Shell et Matrix, qui m’ont énormément marquée.
J’ai aussi été incroyablement décoiffée par la novella de Ken Liu, L’Homme qui mit fin à l’histoire, qui interroge dans un texte mêlant Histoire et imaginaire le rôle de l’historien et la constitution d’un socle mémoriel pour (re)construire une société. D’autres bouquins imaginent un monde futur glaçant, construit directement à partir des dérives de notre présent. Viendra le temps du feu de Wendy Delorme est un post-apo particulièrement réaliste, et terrifiant. Ma lecture actuelle, Le monde de Julia, va je pense s’avérer tout aussi percutante et riche en réflexions.
Evidemment, je pourrais en citer énormément, mais ce sont là les titres qui me sont venus instinctivement quand je me suis posé la question.
Et vous ?
Vous le savez, c’est un moment phare de ce rendez-vous, et cette Pause Café #39 n’y fait pas exception ! C’est l’heure des questions.
Pourquoi lisez-vous de l’imaginaire ? Qu’est-ce qui vous y a amené ? Lisez-vous de la littérature générale ?
Selon vous, la littérature générale a-t-elle un pouvoir similaire à l’imaginaire pour réfléchir (sur) le monde ?
Pensez-vous que l’imaginaire a un autre but que celui de divertir ? Selon vous, y parvient-il ?
Quelles sont les œuvres d’imaginaire qui vous ont énormément plu ? Qui vous ont construit ? Qui ont changé votre regard ?
C’est la fin de la Pause café #39. J’espère que le sujet vous a plu, et que cela a généré chez vous mille et une questions, réflexions, et que vous voudrez bien les partager ici. J’ai toujours plaisir à lire vos remarques, nuances, retours d’expériences et visions différentes. Pour rappel, quand il y a Pause Café le samedi, il n’y a pas de premières lignes le dimanche ! Si vous ne l’avez pas lu, je vous proposais dimanche dernier l’incipit de Jusque dans la terre de Sue Rainsford. Je vous souhaite un bon dimanche et à bientôt !
Je suis à la fois d’accord et pas d’accord XD
Effectivement l’affiche du mois de l’imaginaire est réducteur, l’imaginaire est plus que de la simple évasion dans énormément de cas. Si y’avait eu plusieurs affiches pour en montrer plusieurs aspects, a la limite…
Mais, essayer de credibiliser l’imaginaire en lui donnant automatiquement des buts d’analyse du réel est pour moi aussi réducteur. Toute œuvre imaginaire n’a pas forcement d’analyse du réel à travers un pas de côté conceptuel.
L’imaginaire est juste un espace d’expression libéré du monde, des auteurices vont s’en servir pour parler social, d’autres pour divertir, d’autres pour explorer des personnages, vivre des aventures. En fait tout existe, reduire l’imaginaire à son « utilité » est aussi reducteur pour moi, on essaye de montrer ce qu’elle a de noble comme pour justifier son existence par ce prisme mais j’aime pas ça.
J’ai pas à trouver de sens analytique ou de propos social à un roman que j’aime. Je sais pas si un roman de fantasy epique bien bad-ass a un commentaire social profond, mais on aime vivre une aventure avec ses personnages. J’aime ça, et j’ai pas envie de devoir me justifier par une analyse scolaire du propos profond qui serait la seule echelle de valeur.
Pour moi l’imaginaire est un espace de création et chacune et chacun en fait ce qu’iel veut. Y’a de tout.
Et au moment où je te lis, je suis d’accord avec ton point de vue, et je ne suis pas étonnée par ta réponse (merci d’ailleurs d’être venu partager ton point de vue !) 🙂 Parce qu’au moment où j’ai écrit ma pause café, je me suis demandé plus d’une fois si je ne m’enfermais pas à mon tour dans qqch de vicieux qui donne une ou plusieurs étiquettes au genre, ce qui le réduirait aussi…
Je ne pense pas qu’il ait une utilité à proprement parler, et mon propos n’était pas de justifier son existence par son utilité – même si effectivement, c’est peut-être ce que j’ai fait au fil de ma pensée… Enfin, je reste convaincue malgré tout qu’il parvient aujd à mieux dire certaines choses que d’autres littératures. Et je me demande si, pour « vendre » l’imaginaire aux médias, aux libraires etc., il ne faut pas malgré tout justifier sa valeur, son utilité, et sa noblesse… Mais bon, ce n’est pas là mon boulot et ça se trouve, ce n’est pas comme ça qu’il faut s’y prendre. D’autres personnes que moi dont c’est le job savent mieux comment faire.
En attendant, je comprends ton point de vue sur le fait que tu aimes des bouquins pour ce qu’ils t’apportent en personnages, en aventures, en exploration etc. Je reste là encore persuadée, mais c’est sans doute parce que j’ai été élevée comme ça et que mes études m’ont déformée dans ma façon d’aborder un bouquin, que chaque livre a plus à apporter que ce qu’il raconte. Et de ce fait, je cherche toujours le propos/commentaire/regard apporté qui sera plus percutant que l’histoire elle-même, et qui sera une sorte de lecture du monde… J’aime terriblement les analyses scolaires, malheureusement 😀 Chaque bouquin m’a fait cet effet, même les bouquins de fantasy épique à mon sens réfléchissent, sous couvert d’une aventure, d’une intrigue et de persos incroyables, aux rapports entre clans, à la structuration de sociétés dans des villes, à des questions bcp plus philo comme le bien, le pouvoir, la force etc.
Alors ça se trouve, mon interprétation sera complètement bidon, car l’auteurice n’aura pas du tout pensé à ça ! Mais je trouve dans l’imaginaire, dans chaque bouquin que j’ai lu, une évasion incroyable, des aventures folles, une imagination redoutable, mais aussi, et surtout en ce qui me concerne, une profondeur que je n’ai jamais trouvée autre part due à ce pas de côté, et pour moi c’est là la force aussi du genre…
Je mettrais bien au défi quelqu’un de donner un exemple de titre qui n’a pas ce côté analytique dans son propos 😀 Chiche, je lance le jeu !
Voilà encore une Pause Café passionnante, même pour un lecteur de l’imaginaire. Tu m’as fait découvrir des youtubeurs que je ne connaissais pas (il faut dire que je ne fréquente que peu ce canal de communication) et je vais m’empresser d’aller écouter (et regarder) ce qu’ils ont à dire.
J’ai également beaucoup apprécié les podcasts de CQFD, en particulier le dernier à propos des éditions ActuSF : un beau moment, très enrichissant et je remercie cette émission de nous proposer ce genre de rencontres.
Et enfin, merci pour toutes ces réflexions que je me suis faites parfois, dans le désordre et que tu as exprimées clairement. En espérant que beaucoup de lecteurices plein de doutes ou d’interrogations viendront te lire et trouveront ainsi le « courage » de tenter l’imaginaire en littérature, loin des clichés qui nous enferment dans une petite case.
J’aime aussi beaucoup cette émission, je n’écoute pas tout loin de là parce que je manque cruellement de temps et que j’ai du mal à rester concentrée sur de l’audio très longtemps, mais ces deux épisodes étaient vraiment chouettes (d’ailleurs en passant, merci de m’avoir incitée, avec ta chronique, à lire Le monde de julia, ça me plait beaucoup).
Je n’ai pas trop l’impression que mes réflexions sont très ordonnées, mais je suis contente que tu t’y retrouves. Et j’espère aussi oui que pas mal de lecteurices seront tenté(e)s de lire de l’imaginaire; s’en couper selon moi est un gros gros manque tant on passe à côté de plein de choses; des super bons bouquins, mais aussi une vie de communauté qui n’existe pas autant ailleurs, comme le soulignaient les trois éditeurs jeudi.
Une PC que je n’ai pas vu venir et que je suis ravi de retrouver ! Encore plus avec un tel sujet que tu mets, comme à l’accoutumée, parfaitement et avec passion en lumière.
Je t’avoue que travaillant en EHPAD, bien des habitants lisent et je suis toujours ravi discuter littérature avec ces derniers qui n’ont souvent que connus les grands classiques de la littérature telle Jane Austen ou les Sœurs Brontë et lorsque je leur parle de mes goûts, aux penchants fantastiques, ils semblent des plus étonnés de tels écrits sans pour autant les juger.
Les jugements que je rencontre le plus sont dans ma vie perso ou l’on compare souvent imaginaire et enfantin. A entendre bien des personnes, Harry Potter et cie ne sont destinés qu’à un jeune public. Comme si arrivé à un certain âge, nos lectures devraient se résumer à du contemporain, que j’apprécie découvrir de temps à autre néanmoins sauf que pour ma part et si j’apprécie la lecture, c’est pour l’échappatoire que la littérature représente.
Car clairement et même si la vie est belle, de nos jours elle se révèle des plus anxiogène… Entres guerres, pollution et inflation les médias se donnent à cœur joie pour miner notre moral et je préfère alors 1000000000000x ouvrir un livre et vivre mille et unes aventures me laissant vivre mille et une vies et me broyer mille et une fois le cœur. Et puis, comme tu le soulignes, il est vrai que certaines œuvres laissent parfois entrevoir de pertinentes critiques de notre monde actuel et ce notamment, en matière de dystopie. Encore faut-il savoir/vouloir lire entre les lignes.
En te souhaitant un merveilleux week-end, baigné d’imaginaire et fabuleux !
Merci Steven, toujours aussi ravie que ce rdv te plaise et que cela trouve écho avec tes propres passions et intérêts 🙂
Ce que tu pointes c’est exactement ce que disais Mireille Rivalland dans le CQFD de jeudi : bcp de lecteurices commencent avec de l’imaginaire, et puis en grandissant se sentent obligés de passer à autre chose, comme si ça y est, le temps de la jeunesse était révolu; et bcp sont surpris de continuer à aimer en lire, parce que quand même, c’étaient des lectures de jeunesse !
Je comprends tout à fait le plaisir d’évasion que l’on peut ressentir en lisant, et cela reste à mon avis la chose principale qu’on recherche toutes et tous dans ce loisir : même si j’adore analyser, regarder, fureter, et chercher une interprétation quelconque, je recherche avant tout de l’évasion, même si c’est dans de la dystopie (j’adore les dystopies avec des virus, et les champignons, ça c’est vraiment fun – bref).
Mais c’est ça aussi qui est bien je trouve avec l’imaginaire, c’est qu’il offre très facilement deux lectures, comme tu le dis : pour qui souhaite se contenter d’une lecture évasion divertissement, rien ne l’empêche de se tenir au premier niveau de lecture, sans se tirer les cheveux à chercher/déchiffrer un potentiel sens second. Et tout le monde est content 🙂
Je te souhaite un très bon week-end aussi, et encore merci d’être aussi fidèle à ce rdv, j’aime bcp lire tes retours 🙂
J’abonde dans le sens de l’Ours pas si inculte : il y a bien des façons d’apprécier l’Imaginaire. Y compris oiseuses, gratuites, ludiques, voire idiotes. 😉
J’ai cherché, je cherche encore, du dépaysement dans mes lectures SFFF. Mais aller voir ailleurs ne veut pas dire ne rien voir.
Je lis de la littérature générale, à ce que je constate, plutôt adjacente aux mauvais genres. Camus, Cendrars, Gracq, Calvino, Tournier, Le Clézio, Eco, Perez-Reverte, Murakami… On est souvent au moins dans l’insolite.
Ah mais oui, je suis d’accord aussi, il y a autant de façons de lire et d’apprécier l’imaginaire qu’il y a de lecteurices, même ! J’ai un problème personnel avec la littérature générale, un peu trop dégoûtée je crois par des années de lectures obligées (et chiantes, mais chiantes…), un point de vue et surtout un discours académiques dessus qui ne me réconcilient pas avec elle.
Dans ce que tu cites, il y a des noms que j’apprécie : Eco, Murakami, Le Clézio, bien sûr, Désert étant mon favori, Calvino… On pourrait dire, et c’est assez ironique d’ailleurs, que je suis face à la litt générale comme des lecteurices de générale devant l’imaginaire : effrayée et n’osant pas/plus y retourner (et très snob, aussi, oui c’est vrai, mais crotte, c’est de bonne guerre !). C’est le comble, tiens, de se retrouver dans la position de l’arroseuse arrosée 😀
Merci pour ton retour en tout cas !
Cette fois-ci, je réponds à la pause café le jour même, et non pas un mois après comme pour la précédente 🙈
Ah, l’éternel jugement sur les littératures de l’imaginaire ! Pourtant, parmi nos lecteurs assidus du genre à la bibliothèque, je vois toutes les tranches d’âge, même des seniors.
Honnêtement, et c’est peut-être mon côté bibliothécaire qui parle, je n’aime pas la hiérarchisation des genres littéraires. Que nos goûts nous portent plutôt vers un genre ou l’autre, oui, mais de là à juger à l’emporte-pièce les personnes qui en lisent… Une amie proche me confiait avoir honte d’avoir dévoré des Harlequin. Pourtant ce sont ces livres qui lui ont donné le goût de la lecture – sans ça, lirait-elle tout ce qu’elle lit actuellement ? De son propre aveu, non. Ces romans ont beau avoir mauvaise presse, ils l’ont fait rêver à une époque où elle en avait besoin et lui ont donné confiance en ses propres capacités de lecture pour explorer d’autres types de littérature.
L’imaginaire, je lis ça en majorité depuis l’adolescence. Si petite j’aimais les contes et légendes, je dévorais invariablement L’armoire magique et Les 4 filles du docteur March, les histoires de fantômes et les histoires de chevaux. Ensuite, au collègue, j’ai découvert le fantastique et les genres de l’épouvante, j’alternais encore un peu avec du général, mais globalement j’étais déjà nettement plus attirée par la SFFF ! Pourquoi ? Je ne saurais dire. Parce que ça correspondait aux histoires fantaisistes que je bâtissais dans ma tête ; parce que ça me faisait rêver, vibrer, bref, ça m’emportait nettement plus.
Je rejoins l’avis de L’ours inculte, je ne lis pas forcément de l’imaginaire pour réfléchir, ou pour me divertir. Parfois c’est l’un, parfois l’autre, ça dépend de mon envie, état d’esprit…. et la littérature générale aussi, selon ses thèmes, peut faire réfléchir ! Simplement, elle n’apporte pas la « distance » mise par le prisme de l’imaginaire, à mon sens. Tout comme elle peut aussi divertir !
J’ai l’impression de faire une vraie réponse de normand comme ça, mais réduire l’imaginaire à un but précis me semble aussi réducteur que la réduire à un genre enfantin – et ça ne l’est nullement pas. Ceci dit, il serait bon aussi de cesser de dénigrer la littérature jeunesse. Etant autrice, je sais qu’en produire nécessite des compétences professionnelles que tout le monde n’a pas (moi la première). Et en quoi est-ce un mal, alors que justement, l’enfant découvre, se construit, rêve et grandit avec ces premiers contacts littéraires ? Si la société râle que « les jeunes ne lisent plus », n’est-ce pas là aussi une forme de déni, alors qu’ils lisent… mais pas de la littérature générale parisianno-centrée.
Il va falloir que je relise mon billet, je n’avais pas l’impression de « réduire l’imaginaire » à quelque chose, mais comme vous êtes plusieurs à soulever cela, c’est que cela doit transparaître à travers mon propos. C’est ballot, ce n’était pas mon idée du tout, et si c’est le cas, il va falloir que je m’interroge moi-même 😀
Evidemment, réduire l’imaginaire à un but de refléter le réel c’est réducteur, et ce n’était pas du tout ce que j’avais en tête – mais le fait est, je persiste et je signe, même si on cherche de l’évasion, du divertissement, de l’idiotie et de l’aventure ^^, qu’il y a dans cette littérature quelque chose de plus. Comme je disais à l’ours, peut-être que ce n’est pas conscient chez l’auteurice, peut-être que cette idée est une interprétation de chaque lecteurice, mais j’ai le sentiment très très fort que c’est toujours le cas. Ce n’est pas un but, mais selon moi, ça fait partie de l’ADN du genre, contrairement au seul fait de faire évader les lecteurs et de les faire rêver. Même quand j’ai eu des lectures plus ligth et divertissantes (la dernière en date c’était Tori Dawson…), j’ai quand même trouvé qu’il y avait qqch d’intéressant dans le parcours de l’héroïne, et aussi un discours de tolérance et de bienveillance, de belles choses sur l’amitié etc. Ce sont là choses très humaines et très réelles, il me semble…
C’est marrant parce que je répondais à l’instant à Pierre-Paul que je me rends compte que j’ai un regard très snob sur la littérature générale; je la considère comme mes enseignants considéraient jadis la littérature de genre. Je sais que c’est factice et ridicule cette guerre de littératures, mais… crotte, la littérature générale m’emmerde. Tiens, d’ailleurs, ma lecture actuelle, Rebecca, me fait chier mais à un point. Phénoménal. Je dois sûrement très mal choisir mes lectures; en attendant, après des études de lettres avec des lectures groumpf, j’ai eu 10 ans de lectures tout aussi groumpf, donc j’ai une dent contre la littérature générale, effectivement. Je sais que ma façon de voir est très binaire et contribue à une guerre de genres, mais… j’y peux rien.
En attendant, je suis d’accord avec vos trois points de vue 😀 qui complètent le mien, selon moi. Malgré tout, certes la guerre de littératures ne mène à rien, certes l’imaginaire est beaucoup de choses et permet aussi l’évasion bien sûr… Mais mon propos s’adressait surtout à un public qui n’en lit pas du tout et qui lui a besoin d’arguments, de lettres de noblesse pour se mettre à l’imaginaire. Je suis la seule fan de ce genre dans mon entourage, pro comme personnel et familial; ça fait bcp de gens différents, et pourtant tous ont besoin d’entendre autre chose que « l’imaginaire c’est beaucoup de choses mais aussi et avant tout de l’évasion et de l’aventure » : car c’est justement ce qui les rebute… ^^ Je choisis donc mes arguments en fonction du public à qui je parle, donc avec vous je suis d’accord, et avec mon entourage, je pense que la meilleure option est d’insister sur cette analyse du réel, qui les intéresse tout de suite beaucoup plus. C’est comme du marketing publicitaire, tu vois ? 😀
Peut-être que ce n’est pas la bonne façon de s’y prendre, peut-être que je dessers le genre, je ne sais pas… Mais bon, je me dis que si mon blabla est parvenu à convaincre une ou deux personnes de lire un de mes bouquins, ben c’est gagné 🙂
J’ai longuement lu de l’imaginaire, jusqu’à en faire mon travail, et oui, il est possible de l’apprécier sans y prêter plus d’attention que cela, pour s’amuser, pour le fun. Il n’est pas question de forcément prêter un regard analytique et universitaire sur nos lectures, ce qui est l’intérêt de billets comme celui-ci : se rappeler de ce qui est en jeu.
Pourtant, nos lectures nous imprègnent profondément et ont un impact sur notre psyché, et donc sur le monde, autant dans des textes apportant volontairement une réflexion que dans des textes plus légers.
On peut par exemple regarder des films de super-héros ou lire des comics pour le fun, sans trop y prêter attention. Dans ce cas, on accepte inconsciemment le postulat de ces œuvres qui sont aujourd’hui absolument partout : la réponse à donner aux enjeux sociétaux est la répression armée et/ou la technologie. Cela n’est pas neutre. Il s’agit même au fond des valeurs défendues par certains Etats, et il y a une forme de propagande. Ces œuvres ne sont pas anecdotiques et si on choisit de les « consommer », n’est-ce pas délétère pour nous-mêmes ? J’aime prendre l’exemple de Batman, dont le rôle est de s’assurer que les monstres restent en prison, dans la fange, et qui agit par les armes et la violence alors qu’il dispose d’un capital gigantesque. Que nous dit-il de notre monde ?
Poser son cerveau et s’amuser, n’est-ce pas ainsi une (non)vision consumériste ? La littérature comme « distraction » est pour moi une aberration. Se distraire, c’est se détourner de la réalité sciemment pour ne pas se préoccuper du monde. Mais le monde ne cesse pas d’exister parce qu’on met son cerveau en veille.
Cela ne signifie pas que les auteurs et autrices choisissent de faire passer un message dans leurs œuvres, mais aucune œuvre n’est neutre, absolument toutes sont politiques, et les œuvres lisses et consensuelles ont pour objectif, souvent inconscient, de maintenir le statut quo. D’ailleurs, la plupart des œuvres lisses sont de piètre qualité, mais comme beaucoup de « consommateurs » de médiums culturels préfèrent poser leur cerveau et se distraire, ils ne s’en rendent qu’à peine compte et, globalement, la qualité littéraire et artistique est catastrophique.
Je pense qu’il en va de même dans la littérature générale. J’y étais plutôt réfractaire et je m’y ouvre, car je reçois de bons conseils pour me diriger vers des œuvres puissantes d’un point de vue émotionnel et qui proposent un regard percutant sur le monde.
L’enjeu est là, pour moi : quel regard porte l’artiste sur le monde ? En imaginaire comme dans n’importe quelle littérature, c’est là ce qui chamboule, ce qui bouleverse, ce qui interroge, ce qui gêne, ce qui fait évoluer les consciences et c’est notre rôle, en tant qu’écrivain.e.s, d’apporter un regard. Cela peut se faire de façon légère, peu sérieuse, drôle (surtout drôle), ou de façon marquante et puissamment incarnée…
Mais si le regard n’apporte rien de plus que celui de notre société normée, l’œuvre n’a aucun intérêt et c’est sans doute là, la confusion. Le monde littéraire parisien est normé, et une grande partie de l’imaginaire est normée. L’opposition n’a donc pas lieu d’être entre ces deux approches de la littérature, imaginaire ou non imaginaire, mais entre vision artistique et lissage abrutissant.
Merci beaucoup Morgane pour ton apport dans cet échange ! Apport qui en plus prolonge le débat en plus. Effectivement, tu as raison, le débat n’existe pas entre littérature générale et imaginaire, car il est au-delà : sur ce qu’on considère comme étant de l’art et ce qui n’en est pas.
Effectivement, je peux comprendre le souhait de se divertir simplement, et rien d’autre. Longtemps j’ai considéré la littérature divertissement de manière assez négative, mais pour d’autres raisons que les tiennes – moi j’étais plus dans le délire du regard analytique à gogo. J’ai expérimenté la lecture divertissante récemment, et je me suis creusé les méninges quand même pour lui trouver quelques petites choses « de plus ». A vrai dire, ça m’a reposée aussi, mais ce n’était pas très satisfaisant malgré tout. J’ai eu l’impression de mettre mon cerveau en grève. C’est reposant sur le coup, mais j’ai eu la sensation d’avoir gaspillé du temps de cerveau pour rien.
Et tu mets le doigt sur qqch qui me parle : « Se distraire, c’est se détourner de la réalité sciemment pour ne pas se préoccuper du monde. Mais le monde ne cesse pas d’exister parce qu’on met son cerveau en veille ». C’est exactement ce que j’ai ressenti après ma lecture « divertissante » ! Gentillette, mais abrutissante, quand même, tant elle m’a ramolli les méninges.
Et ta vision de l’Artiste, que je connais bien puisqu’on en parle très souvent, va complètement dans le sens que tu décris ensuite : « aucune œuvre n’est neutre, absolument toutes sont politiques ». On voit bien là le rôle du l’Artiste qui t’est si cher : un regard, une plume, un propos… complètement entier, qui ne lésine pas.
Donc oui, pleinement oui, il y a bien quelque chose qui est en jeu selon moi, et tu le dis très bien : oui à l’aventure, aux intrigues, aux personnages, mais ce n’est pas suffisant; ce qui importe vraiment, selon moi, c’est : « qu’a-t-on à dire, dans le fond » ? Je reste persuadée de mon côté que l’imaginaire a beaucoup plus de choses à dire que la littérature générale, car il n’a pas les cadres contraints de la blanche; il peut les dépasser pour imaginer, transposer, regarder en avant, en arrière, sur le côté, dessous… Mais sans doute cette opinion mériterait d’être révisée, et le serait peut-être si comme toi je lisais des bouquins de blanche qui m’émerveillent autant que tes lectures actuelles !
Je n’avais pas vu ta réponse !
Je pense que c’est la blanche du Paris Rive Gauche qui est d’une profonde vacuité…
J’ai écrit un texte très personnel pendant mon dernier voyage, dont je ne ferai sans doute pas grand chose, mais que je trouve puissant. Eh bien, ce sont des textes de blanche, des journaux intimes, de la poésie, qui m’ont peu à peu aidée à briser les barrières que je me mettais en tant que bonne autrice de SFFF.
Et même des textes que je n’ai pas lus, dont j’ai entendu la démarche dans des podcasts, comme Kerouac, qui retranscrivait sa réalité brute et qui faisait la passerelle avec le Jazz…
Sa réalité à lui ne me tente pas beaucoup, je dois dire, mais l’idée de se poser à un endroit et de se laisser aller au stream of consciousness, de tout mettre et de ne plus se protéger, est venu en découvrant ces artistes, non pas en les imitant, mais en cassant mes structures comme ils ont cassé les leurs.
Mon être artistique se nourrit d’une multiplicité, afin de saisir ce qui me bloque, m’enracine, pour m’élever de plus en plus profondément, pour descendre de plus en plus haut, dans les nuances de ce qu’offre l’écrit.
La SFFF peut permettre cela, mais dans la plupart des cas, elle est bien trop timide et lissée, sclérosée par des cases, des genres, des obligations quasi-comptables…
Ainsi pour moi, et pour terminer sur la métaphore, la blanche parisienne consiste à tourner autour d’une flaque d’eau narcissisante, tandis que la majorité de la SFFF revient à arpenter des canaux avec de jolis bateaux sans permis… Tout l’enjeu de l’écriture totale, à mon sens, c’est de péter les barrages, de sauter dans les flaques et de répandre des océans intérieurs sur le papier, quitte à noyer et effrayer le lecteur trop timoré…
J’ai conscience toutefois que ma vision est marginale et qu’il faut des canaux et des petites flaques d’eaux, sinon, qu’est-ce qui nous reste à casser, à nous les art-narchistes ?
Wilde avait besoin de la société victorienne ridicule et contrartistique, car comme je le dis parfois, l’Angleterre est un terreau vicié pour les artistes, si bien que seules les fleurs les plus belles peuvent y émerger, nourries par l’ordure.
Si la littérature n’était à ce point un dépotoir, reconnaîtrait-on encore les artistes ? Cela coûterait-il autant que de créer ?
Bref, je laisse le divertissement à d’autres ah ah ah
Je suis entièrement d’accord avec toi, Zoé. Pour moi, les différents aspects de l’imaginaire abordés dans ton billet comme dans les commentaires sont indissociables : comme Steven, j’en lis pour échapper à la réalité, comme L’Ours, j’y vois un terrain de jeux aux possibilités infinies et comme Pierre-Paul Durastanti, j’aime les lectures divertissantes et gratuites. Cela n’empêche absolument pas, à mon sens, que l’imaginaire permet comme tu le soulignes un pas de côté, grâce auquel on peut regarder le monde, la réalité, avec un peu de recul et sous un autre angle. Pour moi c’est même l’essence de la fiction.
Du coup, pour répondre à l’une des questions que tu poses en épilogue, la littérature générale me semble parfois moins propice à la réflexion : puisqu’elle dépeint des situations plausibles, probables, voire qui sont arrivées, elle fait plus de ses lecteurs des témoins – même si, quand on est doté d’un cerveau en état de marche, on peut normalement réfléchir aux faits avérés ^^ Disons que lorsque j’ai lu American Dirt de Jeanine Cummins, j’ai été bouleversée, et j’ai pris conscience d’une réalité que j’ignorais. Mais je n’ai pas de prise sur ce que le roman décrit. On peut en faire un commentaire, réfléchir aux questions que cela soulève sur notre société, mais finalement à part s’en désoler, que faire ? Alors que lorsque je lis (avec des élèves, c’est encore mieux) Minority Report de Philip K. Dick, je trouve que la brèche, le pas de côté, le recul de la fiction nous amènent à interroger en profondeur le sens des mots justice, société, crime…
Les œuvres que j’ai le plus aimées ont d’abord été celles affiliées au fantastique : Le Horla et La peau de chagrin ont été d’énormes coups de cœur de mon adolescence. Tout était dans ce doute : est-il fou ? Et si oui, d’ailleurs, est-ce que cela change quoi que ce soit ? À peu près à la même époque, je me suis mise (et ne me suis plus jamais arrêtée) à lire tout Stephen King, parce que j’aime avoir peur (mais ça nécessiterait un billet entier ça;)) mais aussi parce que sa peinture des gens et de son pays me paraît hyper pertinente, et que, comme c’est de la fiction, je peux la lire avec plus d’apaisement qu’un Steinbeck, disons, que je vais me prendre en pleine tronche. Enfin, l’œuvre qui m’aura le plus chamboulée en termes de « lecture du réel par le prisme de la fiction », et dont je me dis qu’elle éclaire, presque comme une prémonition, notre monde actuel, tout en apportant des réponses humanistes et poétiques, c’est la « trilogie des prophéties » de Pierre Bordage. Une vraie claque.
PS : par contre, pour ton commentaire sur Rebecca, tu mérites probablement de visiter les neufs cercles des Enfers Littéraires, histoire de te remémorer ce que c’est qu’un livre chiant 😀 Nan mais c’est juste un des romans que j’ai le plus aimés de toute ma vie ! 😛
Alors, je ne sais pas pourquoi je suis en anonyme, mais c’est Kalys ^^
Merci beaucoup Kalys pour ton commentaire 🙂 Que j’apprécie beaucoup pour la justesse de tes propos dans lesquels je me retrouve. Oui, sur l’essence même de la fiction ! Je suis tout à fait d’accord avec ça ! Et puis tu mets des mots sur ce que je n’arrivais pas à poser sur la littérature générale, qui elle aussi réfléchit le monde: mais comme tu dis, peut-être d’une manière plus descriptive, de l’ordre du constat. Elle n’a pas la capacité à dépasser ça, de se poser la question « et si », « et demain ». Comme tu dis, on constate, on se désole, et puis… ben on aimerait plus. Et effectivement, ce plus je le trouve comme toi en imaginaire, qui dépasse les limites du raisonnement, parce qu’il n’est pas bridé par un cadre réaliste. C’est exactement ce que je trouve dans ma lecture actuelle, Le monde de Julia, qui pose des questions de droit, de vivre ensemble, de lois, de cadres juridiques, fort pertinentes, hyper intéressantes à explorer, parce que les auteurs imaginent un futur inexistant. Ce qui permet vraiment d’explorer à fond des concepts.
Ah tu vas par contre encore être chagrinée par contre, parce que j’ai détesté Le horla 🙁 Mais à ma décharge, c’était une lecture scolaire, j’ai passé 3 mois sur ce texte qui me sortait pas les trous de nez. Mais je te rassure, j’aime énormément ce fantastique, ce fil entre réel et surnaturel, cette hésitation teintée d’angoisse qui nous met à l’épreuve à chaque page. J’adore ça aussi.
Et tu me donnes aussi un titre à tenter, vers lequel je ne serais pas allée de prime abord parce que le seul Bordage que j’ai lu m’a dépitée (c’était Arkane); alors je vais jeter un œil à cette trilogie parce que désormais, je suis curieuse de voir quelle est cette œuvre qui t’a chamboulée à ce point.
Pour finir, ah, Rebecca. En fait, c’était une erreur je crois cette fois d’avoir vu le film avant (celui d’Hitchcock). Parce que l’ambiance est pesante, suffocante, un peu fantastique par moments aussi, avec la magie des plans. Du coup, je m’attendais à un roman fantastique ! Mais non. Alors cela n’enlève rien au bouquin qui a pas mal de choses chouettes à son actif, mais je dois avouer quand même que je trouve le tout longuet, très centré sur les persos (à travers une surabondance de dialogues au détriment de descriptions que je pensais plus abondantes). Et puis bon, la romance… ierk. mais là, c’est parce que j’ai du mal à lire ce bouquin avec autre chose que mon regard de femme du 21e siècle, du coup ça ne marche pas, forcément et c’est ridicule de faire ça d’ailleurs. Mais cette narratrice chamallow hiii, j’ai du mal (quoique j’arrive à un moment où ça y est la métamorphose s’enclenche et là c’est assez chouette !).
Bref, un grand grand merci pour le partage de ton ressenti et de ton point de vue ! Merci d’avoir bien voulu participer à l’enrichissement de ces échanges, qui font de cette pause café un numéro fort passionnant grâce à tous vos commentaires. C’est vraiment super, je ne m’attendais pas à autant d’enthousiasme 🙂 C’était un plaisir de te lire !
Je rejoins mais tellement à 1000% ton article ! La déconnexion du réel des genres de l’imaginaire m’agace profondément. Les gens lisent pour les raisons qu’ils veulent, mais pour moi, détacher la fantasy, la SF, le fantastique de nous et de notre monde me paraît absurde et infantilisant pour ces genres. Absurde parce que, très trivialement… on est humains, on écrit avec notre réel, déjà. Même les dragons on les pense avec des références à un réel (les lézards, les dinosaures…). Infantilisant parce que ça déconnecte les thèmes de leur dimension politique (je ne parle bien sûr pas de la clique qui nous gouverne mais de la vie de la cité, de notre société ^^).
En tout cas personnellement, je ne recherche pas, dans les genres de l’imaginaire, un cocon protecteur, et pour cette raison d’ailleurs je déteste les univers étendus, qui t’enferment dans une bulle connue et confortable et ne donnent pas envie d’en sortir. Et qui proposent du divertissement pur – là par contre j’en viens peut-être au seul point où je suis moyen d’accord avec toi : pour moi un bon bouquin te donne les deux – divertissement et réflexion – et te laisse libre de plusieurs niveaux de lecture. Pullman en est un excellent exemple en ce qui concerne mon parcours de lectrice. Ce qui me motive à lire c’est systématiquement la curiosité et l’envie de découvrir autre (en thématiques, en styles d’écriture, etc), pas l’assurance de retrouver quelque chose que je connais bien.
Je lis aussi de l’imaginaire parce que ça me fait digérer un réel angoissant. L’angoisse, c’est une compagne de toujours chez moi. Un jour quelqu’un m’a dit « tes lectures sont vachement sombres ». Ce qui m’a marquée parce que je suis quelqu’un de plutôt très joyeux et qui aime la vie (oui ça fait bisounours dit comme ça XD), et je me suis rendu compte qu’en fait, je ne lis pas « des choses sombres », plutôt des textes qui parlent de notre réalité, pas toujours la plus jolie. Mais c’est justement ce qui m’aide à supporter les coups durs de cette réalité. Pour moi la lecture, c’est tout sauf des oeillères ; plutôt une béquille, un pansement, une catharsis, une compagne, une aide… Je suis pas mal éco-anxieuse et pourtant je lis des post-apo. Un de mes gros exemples sur ce que sont pour moi les littératures de l’imaginaire et ce que ça m’apporte, c’est La route de McCarthy. Beaucoup le voient comme déprimant. Je ne dirais pas qu’il n’est pas sombre, parce que c’est le cas, mais personnellement, jusqu’à la toute fin, je n’y ai vu qu’une pulsion de vie.
Pour répondre à tes questions (ça va faire long comme com’, mais en même temps, le sujet est tellement chouette ^^) ; l’imaginaire, j’y suis venue par deux oeuvres qui m’ont profondément marquée en CM2 et en 6e : Le Seigneur des Anneaux, et Le cycle des Princes d’Ambre. Le Seigneur des Anneaux pour son univers évidemment, mais surtout pour le côté « humain » : chacun avec ses petits moyens a fait ce qu’il a pu. Le cycle des Princes d’Ambre, parce que c’est quasiment un précepteur culturel pour moi. Il y a tellement de références (qui ne gâchent en rien la lecture si on ne les a pas) que je suis allées picorer, gamine ; des références pas forcément imaginaires ; des références littéraires, musicales ou simplement du savoir général. Zelazny a en grande partie contribué à la base de connaissances que j’ai aujourd’hui dans des domaines assez divers.
Je lis aussi de la littérature générale. Plus rarement il est vrai, mais je n’ai pas d’a priori parce que ce ne serait pas de l’imaginaire. Ma mère me prête ses bouquins régulièrement et je les bouquine sans souci. Pour moi c’est juste une case où je vais moins, mais qui m’apporte les mêmes choses que l’imaginaire : on me parle de l’humain et de notre société. C’est juste le contexte de présentation qui change, mais dans le fond j’y cherche les mêmes choses.
Je pense effectivement que, de fait, oui l’imaginaire parvient à faire autre chose que divertir. D’ailleurs à mon avis c’est le cas de beaucoup d’ouvrages et ça dépend surtout de notre manière d’y entrer. Dans le fond, un texte réflexif peut être lu comme un texte divertissant quand on n’a pas les clés (c’est ce qui m’est arrivé en lisant Pullmann enfant… tout l’aspect religion, dans les choux, j’ai juste apprécié la balade) ou quand on veut juste lire un divertissement. Et inversement, on peut aussi avoir une attention aux mots, aux thèmes, etc, dans un bouquin qui se veut juste divertissant.
Les livres de l’imaginaire qui m’ont énormément plu, outre Tolkien et Zelazny cités plus haut (et qui m’ont construite ^^), il y a Le goût de l’immortalité de Catherine Dufour, Les Seigneurs de l’Instrumentalité de Cordwainer Smith, Point-du-Jour de Léo Henry (en matière de texte sombre du côté de la vie, il se pose-là aussi ^^), Gideon la Neuvième de Tamsyn Muir, les bouquins de luvan…
Je pense que mon com est assez foutraque, j’espère qu’il est lisible sans trop de circonvolutions ^^ » Ton sujet soulève chez moi tellement de thématiques qui animent mon rapport à la lecture et à l’imaginaire que ça fait un peu bouillon ^^ Je n’ai pas réagi à ce que tu dis de l’affiche du mois de l’imaginaire (que je n’avais pas vue jusqu’ici), mais je trouve ta réflexion très juste. Et encore une fois, je partage très fort ce que tu évoques dans ton article.
J’ai beaucoup aimé ton commentaire pas du tout foutraque, pour moi j’y ai vu une pensée au contraire très bien construite et logique ! D’ailleurs, on est entièrement d’accord sur le fait qu’un bon bouquin c’est à la fois une histoire, une aventure, des persos… et une réflexion supplémentaire. J’ai longtemps eu tendance à me foutre royalement du divertissement (puisque j’ai appris à le dénigrer, mais je désapprends petit à petit) pour me concentrer sur les aspects analyse et réflexion. Maintenant, je ne dis pas non du tout à un tout qui rassemble les deux. Mais j’ai encore du mal à considérer sans jugement les bouquins qui n’apportent que du divertissement (et j’essaie alors de trouver un second potentiel sens, jusqu’à en être ridicule moi-même). Mais j’ai pu en faire l’expérience récemment avec Tori Dawson : les bouquins que je trouve juste divertissants me semblent peut-être nuls mais j’avais précisément besoin à ce moment de ça. Donc bon, voilà, je déconstruis petit à petit mes idées trop carrées.
Bref, comme je le disais hier dans un autre commentaire (vos retours me font réfléchir aussi et je pense à des trucs auxquels je n’avais pas pensé avant, ou sur lesquels je n’avais pas mis le doigt), certains bouquins offrent ces deux niveaux de lecture comme tu le dis si bien, ce qui permet à chaque lecteurice d’y trouver son compte.
Sinon, merci d’avoir partagé aussi tes œuvres phare de l’imaginaire qui t’ont donné envie d’y plonger ! Je suis admirative du Seigneur des anneaux si tôt, ce n’est pas un texte évident. Je l’ai lu très très tard, et évidemment je comprends aisément ce qu’un tel texte peut provoquer. Il est aussi une de mes références. Sinon, tu cites beaucoup d’auteurices que je n’ai encore jamais lu(e)s, comme Catherine Dofour ou Léo Henry; j’ai prévu d’y remédier, en tout cas avec la 1e, j’ai un bouquin d’elle que j’ai emprunté à la bibliothèque (mais je ne sais plus lequel c’est, tiens).
Et je suis totalement d’accord avec ton analyse sur l’imaginaire qui puise dans le réel, c’est effectivement le cas, et en cela tu rejoins l’idée de Morgane là-dessus: on écrit forcément sur ce qu’on connait, on transmets une part de notre regard, de nos valeurs, de nos expériences… dans nos écrits. Et ça, quel que soit le genre. En imaginaire, c’est transposé dans une uchronie, du post-apo, un univers de fantasy etc., mais c’est pareil, on parle d’humains et de sujets très humains, finalement.
J’aime enfin beaucoup aussi la manière dont tu es parvenue à identifier ce que tu recherche dans tes lectures, et ce que cela t’apporte au quotidien. Je n’ai encore jamais vraiment mis le doigt sur ça de mon côté, mais tu as bien identifié ça pour te permettre une porte de sortie salutaire du réel justement. L’imaginaire béquille, c’est fort juste, et catharsis, oui très clairement… ! On comprend d’autant mieux ton enthousiasme et ta passion qu’on lit dans tes propos quand on constate à quel point cette littérature est absolument nécessaire pour toi. Il y a quelque chose de fort dans ta relation à l’imaginaire, ce que je trouve très beau, très puissant et très complice.
Merci encore pour ton retour enthousiaste, et ce partage sans limite, moi j’aime les commentaires aussi longs que les billets donc tu es la bienvenue pour repartager des commentaires foutraques quand tu veux 🙂 Merci vraiment, c’était chouette de te lire, je suis très contente que ce billet t’ait plu.
Merci pour cet article super intéressant. Lisant déjà beaucoup d’imaginaire, je n’ai pas besoin d’être convaincue, mais je trouve malgré tout passionnant de te lire.
Comme toi, je ne suis pas d’accord avec les remarques un peu méprisantes qui tombent rapidement lorsque l’on parle de nos lectures de ces genres ; il y a tellement de richesse, de réflexions, d’ouvertures sur le monde, sur nos façons de vivre, sur mille sujets, que c’est ahurissant de constater la manière dont ces romans sont perçus par des personnes n’en lisant jamais.
Par contre, je ne renie pas l’aspect évasion de ces lectures, c’est aussi le voyage, la découverte d’un univers, le pas de côté pour sortir du quotidien que je recherche, la magie à laquelle je suis absolument incapable de croire dans la vraie vie. N’ayant pas un esprit très analytique, je ne décortique pas chaque lecture en tentant d’y trouver la profondeur qui « validerait » le plaisir que j’ai eu à lire tel ou tel livre. Peut-être que ce sous-texte existe, peut-être que je le verrai parfois et d’autres fois non, mais sa présence n’est pas la condition sine qua non de mon adhésion au roman. (Mais encore une fois, je n’ai pas une approche très érudite de la lecture finalement. ^^)
En fait, je trouve dommage qu’il faille justifier « l’utilité » d’une littérature. Quelle qu’elle soit, y compris des genres que je ne lis pas : je n’ai aucun attrait pour les romances, mais c’est également un genre très méprisé, alors que mon point de vue est « qu’est-ce que ça peut faire si d’autres personnes trouvent du plaisir à lire ce livre ? » (Bon, certains m’interrogent sur les schémas et les modèles qu’ils reproduisent, mais c’est une autre question.). La question pourrait se poser de « pourquoi la littérature blanche n’a jamais besoin d’être justifiée ? », mais finalement, est-ce que le plus important n’est pas le plaisir ? Avec chacun nos raisons.
Et je trouve dommage que des a priori empêchent certaines personnes de tenter des romans relevant de l’imaginaire. Je pense qu’il y a suffisamment de variété pour que chacun y trouve quelque chose à son goût (et c’est valable pour tous les genres : je dis que je n’aime pas la romance, mais j’adore Heartstopper ou Orgueil et Préjugés…). Ça me rappelle une époque où je faisais du portage à domicile de livres pour des personnages âgées (ou aussi handicapées ou empêchées de venir à la bibliothèque pour diverses raisons) : certaines qui voulaient des suggestions de ma part ont lu de l’imaginaire et ont adoré.
Un sujet passionnant sur lequel il y a à dire.
Et merci de remonter dans ma WL les romans de Noir d’absinthe qui me font envie depuis des lustres et de me faire découvrir d’autres titres prometteurs…
(Et, en prime, je rajoute le podcast de France culture dans ma liste à écouter.)
Merci beaucoup pour ton regard et le partage de ton point de vue !
Très intéressante ta question « pourquoi la littérature blanche n’a jamais besoin d’être justifiée ? » Selon moi, peut-être parce qu’elle est étudiée depuis des lustres, que le canon et les classiques définis d’une société donnée y proviennent – ce qui reviendrait à considérer la litt générale comme une sorte de socle commun et de nec plus ultra. La littérature de genre, que ce soit la noire, l’imaginaire ou la romance, sont des lectures plus populaires et jugées peu dignes d’intérêt académique et littéraire. J’ai entendu ça pendant toutes mes études – enfin non, même pas : elles n’étaient même pas évoquées avec précision, puisque considérées comme des lectures populaires (ma prof disait « du roman de gare » pour rassembler tout ce qu’elle considérait hors littéraire) donc complètement hors de propos et d’étude.
Bref, une considération très particulière qui existe depuis longtemps. C’était intéressant le podcast de l’imaginaire sur le fil car il y a une discussion sur ce sujet et la vision de la littérature de genre chez les anglophones, et la perception de l’écriture aussi. Très intéressant de noter que le regard est radicalement différent.
Je suis très contente si cela t’a ouvert des horizons de lecture et d’écoute 🙂
Merci encore pour ton intérêt et ta participation à la discussion !
Ma question était presque rhétorique pour souligner que si les autres littératures doivent se justifier, pourquoi pas celle-là aussi ? Mais effectivement, elle est beaucoup plus valorisée que les autres qui sont vues comme de la littérature un peu futile car populaire, car divertissante… D’ailleurs, même dans la littérature générale, certains auteurs, certaines autrices, certaines maisons vont être plus valorisés que d’autres. Entre les éditions de Minuit ou Guillaume Musso, l’image n’est pas la même.
Rhétorique pas tant que ça, c’est une vraie question je trouve, qui porte de réels enjeux.
Car c’est assez marrant, parce que Guillaume Musso, Marc Lévy, Anna Gavalda… écrivent de la littérature populaire ! La littérature générale peut être populaire et pas très recherchée (bon, ça c’est un ressenti tout à fait personnel, mais enfin le but de ces auteurices n’est pas non plus de chercher le Goncourt ou de révolutionner l’art) et appréciée à sa juste valeur (juste dans le sens « prise pour ce qu’elle offre, ni plus, ni moins »). Donc l’argument des défenseurs de la littérature blanche qui serait contrairement aux autres, sérieuse et élitiste ne tient pas – donc on en revient à ta question, qui non, ne me semble pas rhétorique du tout. Elle doit se poser pleinement !
L’élitisme se cache partout finalement. Abordant la littérature et la lecture essentiellement sous le prisme du plaisir (étant donné que ce n’est plus mon métier, et que ça ne l’a que peu été), il me semble plus important que chacun trouve lecture à son goût, quelles que soient ses raisons ou ce qu’on y recherche.
Et tout livre doit-il révolutionner quelque chose ? Combien de livres – tous genres confondus – y parviennent encore ?
Je me pose souvent ta question finale, avec celle-là : « que peut-on dire qui n’a pas déjà été dit ? » ou autrement : « la littérature peut-elle encore innover » ? C’est le sujet d’une future pause café certainement 🙂
Quant à la littérature-plaisir, certaines personnes te répondraient que la littérature est entièrement politique, donc engagée, donc devant être porteuse de sens, d’âme, de but, d’objet, de valeurs (Morgane dans les commentaires développe pas mal ce point) – et que cela dépasse le simple « chacun lit ce qu’il veut et puis voilà ». Ca aussi ça pourrait être le sujet d’une autre pause café 🙂
C’est sans doute une vaste question en effet et c’est pour ça que je lis relativement peu de littérature blanche contemporaine, j’ai parfois l’impression que ça tourne en rond quand j’en entends parler.
Les commentaires de Morgane sont très intéressants et poussent en effet à la réflexion…