Alors que le second roman d’Auriane Velten, Cimqa, vient de paraître, je me suis enfin lancée dans la lecture du premier roman, After®. Mieux vaut tard que jamais, n’est-ce pas ? Le roman a reçu le prix Utopiales en 2021, et a été réédité en folio poche SF en 2022, l’année suivant sa parution. Un roman que j’ai bien apprécié, et qui est ma 5e lecture du Cocorico challenge. Il me restera Bad Queen de Magali Lefebvre et Kerhoded d’Hélène Néra à lire.
4e de couverture
La Terre d’après…
À l’abri d’un baobab, une société utopique, soudée par des règles strictes et bienveillantes, semble profiter d’une vie paradisiaque, totalement apaisée et égalitaire.
Pourtant, l’un des membres de cette communauté ne peut s’empêcher de se poser mille et une questions, sur tout, y compris sur l’avant. Une particularité qui fait de Cami la personne idéale pour remplir une mission d’exploration – sous surveillance. C’est donc avec Paule que Cami part pour les terres renoncées, une zone inhabitée et hostile, en quête d’une mémoire oubliée. Rapidement, leurs découvertes dépassent l’entendement, et les déroutent au-delà de ce qui peut être imaginé.
Ce voyage risque bien de bouleverser leur vie… et l’humanité.
After® : le monde d’après, une utopie ?
After® pourrait être considéré comme une utopie. On est dans un futur très lointain, on ne sait pas trop où et on ne sait pas trop quand. On sait qu’il y a eu un cataclysme il y a longtemps, qui a effacé toutes les traces de nos civilisations contemporaines. Un groupe de personnages semble s’en sortir plutôt pas mal. La paix demeure, l’entraide est la base de toute cette petite société qui vivote sans se poser de questions. Paix, égalité et partage, voilà qui parait bien idéal.
Sauf que non. Parce qu’au fil des pages, on se rend bien compte que cette utopie s’est construite et repose sur les mêmes fondements que tout état totalitaire. Un dogme, une pensée sectaire, pas de dérive possible. Ici, tout le monde semble s’en satisfaire, tant mieux. Mais en fait pas tout le monde, car Cami se pose des questions. Trop. De ce fait, comme ce personnage raconte en partie l’histoire, au présent en plus, cela donne une sensation immédiate d’étouffement. On est comme Cami : avide de connaissances, et avec l’envie de secouer tous ces personnages manichéens et presque lobotomisés.
Première chose que j’ai appréciée d’ailleurs dans ce roman : la leçon selon laquelle une utopie n’est qu’un concept, et qu’en réalité, il ne fonctionne pas. Pire, pour tenter de fonctionner, il doit forcément se construire sur les mêmes mécanismes menant à la dystopie.
Un pas en avant et un regard en arrière
Je parlais récemment dans ma dernière pause café de l’imaginaire qui est un pas de côté par rapport au réel, ce qui permet de le comprendre et l’analyser. On est typiquement, avec After®, dans ce cas de figure. En effet, l’autrice nous emmène dans un futur lointain, tant temporellement que géographiquement a priori, pour nous engager à nous retourner.
Les deux personnages principaux, Cami et Paule, sont les deux personnages qui racontent l’histoire, à tour de rôle. On voit tout par leur regard, on entend leurs pensées en temps réel. Et on les observe chercher, enquêter, se questionner. Enfin, on les voit se surprendre de ce qu’ils découvrent. Et ce qu’ils découvrent, c’est notre monde contemporain. Qu’ils ne comprennent pas du tout. Tout a été effacé, tout a été oublié, pour la survie. Alors ils doivent s’adonner à un travail d’archéologue. Ce regard a posteriori met en lumière tous nos paradoxes, nos failles, nos lubies. Voir notre monde réel qui est le nôtre être aussi incompris est à la fois rigolo (quand on comprend où l’on se trouve)... et gênant. Parce qu’on en vient à se poser nous aussi des questions sur notre propre rationalité, notre manière de faire, de penser, d’agir. Notre monde actuel et nos actions n’ont tellement aucun sens.
Une 2e leçon que j’ai beaucoup appréciée. Il y a dans ce roman un propos très intéressant sur l’altérité, et j’ai aimé que ce soit nos « nous » du futur qui nous jugent, qui nous regardent. Parce que dans le fond, les autres, hé bien c’est nous. En fait, on se confronte à nous-mêmes.
De sacrées surprises…
After® m’a bien surprise, je dois bien l’avouer.
D’abord, il faut se faire au texte. Parce qu’Auriane Velten réinvente la langue. Elle n’est pas inclusive, de mon point de vue; plutôt neutre, je dirais. C’est assez déroutant, au début. Mais on s’y fait. On se dit « bon, c’est dans l’air du temps ». Et puis quelle langue n’évolue pas pendant des siècles ? Oui, sauf que parvenue au tiers, j’ai compris. Rien à voir avec l’air du temps, et cette langue neutre a toutes les raisons d’être là. Comment ai-je pu ne pas le saisir dès le début ? L’autrice ne cache rien, mais n’insiste pas non plus; de ce fait, j’ai fini par comprendre au hasard, complètement éberluée. Encore une sacrée leçon que l’autrice m’a donnée : mon regard était formaté dès le début.
Des surprises, l’autrice va en semer tout au long de son texte. La première partie est remarquablement intelligente, malgré des longueurs (pas inintéressantes toutefois, et absolument nécessaires). Le roman prend un autre tournant complètement inattendu passé la moitié, et j’ai apprécié l’imagination de l’autrice. On comprend le titre, et on apprécie l’entrée des personnages dans une autre dimension, beaucoup plus riche, intense. J’ai aimé la manière dont les personnages gagnent en épaisseur, en même temps qu’ils se complexifient, qu’ils se métamorphosent.
Mais la seconde partie m’a semblé plus maladroite, car plus rapidement traitée. Suspense, bousculements et péripéties s’enchaînent, avec des facilités scénaristiques un peu regrettables. J’ai par exemple moyennement apprécié que le méchant soit très méchant car corrompu par l’argent (en plus d’être manichéen j’ai trouvé cela trop facile, et manquant de corps). La résolution m’a semblé assez vite expédiée aussi.
Malgré ces cailloux dans la chaussure, j’ai apprécié les idées émises, la manière dont ce roman comporte plusieurs histoires en une, et sa fin ouverte.
En pratique
Auriane Velten, After®
Mnémos, 2021, Folio SF 2022
Couverture du folio : Hervé Leblanc
Prix Utopiales 2021
Autres avis : coup de cœur pour Yuyine; un roman avec des défauts mais à découvrir pour Le maki; une œuvre mature, audacieuse et prometteuse pour Bob; bon premier roman pour Elwyn, plein d’humanité et intéressant.
After® a donc été une bonne surprise. J’ai aimé ce roman même si je ne l’ai pas trouvé parfait. Il ne m’a pas bouleversée ni complètement chamboulée. Mais il m’a bien eue, et ce à plusieurs reprises. Auriane Velten m’a donné plusieurs leçons que je ne suis pas prête d’oublier. Et j’ai apprécié le voyage auprès de Cami et Paule, deux personnages qui m’ont plu, dans toutes leurs dimensions. Il y a quelque chose de pur dans ce roman, qui est appréciable, et que l’on retient au-delà des défauts qu’on peut y trouver.
Dommage pour la deuxième partie mais le roman ne semble pas manquer d’atouts. Cette idée d’une langue neutre m’intrigue…
C’est pas évident au début, ça perturbe un peu. Mais on s’y fait et alors quand on comprend pourquoi elle est là ça fait tilt ! Ca j’adore, quand un roman peut me surprendre autant passé le tiers voire la moitié. Quand tu te rends compte que tu t’es plantée pendant la première partie du texte, c’est assez incroyable 😀 ça fait revoir les choses avec un tout autre regard. Je te le conseille, il vaut le détour malgré ses maladresses de la 2e partie.
Dommage pour la fin du texte, pour le coup j’ai vraiment apprécié ce roman, ça fait réfléchir et c’est important !
Oui tout à fait, c’était une fort bonne découverte, je retiendrai le bouquin pour beaucoup de choses ! De toute façon, de manière très étrange, j’oublie systématiquement les fins de romans, je ne sais pas pourquoi. Donc ça tombe plutôt bien ici 😀
Ton commentaire sur l’écriture particulière m’intrigue tout comme le regard de Cami et Paule sur nous qui n’a pas l’air de prendre le simple chemin moralisateur.
Je dois t’avouer que j’ai déjà pas mal oublié ce bouquin depuis ma lecture 😐 Je me souviens par contre très bien de l’écriture de l’autrice, et ça c’était intéressant.
D’ailleurs, en me relisant pas moyen de me souvenir avec précision ce qu’il en est de ces personnages. (Je me dis que vraiment parfois j’écris quand même des trucs très cryptiques, il va falloir que je revoie ça.) Je n’ai en revanche pas le souvenir d’un blabla moralisateur en effet. Je me souviens par contre qu’il y avait quelques facilités scénaristiques à la fin, qui m’avaient moins plu. J’ai une mémoire épouvantable 🙁