Daphné du Maurier – Rebecca

Enfin. Il était temps que je lise Rebecca, je crois que c’était une antiquité de mes étagères. J’avais vu le film (celui d’Hitchcock) une fois, puis deux. Mais je n’avais pas encore lu ce roman de Daphné du Maurier. Un roman que j’ai intégré dans le pumpkin autumn challenge, dans une catégorie fantastique. Et hop, encore raté, parce qu’il n’y a pas un gramme de fantastique dans ce livre ! Décidément c’est un gag. Ce n’est pas un problème, même si j’espérais ma dose de fantastique. Mais je n’ai aucune catégorie convenable sur ce blog pour y ranger ma lecture, qui va se retrouver dans « littérature contemporaine ». (Et cet intitulé est nul, en fait). Décidément tout part à vau-l’eau ici 😀

4e de couverture

Sur Manderley, superbe demeure de l’ouest de l’Angleterre, aux atours victoriens, planent l’angoisse, le doute : la nouvelle épouse de Maximilien de Winter, frêle et innocente jeune femme, réussira-t-elle à se substituer à l’ancienne madame de Winter, morte noyée quelque temps auparavant ?

Daphné du Maurier plonge chaque page de son roman – popularisé par le film d’Hitchcock, tourné en 1940, avec Laurence Olivier et Joan Fontaine – dans une ambiance insoutenable, filigranée par un suspense admirablement distillé, touche après touche, comme pour mieux conserver à chaque nouvelle scène son rythme haletant, pour ne pas dire sa cadence infernale. Un récit d’une étrange rivalité entre une vivante – la nouvelle madame de Winter – et le fantôme d’une défunte, qui hante Maximilien, exerçant sur lui une psychose, dont un analyste aurait bien du mal à dessiner les contours avec certitude.

Queeel ennuiiiiiiii… zzz

Une erreur de casting

Si je m’attendais à ça. Les premières lignes que j’avais partagées il y a plusieurs mois m’avaient tellement plu. Une promesse d’ambiance gothique étouffante, un huis-clos noyé sous une végétation monstrueuse, sensuelle, pesante. J’espérais un chouïa de fantastique aussi.

Mais finalement, ces pages ne font pas la totalité du bouquin. Vous allez me dire, heureusement, parce que sinon ça aurait été dur à la longue – parce que 630 pages en format poche. On retrouve ces passages bien plombés par une végétation qui semble humaine, vorace, luxuriante, contrastant avec le manoir gigantesque, froid et mystérieux et dans lequel on se perd. Mais ils entrecoupent plutôt de longs passages de blabla. Ils sont comme des sortes d’intermèdes.

Donc ce roman a été dès le début très décevant pour moi, non pas par sa faute, mais parce que j’en attendais tout autre chose. Il est vrai qu’il est souvent cité dans les classiques fantastiques, donc je l’attendais, moi, ce fil ténu entre réalité et autre chose. Mais point de fantastique du tout.
Il me semble que le film d’Hitchcock, dans mes souvenirs, se situait davantage sur cette frontière, laissait le doute et l’angoisse se propager durant pas mal de temps avant les révélations finales. Les plans et la lumière accentuaient remarquablement l’aspect spectral de certains personnages et soulignaient si bien la paranoïa de la narratrice qu’on avait la sensation qu’on basculait dans quelque chose d’autre. J’avais le souvenir d’un film haletant, avec un suspense remarquablement dosé, scène après scène. Le bouquin a côté est d’un ennui… Cela se bouscule surtout passé la moitié, voire les 2/3. Avant c’est long, c’est long, c’est long.

Une intrigue peu passionnante

Alors quand on enlève le fantastique, il faut bien dire que cette histoire perd de son attrait – enfin, pour moi, évidemment.

D’abord, parce que les atermoiements de cette narratrice sont à la longue un chouïa pénibles. Elle se plaint sans arrêt. Il faut dire que sa vie est chiante et que son mari l’est tout autant. J’ai eu souvent envie de secouer cette pauvresse, complètement bouffée par les autres (tant Mme Danvers, l’ancienne dame de compagnie de Rebecca, que son mari – on est dans les années 30 hein, je vous laisse imaginer le rapport entre les deux et la vision du couple qui est véhiculée là-dedans). Réservée, passive, et un total manque de confiance en elle : pas l’héroïne la plus charismatique qui soit.

D’autre part, parce que le roman n’offre pas beaucoup de pages comme l’incipit, elles sont noyées entre beaucoup de dialogues. Ceux-ci sont constitués de deux types, qui s’entremêlent et dialoguent ensemble :

  • un qui se situe dans l’époque de la narration, et on suit alors ce personnage féminin (jamais nommé) lutter contre la présence persistante de Rebecca dans chaque pièce (et chaque page), aux côtés de son mari Maxim ;
  • un autre issu de l’imagination de la narratrice, qui prête aux personnages des comportements, pensées et paroles qu’elle pense être réels. Ce faisant, elle part dans des délires paranoïaques qui l’amènent à se considérer comme une victime permanente et moquée par les autres.

Alors vous allez me demander : « Mais pourquoi t’es-tu infligé ça jusqu’au bout ? »

Un classique qui mérite son titre

Hé bien d’abord parce que c’est un classique, et je n’avais pas envie de mourir bête. Je sais, cela vous paraît tout aussi bête. Je vous rassure, je l’ai lu en diagonale, ce qui ne m’a pas empêchée de suivre l’histoire et d’apprécier objectivement ce qui se donnait à lire.

Car au-delà de ces ressentis très vifs, y a quand même dans Rebecca un paquet de choses intéressantes. Ce n’est pas un classique pour rien. Attention, je spoile pas mal dans cette partie, donc si vous ne l’avez pas lu et que vous le souhaitez, je vous conseille d’aller directement à la fin 🙂

Une narratrice particulière

C’est ce qui m’a le plus marquée je crois : la narratrice n’est jamais nommée. Evidemment, c’est elle qui raconte, alors c’est toujours moins évident de connaître le nom des narrateurices. Mais jamais personne ne s’adresse à elle par son prénom, pas même son mari. Elle est inexistante en temps que dame de compagnie, puis devient Mme de Winter ensuite.

Et même pas la 1e, vous l’aurez compris. C’est-à-dire que son nom ne lui appartient même pas : c’est le nom de son mari et en plus une autre l’a porté avant. Et il est partout, le prénom de l’autre. Pas une page sans Rebecca. Ses initiales sont partout, comme son souvenir. Elle porte même le nom du roman… Incroyable ce renversement : une femme fantôme a une présence 10 000 fois plus solide et palpable dans le roman que notre narratrice.

Il a été dit dans plusieurs études et analyses qu’il y avait dans ce roman une lutte entre ange et démon, la narratrice étant l’ange, et Rebecca le démon. En effet, c’est évident : la narratrice est une petite chose toute mignonne, honnête, mal fagotée mais nature, très jeune donc innocente. En face d’elle, il y a Rebecca, la forte tête, la femme fatale, caractérielle, aux mœurs dissolues pour l’époque. Une femme libre, en somme. Donc le mal. Rebecca est ainsi le roman de la revanche de l’innocence et de la pureté (selon les codes de l’époque, encore une fois). (En effet, je vous déconseille de lire ce roman avec un œil contemporain, le discours est quand même très rétrograde; voir et entendre Maxim parler à sa femme comme à une enfant ou une idiote va probablement fortement vous agacer).

Une triple métamorphose

Rebecca est donc le parcours de deux femmes que tout oppose. Le roman est construit sur cette opposition constante, tant dans la dynamique, que dans la représentation des deux femmes.

Je disais plus haut que le roman était celui d’une revanche de l’innocence, et c’est tout à fait ça. La nouvelle épouse de Maxim va peu à peu s’affirmer dans le roman, au fur et à mesure que les mystères se découvrent. On assiste alors à quelque chose d’assez remarquable : une métamorphose de tous les personnages. Plus encore, l’évolution des personnages est simultanée et inversée. Et ce sont quatre personnages qui se retrouvent imbriqués de la sorte.

On a d’abord Maxim, l’homme riche austère, casanier, impressionnant. Il a clairement le dessus sur sa nouvelle épouse, dont il fait le double de l’âge. C’est sa petite chose fragile. Peu à peu, sa prestance diminue, au gré des mystères qui se résolvent. Celle-ci découvre alors la vérité sur Rebecca, une femme qu’elle avait mise sur un piédestal; finalement, elle prend un tout autre visage au fil des pages. Mme Danvers également se déchiquète petit à petit dans le texte. Elle qui faisait si peur à la narratrice pendant une bonne partie du bouquin n’a plus aucune prise sur elle ensuite. Alors, ces trois personnages qui s’amoindrissent peu à peu permettent à la narratrice de s’affirmer. Elle suit donc une évolution complètement différente des autres personnages.

Pour moi, l’évolution de ces personnages et de leur psyché est l’intérêt principal du roman et ce qui est le plus réussi.

Mais quand est-on ?

Dernière chose qui m’a plu dans ce roman, c’est le flou (relatif) dans les temps. Le roman s’ouvre sur un rêve, puis l’on comprend que la narratrice prend la parole a posteriori des événements qui se produisent dans le roman. Elle explique ensuite comment elle en est venue là, et donc opère un retour en arrière.

Entre ces différents récits, elle invente également des scènes qui n’existent pas mais qui selon elles existent probablement ou pourraient l’être, provoquées par son comportement. Elle est proche d’une certaine paranoïa, qui la pousse à imaginer ce que dirait untel, ce que répondrait untel. Tout cela mélangé, ce qui fait qu’on a un peu de mal parfois à distinguer ce qui est réel et avéré de ce qui est imaginé. Mais nul fantastique ici, car aucun événement ne se produit en dehors du réel.

Intéressant de voir comment le roman se termine, bouclant la boucle; même si on ne sait pas ce qu’il advient ensuite. Cela renforce le huis-clos généré par l’unité de lieu les 3/4 du bouquin (Manderley). Finalement, tout commence à Manderley, tout finit à Manderley…

En pratique

Daphné du Maurier, Rebecca

Livre de poche, 2016 (1e édition : 1939)

Traduction : Anouk Neuhoff 

Couverture :

Autres avis : La Terre entière, et sinon retrouvez les avis de Sometimes a book, Moonlight Symphony et La geekosophe qui ont toutes trois trouvé le roman incroyable.

Il y a beaucoup de choses à dire sur ce roman gothique qui joue des codes du roman policier et du roman psychologique. Je n’allais pas redire ce qui avait été dit cinquante mille fois, ni lister toutes les analyses et interprétations qui en ont été faites. Je suis contente d’être venue à bout de ce roman, et je voulais juste partager ce qui m’a plu (au-delà de mon ennui) ici. J’aurai lu Rebecca. Youpi ! Je ne le lirai pas une 2e fois celui-là. Certes, roman remarquable, mais d’un ennui mortel en ce qui me concerne. Je préfère vraiment le film; tiens je vais le regarder une 3e fois, maintenant que j’ai lu le bouquin ça sera intéressant de comparer.

6 commentaires sur “Daphné du Maurier – Rebecca

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  1. Cela fait très longtemps que je ne l’ai pas relu (oui parce que je l’ai lu plusieurs fois :D) mais je ne suis pas du tout d’accord avec cette interprétation : « Il a été dit dans plusieurs études et analyses qu’il y avait dans ce roman une lutte entre ange et démon, la narratrice étant l’ange, et Rebecca le démon. »
    Pour moi il n’y a qu’une lutte entre la narratrice et elle-même. Rebecca n’existe pas, n’existe plus. Elle n’est que ce qu’on raconte d’elle, et c’est pour ma part ce que je trouve fascinant. Tu le soulignes plus loin : les personnages dans ce roman ne sont que le reflet des angoisses de la narratrice, et je ne crois pas qu’ils évoluent beaucoup, ni qu’ils perdent ou qu’ils gagnent. C’est la narratrice qui grandit et finit par réaliser qu’elle est autre chose que la niaise, l’éternelle deuxième. Si je mets Rebecca en parallèle avec L’auberge de la Jamaïque, de la même autrice, j’aurais tendance à penser qu’on peut/devrait faire une lecture plus féministe de Rebecca que celle que tu présentes – même si ce serait, je pense, dépasser les intentions de l’autrice. D’un côté on a une héroïne en tout point conforme à ce qu’on attend d’une bonne petite épouse, et de l’autre une femme morte dont on sait juste qu’elle avait du caractère et une confiance inébranlable en elle. Ça suffit à en faire un démon… si on se place dans l’esprit misogyne de l’époque (enfin, de l’époque…)

    1. J’aurais pu mettre les sources, parce que cette interprétation n’est pas sortie de ma tête toute seule (je me souviens que Cécile Guillot mentionnait cela dans son essai Dames de rêves, dames d’ombres, avec les références). Mais j’étais assez d’accord avec ce point de vue.
      J’aime bien ton regard et ton interprétation, cela dit, et je te remercie de l’avoir partagé, je vais y réfléchir plus longuement pour le confronter avec ce que j’ai retenu et interprété. C’est effectivement une lutte très intérieure qui se joue dans l’esprit de la narratrice.
      Mais j’ai vu une évolution très nette dans les personnages, tous en rapport avec Rebecca; elle est certes absente, mais elle fait le jour et la nuit, régule les comportements des uns et des autres. Pour moi, elle est là, trop même; je l’ai trop souvent sentie présente, étouffante. Et selon moi, la narratrice ne grandit que parce qu’elle comprend que Rebecca n’est pas la femme qu’elle a idéalisée, elle ne grandit qu’en rapetissant l’autre, et en cela je trouve qu’il y a vraiment un discours derrière qui ne me paraît pas très moderne, puisque la femme libre est diabolisée puis ensuite complètement détruite…
      Mon regard est donc très différent du tien sur l’œuvre, peut-être parce que mon œil était resté trop contemporain, et que j’ai eu du mal à me passionner pour ces histoires. Peut-être que mon point de vue changerait effectivement en confrontant cette œuvre à d’autres de l’autrice. Tu me fais penser qu’il faudrait que je lise par exemple L’auberge de la Jamaïque. Ca se trouve, je surinterprète complètement avec des biais que je ne vois pas et je prête à l’autrice un point de vue complètement hors de propos !

      1. Ah non mais j’avais bien compris qu’il ne s’agissait pas de ta seule interprétation ! C’est juste qu’elle ne « colle » pas avec les souvenirs que je garde du roman. Mais encore une fois, cela fait longtemps que je ne l’ai plus lu !
        Je suis totalement d’accord sur le fait que Rebecca n’est pas vraiment absente, c’est d’ailleurs pourquoi elle donne son titre au livre. Dans mon esprit, c’est parce que sa présence demeure écrasante, étouffante, qu’on porte un regard biaisé sur elle. Sa nature de fantôme si je puis dire, fait qu’elle paraît effrayante, diabolique presque.

        1. En tout cas je t’admire, parce que je ne parviens pas à parler d’un roman comme tu le fais en sachant que j’ai lu le bouquin il y a un moment : j’oublie à une vitesse assez phénoménale…
          Oui je suis d’accord avec toi, c’est notre regard qui la rend ainsi, c’est tout à fait ça oui !
          Je pense aussi que ce personnage est tellement particulier qu’il se prête fort bien à une multitude d’interprétations, qu’aucune ne se suffit à elle-même d’ailleurs; c’est ce qui fait même sa force, je trouve – et la raison pour laquelle ce roman est un classique, parce qu’il garde en lui les clefs de sa compréhension totale, qu’il se prête à plusieurs regards…
          Que je l’ai moyennement apprécié n’enlève vraiment rien au génie de ce livre, c’est une certitude. On pourrait parler de ces personnages tellement longtemps ! 🙂

  2. C’est drôle car je m’attendais à bien plus catastrophique que ce que je viens de lire et qui m’a fortement intrigué ! Je n’ai encore eu le courage de sortir ce classique de ma PAL mais tu m’encourages à le faire pour découvrir ces transformations et autres luttes et ce, malgré l’ennui que tu as pu ressentir mais qui sembles propre au genre et qui ne me déplait pas.

    Merci à toi pour ce pertinent avis 😉

    1. hahaha c’est vrai ? C’est marrant 😀 Bon, c’est vrai que ce n’est plus trop ce que je lis en ce moment, forcément le coup de foudre n’est pas venu… Mais ça reste un classique et je ne voulais pas rester sur mon ennui très subjectif sans aller au-delà de ça.
      Je pense que tu vas adorer, parce que les personnages sont incroyablement bluffants, avec une psyché remarquablement dépeinte. Et puis à mon avis tu aimeras aussi la plume, qui va te guider sans peine dans les pages de ce roman et dans Manderley. J’espère que tu feras partie des amoureux de Manderley et que toi aussi, tu vas rêver d’y retourner. Je t’encourage à le sortir de ta PàL en tout cas, sans crainte ! 🙂

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