Étienne Cunge – Symphonie atomique

J’avais partagé récemment les premières lignes de ce roman que j’avais acheté aux Utopiales. Très emballée par cet incipit, je me suis rapidement plongée dans le roman ensuite. Symphonie atomique est un bon pavé de plus de 400 pages, que j’ai beaucoup beaucoup apprécié. Sachez d’emblée que ce roman n’est franchement pas folichon, abordant un futur peu réjouissant. Si vous êtes très sensible à l’actualité ou au fait qu’on va dans le mur, je vous recommande la prudence… Pour ma part, j’ai plus qu’apprécié le tout et je vais vous expliquer pourquoi.

4e de couverture

« N’oubliez pas notre baseline : soyez écoresponsable, suicidez-vous. »

Le monde d’après s’effondre.

Malgré l’odeur de fin des temps, des restes de civilisations subsistent, au bord du chaos, et chacun lutte pour donner du sens à sa vie. Les quatre modèles des puissances atomiques, aux abois, dominent cette désolation et se confrontent, prêts à en découdre : ultra-capitalisme américain, écologisme européen, nationalisme russe et totalitarisme social chinois. Dans ce climat délétère, l’équilibre ne tient plus qu’à un fil, sur le point de rompre.

Parmi le concert des forces nucléaires spatiales, l’Europe en Transition fait figure de naine. Pour autant, alors qu’émerge une crise dans la crise, le sort de l’Humanité va peut-être dépendre des décisions de deux de ses membres, que rien ne prédisposait à cela : Juan et Agathe.

Dans cette nouvelle ère, à l’Europe reconfigurée et où l’espace constitue le terrain névralgique des conflits, leurs actes vont faire écho à l’étrange soulèvement en cours dans les steppes d’Asie centrale – sous le commandement du jeune Ashkat –, et les confronter à l’énigme qu’incarne Ulan Moltov, l’âme de la rébellion, le cœur du jeu de poker à grande échelle qui débute.

Une écriture qui reflète notre monde contemporain

On va commencer par ce que j’ai moins aimé, comme ça c’est dit et on n’y revient plus ensuite. La plume est fluide, percutante : ce faisant, elle accompagne à merveille ce qu’elle raconte, par mimétisme. Les phrases sont simples, directes, comme un uppercut reçu en pleine figure. Pas de vocabulaire ni de concepts compliqués, et du passé à la 3e personne du singulier. Tout est parfait (pour moi).

Presque parfait. Presque. Car de la même manière que Thinking Eternity, le roman regorge d’anglicismes et d’usages abusifs. Les mêmes, d’ailleurs. Notamment un qui est un tic de langage bien agaçant : « réaliser que ». Tous les 5 pages on y a droit. AHHHHH que c’est chiant. Une fois, bon. 30 000 fois dans le texte GNGNGN. Ouiiiiii, je sais, j’exagère et ouiiiiiii, je sais, vous vous en foutez. (Dans le genre, « la quinquagénaire » pour désigner Agathe de nombreuses fois dans le texte m’a paru bof bof à la longue).

Bref, tout ça pour dire que ça manque un peu de variété et de relecture, mais comme pour Thinking Eternity, je trouvais finalement que ça reflétait aussi notre langage contemporain. Comme Symphonie atomique dépeint notre futur potentiellement très proche (voire notre quotidien), ça a du sens.

Post-apo climatique ?

Notre futur, ou notre présent ?

On peut lire Symphonie atomique comme un post-apo qui se déroule dans le futur. Le roman commence en 2016 pour présenter l’un des acteurs du roman. Mais ensuite, il se déroule dans un monde futur, après plusieurs vagues de catastrophes (des Plaies comme en Egypte). Tsunamis, pandémie… Ça vous parle, hein ? Pas besoin de se projeter dans le futur, juste besoin d’allumer sa télé et de regarder les infos. Mais le calendrier du roman diffère ensuite, à partir d’une année charnière où tout bascule, et qui devient l’année 1 (sous-entendu année 1 du début de la fin). Le roman raconte donc des événements qui ont lieu en 54.

Côté décor, c’est très simple et là aussi cela donne une impression de quotidien. Des régions inondées, d’autres en proie à de grandes sécheresses. Des réfugiés climatiques d’un côté, des richissimes qui profitent du système de l’autre. Effondrement de la biodiversité, épuisement des ressources. Une petite musique que l’on connait déjà bien.
En revanche, comme l’explique Étienne Cunge dans les remerciements à la fin du roman, celui-ci a été écrit entre 2018 et 2020, soit avant l’épidémie du Covid-19. Visionnaire, donc, au moment de l’écriture.

Survivre ou lutter ?

Ce roman ne raconte pas une série de catastrophes terribles en mettant en scène deux héros lambda qui doivent renverser les choses avant que ce soit la fin du monde tout court. Et ça, j’ai adoré. On suit plus particulièrement de près 3 personnages. Mais ils ne sont pas tous des héros, ou en tout cas considérés comme tels. Et puis ce sont des seconds couteaux. Ils ne sont pas James Bond ou les super-héros traditionnels. Ce sont des personnages qui gaffent, qui ont peur, qui traînent des casseroles, qui doutent. Des personnages dont on oublie le nom à la fin parce que l’Histoire ne les retient pas.

Et puis le roman prend le temps de peindre pas mal d’autres personnages très différents. Ils sont tous des copies de notre monde réel. On a ceux qui font l’autruche, ceux qui font passer leurs besoins individuels d’abord, les politiques et les lobbies, le richissime un peu dingue, les activistes et les alarmistes… et ceux qui tentent juste de s’adapter et de survivre. Mais rien de manichéen au contraire : beaucoup de nuance qui reflète toute la complexité de chaque personnage, de son rôle et de sa position.

J’ai trouvé ça très habile. Parce qu’on comprend que rien n’est simple dans cette affaire, et que le « y’a qu’à, faut que, c’est lui qui… » ne marche pas. La dégradation des conditions climatiques sur Terre n’est pas la faute d’un grand méchant en particulier. Et c’est encore moins ce grand méchant qui va résoudre le problème tout seul. C’est un système : et c’est ce système qui est superbement bien dépeint ici; avec lucidité.

Éco anxiété

Vous l’aurez compris, si vous êtes en proie à l’éco anxiété, si le monde politique et diplomatique est toxique pour vous, j’attire votre attention sur le fait que ce roman ne va pas arranger les choses. Au contraire : il va vous plonger la tête dans toute cette merde et la maintenir dedans. Si vous êtes déjà convaincus qu’on est dans la merde et que cela vous panique, peut-être abstenez-vous. Sinon, vous serez comme de nombreux personnages du roman, « solstalgiques » : c’est-à-dire touchés par une dépression profonde générée par la solastalgie.

Grande Histoire // petites histoires

Je parlais de système plus haut : pour moi, la réussite de Symphonie atomique tient à cela. A sa capacité à dépeindre un réseau de relations, de personnages, d’enjeux, d’intérêts… tous imbriqués ensemble. D’ailleurs, l’intrigue est elle-même imbriquée dans tout le tableau dépeint dont j’ai parlé plus haut. Elle est directement liée à celui-ci, mais débouche sur d’autres problèmes. Par ailleurs, la structuration du roman est elle-même un reflet de ce système. En effet, elle mêle habilement Grande Histoire et petites histoires.

Grande Histoire : un thriller resserré et haletant

Venons-en donc à l’intrigue du roman. Sur cette Terre à bout de souffle, l’heure est grave. 4 blocs dirigent la planète. Les USA capitalistes et individualistes, la Russie et la Chine totalitaires et l’Europe, au milieu, qui tente d’être la bonne élève raisonnable (affublée du joyeux titre d’«écommuniste» par ses copains). Autour gravitent les rejetés pas contents (Brésil, Inde), les pauvres oubliés mais positionnés sur un axe majeur (les peuples d’Asie Centrale) et l’Elon Musk du roman avec sa société rêvée pour riches. Ça m’a fait « sourire », parce que c’est exactement l’état du monde aujourd’hui. J’ai là encore fortement apprécié la nuance. Par exemple, l’Europe semble être le modèle à suivre, mais n’est pas la panacée non plus. Ça ressemble bien à l’état de notre Europe actuelle. Loin d’être parfaite mais la moins pire.

Tout ce petit monde se regarde en chien de faïence, et chacun a son vaisseau spatial en orbite. Et son parc nucléaire sur Terre et en orbite. Tout tient à peu près comme ça, jusqu’à ce que les 4 vaisseaux se fassent quasiment écrabouiller. Qui est le coupable ? Pourquoi ? Est-ce un coup des Russes ? Ou bien ces foutus américains ? Et si c’étaient les Kazakhs ? En bas, chaque bloc accuse l’autre et chacun a des fourmis dans les doigts. Panique à bord.

L’essentiel de l’histoire tient sur quelques jours. Le nœud est hyper resserré. De ce fait, l’intrigue est menée tambour battant. En plus, on a le vertige. En effet, on voyage d’un bloc à l’autre, mais aussi entre les vaisseaux et la Terre. Il y a des espions, des complots, et de ce côté-là on est vraiment dans un roman d’aventures. Mais Étienne Cunge dépeint aussi les magouilles politiques, la position cul entre deux chaises des détenteurs du pouvoir (entre diplomatie, jeux de pouvoir et contraintes liées à la politique intérieure), les relations entre astronautes et celles qu’ils entretiennent avec leur pays, et le recul que leur position dans l’espace offre sur cet échiquier géant. C’est franchement captivant et totalement crédible.

Des petites histoires : Monsieur et Madame Tout le monde

Et pour éviter que Symphonie atomique ne soit qu’un post-apo climatique et un roman d’aventures (ce qui serait déjà super), il offre aussi des fenêtres sur un quotidien qui n’a aucun rapport direct avec l’intrigue. De quoi rendre épaissir encore le background.

Pour cela, l’auteur utilise un procédé très efficace : les chapeaux en tête de chapitre. Je vous avais mis le 1er entête dans les premières lignes. Ce sont en fait des extraits de l’émission L’Effondrement près de chez vous sur Radio Collapse. Y sont diffusées des histoires du quotidien de M. et Mme Tout le monde. Des gens des quatre coins du monde, riches ou pauvres, de statuts et d’âge différents. Ces extraits sont des sortes de témoignages sur le monde dans lequel ils vivent.

C’est comme cela que l’auteur apporte tout un background bien épais à son intrigue, l’ancrant davantage dans un monde solide.
C’est par ce biais qu’on connait les différentes plaies qui se sont abattues sur la planète. On apprend aussi, par exemple, qu’ici le suicide assisté est obligatoire à 60 ans. Là, qu’untel souffre de consolstalgie (une boulimie de consommation). Que certaines zones des océans sont tellement pauvres en oxygène qu’elles sont truffées de méduses. Que le handicap dans ce monde craint, et que les soins nouvelle génération (les nabiontiques) coûtent plusieurs millions de dollars.
Mais on suit aussi l’histoire de cette éleveuse de rennes en Laponie. De cet homme qui veut monter dans le bus mais se fait rabrouer par un drone qui l’enjoint de descendre en raison de sa violence. Ou encore de cette jeune femme qui organise un festival à Rome, pour que sa génération se vide un peu la tête…

J’ai adoré ces différentes histoires. Alors certes, en plein cœur de l’intrigue, ça peut faire sortir de l’histoire. Mais j’ai trouvé que ça permettait aussi de ralentir les choses. Une manière de dire qu’il faut aussi se poser pour analyser un problème avant de foncer bille en tête pour tenter de le résoudre. Ou de dire que les actes des uns pèsent sur la vie des autres, tout étant relié, connecté. Que les choix qu’on fait, surtout à un certain niveau de pouvoir, ont des conséquences sur une foule de gens anonymes. J’y ai en tout cas trouvé un sens.

Symphonie atomique

Alors, quand j’ai eu terminé de lire ce roman, je me suis dit que ce titre était parfait. Car c’est exactement de ça qu’il s’agit. Symphonie atomique est une pièce musicale. Un orchestre de plusieurs acteurs qui jouent ensemble, dialoguent, se répondent. Parfois, c’est calme, parfois c’est explosif et cacophonique. Chacun joue sa partition, tant bien que mal. A la fin, cela donne lieu à une pièce musicale complexe, pleine de sonorités, de tensions, d’accords… différents. Avec plusieurs mouvements qui racontent une histoire. Et j’ai sacrément apprécier écouter ce morceau.

En pratique

Étienne Cunge, Symphonie atomique
Critic, 2021 puis Pocket, 2023
Couverture : Aurélien Police
Petite sélection d’autres avis : 1er Cunge pour Amanda, et pas le dernier; très bon roman pour Bob, qui constate malgré tout que ce roman est une goutte de plus dans ses angoisses vis à vis de notre monde actuel et futur; thriller percutant et rude pour La Geekosophe; coup de cœur pour Yuyine; post-apo prenant et thriller intelligent pour Anne-Laure; roman pessimiste et captivant pour Le Maki, « excellent thriller géopolitico-écolo-spatial extrêmement accrocheur » pour Lorkhan

Vous l’aurez compris, j’ai adoré Symphonie Atomique. Je ne vous cache pas que j’ai fait des cauchemars deux nuits de suite. La 1re sur la fin du monde et la 2e sur des bonhommes irradiés dont la peau se déchirait en lambeaux. Vous comprenez ce que je voulais vous dire par « prenez vos précautions avant de lire ce roman ». Moi j’ai l’habitude donc ça ne me gêne pas (sauf au réveil, un peu dur). En attendant, excellente lecture de mon côté, bluffée par la densité de ce texte, sa structuration franchement maligne et son intrigue menée tambour battant imbriquée dans un background sacrément étoffé. Évidemment, je ne vais pas m’arrêter en si bon chemin, et je reviendrai de Ouest Hurlant avec Antarcticas, du même auteur !

6 thoughts on “Étienne Cunge – Symphonie atomique

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  1. Bon, je vais m’abstenir, alors 🙂
    Mais merci pour cette chronique, si riche et complète, comme d’habitude. À cet exercice, tu restes la meilleure, je trouve !

    1. Oh c’est très gentil, merci 🙂 Meilleure je ne pense vraiment pas mais ça fait plaisir à lire en tout cas 🙂
      Sinon, oui, si notre monde actuel te fait suffoquer… ce n’est pas un livre que je te recommande !

    1. « Vous aimerez si vous avez envie de déprimer davantage ». Oui, c’est vrai qu’il y a de ça ! 😀 Mais comme tu le dis dans ta chronique, l’auteur s’en sort bien et je suis ressortie de cette lecture sans fatalisme, ni désespoir accru. Oui, j’y ai vu aussi cette petite parcelle d’espoir, comme toi.
      Est-ce que tu as lu Antarcticas du même auteur ? Il me tente pas mal aussi.

      1. Non pas encore. Mais grâce à toi, je viens de faire une recherche : il est annoncé en sortie poche pour septembre. Il sera dans ma liste d’achats de ce mois 😉

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