Catherine Dufour – Les champs de la Lune

Catherine Dufour est une autrice que je ne connais pas bien. Je l’ai découverte avec Le goût de l’immortalité, et ç’a été un échec cuisant, puisque je n’ai pas dépassé les 10 premières pages. J’ai donc voulu retenter avec Les champs de la Lune, que j’ai acheté aux dernières Utopiales. L’approche botanique me plaisait beaucoup (j’ai été horticultrice et fleuriste dans une autre vie, donc le roman me parlait particulièrement de ce point de vue là). La lecture n’a pas été évidente, encore une fois, mais j’ai tenu bon jusqu’au bout.

4e de couverture

Seule employée d’une ferme sur la Lune, l’humanoïde El Jarnine doit nourrir les hommes et les soigner, avec l’aide d’un chat augmenté. Son quotidien est bouleversé par l’arrivée d’une petite fille douée pour l’horticulture. Les deux êtres s’apprivoisent grâce à leur amour des plantes. Lorsque l’enfant meurt d’une maladie incurable, El Jarnine entame une quête vers plus de liberté.

Les champs de la Lune ou le récit de la conquête de la vie sur une planète morte

Réfléchir son écriture

El Jarnine écrit des rapports à destination de sa hiérarchie. Alertes de sécurité, états chiffrés sur l’évolution de sa serre, points d’attention notables…

Ecrits au présent, dans un format journal de bord, ces rapports sont particulièrement arides au début. On lui fait d’ailleurs remarquer que c’est trop technique et qu’il faudrait enrober. Alors, au gré de ses lectures, l’horticultrice va faire évoluer sa plume, de rapport en rapport. C’est assez intéressant de voir la mue de cette écriture, accompagnée de toute une série d’interrogations sur la forme adéquate à donner à sa prose. Les champs de la Lune est une vraie mise en abyme de l’écriture : pas seulement un reflet de celle-ci mais une réflexion métatextuelle sur ce matériau premier.

La structure du texte porte particulièrement bien cette réflexion. En effet, il s’enrichit petit à petit de sources extérieures, de petits morceaux de poésie… Peu à peu, la forme assez stricte du rapport se libère, et les journaux de bord deviennent très personnels, plus intimes et lyriques, plus « patchwork » dans leur format.

Métamorphose du personnage

Ces réflexions et cette structure accompagnent la mue du personnage principal, fleur parmi ces champs de fleurs.

Assez austère au début, taciturne et isolée, El Jarnine n’est pas franchement commode. Pas spécialement attachante ni socia(b)le. Pourtant, peu à peu, au gré de ses rencontres, surtout celle avec Sileqi, elle s’ouvre. Les apports extérieurs lui permettent de s’épanouir, de ressentir davantage d’émotions, et de les exprimer.

Ainsi, la première moitié m’a semblé passablement lente, peu rythmée et ennuyante (et remplie de longueurs dispensables). Mais j’ai largement préféré la seconde partie. Plus déréglée, plus spontanée, à l’image de la tempête interne que vit El Jarnine. Tous les questionnements qu’elle a, toutes les émotions contradictoires qu’elle commence à ressentir et à exprimer… donnent un texte un semblant de vie qu’il n’y avait pas dans la 1re partie.

Vie/mort

On pourrait alors analyser le roman comme un combat pour la vie sur une planète complètement morte. 

La vie de tous les jours sur la Lune est un combat. D’ailleurs, la vie actuelle est le résultat de guerres passées qui ont laissé des traces. Elle est rude, poussiéreuse, rythmée par les vents solaires, les pluies de météorites, et surtout la fièvre aspic qui tue, sans que l’on sache comment ni pourquoi. La coexistence végétaux/animaux n’est pas évidente non plus, et faire pousser des plantes dans une serre est également un combat quotidien.

En bref, Les champs de la Lune pourrait être le récit du combat de la vie sur la Lune. Un combat pas vraiment frontal, plutôt insidieux, lent, métaphorique, à l’image du texte et de l’angle choisi par l’autrice. El Jarnine est ainsi pleinement au centre de cette conquête.

Structure et forme narrative accompagnent remarquablement cette quête de vie, d’expression et de spontanéité.

Entre transposition et imaginaire pur

La Lune, copie de la Terre

Sur la Lune se côtoient à la fois des Soulunaires purs mais aussi des habitants qui ont connu la Terre. Si celle-ci est souvent un souvenir lointain, on se rend compte qu’elle est toujours présente. Sa beauté bleue dans le ciel n’est pas toujours rassurante, elle semble peser sur le quotidien comme un spectre.

Par ailleurs, ce n’est pas tant la Terre qui est pesante, que les habitudes intégrées de ses habitants, qui ont suivi sur la Lune. La conquête de celle-ci s’est faite par la guerre civile. D’ailleurs, il en en résulte encore des régions hostiles à l’écart de Mut. On se croirait finalement encore sur Terre… Même si les caractères des Soulunaires diffèrent, s’iels adoptent une façon de penser et de faire radicalement différente de celle des Terriens du fait de l’environnement hostile… il reste des traces. Celles d’une violence intrinsèque.

Ce n’est donc pas tant la Terre qui importe ici, que la nature humaine. Celle-ci, où qu’elle se trouve, répète les mêmes erreurs.«  Je crois que je supporte de plus en plus difficilement l’inconséquence d’un peuple qui regrette sans fin d’avoir ruiné une planète entière, et n’a rien retenu de la leçon. »

On s’en rend notamment compte avec la bureaucratie, toujours là. Rapports, répétitions et appels à l’action restent sans réponse, avec une hiérarchie lourde. D’autres indices nous rappellent que l’humanité reste sensiblement la même, notamment le passage sous silence par les autorités dirigeantes de faits importants pour manipuler les masses… Le roman contient énormément de tacles sur les défauts de notre monde contemporain. Ces tacles sont percutants, saisissants, jamais lourds ni répétitifs. Très justes, réalisés avec peu de mots.

 

— Stirne attend que l’humanité prouve qu’elle est une espèce viable, capable de tendre collectivement vers un avenir. Pour l’instant, historiquement, elle n’y est pas parvenue.
— Et si elle n’y parvient jamais ? Si son avenir n’est qu’une chute dans sa propre violence, violence envers elle-même et envers son environnement, ce qui revient exactement au même ?
— Alors, souhaitons-lui que sa chute soit longue. La disparition de la plus conceptuelle des espèces serait regrettable. Mais je doute qu’elle réussisse jamais à dompter ses conflits internes qui explosent en pugilats sanglants.

Entre réalisme et imaginaire

Il est intéressant de noter que Les champs de la Lune est un roman est bien documenté. Les descriptions sont vives, offrant au lectorat des tableaux visuels saisissants, étonnamment colorés et vifs. On est ainsi loin de l’image d’une planète grise. Mais le vocabulaire est précis, la géographie de la planète connu, ses caractéristiques également. L’autrice parle avec précision de termes et de pratiques botaniques, et ça m’a plu. Il n’y a pas d’incohérence dans ce texte. J’ai aimé suivre l’évolution et la pousse de ces plantes en dehors de leur milieu naturel. De les voir tenter de s’adapter. Il en résulte un réalisme notable.

A côté de ça, il a fallu peupler cette planète, et la parcourir. Cela aussi la rend moins morte. Surtout lorsqu’on passe sur la face cachée de la Lune. Et ici, on est pleinement dans l’imagination, même si cela reste tout à fait plausible et cohérent. Le travail de (re)composition de cette planète et de la manière dont le quotidien « terre à terre » y est dépeint, entre données techniques réalistes et imaginaire, est vraiment très bien fait. Il s’en dégage une réelle harmonie.

Sinon, j’en ai pensé quoi ?

Je me rends compte que j’ai plutôt fait une analyse personnelle du roman, sans vraiment en dire ce que j’en ai pensé.

C’est assez difficile pour moi d’en parler, parce que j’ai failli abandonner Les champs de la Lune, pour tout vous dire. Je me suis vraiment ennuyée tout du long; un peu moins dans la 2e partie, mais j’ai eu une sensation de remplissage assez souvent. Je me suis demandé si le format novella n’aurait pas été aussi bien et peut-être plus percutant. Car certes, il y a des réflexions et des interrogations posées, mais dans un texte trop descriptif à mon goût.

Si j’ai finalement bien aimé la destruction du schéma narratif habituel, je trouve quand même qu’il manque un peu d’action. L’enquête sur la fièvre aspic prend son temps et ne trouve son aboutissement que bien tard. Finalement, le roman a commencé à me captiver réellement et à me scotcher 30 pages avant la fin. C’est bien tard, là encore.

Donc d’excellentes choses, objectivement. Mais personnellement, je n’ai pas été émerveillée, ni pleinement captivée. Et j’en suis un peu déçue. Malgré tout, je fais la part des choses, et si je n’ai pas été autant séduite par ce roman que je le voulais, je reconnais malgré tout que c’est un très bon texte.

En pratique

Catherine Dufour, Les champs de la Lune
Editions Robert Laffont (Ailleurs & demain), 2024
Autres avis : émerveillement pour Sia qui en redemande; roman visuel aux images persistantes pour Le Maki; Tachan comme moi aurait aimé un peu plus de narratif et un peu moins de descriptif ; Bob a un ressenti assez similaire au mien, reconnaissant que le roman est très bon sans pouvoir pleinement dire qu’il l’a complètement transcendé : la fatigue n’a sans doute pas aidé, tant pour lui que pour moi, à apprécier pleinement ce roman; a contrario de moi qui me suis ennuyée et ai regretté un manque d’action trépidante, Le chien critique a adoré ce roman dont il a tourné les pages avec avidité.

 

Les champs de la Lune aura été un petit combat pour moi aussi. Contre l’endormissement pendant ces quelques 300 pages, je dois le reconnaître un peu honteusement. J’ai apprécié la forme de ce roman, sa structure, son angle d’attaque, ses descriptions justes, visuelles et riches d’un quotidien lunaire. Mais cela ne m’a pas empêchée de bâiller, malheureusement. Une enquête plus trépidante n’aurait pas été de refus… Mais ma foi, je suis allée au bout et mon ennui ne m’a pas empêchée d’apprécier objectivement la qualité de ce texte. Toutefois, je ne suis pas très pressée de lire un autre roman de l’autrice, là tout de suite…

5 commentaires sur “Catherine Dufour – Les champs de la Lune

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    1. Mais ce n’est pas négatif (non non, je t’assure !) ^^ Je n’ai pas été totalement emportée certes, mais j’ai quand même su apprécier la qualité de ce texte.

  1. Si jamais tu te prends l’idée de réessayer l’autrice un jour, essaye Au bal des absents ou sa bio sur Ada Lovelace. Je garantis rien mais si ceux-là te plaisent pas, je pense tu pourras jeter l’éponge sans regrets.

  2. Mince, un raté ! Celui-ci est dans un coin de ma tête pour plus tard chez moi, pas sûr que ça soit complètement mon truc, mais on verra bien !

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