Après le bide qu’avait représenté pour moi la lecture des Reflets d’argent de Susan Fletcher, je dois dire que je n’avais pas spécialement l’envie pressante de lire Un bûcher sous la neige. Toutefois, le retour hyper enthousiaste de Steven, conjugué à la trouvaille du bouquin dans la boîte à livres de ma ville, a constitué un signe ! J’ai casé ce roman dans mon Pumpkin Autumn Challenge, dans les dernières lectures de décembre. Et j’ai bien fait, car alors… quelle incroyable lecture ce fut !
4e de couverture
Au cœur de l’Écosse du XVIIe siècle, Corrag, jeune fille accusée de sorcellerie, attend le bûcher.
Dans le clair-obscur d’une prison putride le Révérend Charles Leslie, venu d’Irlande espionner l’ennemi, l’interroge sur les massacres dont elle a été témoin. Mais, depuis sa geôle, la voix de Corrag s’élève au-dessus des légendes de sorcières, par-delà ses haillons et sa tignasse sauvage. Peu à peu, la créature maudite s’efface; du coin de sa cellule émane une lumière, une sorte de grâce pure. Et lorsque le révérend retourne à sa table de travail, les lettres qu’il brûle d’écrire sont pour sa femme Jane, non pour son roi.
Chaque soir, ce récit continue, Charles suit Corrag à travers les Highlands enneigés, sous les cascades où elle lave sa peau poussiéreuse des heures de chevauchée solitaire. Chaque soir, à travers ses lettres, il se rapproche de Corrag, la comprend, la regarde enfin et voit que son péché est son innocence et le bûcher qui l’attend le supplice d’un agneau.
Un texte brillamment construit
Ce roman est bourré de qualités, et il en a une première qui se remarque tout de suite : sa construction remarquable.
Un bûcher sous la neige est un double récit : celui de Corrag, accusée de sorcellerie, et celui du révérend, qui raconte ses entretiens, ses ressentis et ses pensées à son épouse Jane, restée en Irlande.
Deux voix, pour des récits emboîtés. L’autrice raconte l’histoire de Corrag, qui attend en prison le jour de sa crémation sur le bûcher. Corrag raconte au révérend à la fois son histoire, qui l’a amenée à croupir dans cette prison sordide, mais aussi une histoire plus large : celle du soulèvement des Highlands contre le roi Guillaume III. Et elle raconte précisément une scène dont elle a été témoin : le massacre du clan Donald à Glencoe.
Ainsi, Histoire et histoire se mélangent, avec le mythe de la sorcière Corrag de Glencoe qui se greffe là-dessus.
Nul dialogue…
Autre fait remarquable : il n’y a dans ce texte aucun dialogue. Et pourtant, le roman est vif, dynamique, varié. L’autrice pour cela utilise plusieurs procédés. D’abord la correspondance, entre le révérend et son épouse. Ces lettres ponctuent le récit de Corrag, et crée visuellement une différence dans les pages. Alternance de voix, de styles, d’écriture et de graphie, qui apporte de la variété.
La variété vient également des discours rapportés. S’il y a énormément de descriptions, il y a surtout dans ce roman un hommage à la tradition orale qui caractérise le peuple des Highlands. Pour illustrer cela, l’autrice a voulu rendre des échanges, des dialogues, aussi vivants que possible. Intégrer de vrais dialogues dans le récit de Corrag n’aurait pas été crédible : la sorcière raconte des souvenirs, elle n’aurait pas pu retranscrire des échanges de toutes pièces. Alors l’autrice utilise à la fois le discours indirect et surtout le discours indirect libre. Il s’en dégage une authenticité et une spontanéité qui donnent au récit quelque chose de rafraîchissant et vif.
Des pages vibrantes
Un bûcher sous la neige, c’est également des pages de toute beauté qui font revivre les Highlands. Pour y être allée il y a deux ans, et précisément à Glencoe d’ailleurs, j’ai adoré y retourner à travers ce roman. Et j’ai retrouvé, dans ces pages, mes impressions ressenties sur place. La plume de Susan Fletcher rend parfaitement bien la réalité à couper le souffle des Highlands. La beauté des couleurs, des textures, des impressions fugaces. La férocité des lieux mêlée à quelque chose de paisible en même temps. On ressent sans cesse ce paradoxe, sur ces terres sauvages.
La plume est sensorielle, sensuelle, précise, vaporeuse, à l’image des paysages qu’elle dépeint. C’est un vrai ravissement pour les yeux, tant l’autrice, à travers Corrag, parvient à rendre tout cela vivant. Ce bouquin est une hypotypose du début à la fin, c’est assez magistral. L’autrice donne à Corrag un talent de conteuse évident, qui émerveille également le révérend.
Au service d’un récit émouvant
La forme est parfaite, vraiment. Mais le fond du roman n’a pas à rougir non plus. Je parlais du mélange entre histoire et Histoire plus haut, et c’est exactement cela. Ces liens sont extrêmement bien faits, et le récit dans son ensemble est absolument passionnant. J’ai dû réviser un peu (enfin, apprendre, pour ma part, parce que je ne connaissais pas grand-chose à cette partie de l’histoire), mais c’est très bien relaté et mis en scène. Ce qui se lit ici est le récit d’un monde qui change, et d’un peuple mis devant le fait accompli. C’est le récit d’un temps qui se termine qui se raconte.
Il s’en dégage une amertume et une nostalgie intenses, couplées au sort de Corrag qui est évidemment poignant. D’autant plus poignant que sa manière de raconter est à la fois naïve, vibrante et authentique. L’évolution du regard du révérend accompagne et guide avec tact les émotions ressenties par le lectorat.
Chaque personnage, chaque tranche du récit, chaque épisode… amène son lot d’émotions intenses. Le récit nous amenant irrémédiablement au moment fatidique du massacre de Glencoe, on sait pertinemment vers où l’on se dirige. Et le récit avançant, le suspense créé par Corrag dans son récit, ses ralentis, ses accélérations… apportent de la tension supplémentaire.
Il n’y a dans ce roman aucun manichéisme, plutôt 50 000 nuances qui donnent au texte énormément de teintes et d’émotions. On oscille constamment entre colère, émerveillement, apaisement, douceur, fureur, peur terrible, reconnaissance… Soyez prévenus : Un bûcher sous la neige est une succession de montagnes russes d’émotions, une expérience à faire.
En pratique
Susan Fletcher, Un bûcher sous la neige
VO : Corrag (2010)
VF lue : J’ai lu, 2016
Traduction : Suzanne V. Mayoux
Couverture : Caterina Sansone
Autres avis : Excellente lecture pour Tachan, qui m’a donné envie de lire un autre titre de l’autrice, Un jardin de mensonges ; très bonne lecture également pour Charlotte, du blog Les papiers de Mrs Turner ; un roman qui a énormément touché Gytha du blog Les pages pluvieuses.
C’est Tachan qui disait, dans sa chronique, qu’on pouvait considérer Un bûcher sous la neige comme un énième témoignage de la sorcellerie de l’époque, mais que, ce faisant, on passait complètement à côté du texte. Je suis complètement d’accord avec son analyse. Il y a dans ce roman une maîtrise de la construction narrative, une plume incroyablement riche, des personnages hauts en couleurs, énormément d’émotions authentiques créées, et un épisode historique dont on n’a que très peu de traces et de témoignages aujourd’hui. Le roman de Susan Fletcher parvient à romancer cet épisode sans perdre en réalisme ni en crédibilité. Elle offre ici un hommage à tout un peuple et à des terres qu’elle aime profondément. Et bien sûr, elle met sa plume au service d’une féminité multiple, dont la voix porte. Une œuvre vraiment très fort et brillamment réussie, de mon point de vue.
Je te crois volontiers quand tu dis que le récit est dynamique, mais « il n’y a dans ce texte aucun dialogue » ça a quand même un vrai côté effrayant. 😱
Effrayant, repousse-moldus, ardu, comme les pentes de ces collines de tourbières pleines de flotte et plongées dans le brouillard, battues par les vents… Mais une fois qu’on a dompté les éléments – et l’écriture… Ah, quel pied 🙂
Ah quel tentateur ce Steven, il m’avait donné envie de découvrir ce roman et la chronique de Tachan a grandement participé à cette curiosité aussi. 🙂 Contrairement à toi, je n’ai pas réussi à plonger dans l’ambiance de ce récit. Les dialogues m’ont manqué justement, je n’ai pas fini ma lecture. Mais c’est un roman assez éloigné de ce que je lis habituellement, j’aurais essayé, c’est déjà ça. 🙂
Ah oui, je comprends, quand j’ai ouvert le bouquin et que je l’ai parcouru vite fait au début et que j’ai vu qu’il n’y avait aucun dialogue, je me suis dit « ouf, ça va être ardu ». Bon, finalement ça a super bien passé pour moi mais effectivement, si le manque se fait ressentir, j’imagine bien qu’on ne parvient pas à en apprécier la peinture de cette ambiance si particulière… Cela dit, connaissant la rudesse de ces paysages… je me suis fait la réflexion que la forme du texte était vraiment adaptée. Ardue, difficile, qui se mérite. Et quand on l’a adoptée, alors là, c’est le cadeau. C’est l’effet que m’ont fait les Highlands quand j’y suis allée 🙂
C’est beau de voir que tu as retrouvé ce sentiment à travers les pages de ce roman 🙂
Je suis en train de le lire, et j’adore ! Je m’en veux d’être aussi fatiguée, car j’avance comme une tortue et je sens bien que ma fatigue entrave mon plaisir de lecture, alors que ce roman est d’une beauté et d’une force…
Au moins, tu peux en profiter plus longuement 🙂 Ne désespère pas de ton rythme : Glencoe t’invite à aller au tien, qui sera toujours le bon. Pas de précipitation, dans les Highlands, surtout 🙂
Pff, j’ai presque envie de le relire celui-ci. Ma lecture date de quelques mois avant sa sortie en grand format, en service presse, donc ça remonte bien !