Josepha Juillet – Le serment de Langrebrume

Ah, que c’est difficile de chroniquer le roman d’une amie. Josepha et moi, on s’est rencontrées IRL aux Imaginales 2022 si mes souvenirs son bons. Devant le stand de Noir d’Absinthe. Elle m’a reconnue tout de suite, et on s’est fait un gros câlin comme si on était deux amies qui se connaissaient depuis perpète et qui ne s’étaient pas vues… depuis perpète. Josepha a tremblé, je le sais, quand j’ai lu Le serment de Langrebrume. Il n’y avait pas de quoi : c’est un beau romaaaaan, c’est uuuuune belle histoiiiiire, que Josepha nous a écrit là.

4e de couverture

Au milieu des terres de Bellegarde s’épanouit la forêt de Langrebrume. Certains la disent hantée, d’autres la pensent peuplée de créatures maléfiques. Tous s’accordent à la trouver maudite.
Au plus profond de la sylve, derrière le bruissement des feuilles mortes et le craquement des branches se jouent de puissants desseins. À son contact, Samson, Alix et Sélène verront leur vie prendre un chemin inquiétant.
Parviendront-ils malgré tout à tracer leur propre destinée ?

Un bel objet livre

Je n’avais jamais lu de roman des éditions Hurlevent. C’est du très bon travail. Bon, ce sont des reliés, et ça je n’aime pas, ce n’est pas pratique quand on mange et qu’on lit en même temps : le dos ne se casse pas, donc ça ne tient pas.

Mais j’aime la sobriété de la couverture, la ligne graphique propre à la maison avec quelques illustrations discrètes qui évoquent le roman. A l’intérieur, on a un texte joliment mis en page dans une maquette plaisante, avec des illustrations de chapitres. Une belle carte (j’aime bien les cartes), et cerise sur le gâteau ici : une playlist Spotify pour accompagner la lecture ! (migrable sur Apple music si besoin, testé et approuvé).

Enfin, Le serment de Langrebrume est un texte corrigé. Je ne dis pas qu’il ne reste rien, c’est quasiment impossible, mais le texte est propre et très bien relu. C’est du beau boulot. J’aime.

Une plume de toute beauté

A l’occasion, si j’ai le temps, je ferai un dimanche premières lignes avec Le serment de Langrebrume. La plume de Josepha, que j’avais déjà rencontrée dans Mutation et Terre des Ombres, est remarquablement belle ici. J’ai trouvé qu’il y avait un gap qualitatif évident, d’ailleurs. On sent que chaque mot a été réfléchi. Pour autant, il n’y a aucun sentiment d’artifice.

Comme le décor du récit, la plume est naturelle, organique. Elle sent bon le bois et les parfums d’écorce, d’herbes et de fleurs séchées. Le vocabulaire est étendu, le registre de langue assez soigné, avec une maîtrise parfaite de la concordance au passé (ah, les beaux subjonctifs imparfaits <3 !). J’ai aimé la manière dont les mots traduisent l’ambiance.

Cette plume est ce qui m’a plu le plus dans ce roman. Jusqu’au bout, elle reste solide et maîtrisée. J’ai aussi aimé le lien entre l’autrice et son lectorat. Elle se présente comme la narratrice de ce récit d’un autre temps, et échange avec son auditoire. Elle l’interpelle, l’inclut dans son histoire pour interagir avec elle. J’aime bien ces cadres-là : ces histoires de hauts faits anciens qu’on raconte à l’oral au coin du feu, et qui, ce faisant, se rapprochent de l’ancienne tradition orale.

Une structure discutable

Ah, ça y est, la mère Zoé commence à trouver des choses à redire. Ca ne pouvait pas bien durer longtemps, vous dites-vous entre vos dents.

Le roman présente un gros nombre de chapitres, très courts. Je ne suis pas fan des chapitres courts. Ca me coupe dans mon élan. C’est une question de goûts, n’est-ce pas.
Toutefois, l’histoire, toujours racontée à la 3e personne du singulier, se penche sur trois personnages. Les chapitres alternent ces personnages.

Le roman présente une structure quasi unique, menée de manière presque mécanique : un petit chapitre sur personnage 1, cliffhanger de fin, petit chapitre sur personnage 2, cliffhanger de fin, petit chapitre sur personnage 3, cliffhanger de fin. Et hop, c’est reparti. Quand je disais que les petits chapitres me coupaient dans mon élan, c’est encore plus le cas quand au bout de trois chapitres il faut que je me rappelle ce qu’il se passait vingt pages plus tôt. Mémoire de poisson rouge, me direz-vous. Oui, peut-être. En attendant, je n’ai jamais vraiment réussi à m’immerger totalement et à me laisser entraîner par le texte.

Chouette ambiance, mais…

Sorcellerie et féminisme

Au-delà de la structure qui m’a fait faire la moue, j’ai adoré l’ambiance. Ca sent la magie, et la magie naturelle. Le bois, les écorces, les arbres, les fleurs séchées. Les poisons, la botanique, les petites recettes dans les chaudrons. Ca, j’aime bien. C’est une magie ancestrale, celle de nos grand-mères et de leurs grand-mères avant elles.
Et en lien avec cette sorcellerie, il y a évidemment une ode à la féminité. Beaucoup de femmes, dans ce texte. Qui ont des rôles, des statuts, des vies… différentes, variées. Sur les trois personnages centraux, deux sont féminins. Et qui dit sorcellerie et femmes, dit combat pour la liberté, la place dans la société, la reconnaissance, les droits. J’ai beaucoup aimé le discours derrière. Comme les décors : exécuté avec finesse, légèreté, sans gros sabots.

Mais un rythme longuet

En revanche, si l’ambiance m’a beaucoup plu, je n’ai pas trop été emballée par l’histoire. D’une part parce que je n’ai pas réussi à rentrer pleinement dedans pour les raisons que j’ai évoquées plus haut. D’autre part parce que je n’ai pas, pendant au moins la moitié, saisi les liens entre ces trois personnages. Il y a des passages qui traînent en longueur, et le tilt ne vient que très tardivement selon moi. J’aurais aimé un mélange plus resserré de ces trois histoires plus tôt, sans forcément donner les clefs pour saisir ce lien. Pas évident, je le conçois. Mais de ce fait, les trois histoires sont assez longtemps indépendantes et toutes ne m’ont pas forcément séduite (j’ai eu envie de sauter des pages, je dois l’avouer. Ou de reprendre le bouquin en lisant l’histoire de chaque personnage d’un bout à l’autre).

Enfin, je n’ai pas du tout été convaincue par le personnage de Samson. Sa métamorphose m’a paru beaucoup trop rapide, bien trop peu nuancée. Il m’a fait penser à Anakin Skywalker en accéléré. Et même Anakin à un moment parvient à se nuancer (si si, à la fin, un peu). Là, Samson est bien trop noir, bien trop sombre, pour des raisons qui ne m’ont pas paru suffisantes.

Un roman de l’intime

Toutefois, ce rythme assez lent convient assez bien au texte dans son ensemble. On est ici dans un récit de magie et de fantasy aux accents de nature writing. Le temps du roman est long, très long. Donc il y a une cohérence d’ensemble qui fait sens. D’autre part, on est sur un récit plutôt de l’intime. Vous ne trouverez pas de bataille explosive à la Gouffre du Helm, dans Le serment de Langrebrume. On est plutôt dans un récit de l’intimité des femmes que l’on croise, qui tissent des liens entre elles et avec l’environnement qui les entoure.

Le roman évite également assez bien les pièges de la fantasy classique. Pas de quête, pas de héros jeune qui doit sauver le monde (monde dont on ne sait finalement pas grand-chose, on n’est pas dans un récit épique ici), pas de Merlin-Dumbledore… Bref, Josepha nous épargne les schémas traditionnels, lus et relus de la fantasy classique et ça c’est cool.

Mais le final très ouvert a rattrapé un peu ces aspects qui m’ont moins plu. J’aime bien être surprise comme ça. Ce n’est pas forcément le moment où on est le plus souvent surpris, et pourtant ici c’est le cas. Et c’est très bien fait : pas facile, pourtant. C’est inattendu et cela laisse place à l’imagination, pour un après à construire ; cela rend le lectorat un peu moins passif.

En pratique

Josepha Juillet, Le serment de Langrebrume
Editions Hurlevent, 2024
Conception graphique : Julie Gaudillat
Autres chroniques : Vincent a bien aimé ce roman et vous en parle en détail, avec de bien jolies et rigolotes petites notes, comme à son habitude. Stéphanie vous recommande hautement ce roman si vous voulez de la belle fantasy sans tous les poncifs du genre.

 

Le serment de Langrebrume a plusieurs qualités. La plume de Josepha, son ambiance et son décor (Langrebrume, c’est quelque chose, un endroit à parcourir, je vous le conseille), sa fantasy intime, féminine et qui évite les pièges classiques. Si tout ne m’a pas totalement séduite, la faute à un récit qui m’a semblé un peu trop mécanique dans sa structure et à des longueurs, j’ai pris bien du plaisir à parcourir ces pages. Si je n’ai pas plongé au cœur de ces pages comme de ces lieux et de ces récits comme je l’aurais voulu, j’ai malgré tout apprécié ma lecture, les partis pris de l’autrice, ainsi que les surprises qu’elle a nous réservées jusqu’au bout. En somme, j’ai passé un joli moment de lecture boisé. Un joli texte dont je recommande la lecture, par une belle semaine d’automne, avec la playlist dans les oreilles et un pumpkin latte à la main.

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