Vincent Tassy – Apostasie

Enfin je me suis plongée dans le premier roman de Vincent Tassy, Apostasie. Publié aux éditions du chat noir en 2016, Apostasie a rejoint ma bibliothèque lors des Imaginales 2021. Un beau roman que je me suis fait dédicacer, à l’occasion de ma première rencontre avec cet auteur passionnant, passionné, d’une incroyable érudition mais très humble et d’une profonde gentillesse. Ayant beaucoup aimé Comment le dire à la nuit et surtout Diamants, qui était mon favori du PLIB2022, j’avais donc hâte de lire enfin ce titre. J’ai profité du Pumpkin Autumn Challenge, et l’ai glissé dans le menu Automne de l’étrange (catégorie Cueillette des champignons : mot-clé forêt).

Synopsis

« Anthelme croit en la magie des livres qu’il dévore. Étudiant désabusé et sans attaches, il décide de vivre en ermite et de s’offrir un destin à la mesure de ses rêves. Sur son chemin, il découvre une étrange forêt d’arbres écarlates, qu’il ne quitte plus que pour se ravitailler en romans dans la bibliothèque la plus proche.
Un jour, au hasard des étagères, il tombe sur un ouvrage qui semble décrire les particularités du lieu où il s’est installé. Il comprend alors que le moment est venu pour lui de percer les secrets de son refuge.

Mais lorsque le maître de la Sylve Rouge, beau comme la mort et avide de sang, l’invite dans son donjon pour lui conter l’ensorcelante légende de la princesse Apostasie, comment différencier le rêve du cauchemar ? »

Un roman gothique glaçant

Une danse de l’amour et de la mort

Apostasie, c’est un conte macabre. Dès les premières pages, on suit Anthelme, jeune étudiant solitaire, à part et isolé du monde, qui trouve refuge dans une forêt étrange, chargée de mystères et d’histoires étouffées. On ignore où et quand se déroule le récit : celui-ci se place en dehors de la réalité tangible. On évolue rapidement dans une ambiance onirique, que l’on pense, à tort, douce et inoffensive.

Pourtant, très rapidement, lors de la rencontre avec Aphélion dans sa demeure, la tonalité change pour nous inviter dans quelque chose de monstrueux, sanglant. On est dans le registre du merveilleux, où le surnaturel semble accepté comme tel et régir les lois de ce monde parallèle. On y plonge davantage avec le récit de Lavinia.

Apostasie offre ainsi tous les éléments du roman gothique, dans lequel les délices de l’amour flirtent avec celles de la mort. C’est donc le récit d’une danse sensuelle, d’une osmose entre les deux qui se lit.

Une esthétique de l’horreur

C’est sanglant, mais cela reste raffiné, comme les personnages qui peuplent ce récit. Aphélion est terrible mais très classe, une sorte de dandy moderne, parlant avec délectation et poésie des horreurs infligées à ses invités. J’ai également aimé le traitement très sensuel et sensoriel des personnages, de leurs émotions et de leurs rapports. J’aurais aimé ressentir cette fougue et ce désir dans la plume, mais cette association Eros/Thanatos m’a tout de même plu.

Apostasie propose donc une esthétique de l’horreur mise en scène, soignée et polie jusqu’au moindre détail. Il en résulte quelque chose de très glaçant, finalement. Difficile alors pour moi de m’attacher à ces personnages froids, d’une beauté polaire et repoussants à la fois dans leurs actes et leurs pensées. La beauté froide qui se dégage de ces personnages et de ses récits est amplifiée par la distance créée par les différents emboîtements.

Peut-être un peu trop parfait ?

Trop de beauté…

Dès ce premier roman, Vincent Tassy met la barre très haut dans la complexité de la structure narrative. Emboîtement de récits, multitude de points de vue : l’auteur parvient à rompre la linéarité du récit en lui donnant un profondeur à la fois formelle et temporelle. Ainsi, les mystères de la Sylve Rouge et autour de la figure d’Apostasie s’épaississent davantage.

L’écriture de l’auteur est déjà splendide, entre prose et poésie, alliant un travail sur les sonorités, les rythmes, le lexique… J’ai aimé par exemple la déclinaison des prénoms commençant par A : un détail, mais déjà on voit que l’auteur ne laisse rien au hasard; tout est soigné, réfléchi, pensé.

… tue la beauté

Ce que j’apprécie énormément, mais regrette aussi en même temps un petit peu. En effet, si je trouve la prose de l’auteur vraiment splendide, j’ai eu la sensation que les mots d’Apostasie étaient contraints. Cette prose poétique de toute beauté est presque trop belle; trop lisse; comme certains personnages du roman. Il manque une ou deux failles dans l’écriture, une liberté, par lesquelles l’émotion jaillirait.

D’autre part, j’ai relevé une intertextualité très riche qui m’a semblé par moments un peu artificielle : comme si l’auteur cherchait là à justifier son propre texte. Selon moi, il n’y avait pas besoin de ces références ; je trouve que cela contraint parfois le propos et l’empêche de s’exprimer pleinement.

Peut-être manque t-il à ce roman un souffle de confiance, de liberté, pour voler de ses propres ailes et laisser exploser tout ce qu’il a à dire, en lâchant la bride sur la beauté formelle. Disons qu’il n’y a pas l’équilibre que j’ai pu trouver trouver dans Diamants. En effet, j’ai ressenti beaucoup plus de liberté dans Diamants, d’émotions pures, de prises de risques aussi. La plume y est toujours aussi belle, mais le travail mené sur le langage s’efface au profit du sens des mots et de la puissance émotionnelle qu’ils traduisent. On a alors un naturel, une fluidité dans le langage et une harmonie entre langage et récit, que j’ai moins trouvés dans Apostasie.

En pratique

Vincent Tassy, Apostasie

Editions du chat noir, Collection Griffe sombre, 2016

Couverture : Marcela Bolivar

Autres avis : Un coup de foudre pour Maude, qui s’est d’ailleurs inspirée de la Sylve Rouge pour son roman Le bois écarlate. En revanche, Amanda n’a pas été convaincue par ce conte macabre; un joli envoûtement pour Fungi Lumini; une rencontre un peu loupée pour Chrisbookine.

 

Apostasie, premier roman de Vincent Tassy, présente les thèmes favoris de l’auteur, ainsi que sa plume qui me plaît énormément. J’ai passé un bon moment avec ce roman, mais sans non plus ressentir le même émerveillement à la lecture de Diamants. J’ai trouvé dans celui-ci une émotion, une liberté et une prise de risques qui selon moi manquent un peu dans Apostasie. Le roman reste efficace, maîtrisé, très beau, mais à mon sens il manque un peu de force, tant dans le récit que dans la peinture des personnages. Je pense qu’il est parfait pour découvrir l’auteur, et je vous conseille ensuite de poursuivre avec Loin de lui le soleil, préquelle indépendant d’Apostasie – ce sera d’ailleurs mon prochain de Vincent Tassy. Et Diamants, bien sûr. Au cas où vous n’auriez toujours pas compris 🙂

7 commentaires sur “Vincent Tassy – Apostasie

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  1. Très jolie chronique ! J’ai ressenti plus ou moins la même chose lorsque je l’avais lu (c’est l’un des tous premiers romans que j’ai chronique sur mon blog) : une grande beauté, mais glaciale, presque artificielle, qui a tendance à étouffer la narration et le souffle romanesque. Pour moi, ses romans sont de beaux objets froids et délicats (et assez difficiles d’accès) qui nous hantent longtemps et sur lesquels on a envie de revenir. C’est aussi ce que j’aime chez cet auteur…

    1. oui ce ne sont pas des romans pour tout le monde; en tout cas si on cherche quelque chose de léger pour un vendredi soir et un cerveau cramé mieux vaut éviter de se lancer dans ses textes.
      Même si j’ai trouvé Apostasie plus contraint, j’ai aimé ce texte, à la grande beauté glaciale, c’est tout à fait ça. Et j’aurai plaisir à y revenir, je pense.
      Merci pour ton retour !

  2. Malgré toutes tes critiques, je n’ai pas encore entamé la lecture d’une œuvre de Vincent Tassy. Il va me falloir remédier à ce manque (même si ta présentation d’Apostasie est moins enthousiaste). Mais la période est tellement pleine de parutions… Toujours les affres du choix.

    1. Hé bien peut-être te laisserais-tu tenter par son nouveau titre avec Morgane Caussarieu, Entrevue avec un vampire ? ^^
      Je te comprends, le nb d’auteurices que j’aimerais découvrir aussi, mais… so many books, so little time 🙁

  3. J’attends de recevoir sa version illustrée et retravaillée, je note que le style étouffe l’émotion, j’ai lu d’autres oeuvres de Vincent Tassy, et j’avais aimé, donc je gage que ce roman me plaira aussi, malgré le côté froid.

    1. La version collector devrait bcp plus te plaire, car l’auteur l’a remanié justement ! Vincent m’a dit qu’il était conscient de ces points là et qu’il avait tout retravaillé pour la version collector. Je suis très curieuse de voir le rendu ! J’aime bcp ces écrivains qui retravaillent leurs œuvres comme ça, comme si elles n’étaient jamais finies et le travail toujours perfectible. 😍

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