Vincent Tassy – Comment le dire à la nuit

Comment le dire à la nuit est un roman de Vincent Tassy, publié aux éditions du Chat noir. C’est une découverte de l’auteur pour moi. C’est d’ailleurs pour cette raison que j’ai intégré ce livre dans le challenge du Printemps de l’Imaginaire francophone. Cette première lecture dans le cadre de ce challenge valide celui-ci d’une part, et le menu « Nouveaux horizons » (Les défis Imaginaire) d’autre part. C’était une lecture assez longue, nécessitée par l’ambiance sombre et pesante du roman et par une écriture assez complexe. J’ai néanmoins apprécié cette rencontre, qui me réjouit à l’idée de lire d’autres titres de Vincent Tassy très prochainement.

Synopsis

1691. Athalie de Rosemonde s’ennuie, seule dans son château. Vampire de son état, elle ne peut mourir. Le temps est long. Jusqu’au jour où elle trouve, échoué sur le sable, un beau garçon aux cheveux blancs, Ariel. Alors, dans l’espoir de revivre, et de vivre une histoire d’amour éternelle, elle enlève le garçon et le cloître dans son château. Elle va tout faire pour se faire aimer.

1856. Egmont d’Orméville, à quelques jours de son mariage avec sa promise Carolina, profite de son amant Léopold. Cet amour interdit se vit caché, entre lettres déposées dans des recoins de cimetière et baisers enfiévrés à l’ombre des arbres de forêts immenses et noires.

Présent. Rachel est une jeune femme solitaire qui fuit le bonheur de peur de le perdre et d’en souffrir. Elle décide pourtant de passer une soirée à l’Opéra, pour aller écouter sa chanteuse favorite, Cléopâtre. Elle a même gagné la chance de dîner avec elle. Que de non-dits échangés durant ce dîner. Finalement, de retour chez elle, elle tombe sur une jeune femme complètement perdue, Parascève, qui souffre de visions, et connaît son passé douloureux, qu’elle lui dévoile. Les voilà toutes deux intimement liées, alors qu’elles ne se connaissent pas…

Une intrigue complexe

Comment le dire à la nuit : un récit choral

Comment le dire à la nuit alterne les époques, les personnages, et les points de vue. On sent bien que tout est lié, mais on ne le devine que petit à petit, avant que la lumière ne se fasse. En attendant, Les récits s’entremêlent, donnant quelque chose de chanté, comme plusieurs voix dans un chœur. Toutes ces voix se répondent, sans se connaître (du moins le croient-elles), dialoguent entre elles, et évoquent des sujets similaires : l’amour éternel et pur, la force des sentiments, le sentiment d’être comme perdu et incomplet sans l’Autre, la perte d’un être cher, la souffrance et la solitude provoquées par cette disparition, la difficile reconstruction qui s’en suit. Finalement, quelque soit l’époque, l’ambiance, ces thématiques demeurent, résonnant avec toujours autant de force.

Evidemment, l’intrication de ces voix et de ces récits va lier les personnages plus intimement, et toutes ces thématiques abordées prendront davantage de sens au fil des pages.

Un labyrinthe narratif avec un fil d’Ariane

Il faut s’accrocher un peu dans ce récit, car Vincent Tassy nous égare volontiers dans ce labyrinthe sombre. Et il faut dire que j’ai aimé m’y égarer. Néanmoins, cela explique pourquoi j’ai mis autant de temps à le lire. On n’avale pas ce roman comme ça, à la légère. Sa noirceur est lourde à porter, d’une part. Et d’autre part, il faut laisser infuser un peu les récits de chacun des personnages, parce qu’ils traînent un lourd passé et de nombreuses blessures. J’ai aimé prendre mon temps ici. Après tout rien ne pressait, je me suis calée sur le rythme des personnages, qui semblent en dehors du temps.

21 chapitres donc, qui rapprochent, éloignent et croisent les personnages, jusqu’à les superposer, les fondre les uns dans les autres. Tout finit par prendre sens, avec comme fil d’Ariane Ariel, cet étrange personnage aux cheveux blancs, amnésique, et qui retrouve peu à peu la mémoire. Finalement, c’est le duo qu’il forme avec Athalie qui traverse les siècles, tout tourne autour d’eux. Duo qui s’aime et se déteste, puis se déchire, qui joue au jeu du chat et de la souris à travers les époques et les personnages. Cela m’a fait un peu penser au conte d’Andersen de La petite sirène. Ariel, aux allures de prince charmant échoué sur le sable. Ariel, trouvé par Athalie qui tombe amoureuse et cherche à s’en faire aimer. L’évolution de leur histoire m’a évoqué d’autres passages de ce texte.

Des personnages difficiles à suivre

Par contre, j’ai eu un peu de mal à tous les suivre ces personnages, notamment Athalie. Je n’ai pas réussi à adhérer à son histoire ni à son passé, qui revisite complètement l’Histoire. Pour moi, ça n’a pas collé du tout.

D’autre part, elle est comme la poisse, elle revient tout le temps. On croit en être débarrassée, mais non, elle revient. C’est tout l’enjeu du roman, en fait. Mais à la longue, elle devient pénible et étouffante. Il faut dire qu’elle est complètement folle. J’ai donc eu beaucoup de mal à me faire à ses sautes d’humeur, à son fonctionnement dérangé, à sa profonde méchanceté teintée de souffrance et de solitude. Je ne me suis pas du tout attachée à elle. En cela, l’écriture du roman rend parfaitement bien toute la complexité de ce personnage. J’ai d’ailleurs apprécié l’intégration des feuillets de son journal intime dans le roman. Mais je n’ai eu, au dernier tiers du roman, qu’une hâte : qu’elle se fasse embrocher pour de bon et qu’on en finisse.

Une poésie romantique

Un récit romantique ?

J’entends par là romantique au sens littéraire du terme. Ce mouvement littéraire a émergé fin XVIIIème siècle en Allemagne, et s’est développé dans la première moitié du XIXème siècle en France. Construit contre la rationalité des Lumières et le classicisme passé, le Romantisme exalte le Moi et l’expression des sentiments. Mais ce mouvement n’a pas accouché d’œuvres empreintes de mièvrerie (non non). Car les romantiques ne font en effet rien dans la douceur. Ce qui s’exprime (ou pas) se fait avec imagination, liberté, effusion, donc avec souffrance. Les passions sont toujours douloureuses.

C’est pourquoi les personnages de ce roman m’ont vraiment fait penser à l’idéal romantique. Ils vivent de passions, de sentiments. Même quand ils les refusent, ils sont submergés par eux. Ils se construisent avec, contre et par leurs sentiments. On retrouve les thèmes propres au genre : l’Amour, le vrai, le pur, l’éternel, l’intouché, le durable. Et qui ne l’est jamais. La mort, la solitude, le deuil. On est dans quelque chose d’assez lyrique ici, qui se marie très bien avec la forme chorale choisie par l’auteur. Ces personnages ne font rien d’autre que chanter leurs sentiments.

Comment le dire à la nuit ?

D’autre part, les décors évidemment jouent un rôle évident et répondent à cette esthétique romantique. Par exemple, forêts immenses teintées de mystère et de magie, manoirs abandonnés sur les crêtes, appartements parisiens figés dans des souvenirs d’une époque révolue, et la nuit.

La nuit imprègne chaque page de ce roman. Et ce n’est pas une belle nuit chaude d’été, non. C’est plutôt une nuit froide, noire d’encre, menaçante. Tous ces personnages vivent la nuit. C’est la nuit qu’Athalie vit, ou que Rachel rencontre Parascève. C’est encore pendant la nuit de noces qu’il se produit des événements terribles. Rachel évoque la nuit pour évoquer sa vie depuis ce qui l’a touchée dans le passé. Enfin, c’est la pendant la nuit qu’Egmont et Léopold vivent leurs derniers instants d’amour. La nuit a donc un rôle majeur ici.

Enfin, ce n’est pas seulement le ciel qui est noir, mais aussi le cœur de ces personnages perdus. C’est tout l’enjeu de ce roman. En effet, les personnages sont emprisonnés seuls dans leur propre nuit. Il y a plus de non dits que d’expression ici, ce qui accentue la violence des ressentis. Comment le dire à la nuit ? Comment exprimer l’inavouable ? Le roman alterne entre secrets et aveux.

Le romantisme de la plume de Vincent Tassy

De même, comme les décors et les personnages, l’écriture est romantique. Douce, poétique, chantante, expressive. Et en même temps dure, violente, cinglante, douloureuse. Vincent Tassy décrit la violence émotionnelle et physique vécue par les personnages de manière frappante. Il dessine notamment des scènes de torture physique et mentale, évoque également la mort, créant des scènes et des visions cauchemardesques. Il parle de la peur viscérale d’être abandonné et seul. La langue poétique dont il use est douce comme une caresse. Ainsi, loin d’atténuer les propos, elle accentue la violence qui semble se tapir sous les mots, nous faisant redouter son explosion.

Un passage m’a particulièrement frappée, et illustre bien, je trouve, l’ambiance du roman. Il s’agit de la scène où Rachel se remémore ce film muet dont elle ne se souvient plus du nom.

« Une minute avant la fin, tout le monde commençait à se cogner. Sans gémir, sans parler, sans changer d’expression. Mollement, ils se défonçaient la tête, s’étranglaient, s’égorgeaient, et le dernier ou la dernière se fracassait le crâne contre le lavabo, quatre ou cinq coups, bruit des os qui s’explosent contre la faïence, et puis c’était fini. Ecran noir. Toujours pas de musique. Elle avait plusieurs fois cherché les références du film, mais elle ne les avait pas retrouvées. Tant pis. Elle aimait se repasser ces images dans sa tête. Revivre le choc. Ca avait déterminé quelque chose chez elle. Le goût de l’atrocité dans l’art. La jouissance du triste et de l’insoutenable – un plaisir qui ne s’expliquait pas, mystérieux, majestueux. C’était comme aller au fond de soi; accepter ses ombres, ses fantômes, ses mélancolies ».

Que dire, finalement, de la nuit ?

Mis à part Athalie, j’ai beaucoup apprécié ce roman. Ca n’en est pas un coup de cœur pour autant (oui je suis difficile, je sais), principalement à cause d’Athalie justement. J’étais assez contente de refermer la dernière page du roman. Malgré l’aversion que j’ai ressentie pour elle, il faut néanmoins reconnaître que son personnage complexe est particulièrement crédible du fait de son traitement. J’ai énormément aimé l’écriture de Vincent Tassy, et sa manière dont il exprime la violence de sentiments refoulés, tus et non dits. C’est vraiment le style que j’aime : sombre, noir, puissamment expressif : romantique, en somme. Il faut enfin remarquer que la couverture du livre, réalisée par Délicate Distorsion accompagne à merveille ce roman. C’est donc une très bonne première lecture pour le challenge du PIF, et je me réjouis d’avoir d’autres titres à lire de cet auteur très prochainement.

7 commentaires sur “Vincent Tassy – Comment le dire à la nuit

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  1. La plume est en effet remarquable et d’une poésie folle. J’avais aussi eu quelques difficultés avec ce roman pourtant, notamment les longueurs et le personnage d’Athalie aussi.

  2. Je te rejoins complètement sur le côté romantique au sens littéraire du terme ! J’avais été soufflée par la plume et l’ambiance pleine de noirceur (du romantisme moderne, à mes yeux). ça n’avait pas été un complet coup de coeur, en raison de certaines scènes difficiles (je suis une petit âme sensible), mais ça me donne bien envie de plonger dans Diamants !

  3. Très intéressante critique ! J’ai lu deux romans de cet auteur dernièrement : Apostasie et Diamants, sorti récemment. Je te rejoins sur les ambiances très sombres et froides, la densité, et la beauté du texte et la difficulté à s’immerger pleinement dedans… j’ai aussi mis beaucoup de temps à finir ces deux romans ! Je suis partagée sur cet auteur. J’aime ses univers, ses références, l’aspect « plastique », en somme. Mais il y a quelque chose dans la narration qui me dérange, sans que je puisse vraiment dire quoi… comme toi, je ne pas dire si j’ai aimé ou pas ! Je jetterai un œil à celui-ci, tout de même.

    1. J’ai énormément aimé l’aspect formel comme toi aussi ! L’histoire m’a plu, aussi, mais vraiment ce personne d’Athalie m’a étouffée ! je verrai si ce ressenti se retrouve dans les autres… Diamants est le prochain que je lirai de cet auteur. Merci pour ton passage 🙂

  4. Ce texte est tellement beau que je pouvais me contenter d’un chapitre à la fois : relire des passages pour m’imprégner de la musicalité, du lyrisme… Pour ma part, j’ai été totalement emportée par les personnages, l’univers, chacun des pans qui se tissent pour s’entremêler. En ce qui concerne Athalie, j’ai perçu son amour (complètement fou et viscéral) envers Adriel comme celui d’une mère envers son fils, pour moi elle n’est pas amoureuse de lui au sens « amants ». Et Adriel ahhhhh ce qu’il a pu me marquer ❤

    1. Es-tu vraiment objective en ce qui concerne Vincent Tassy ? ^^
      Je te charrie, car j’ai beaucoup aimé aussi. Oui, viscéral, c’est tout à fait ça : il y a quelque chose de cet ordre dans ce livre.
      Adriel oui, il m’a marquée également. Et favorablement. Lui parle beaucoup moins qu’Athalie, qui m’a assommée de sa logorrhée verbale ! Mais je reconnais que ces personnages ont des présences incroyables. Ce sont bien plus que des êtres de papier.

      1. Hahaha eh bien je dirais que oui malgré tout comme je reste sur un esprit analytique ^^ Mais oui, tellement ! Ahhh si j’avais le temps de tous les relire…

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