Premières lignes #25 : Agrapha

Bonjour 🙂 Je suis encore et toujours dans La horde, j’espère avoir fini ce soir, mais je vous propose de nouvelles premières lignes ce dimanche matin. Encore un bouquin de La volte, cette fois d’une autrice française que je n’ai encore jamais lue. Je me suis procuré Agrapha aux Utopiales, interpellée par cet objet étrange, et ce texte visuellement particulier, disposé étrangement sur les pages. Je vous laisse avec ces premières lignes #25, et on se retrouve un peu plus bas.

4e de couverture

À l’origine fut un manuscrit du Xe siècle. Apocryphe, peut-être pas. À l’origine furent huit femmes, chacune venue d’un lointain horizon, unies dans une grotte au cœur de la forêt. Ensemble, elles racontent ou taisent leur vie de recluses, leur destinée loin du monde et pourtant si proche de lui. Elles parlent mille langues en une seule, mêlant leur âme en un poème morcelé que l’autrice ensuite cimente d’or et de miel. Et de cette tresse de mots naîtra l’apocalypse. Dans ses cahiers, l’autrice a minutieusement recousu l’histoire de cette constellation.

Il subsiste de leurs existences des traces indicibles que seule l’écriture parvient à faire rejaillir. Parmi les odeurs d’écorces et les accents d’anciens parlers, c’est à l’aube de l’an mil qu’irradient le vécu de ces femmes et leur puissance épiphanique. Aux antipodes du roman historique ou du roman de fantasy, Agrapha renoue avec les sources de la matière médiévale tout en proposant une expérience historique à la fois plus immersive – donc familière – grâce à son processus narratif ; et plus étrangère – donc plus exotique – grâce à son parti-pris langagier radical.

Premières lignes #25

Au commencement

À l’origine de ce travail de recherche et d’édition, une tablette de plomb trouvée dans une grotte sous-marine :

comme ce plomb sombrera

enseveli

qu’ainsi

volusiana <virgo eremita abbata>

gardienne des <…> hauts

<hospes> des eaux et du <valt> court

descende aux profondeurs

apaise nos <suacca>

nos esprits <perusiti> perclus <perclivis>

volusiana <eremitissa> niske

pneuma <…> incante et cure

ouvre la porte du <…>

iae iao*

* <mot> : difficilement lisible ; <…> : parfaitement illisible ; mot : lettres grecques

Je m’occupais alors, pour un projet d’écriture créative académique commandité par l’université de Haute-Alsace, de defixiones (tablettes magiques) gauloises. La personne qui m’a confié cette trouvaille – elle a souhaité garder l’anonymat – pouvait de bonne foi se figurer qu’il s’agissait justement de cela. En effet, le mobilier retrouvé avec l’artéfact, bien que mêlé à des débris contemporains, prédatait de beaucoup l’ère chrétienne. La graphie partiellement grecque ; l’emploi d’un mélange de termes latins, celtes et germaniques ; l’utilisation du plomb ; la formule cultuelle polythéiste « iae iao » ; l’invocation de Niske, déesse de l’eau gauloise… Tout concordait.

Quand j’ai compris que Volusiana était une sainte chrétienne du Xe  siècle, ma curiosité m’a poussée à approfondir. Volusiana fut ermite puis abbesse d’Adsagsonæ Fons (Source d’Adsagsona), une communauté comptant huit femmes religieuses. Je ne me doutais pas des rivages où cette curiosité me conduirait. Ni à quel point cette exploration m’affecterait.

Disparue dans des circonstances mystérieuses, la communauté d’Adsagsonæ Fons est connue par ses écrits. Je suis entrée dans la source par ces textes, conservés à l’Österreichische Nationalbibliothek, à Vienne, en Autriche.

Le corpus canonique est constitué des manuscrits suivants :

Confessio Volusianæ, par Volusiana – Cod. N. F. 128–AFcv

Gesta Aiæ, par Oda – Cod. N. F. 131–AFga

Gesta Liutgardis, par Aia – Cod. N. F. 138–AFgli

Gesta Ludmillæ, par Volusiana – Cod. N. F. 147–AFglu

Gesta Odæ, par Liutgard – Cod. N. F. 150–AFgo

Gesta Sigridis, par Aia – Cod. N. F. 159–AFgsig

Gesta Silviæ, par Oda – Cod. N. F. 206–AFgsil

Gesta Utæ, par Liutgard – Cod. N. F. 208–AFgu

Le corpus apocryphe – considéré comme canonique jusqu’en 1862 – est constitué des manuscrits suivants :

Confessio Silviæ, par Silvia – Cod. N. F. 221–AFcs

Confessio Ludmillæ, par Ludmilla – Cod. N. F. 222–AFcl

Confessio Utæ, par Uta – Cod. N. F. 229–AFcu

Je ne vous souhaite pas de voyager aussi loin que moi.

Pourtant, il y eut un chemin.

Et ce chemin, je veux bien le partager.

Je vous propose de le suivre en commençant par la porte : une nouvelle traduction de ces textes, canoniques comme apocryphes. Ensemble, ils forment la matière adsagsonienne. Où chacune parle sur soi, sur l’autre et sur ce qu’il y a tout autour. De su et de non-su. Une matière véritable. Qui se goûte, se touche et se sent. Parcellaire, entre-maillée. Comme le sommeil de la raison. Ces instants avant la reprise de conscience, lorsqu’on a le corps lent et les yeux ailleurs.

Car l’essentiel de ce corpus repose dans ce qu’il ne dit pas.

Quelques réflexions

J’ai dû reprendre le bouquin plusieurs fois, tourner pas mal de pages, pour savoir où était vraiment le début. Vous allez me dire, c’est facile, c’est écrit : « Au commencement ». Oui mais je trouve que ces premières lignes #25 sont déjà trompeuses. Je me disais qu’on était dans un contenu périphérique, préalable au bouquin, une sorte de paratexte qui ne disait pas son nom. Et finalement, cela annonce déjà bien la couleur : on est vraiment là dedans dans le cœur du sujet. En effet, Agrapha est un livre objet métalittéraire.

Ces premières lignes me paraissent cryptiques. Ce qui, là aussi, est voulu, j’imagine. Le roman semble être une quête au cœur de récits rapportés et de manuscrits apocryphes ou non, mélanger langues et points de vue, histoires reconstituées, dans des langues différentes… Dans un texte qui s’apparente plus au carnet de notes qu’au roman. Le texte est donc un matériau pur ici, un outil de langage qui va reconstituer ce qui n’est pas écrit (le sens du titre : agraphon = non écrit).

Je suis donc assez curieuse de voir si je vais parvenir à me retrouver dans ce texte. L’invitation à la fin de ces premières lignes me séduit par sa symbolique : la porte. Cela me rappelle un peu les mêmes jeux méta qui figuraient dans La cité des nuages et des oiseaux ou Les dix mille portes de January. Se perdre dans un labyrinthe et démêler les voix pour parvenir à trouver le sens du texte : je signe !

Un rendez-vous bloguesque partagé

Ce rendez-vous créé par Aurélia du blog Ma lecturothèque est suivi par pas mal de blogueurs et blogueuses : Lady Butterfly & CoCœur d’encreLadiescolocblogÀ vos crimesJu lit les motsVoyages de KLes paravers de Millina4e de couvertureLes livres de RoseMots et pelotesMiss Biblio Addict !!La magie des livresElo DitLe nocher des livresLight and smell.

N’hésitez pas à me dire si vous participez aussi à ce rendez-vous dominical, je pourrai ainsi actualiser la liste.

Avez-vous déjà lu ce texte, ou un autre de l’autrice ? Que pensez-vous de ces premières lignes #25 ? Cela vous tente-t-il ? Vous rend-il curieux/se ? Ou au contraire, cela vous rebute-t-il complètement ? Et vous, que lisez-vous en ce dimanche ? Je vous souhaite une belle journée et à très bientôt !

7 commentaires sur “Premières lignes #25 : Agrapha

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  1. Ce sont des premières lignes très curieuses et je pense que, comme toi, j’aurais eu besoin de vérifier si le commencement était bien le commencement du récit. D’un côté, ça me rebute, de l’autre ça m’attire grandement, j’ai envie de savoir ce que nous réserve ce texte.

    1. Hé bien je peux te dire, après avoir tenu 100 pages… que ça m’a rebutée ! En fait, comme le texte est difficilement compréhensible au premier abord, ça demande un effort assez intense pour rassembler les morceaux, naviguer entre le texte, les exégèses et le glossaire. Et finalement, après 100 pages, je me suis rendu compte que je n’avais aucune idée de quoi ça parlait vraiment, dans le fond, et je ne ressentais rien; nulle vibration n’est venue me titiller.
      Je l’ai mis de côté, je le reprendrai peut-être un jour, mais pour l’instant, je trouve que le spectaculaire travail formel prend malheureusement trop le pas sur le fond. Ce déséquilibre ne m’a pas séduite…

  2. La Geekosophe m’avait donné très envie de découvrir ce livre, ces premières lignes m’interpellent fortement… et ce que tu dis dans ton précédent commentaire vient nuancer tout ça. Ça me semble une expérience des plus déroutantes. Un livre que je testerai peut-être un jour !

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