Anthony Doerr – La cité des nuages et des oiseaux

La cité des nuages et des oiseaux a fait grand bruit à sa sortie l’année dernière. Ce roman d’Anthony Doerr a d’ailleurs reçu le grand prix de littérature américaine. C’est un texte à la frontière entre les genres : entre littérature blanche et imaginaire, déroutant et original. J’ai longtemps procrastiné avant de le lire, redoutant de m’y perdre ou de passer à côté. C’était bien con encore une fois, parce que ça se lit tout seul, c’est captivant, et il n’y a aucune difficulté de compréhension. Et finalement, ce texte m’a beaucoup plu.

4ème de couverture

« Un manuscrit ancien traverse le temps, unissant le passé, le présent et l’avenir de l’humanité.

Avez-vous jamais lu un livre capable de vous transporter dans d’autres mondes et à d’autres époques, si fascinant que la seule chose qui compte est de continuer à en tourner les pages ?

Le roman d’Anthony Doerr nous entraîne de la Constantinople du XVe siècle jusqu’à un futur lointain où l’humanité joue sa survie à bord d’un étrange vaisseau spatial en passant par l’Amérique des années 1950 à nos jours. Tous ses personnages ont vu leur destin bouleversé par La Cité des nuages et des oiseaux, un mystérieux texte de la Grèce antique qui célèbre le pouvoir de de l’écrit et de l’imaginaire ».

Le reflet d’un texte antique

D’emblée, l’auteur nous place, avec La cité des nuages et des oiseaux, dans la tradition des épopées antiques. D’ailleurs, il s’est inspiré d’un texte de Diogène dont il ne reste plus aujourd’hui que quelques fragments, Les merveilles d’au-delà de Thulé. On entend aussi des échos à d’autres textes antiques, notamment à L’âne d’or ou les métamorphoses d’Apulée. Nous avons une connaissance plus fine des Merveilles de Diogène grâce au patriarche de Constantinople Photios, qui a constitué au IXè siècle un ensemble de 280 codex (des sortes de notices bibliographiques, en somme), intitulé Bibliothèque. Les merveilles de Diogène sont classées au codex 166. Nous savons ainsi que ce texte devait vraisemblablement être un récit de voyage constitué de 24 chapitres, avec des récits enchâssés qui se jouaient des codes de la fiction et mélangeaient déjà à l’époque les genres.

La cité des nuages et des oiseaux pourrait alors se lire comme la version contemporaine de ces Merveilles. Tant dans sa forme que dans son contenu. En effet, le roman propose une structure assez complexe et similaire. Il se base sur un texte fictif mais semblable à celui de Diogène, qui s’intitule La cité des nuages et des oiseaux. D’ailleurs, ce texte fictif et fragmentaire est attribué, dans le roman, à Diogène.

Une épopée chorale

Un roman choral

Le roman mêle les 24 folios de ce texte avec plusieurs récits parallèles, qui suivent :

  • une jeune fille dans les murs de Constantinople, avant, pendant et après sa chute;
  • un jeune garçon qui se trouve enrôlé dans les armées du sultan de l’autre côté des murailles de Constantinople, à la même époque;
  • Zeno Ninis, vétéran de la guerre de Corée, initié à la traduction du grec et traducteur du manuscrit;
  • Seymour, jeune garçon assez solitaire et soucieux de la préservation de l’environnement, et qui en fait son combat;
  • et enfin Konstance, une jeune fille qui prend part à une grande expédition de sauvetage de l’humanité dans un vaisseau en partance pour un Ailleurs habitable.

Chaque histoire parallèle a un lien avec ce manuscrit antique. On en retrouve des feuillets ici, sauvés de la destruction; puis il est mis en scène là. Enfin, l’histoire qu’il raconte est répétée de parents à enfants, perdurant à travers les siècles et les époques. « Le principal, ce n’est pas le contenu du chant, mais le fait que le chant ait perduré ».

On a donc un récit choral, avec des récits enchâssés qui se répondent. Chaque trame narrative semble distincte des autres, mais tout ceci est un gigantesque puzzle dont chaque trame est une pièce qui s’assemble avec les autres. Cela peut paraître compliqué de prime abord, mais s’y retrouver est assez aisé. Car grosso modo, chaque fil est raconté de manière chronologique, avec néanmoins quelques allers et retours pour l’époque contemporaine avec Zeno et Seymour. Néanmoins, le suivi est assez simple car Anthony Doerr est un sacré conteur. La prose est fluide, captivante, et ne présente aucune difficulté. Tout un art.

Un roman dans la lignée des épopées antiques

La cité des nuages et des oiseaux est un beau pavé bien long de près de 700 pages. Malgré quelques longueurs, ce roman possède un sacré souffle, qui nous attrape dès le début pour ne plus nous lâcher jusqu’au bout. On traverse les époques, les lieux, et même l’espace sans jamais perdre de vue ce manuscrit qui rythme les différentes trames narratives, et fait battre le cœur des personnages.

D’autre part, ce roman reprend les codes du genre : reprise de fragments récités à partir de sources différentes (et le rôle du traducteur ici est central), une sorte d’oralité dans les différents récits, lien avec quelque chose assez semblable au merveilleux… Et bien sûr le récit de hauts faits d’importance, comportant notamment des scènes de guerre qui ponctuent chaque époque. En s’inspirant des MerveillesLa cité des nuages et des oiseaux est en fait un prolongement d’un texte fictif et épique antique, en comble les trous, dialogue avec lui et le fait perdurer à travers les époques. En cela, le roman renoue avec le but de l’épopée et retrouve sa dimension fondatrice, presque mythique. Que ce texte résonne encore dans un Vaisseau du XXIIè siècle en dit long.

Et à son cœur, le livre

La cité des nuages et des oiseaux est une ode à la littérature, au pouvoir de l’imagination et de l’imaginaire, et enfin au livre.

Le soi-disant manuscrit traverse tant bien que mal à travers les siècles, et parvient, à l’état fragmentaire, aux Hommes de notre monde contemporain et du futur. Le texte revit différemment, selon chaque orateur à chaque époque. Tout est interprétation, mise en scène : le texte évolue alors. C’est peut-être grâce à cela qu’un texte « vit » et perdure : sa capacité à évoluer, à s’adapter, à muer selon les époques, les lieux et la mémoire. Alors ce qu’il reste du texte c’est sa substantifique moëlle : sa vibrance, son immortalité et son universalité.

La cité des nuages et des oiseaux peut alors se lire comme un métatexte qui rappelle le pouvoir des mots et de l’imagination, qui éloignent la mort et fascinent par leur pouvoir magique. J’ai adoré la célébration de tous les acteurs du livre : le poète, le copiste, le traducteur, le bibliothécaire (en dédicace du roman, d’ailleurs) et tous les amoureux des livres qui, tour à tour dans le roman, se battent pour la survie de ces feuillets…

En bref, à la fin de ce roman passionnant et captivant, on se rend compte que ce qui importe, finalement, n’est pas tant la fin de l’histoire des feuillets de Diogène ou de chaque trame narrative qui en est liée. Mais bien la manière dont les personnages font vivre un texte à travers le temps et les galaxies. Formidable mise en abyme qui apporte une réflexion sur le livre et la littérature.

En pratique

Anthony Doerr, La cité des nuages et des oiseaux

Albin Michel, collection Terres d’Amérique, 2022

VO : Cloud Cuckoo Land, 2021

Traduction : Marina Boraso

Couverture : Narcisse, Adam Simpson, The New Yorker © Condé Nast.

Autres avis : un grand livre passionnant pour Yuyine, un voyage temporel et spatial pour Le nocher qui a éprouvé mille et une émotions; une pure merveille de construction narrative pour Le maki, et je suis bien d’accord avec lui; enfin, un coup de cœur pour Cannetille qui loue le talent de conteur d’Anthony Doerr.

La cité des nuages et des oiseaux est un fort beau roman d’Anthony Doerr. Un texte épique, qui s’inscrit dans une longue tradition littéraire à laquelle il rend d’ailleurs hommage. L’auteur se fait aède, et façonne avec ses mots la magie propre aux contes. Chouette puzzle très facile d’accès, voilà un roman captivant, qui interroge sa propre matière en même temps qu’il déclare sa flamme à la littérature et à son pouvoir. En bref, j’ai adoré cette lecture et c’est un roman que je recommande chaudement.

15 commentaires sur “Anthony Doerr – La cité des nuages et des oiseaux

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  1. Et bien même si ce roman ne semble pas pour moi, je suis ravi de voir à quel point il t’a transporté et impacté. Cela se ressent à la lecture de ton, toujours aussi, étayé et constructif avis !

    Merci pour la découverte 😉

    1. Oui c’était une bonne surprise, inattendue !
      Merci de partager ma joie et pour ton retour toujours aussi sympathique 🙂
      Et je suis très contente de t’avoir fait découvrir ce roman, même s’il ne correspond pas trop à ce que tu attends et apprécies.
      Je te souhaite un très bon dimanche !

  2. « redoutant de m’y perdre ou de passer à côté » : j’avais eu la même peur, comme souvent devant les pavés, et j’avais eu la même bonne surprise, c’est vraiment d’une fluidité incroyable et d’une construction admirable.

    1. Tout à fait ! Je ne sais pas pourquoi je m’étais mis en tête que c’était un texte difficile, car il n’en est rien. Il y a quelque chose de magique d’ailleurs, dans cette simplicité qui se dégage malgré la construction complexe.

  3. J’ai du m’y reprendre à 2 fois. La première je me demandais ce que je lisais, je trouvais cela plat sans relief et sans intérêt et je l’ai abandonné assez vite jusqu’à cette seconde tentative où je l’ai dévoré du début à la fin…

    Allez comprendre ! Un livre c’est comme une rencontre où il faut tomber au bon moment avec la bonne personne

    1. Je suis tout à fait d’accord avec toi ! J’aime beaucoup ton image d’ailleurs, c’est très vrai et très joliment dit.
      Heureusement que tu as persévéré et donné une seconde chance à ce roman !

      1. Quand je sens que le livre peut me plaire je lui laisse une seconde chance. Par contre je sais aussi quand il faut que je laisse tomber à jamais. lol

    1. Oui, et je suis très très contente de l’avoir lu et surtout apprécié, j’avais tellement d’a priori dessus. J’aime décidément beaucoup les livres qui se situent comme ça sur une frontière. J’ai l’impression que les possibilités de création sont beaucoup plus grandes, et les résultats plus originaux que lorsque les textes sont « conformes » à chaque genre…

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