Robert Jackson Bennett – Les maîtres enlumineurs, tome 1

Ca y est, enfin, je m’y suis enfin plongée. Vous le savez, je suis le genre de personnes que détestent les éditeurs : celles qui attendent qu’une saga soit terminée/entièrement traduite pour m’y plonger. La sortie du dernier tome de la série des Maîtres enlumineurs, Les terres closes en avril m’a décidée, autant que les très bons et nombreux retours encensant la trilogie. J’avais adoré American Elsewhere du même auteur. C’est d’ailleurs une de mes meilleures lectures de l’année. J’avais donc hâte de voir ce que l’auteur pouvait nous réserver ici, d’autant que les nombreux retours que j’ai pu lire étaient unanimes et encensaient la trilogie. Malheureusement, le coup de foudre espéré n’a pas eu lieu.

4ème de couverture

« Toute l’économie de l’opulente cité de Tevanne repose sur une puissante magie : l’enluminure. À l’aide de sceaux complexes, les maîtres enlumineurs donnent aux objets des pouvoirs insoupçonnés et contournent les lois de la physique.

Sancia Grado est une jeune voleuse qui a le don de revivre le passé des objets et d’écouter chuchoter leurs enluminures. Engagée par une des grandes familles de la cité pour dérober une étrange clé dans un entrepôt sous très haute surveillance, elle ignore que cet artefact a le pouvoir de changer l’enluminure à jamais : quiconque entrera en sa possession pourra mettre Tevanne à genoux.

Poursuivie par un adversaire implacable, Sancia n’aura d’autre choix que de se trouver des alliés ».

Une magie complexe et originale

Au centre du roman et hyper détaillée

L’originalité des Maîtres enlumineurs repose sur… l’enluminure, une magie très complexe qui régit les lois de Tevanne. Cette magie est récente, mais suffisamment aboutie pour refondre complètement l’organisation sociale et économique de la ville. En effet, elle impacte tous les rapports sociaux et apporte une nouvelle tension/un nouvel équilibre (fragile) entre les différentes maisons marchandes. Toute la vie de la cité est donc régie par des lois magiques, défiant la physique de base.

L’auteur a une imagination débordante, et cette magie est complexe, hyper détaillée, captivante. Je dois dire que c’est pour moi l’unique intérêt que j’ai trouvé au roman. Je me suis amusée à accoler quelques petits post-it un peu partout, quand des explications étaient données sur les sources de cette magie, le lien qu’elle entretiendrait avec les hiérophantes, et la manière dont on la crée. Des hypatus aux fabricators, toute les questions liées aux sceaux, aux écritures et aux index… C’était ardu parfois, mais j’ai bien tout noté pour tout intégrer et pouvoir suivre toute l’intrigue qui repose évidemment là-dessus. D’ailleurs, cette magie rapproche Les maîtres enlumineurs de la SF tant elle est expliquée, crédible, et finalement assez réaliste.

L’auteur ne se contente pas d’en faire un décor ou quelques babioles pratiques, non. L’enluminure à Tevanne est un système pensé de fond en comble, qui touche tous les individus et revoit complètement la manière de vivre, de percevoir et de modifier le réel. Ce faisant, l’auteur propose une réflexion passionnante sur les limites entre matière et esprit, et réinterroge les lois de la physique.

Mais lourde

Mais voilà. Cette magie est un tel système, un tel fardeau aussi, d’une telle complexité, que l’auteur ne peut se passer de longs passages explicatifs et descriptifs. Ca passe par du récit ou des dialogues, nombreux et parsemés tout au long du récit. Car cette magie n’est pas encore totalement maîtrisée, et des découvertes tardives remettent en question le savoir et les connaissances qui y sont liées.

Tout au long du récit, des passages assez longs et mastocs viennent donc nous expliquer tout ça. Ce n’est pas inintéressant, ni forcément difficile à comprendre. D’ailleurs, ce n’est pas cela qui m’a gênée. Le problème pour moi, c’est qu’à chaque fois, j’avais l’impression d’une mise en pause de l’intrigue, comme une parenthèse, pour un point théorique. J’ai trouvé ça non seulement artificiel, pas forcément habile ni subtilement fait, mais en plus cela alourdit considérablement le récit, dont la fluidité en pâtit énormément. C’est comme des notes de bas de pages dans les essais qui expliquent un concept en une demi-page. Bon courage pour se remettre dans le mood après et reprendre le cours de l’histoire.

Une trilogie classique

Outre ce rythme alourdi et irrégulier, j’ai également été déçue par l’intrigue, que j’ai trouvée particulièrement banale. Je dis classique pour déjà-vu/lu de nombreuses fois.

Une ville traditionnelle

Commençons par la ville. Tevanne, c’est Arkâne, Hyperborée, Silo, Port-Réal… En bref, une ville basée sur une organisation déjà lue 50 000 fois, avec les mêmes fractures. D’un côté les Puissants tranquilles peinards entourés d’eau courante, de fontaines et de lumière et de l’autre, les pauvres crados, dans les interstices/les bas-fonds, où ça pue et où c’est dégueulasse. On évite bien sûr de mélanger les torchons et les serviettes, en mettant des portes bien lourdes fermées à clef entre les deux.

A cette dichotomie géographique répondent des fractures sociales similaires. Les puissants sont les méchants et les pauvres les gentils. Les premiers agissent en toute impunité impunie et les autres subissent des injustices très très injustes et des violences très très violentes. C’est d’un manichéisme

Des personnages traditionnels

D’ailleurs le roman n’est rien d’autre que l‘histoire d’une pauvre gentille victime qui s’insurge contre les puissants méchants qui contrôlent tout. Pas d’une originalité décoiffante. D’ailleurs, Sancia nous offre des répliques bien formatées anti-puissants et pro-pauvres victimes. A peine manichéen là aussi. Vous pourriez me dire « oui mais non, regarde, au gré des alliances, les frontières entre « classes » s’effritent ». Ouais, à quelle vitesse, d’ailleurs. Question crédibilité, on repassera. Quant à la figure de l’antagoniste, idem (coucou Cersei et Daenerys : à croire que les nanas ne peuvent jamais être des antagonistes autres que des hystériques de première classe, qui s’insurgent contre un patriarcat vraiment très très injuste).

Une intrigue sans prise de risques

Quant à l’intrigue, aucune surprise non plus. Linéarité (quelques flash-backs donnent un peu de rythme, mais sans plus), 5 étapes du récit bien à leur place dans l’ordre, des rebondissements en pagaille pour ne pas s’ennuyer… Ne bousculons pas les habitudes ! Et toujours des schémas éculés : une jeune héroïne qui va faire péter le système en place, qui se découvre des pouvoirs incroyablement grands, et qui s’en sort toujours (tou-jours)… Et puis le baiser pré-apocalypse, évidemment, avec l’autre qui dit « hé ho y’a une guerre en cours, en fait » (Coucou Harry Potter et les reliques de la mort). Bref.

Un style bof

Je ne parle même pas de cailloux dans la chaussures, mais de pavés. Autant j’avais été charmée par la plume de l’auteur dans American Elsewhere, autant dans ces Maîtres enlumineurs, je n’en retrouve plus rien. Peut-être l’auteur s’est-il davantage concentré sur son avalanche de rebondissements bim bam boum.

Les dialogues

Pavé 1 : toujours les personnages.

J’ai horreur des dialogues où 1/ il y a trois « merde/putain » par page, et 2/ où les personnages parlent tous de la même façon, avec les mêmes tics de langage. On a quand même un fils de fondateur, une fabricator hyper intelligente et éduquée, un hypatus et une souillon des égouts réunis ensemble. Donc des niveaux d’éducation différents. Or, ils parlent tous pareil. Impossible de les distinguer. Dommage.

Un style lourd et assez pauvre

Pavé 2 : Quelques mauvaises surprises dans l’écriture.

Cette avalanche de « merde » pour traduire la panique/l’émerveillement/l’étonnement/réponse D des personnages. Un exemple qui pointe un manque de vocabulaire assez flagrant, et un style très lourd (maintes répétitions, hyperboles, superlatifs…). Ou encore des « putain » qui traînent, alors même que l’auteur a inventé un vocable à la place (le « curain »). Il faut aller au bout des choses, ou ne pas les faire, mais l’entre-deux, c’est nul. Enfin, l’utilisation quasi systématique de « conséquent » pour « important » 1/ c’est pénible et 2/ c’est impropre, puisque conséquent ne signifie PAS important.

Alors oui, ça vous parait être des détails. Mais moi, j’ai eu l’impression de lire un texte formellement pauvre et largement perfectible. Alors moi qui espérais une immersion passionnée sur plusieurs semaines dans la trilogie des Maîtres enlumineurs, me voilà fort marrie. Et sans l’envie d’y retourner.

En pratique

Robert Jackson Bennett, Les maîtres enlumineurs, tome 1

Albin MIchel Imaginaire, 2021

Couverture : Didier Graffet

VO : Founders, book 1: Foundryside (2018)

Traduction : Laurent Philibert-Caillat

Autres avis : quasiment tous unanimes et enthousiastes, ne restez donc pas sur le mien (enfin, je dis ça mais tout le monde l’a lu ce bouquin !). En vrac, celui de l’Ours, du Maki, de Tachan, du Nocher des livres, le chien critique… Il fallait bien avis discordant dans tout cet enthousiasme général… Je suis juste désolée que ce soit tombé sur moi 🙁

Les maîtres enlumineurs ne m’auront donc pas enluminée du tout. Si ce système de magie me restera en mémoire, trop de pavés dans la chaussure sont venus ternir ma lecture. Je n’ai pas du tout été captivée par l’intrigue ni les personnages, qui m’ont d’ailleurs agacée plus d’une fois. Et je suis très déçue par l’écriture, que j’ai trouvée beaucoup moins qualitative que dans American Elsewhere. Je dois avouer que je suis particulièrement déçue d’être déçue ! Les déceptions chez AMI sont rares, mais je ne m’attendais pas à ce que ce premier volet en soit une aussi monumentale. C’est comme ça… Au moins, ça fait deux bouquins en moins dans la pile à lire, puisque je n’ai aucune envie de poursuivre mes pérégrinations tevanniennes…

13 commentaires sur “Robert Jackson Bennett – Les maîtres enlumineurs, tome 1

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  1. Ah oui, ce n’est pas juste une déception, c’est vraiment un raté complet à tous les niveaux. 😅
    La bonne nouvelle c’est que si tu es l’exception qui confirme la règle, je peux maintenant m’y lancer sans crainte. 😇 (même si là, tout de suite, ça donne un petit peu moins envie qu’avant, faut d’abord que j’oublie ^^)

    1. Oui c’est vrai qu’en fait c’est un raté complet. Je ne m’y attendais pas du tout. Mais oui, ne te fie pas à mon avis (et oublie le, bonne idée) pour te lancer dedans, j’espère que tu seras enluminé comme il faut à la lecture 🙂

  2. Vu les points soulignes notamment au niveau du réalisme des personnages dans les dialogues, je pense que je vais passer ma route. En espérant que ce ne soit pas juste une mauvaise traduction.

    1. C’est une possibilité, je ne suis pas allée voir la VO. Mais il y a tellement de « merde » partout que j’imagine mal que ce soit le résultat de la traduction… C’est trop fréquent et surtout ce problème de manque de personnalité dans le parler des personnages est tellement continu que je pense que la trad est fidèle à la VO…
      J’aurais bien du mal à te pousser à le lire, ce titre-là !

  3. Mince, flûte, diantre ! Bon, tant pis alors. Quand je lis tes arguments, je comprends que je ne pourrai pas te convaincre de tenter ta chance pour le deuxième tome. D’autant qu’il est moins bon à mon goût.

    1. Ah oui là désolée, mais c’est un loupé total 🙁
      J’en suis fort désolée, j’aurais bien aimé moi aussi être totalement sous le charme. Mais je préfère définitivement American Elsewhere 🙂

  4. Ah zut, j’ai ce premier tome dans ma PAL du coup j’ai un peu peur pour quand je m’y lancerai… (et ce ne sera pas en priorité, vu ton retour)

    1. ah hé bien je te parlais justement dans une réponse précédente sur un autre billet de mes tentatives de sagas catastrophiques cet été – exemple n° 2 (le 1er étant Genèse de la cité de Jemisin). J’espérais aussi avoir le même coup de foudre que la majorité des lecteurices, je suis très très déçue de ne pas avoir accroché et aussi désolée car j’avais adoré American Elsewhere (mais très différent). J’espère qu’il te plaira davantage !

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