Et un nouveau podcast écouté, un ! Pas récent, puisque cette histoire de la SF française et francophone a été diffusée en 2022 dans l’émission La méthode scientifique, présentée par Nicolas Martin sur France Culture. Depuis, l’émission a évolué, et c’est La science, CQFD qui a repris le flambeau, présentée par Natacha Triou. Cette histoire de la SF française et francophone contient trois heures d’écoute à peu près, réparties en trois chapitres. C’était solide, passionnant, et bien plus documenté que le documentaire sur les sources de la fantasy dont je vous ai parlé récemment.
Le podcast : 3 épisodes
3 épisodes, donc :
- Les hypermondes. Retour aux sources du genre à partir d’œuvres fondatrices jusqu’au début des années 50. Avec Guy Costes, écrivain, et Fleur Hopkins-Loféron, historienne des images, spécialiste des imaginaires scientifiques/de SF;
- Il est venu le temps des éditeurs. Entre les années 60 et 80, structuration du genre pendant cette période considérée comme l’âge d’or de la SF française, mais qui n’est pas parvenue entièrement à dépasser les époques pour arriver entière jusqu’à nous. Avec Philippe Curval, écrivain, Simon Bréan, Maître de conférences en littérature française à Sorbonne Université et membre de la revue ReS Futurae, et Jérôme Vincent, directeur des éditions ActuSF;
- Le futur commence aujourd’hui. Après le trou noir que représentent les années 80, renaissance du genre avec une SF plus diversifiée, politisée, féminisée et consciente. Avec Mireille Rivalland, éditrice de l’Atalante, Serge Lehman, écrivain, scénariste et critique, et Xavier Dollo, écrivain et éditeur d’Argyll.
Dans le fond : des questions pertinentes de Nicolas Martin, qui connait fort bien son sujet et dont on sent la passion pour le genre. Des invités différents à chaque épisode, provenant de différents milieux de la chaîne du livre : écrivains, critiques, éditeurs, universitaires… Et des échanges passionnants, reposant sur bon nombre d’exemples, faisant dialoguer entre elles les œuvres citées… Pour, enfin, une remise dans le contexte socio-économico-politico-culturel de l’époque.
Bref, du très solide, et un récit linéaire qui donne à cette histoire un profil romancé qui passe très bien à l’écoute. C’est vif et dynamique, plein de rebondissements, et ponctué d’extraits lus.
Je regrette simplement une absence totale d’ouverture vers la suite. Le podcast se termine sur une analyse de la SF contemporaine au niveau éditorial, mais il manque selon moi un « et maintenant ? ». Et maintenant, où se dirige-t-on, que reste-t-il à dire et à explorer, comment ? Quels sont les grands enjeux à venir et les défis auxquels la SF de l’avenir devra faire face ?
Et je poursuis ma découverte du genre
J’avais dit que 2023 serait une année plus SF pour moi. Je ne me suis pas lassée de la fantasy, mais… en fait, si, un peu. C’est pour cette raison que j’ai eu envie cette année de découvrir la hard-SF et le cyberpunk, notamment. Je poursuis donc ma découverte du genre par le biais également d’ouvrages plus théoriques. J’avais déjà lu, l’année dernière, L’histoire de la science-fiction en bande dessinée, par Xavier Dollo et Djibril Morissette-Phan. J’ai également l’ouvrage édité par Noir d’Absinthe, sous la direction de Gillian Brousse, Au cœur de la SF, (Re)découverte d’un genre.
Ce podcast intervient donc au bon moment, puisque beaucoup de titres et d’auteurs me parlent désormais, que j’ai en tête les grands enjeux du genre et ses grands jalons. Son resserrement sur la production française et francophone tombe également à pic puisque la BD aux Humanoïdes associés était beaucoup plus large. Mais cette histoire de la SF française et francophone entretient des liens étroits avec la SF anglosaxonne, et le podcast le démontre bien.
Histoire de la SF française et francophone dans les grandes lignes
Les sources
Le podcast balaye donc une temporalité très large, puisque le plus difficile intervient lorsqu’on s’interroge sur les sources du genre en général. C’est un peu comme le débat sur les bornes de ce que l’on appelle le Moyen-Age : un débat qui n’aura jamais de fin. Bref, concernant la SF, on peut évoquer Mary Shelley, mais aussi des auteurs des XVIè, XVIIe et XVIIIè siècles, comme Rabelais ou Cyrano de Bergerac (ou même Pierre-Marie Desmarets, avec son Empire savant), et même remonter à Gilgamesh, tant qu’on y est.
A la question « comment définir cette proto-SF », plusieurs thématiques reviennent : celle du futur évidemment, l’exploration spatiale, les robots, aussi. Plus largement, la SF se définirait alors comme « une fiction spéculative » (Judith Merril) : une œuvre qui mettrait en fiction une expérience de pensée, faisant alors un pas de côté par rapport au réel, sur la base d’une expérimentation menée de manière vraisemblable et qui interroge les conséquences de cette exploration.
Dans tous les cas, côté français, les intervenants s’accordent à dire qu’au milieu des années 20, l’étiquette SF est bien établie, avec des auteurs qui en écrivent consciemment. Est évoqué Jules Verne comme pivot, qui associe merveilleux et roman d’aventures. Pas mal de temps est alors passé sur le mouvement du merveilleux scientifique, dont j’avais déjà parlé avec l’artbook du même nom aux Moutons électriques. Ce mouvement atteint son âge d’or fin années 20, mais son impact reste trop peu important auprès du grand public.
D’autres auteurs arrivent alors, comme Messac, Spitz et Barjavel (j’avais notamment chroniqué Ravage ici) qui renouvellent la SF au cours des années 30.
Le temps des éditeurs
Les années 50 sont considérées comme le premier âge d’or de la SF française, impulsé par :
- de nouvelles collections : Anticipation chez Fleuve-noir, le Rayon fantastique chez Hachette-Gallimard et Présence du futur chez Denoël.
- la première exposition de SF en 1953, Présence du futur, sous le patronage de Boris Vian,
- et l’établissement d’une communauté d’artistes autour de la librairie La balance, 1ère librairie de SF créée en 1929 à Saint Germain des Prés.
L’idée centrale à l’époque est de créer une SF française. Toujours centrée sur l’aventure, mais avec une importance de la forme et un rapport plus poétique à la science. Toutefois, beaucoup d’œuvres de l’époque sont tombées dans l’oubli. Ce sont les années 70 qui redonnent un second souffle au genre.
Auteur et directeur de la collection Ailleurs et demain chez Laffont (1969), Gérard Klein devient la première grande figure classique du genre, se faisant publier chez les trois collections historiques. D’autres collections voient le jour, et de nouveaux auteurs anglosaxons apparaissent, et qui vont énormément inspirer les auteurs français (Le Guin, Philip K. Dick, Herbert…). La SF des années 70 est plus politisée que dans les années 50, à la recherche de nouvelles formes sociales et politiques avec le souhait d’y répondre. Parallèlement, la communauté de fans se structure (1ers festivals).
Depuis les années 80
Les années 80 sont un trou noir pour le genre. Les collections historiques ont quasiment toutes disparu au début des années 90. La faute à beaucoup de publications, pas assez de public et l’apparition surtout de nouveaux médias (la TV). Plusieurs écrivains souhaitent alors remettre le récit sur le devant de la scène.
Les années 90 sont un renouveau. Le lectorat est jeune, amené par la SF télévisuelle. De nouveaux auteurs arrivent aussi, avec ce goût pour le récit (Bordage, Ayerdhal, Greg Egan…). D’ailleurs, beaucoup d’entre eux sont animés par la passion du jeu de rôle, qui est un tremplin énorme pour le genre et une grosse source d’inspiration. De nouveaux éditeurs saisissent de nouvelles opportunités (Belial, Bragelonne, Folio SF, Mnémos…).
L’univers de l’imaginaire se reconstruit alors dans les années 2000, avec l’émergence d’internet. Le fandom s’organise en forums et en assos en ligne (Noosfere, Elbakin…) et les gros festivals démarrent (Utopiales, Imaginales). Par ce biais, les voix féminines de la SF émergent enfin et gagnent en visibilité.
En ce qui concerne la SF contemporaine, elle traverse, comme d’autres littératures du genre, des difficultés. Répartie chez de petits éditeurs qui tirent à beaucoup moins d’exemplaires, elle touche moins, et les grands noms (Damasio, Thilliez…) n’apportent pas une foule de nouveaux lecteurs. Toutefois, l’émission se termine sur une note positive. Car selon les intervenants, le paysage de la SF est bien établi et reconnu.
J’espère que ces très grandes lignes vous auront donné envie d’écouter ce podcast cet été. Sur la plage, dans le hamac du jardin ou la chaise longue du balcon. Mais peut-être l’avez-vous déjà écouté à l’époque ? En avez-vous gardé un bon souvenir, et vos carnets se sont-ils remplis de notes et de bouquins à lire ? Si vous n’êtes pas très fan de SF, cela pourrait-il vous donner envie de la découvrir ? En tout cas, vous l’aurez compris, je vous recommande chaudement, si vous ne l’avez pas encore fait, l’écoute de ce podcast sur l’histoire de la SF française et francophone !
lire aussi si tu ne l’as pas consulté, « la science-fiction en France » de Simon Bréan essentiel , et récemment « science-fiction , voyage dans la modernité » aux « moutons électriques » avec Vas-Deyres,Lehman,Ruaud et même la sf pour les nuls de Fetjaine.
Ah chouette, merci pour toutes ces références, je note, je note !
Je te remercie pour cette découverte. Je vais m’y précipiter. Enfin, à ma vitesse…
Il n’y a pas le feu, c’est vraiment bien ces podcasts qu’on peut réécouter comme ça sans limite. Prépare-toi par contre à noter pas mal de titres !
C’est vrai que le côté réécoutable quand on veut offre un sacré confort. Il faut juste que je les note pour ne pas les oublier dans un coin.
Et j’affute ma plume pour noter tous ces futurs merveilleux titres !