Jo Walton – Mes vrais enfants

Voici une autrice dont j’entends parler depuis très longtemps, avec beaucoup d’effusion. J’avais donc envie de commencer par Mes vrais enfants, qui intègre de l’uchronie. J’aime beaucoup ça, l’uchronie. Ce livre fait partie de ma pile à lire pour le ABC de l’imaginaire 2024 sur Livraddict. Je préfère prévenir tout de suite : pour moi ce roman est d’une banalité effarante et sa popularité une arnaque sans nom. Si vous avez adoré ce roman, sachez donc que ce billet risque de vous déplaire…

4e de couverture

Née en 1926, Patricia Cowan finit ses jours dans une maison de retraite. Très âgée, très confuse, elle se souvient de ses deux vies.

Dans l’une de ces existences, elle a épousé Mark, avec qui elle avait partagé une liaison épistolaire et platonique, un homme qui n’a pas tardé à montrer son véritable visage. Dans son autre vie, elle a enchaîné les succès professionnels, a rencontré Béatrice et a vécu heureuse avec cette dernière pendant plusieurs décennies.

Dans chacune de ces vies, elle a eu des enfants. Elle les aime tous… Mais lesquels sont ses vrais enfants : ceux de l’âge nucléaire ou ceux de l’âge du progrès? Car Patricia ne se souvient pas seulement de ses vies distinctes, elle se souvient de deux mondes où l’Histoire a bifurqué en même temps que son histoire personnelle.

Un long récit de deux vies parallèles

Mécanique bien huilée

Mes vrais enfants est une uchronie, racontant la vie de Patricia. Celle-ci va prendre deux directions diamétralement opposées après un coup de téléphone. Dès lors, le roman alterne, de manière linéaire, les périodes dans la vie de l’une et dans la vie de l’autre. Le temps défile, années après années.

Je ne peux pas dire que j’ai trouvé cette structure très bien menée. En effet, l’alternance mécanique des deux récits jusqu’au bout du roman est lassante. Sauter d’une vie à l’autre dans un tel schéma répétitif ça va bien deux minutes mais à la longue je trouve le temps long, et ce même si les années ne se suivent pas toujours exactement.
Si seulement il y avait eu des effets de glissement ou de superposition entre les deux vies et les périodes. Des chevauchements, des sorte d’impressions de déjà-vu. Les tranches de vie se répondent et dialoguent parfois, certes, mais en miroir, sans jamais de croisement. Car les deux récits sont bien parallèles et étanches, en tout cas jusqu’à la vieillesse de Pat, qui perd la mémoire. Elle perd la mémoire mais se souvient de ses deux vies mélangées, on ne sait pas trop comment ni pourquoi. « Faut pas se poser de questions, faut juste y croire, rahhhhh et puis c’est l’amour de ses enfaaaaants ». Hmm…

Liste à puces

Mes vrais enfants m’a semblé alors n’être que l’histoire de la vie d’une femme, enfin de deux. Ce récit qui avance comme les années est celui de la routine de la vie, avec ses joies et ses malheurs. Preuve que l’autrice a dû sentir qu’à la longue on s’endormirait un peu : elle multiplie les ellipses. Ah tiens, gamin n° je ne sais plus combien a bien grandi depuis le dernier chapitre. Ah, machinette est au lycée, maintenant, d’accord. Malheureusement, le dernier tiers du roman ressemble davantage à un résumé catalogué de ce qui arrive dans la vie du personnage principal (et dans le monde). L’autrice aurait pu faire une liste à puces, ça aurait été plus efficace.

Le cœur de l’intrigue (enfin si on peut appeler ça une intrigue, parce que dans le fond, il n’y a pas vraiment de nœud ni de résolution) ne m’a donc franchement pas intéressée du tout.

Un manque de profondeur énorme

Une frise chronologique

Ce roman aurait pu être une traversée intelligente, active du XXe siècle. Mais ce qu’on a là, c’est un décor, un arrière-plan. La manière dont les sphères politiques, diplomatiques, sociales… se mélangent avec les personnages m’a paru particulièrement superficielle. Comme si l’autrice voulait démontrer qu’elle avait bien appris ses leçons et qu’elle ne faisait pas d’anachronismes. On a l’impression d’être devant une frise. Ah, tout y est. Ah, là, c’est la guerre. Check. Puis les blocs Est-Ouest, Kennedy, Cuba, la Lune : check. Les droits des femmes, la pilule, les droits des homosexuel/les : check. Ah les années 70, le Vietnam. Puis les années 80/90, le SIDA… : check.

Alors certains me diront qu’il y a un véritable discours engagé dans ce roman. Oui, mais je n’y ai pas été sensible. Parce que trop de choses sont abordées. Là aussi ça fait catalogue. On a le discours anti-nucléaire, féministe, pro-homosexuel/les, la critique de l’intolérance, du rigorisme anglo-saxon… Hop, check, hop, check… Trop scolaire pour que je sois sensible à ces propos.

Lien trop ténu entre uchronie historique et uchronie personnelle

Chaque chapitre de Mes vrais enfants apporte son petit contexte, au détour de quelques phrases. Histoire de planter le décor. L’intrication de ce décor en papier mâché avec le récit manque cruellement de finesse. On reste en plus toujours en surface, rien n’étant jamais creusé : Patsy/Trish/Pat… avance. Rien ne semble vraiment l’ébranler. Parfois, on sent que les événements qui se déroulent dans le monde ne sont pas perçus par les personnages de la même façon. Par exemple, j’ai eu la sensation que la Pat-vie de merde était beaucoup plus touchée par ce qui se passait que la Pat-vie de rêve. Elle, a tendance à prendre les choses avec beaucoup plus de légèreté. Mais ça ne va jamais vraiment plus loin, il manque une articulation plus intime.

Déçue enfin pour l’uchronie. Les deux lignes font intervenir des éléments différents, jusqu’à la fin du roman qui se déroule dans une Histoire future et qui prend le large. Mais ça n’apporte jamais vraiment quoi que ce soit, puisque ça reste un décor. L’autrice expédie cela en deux temps trois mouvements, donne quelques éléments de contexte et hop passe à autre chose, comme si ça y est, le cahier des charges était rempli.

Un style plat

Un style plat et sans émotions

Je crois que c’est ce qui m’a le plus déçue. La plume est d’une banalité… Ca se lit bien, mais ça s’oublie aussi bien. Ce n’est pas mauvais, c’est juste commun. Déjà qu’on nous raconte la vie commune de deux personnages, il faut en plus que la plume soit un reflet de cet aspect. Booooring.

Je ne peux même pas dire que Mes vrais enfants a généré chez moi des émotions, ce n’est pas le cas. Sans doute à cause de tout ce que j’ai dit plus haut. Mais aussi parce que les personnages ne dégagent aucune émotion. Pat/Tricia/Trish avance, peu importe ce qu’elle vit ou perd. C’est-à-dire qu’on a un bouquin qui doit aller jusque 2015 donc faut pas traîner. Certains événements à la fin du roman auraient pu être bouleversants, mais comme on est dans le résumé catalogue de ce qu’il se passe, l’autrice passe dessus super vite. On n’a aucune idée de la manière dont Patsy/Trish vit et ressent ces événements.

Le problème est que l’autrice donne à chaque événement la même portée que les autres. De ce fait, aucun moment fort en particulier ne se dégage réellement. Parce que la temporalité de ce bouquin est la même, tout le temps. Mais pour générer des émotions, il faut une variabilité du temps, une alternance de légèreté et de pesanteur, du relief, du cœur, de la brutalité, bref quelque chose qui dévisse, sorte du schéma bien huilé et mécanique. Moi je veux des massifs à 3000 m avec des pentes raides et inégales à travers prés, rus, forêts et caillasse et on me donne des collines qui culminent à 300 m avec des sommets enherbés tellement usés qu’on dirait des ballons aplatis. Ben non, ça ne me convient pas.

Des personnages décor

Enfin, que dire de la grossièreté des portraits. Les deux vies de Patricia ne pourraient pas être plus éloignées l’une de l’autre. Vie de merde vs vie de rêve. Les choix de l’une comme de l’autre m’ont en plus semblé parfois manquer de crédibilité. Alors oui, il y a quelques cailloux qui gâchent le rêve d’un côté et quelques paillettes qui finissent par illuminer un peu l’autre. Mais c’est un tel écart systématique, que j’ai fini par trouver cela ridicule.

Ridicules aussi sont certains personnages. Comme Mark, odieux personnage. Lui, clairement, il n’a pas droit à la nuance, non. Alors oui, vous allez me dire « mais les gens ne sont pas tous nuancés ». Ouais, ouais, d’accord. Etrange que Bee la merveilleuse et la parfaite ne le soit pas non plus dans la vie de rêve, hein ? Et puis dommage que toute la foule des personnages secondaires ne fasse que coucou beuh de temps à autre, sans développement particulier. Mais, le roman aurait risqué avec cela d’être un peu plus consistant, ciel…

En pratique

Jo Walton, Mes vrais enfants
Denoël (Lunes d’encre) puis FolioSF
VO : My Real Children (2014)
Traduction : Florence Dolisi
Couverture : Aurélien Police
Autres avis : Un roman bouleversant, « superbe » m’a dit Le Maki (les jours où on est d’accord sont à noter ^^); un concentré d’émotions pour Lorkhan; très belle uchronie malgré des défauts de construction pour l’Ourse bibliophile; gros coup de cœur pour Anne-Laure; et un bon roman certes, mais qui n’a pas conquis Bob. Un chef-d’œuvre pour Apophis. Avec ça, vous avez plein d’avis différents, à vous de vous faire le vôtre.

 

Un récit mécanique bien huilé, pile dans les temps toutes les 15 pages avec sa petite punaise sur la frise chronologique : Mes vrais enfants est mon premier gros gros flop de l’année. J’ai bien lu tous vos retours dithyrambiques. Vous le savez, j’aime bien analyser ce que je lis, je ne m’attache pas qu’aux émotions (inexistantes pour moi ici) et n’aime pas rester non plus campée sur mes idées. Mais là vraiment, il y a une incompréhension totale concernant ce livre et aucun de vos retours n’a su me convaincre. Autant vous dire que je n’ai aucune, mais alors aucune envie de lire d’autres textes de l’autrice. Sa plume banale ne me donne pas envie d’aller la retrouver ailleurs.

15 commentaires sur “Jo Walton – Mes vrais enfants

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    1. Je suis très attentive à la plume, et autant je n’aime pas quand c’est trop artificiel (comme Agrapha, un peu too much là pour moi), autant j’ai quand même besoin d’une patte. Là, si je conçois qu’on peut être emballé sur le fond, je ne vois pas comment on peut être émerveillé par le style, d’une banalité confondante (après, tu me diras, au moins c’est facile à lire et ce qui est banal n’est pas forcément mauvais).

  1. Je crois que c’est le premier avis négatif que je lis sur ce roman qui me tentait beaucoup. Du moins avant de te lire. J’aime beaucoup l’idée de cette vie qui prend deux chemins différents mais je vois que la mise en place est peu convaincante et encore moins, intéressante. Alors si en plus, le style est plat, je pense passer mon tour…

    1. Oui, il n’y a pas beaucoup d’avis divergents sur ce titre, c’est pour cela que je te conseille de ne pas forcément te limiter à mon retour pour découvrir ce roman. Mais oui, clairement le style est banal et oubliable. Peut-être seras-tu séduite par le fond ?

  2. J’ai également trouvé la narration trop mécanique (j’avais utilisé le même terme dans ma chronique) et pas du tout efficace. Je n’avais pas réussi à m’attacher, à ressentir quoi que ce soit pour les personnages. Je n’avais pas été aussi dure que toi (loin s’en faut ^^), mais sur le long terme, il ne m’en reste pas grand-chose…

    1. J’ai été dure parce que moi aussi j’attendais de l’émotion, tellement vendue… Là j’ai plus un sentiment d’arnaque qui me vient 🙁

  3. Une lecture sans guère de saveur, je n’avais pas compris pourquoi ce roman avait suscité un tel engouement (dans le genre, « Une vie après l’autre « , de Kate Atkinson, m’a laissé un bien meilleur souvenir, même si, sur le coup, j’avais eu certaines réserves)…

    1. Je ne connais pas du tout le roman dont tu parles ! Oui, c’est ça : sans saveur. Décidément, mes lectures en ce moment manquent cruellement d’épices… !!

  4. J’avais adoré (et j’aime les autres livres de l’autrice) mais comme je suis régulièrement déçu par des bouquins populaires, je comprends ton ressenti. Des fois, c’est comme ça…

    1. Oui, c’est l’effet échos qui est trop grand, on s’attend à un truc énorme, et puis… c’est un peu de ma faute aussi : quand je suis influencée comme ça par le bruit ambiant autour d’un bouquin, j’oublie un peu de ne pas y prêter attention et je couvre le bouquin de ces bruits plutôt que de l’envisager pour ce qu’il est. Je n’aurais pas trouvé meilleur ce roman (enfin, plus à mon goût), mais j’aurais été peut-être moins sèche dans ma chronique.
      Mais comme tu dis, c’est comme ça, et ce n’est pas bien grave dans le fond. Je sais juste que ce genre de retour n’est pas forcément agréable à lire quand on a adoré un bouquin.

  5. Dommage pour ce raté ! J’avoue que ce n’est clairement mon roman préféré de l’autrice même s’il est sympathique, j’ai préféré Morwena.

    1. Oui, j’en ai entendu parler de celui-là, il semble être assez apprécié par le lectorat de Jo Walton. Bon, je dois avouer que je n’ai pas très très envie de me ruer dessus là tout de suite ^^

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