Première lecture du menu Automne des mystères du Pumpkin Autumn Challenge, Rêver double de Mina M est paru aux Editions du chat noir en juin 2021. Je l’ai rentré dans la catégorie « destin perdu » (mots-clefs : temps, énigme, horloge, puzzle). Ce n’était pas évident au départ, mais finalement, après lecture, je trouve qu’il coche bien les cases. Car nous sommes vraiment ici dans un puzzle de l’esprit, perdu dans des temporalités différentes, créant une énigme parfaite pendant la quasi totalité du récit. Je connaissais Mina M pour son travail d’illustratrice, j’ai eu plaisir à la découvrir en tant qu’écrivain.
Synopsis
« Les souvenirs sont-ils fiables ? Pourquoi nous a-t-il abandonnées ?
Très tôt, ces questions s’imposent à l’esprit d’Alcidie qui, pour se protéger d’une vérité qui l’effraie, se réfugie dans un ailleurs enchanteur.
À l’aube de ses quinze ans, ses perceptions singulières interférent avec son imagination et ses souvenirs, la perturbant, et les frontières entre la réalité et le rêve se dissipent peu à peu, conduisant ces mondes à s’entremêler. Progressivement, Alcidie perd les notions de temps et d’espace. Elle se noie dans son propre esprit.
Alors, guidée par d’étranges créatures, elle glisse au sein d’un univers insondable illuminé par un crépuscule éternel : Le Clair-obscur.
Y trouvera-t-elle du réconfort ? Un moyen de faire face à ses peurs ? Ou sombrera-t-elle plus profondément encore dans les limbes de son esprit rêveur ? »
Un conte initiatique
L’univers du roman a tout d’un conte. On ne sait pas vraiment à quelle époque l’on se trouve, ni dans quel lieu. Les personnages ont des prénoms qui sortent d’un conte de fées, les dialogues sont empreints de magie, et le merveilleux est visiblement pleinement accepté. On est donc dans un récit qui a une portée assez universelle : l’héroïne est jeune (15 ans), et s’adresse au public cible du genre; mais la nature du conte permet à ce roman d’être lu, compris et apprécié par tous. On retrouve aussi plusieurs des ressorts du conte : les archétypes classiques, la portée symbolique du récit et sa structure.
Rêver double est surtout un conte initiatique. Alcidie va évoluer pendant tout le récit. Elle va déconstruire, soulever les voiles, détruire, reconstruire, pour comprendre et accepter son passé, vivre son présent et envisager son futur. 4 parties pour nous guider du crépuscule à l’aurore, sur un chemin fleuri et odorant.
Le roman de Mina M aborde les thématiques du deuil, de la perte, de la reconstruction de soi après une telle épreuve. Comment continuer à vivre ? Le peut-on seulement ? Alcidie s’est construit une réalité parallèle, douce, mignonne, la protégeant de tout. Elle vit dans sa petite bulle colorée, se racontant des histoires pour continuer à vivre un jour après l’autre. Alors, elle va devoir grandir, et affronter ses peurs, comprendre son environnement. On la suit dans chacune de ces étapes, à sa manière. C’est le récit d’un cheminement personnel.
Une écriture poétique
C’est certainement ce qui m’a le plus plu dans Rêver double. Au-delà du livre objet magnifique, comme les Editions du chat noir savent le faire, c’est un texte vivant qui s’offre sous nos yeux. De la poésie en prose, musicale et mélodique, pleine d’assonances et d’allitérations. Une poésie qui se déclame en rythme, s’amuse avec la disposition des mots sur la page, leur taille, leur police. Une poésie qui est aussi riche en vocabulaire soutenu, fleuri. Enfin, Mina M jongle avec les mots, entre palindromes et anagrammes.
« – Depuis qu’elle a perdu son coeur, Mystère dort profondément et avec elle, sommeillent des souvenirs enfouis dans ses veines, dans ses liens de lierre.
– Oh ! Je commence à comprendre ! Des liens de lierre ont montré les souvenirs enfouis de L’Effluve ! Le LIERRE est un lien censé nous RELIER à l’IRREEL ! Le lien vers les souvenirs enfouis, loin, très loin, en plein cœur du chaos ! «
C’est du très beau langage, dont on perçoit la force ici. Les mots ne sont pas que des mots, ils sont porteurs de sens, ponctuent et régissent le récit. La contrepartie, c’est qu’on perd forcément en naturel et en fluidité, notamment dans les dialogues. Alcidie ne parle pas comme une jeune fille de 15 ans (mais on a dit que c’était un conte, donc cela a t-il vraiment de l’importance ?). Il y a parfois un aspect très artificiel, notamment dans les dialogues.
» Elle goûtait encore le plaisir d’avoir regardé la palette infinie des couleurs se répandre en traînées mouvantes sur la toile fantomatique du ciel, quand Aubeline s’assit à ses côtés.
– C’est magnifique, n’est ce pas ?
– Oui, c’est apaisant. Je ne m’en lasse pas. Il reste encore quelques touches de bleu derrière la cime des grands arbres du bois. Regarde-les ! On dirait de longs pinceaux maculés de ciel. Je vais attendre que ces lueurs vespérales disparaissent totalement avant de rentrer. »
Ce jeu sur les mots et le langage va bien plus loin, car il est propice aux faux-semblants et aux doubles. Alcidie s’invente des personnages, des sortes d’alter ego à partir de l’anagramme de son prénom. Et cela a toute son importance dans le récit, dans le cours de ce conte initiatique. Le langage ici est donc doté d’une force moteur assez incroyable. Sans les mots, l’intrigue et Alcidie s’évanouissent.
Un récit onirique
En cela, le roman rejoint parfaitement sa catégorie du Pumpkin Autumn Challenge. On est sans cesse, durant ce roman, sur le fil. Entre réalité et surnaturel, entre étrange et merveilleux, entre rêve et réel… On ne sait d’ailleurs pas bien où l’on se trouve. Et c’est fort bien fait, car on comprend bien le cheminement d’Alcidie dans ce brouillard. C’est une véritable énigme, dont on doit rassembler les pièces pour reconstituer le puzzle.
Cette quête initiatique m’a cependant souvent perplexe. J’avoue que je me suis un peu perdue. Il se passe beaucoup de choses, il y a pas mal de tours de passe-passe, de temporalités, d’univers, d’espace-temps… On rencontre beaucoup de personnages, notamment des personnifications de sentiments et d’états, tout se croise et se décroise… Je n’ai pas toujours tout suivi.
Quant au langage, il est certes très beau et poétique, mais il a eu tendance, en tout cas pour moi, à amoindrir l’intrigue. C’est comme si celle-ci était masquée par l’aspect éblouissant du texte. J’ai eu la sensation qu’elle passait souvent au second plan, comme si elle était dévorée par la force monstrueuse du langage.
Je suis néanmoins retombée sur mes pattes à la fin, et je dois dire que ce final est superbe. Il couronne vraiment parfaitement le roman. « Soulever le voile » n’a jamais eu autant de sens qu’ici, et franchement, je n’ai rien vu venir. J’ai trouvé ce stratagème vraiment réussi. J’ai donc fini ce roman sur une jolie surprise.
En pratique
Mina M, Rêver Double
Editions du chat noir, collection cheshire
#ISBN9782375681619
#PLIB2022
Couverture et illustrations : Mina M
Rêver double de Mina M est un conte initiatique teinté d’onirisme, qui aborde avec beaucoup de poésie des thématiques difficiles, comme le deuil et la reconstruction de soi. J’ai trouvé le travail sur le langage remarquable. C’est un très beau texte, peut-être trop ? au point que j’ai eu la sensation que l’intrigue en pâtissait. Je me suis un peu perdue, mais bon, j’étais parfaitement raccord avec Alcidie, au moins 🙂 J’aurai plaisir à retrouver Mina M dans d’autres textes. Cette artiste a vraiment beaucoup de talent dans les doigts...
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