Avis flash #11 : Juin 2023

Au menu de cet avis flash #11 du mois de juin, de bonnes petites lectures fort satisfaisantes ma foi :
– Alexandra Koszelyk, A crier dans les ruines
– Robert A. Heinlein, Waldo
– Dawn Kurtagich, The dead House

– Lou Jan, La machine à aimer

Alexandra Koszelyk, A crier dans les ruines

Résumé

Tchernobyl, 1986.

Lena et Ivan, deux adolescents amoureux l’un de l’autre, voient leur vie bouleversée par l’explosion de la centrale. Si Lena, croyant Ivan mort, part avec sa famille en France, Ivan, qui n’a pas pu quitter la zone, attend son retour. Déracinée, la jeune fille tente d’oublier son passé.

Vingt ans plus tard, elle fait le chemin inverse, et repart en Ukraine.

Avis flash

J’avais adoré la plume douce, amère et poétique d’Alexandra Koszelyk dans La dixième muse. J’ai attendu de la rencontrer enfin au festival Etonnants voyageurs pour lui prendre son premier roman, A crier dans les ruines, et son dernier, l’Archiviste.

A crier dans les ruines évoque la catastrophe de Tchernobyl, mais n’a pas la noirceur ni le réalisme de La supplication de Svetlana Alexievitch ou encore de la mini-série TV Chernobyl (que je vous recommande tous deux). Le roman d’Alexandra Koszelyk apporte un peu de lumière et d’espoir, là où on pense qu’ils ont déserté à jamais.

La narration au présent et à la 3ème personne du singulier donne au récit un côté très factuel, presque journalistique. Pourtant l’autrice va parvenir à créer du lien avec ses personnages. A insuffler aussi de l’émotion, dans son récit. On suit Léna, qui vingt ans plus tard, revient à Pripiat, dans la ville de son enfance, quittée à la hâte en 1986. Lors du trajet en bus, elle se souvient… Et c’est l’occasion pour l’autrice de retracer l’enfance de Léna, son adolescence et le début de ses années d’adulte en tant qu’expatriée en France. Le récit est chronologique, composé de morceaux choisis durant sa vie, et entrecoupé de correspondances d’Yvan.

A crier dans les ruines n’est pas un cri de désespoir face à une ville rasée et aux vies sauvagement prises. Ce n’est pas non plus un pamphlet politique. C’est plutôt le cri d’une personne, parmi tant d’autres, qui s’est expatriée, et qui depuis lors se sent brisée, incomplète. Incomprise, aussi. Une personne à la recherche de ses racines, du pourquoi, de réponses, et qui n’a que des blancs à la place. Un texte foncièrement humain, en somme. Le récit d’une individualité parmi tant d’autres.

Alors quand Léna revient, ce sont comme des retrouvailles, et Pripiat revêt des couleurs qu’on ne lui donne plus depuis 1986. Une promesse de sens retrouvés, de retour à la nature, d’amour, de complétude. Alors certes, tout n’est pas toujours crédible, ni solidement bâti. Mais peut-être que tout n’a pas toujours besoin d’être réaliste non plus, pour permettre à la magie et au rêve de reprendre leur place là où ils ont été chassés… J’ai apprécié cette parenthèse, cette lecture est comme un baume au cœur. Où l’on apprend à regarder Pripiat non avec les yeux d’un voyeur en quête de sensationnel et de morbide, mais avec le cœur de celles et ceux qui y sont chez eux, qui ont retrouvé leurs racines et leur raison d’être.

Robert A.Heinlein, Waldo

Résumé

Atteint d’une maladie neuromusculaire chronique, Waldo vit retiré du monde au sein d’un habitat orbital automatisé conçu par ses soins. Waldo est un être détestable, mais c’est aussi l’un des plus remarquables esprits que l’humanité ait jamais connu. De fait, quand les moteurs des appareils de la North American Power-Air se mettent à dérailler sans la moindre explication, menaçant l’ensemble du trafic aérien, les ingénieurs de la compagnie se tournent vers lui. Pas très enclin à les aider.

Avis flash

Voilà un titre vers lequel je ne serais pas allée d’abord, mais je l’ai pris au festival Etonnants voyageurs sur les bons conseils d’Etienne Vincent qui me l’a bien vendu. Et comme je voulais commencer par un texte court pour aborder l’auteur, c’était l’occasion parfaite.

Ce qui m’a plu en tout premier lieu, c’est le délai entre le début du texte, qui porte le nom du personnage principal, et l’entrée en scène de celui-ci. Un bon tiers de la novella pendant lequel les autres personnages nous dressent le portrait de ce misanthrope de première classe. Alors quand Waldo arrive, on a déjà notre opinion de faite sur lui. C’est comme rencontrer quelqu’un qu’on connait depuis longtemps mais qu’on n’a encore jamais vu. J’ai trouvé ça très bien joué. Et tout l’enjeu du texte (enfin, une partie) est de montrer qu’en fait, Waldo n’est pas si horrible que ça.

La SF en place est assez visionnaire, Heinlein écrit ce texte en 1942 et pourtant sa technologie en jeu ici est étonnamment d’actualité. Il se fait pédagogue, explique beaucoup (peut-être un peu trop, le ton professoral parfois casse le rythme), rendant le texte aisément compréhensible malgré quelques détails pas forcément bien décrits.

L’écriture est très américaine : brute de décoffrage, pas enjolivée du tout, avec des dialogues qu’on pourrait croire sortis de nos bouches, avec le naturel qui va avec. Difficile pour moi, comme toujours avec beaucoup d’écrivains américains, de m’attacher émotionnellement, tant aux personnages qu’à l’écrit. L’auteur n’embellit rien dans sa prose, réduit celle-ci au strict nécessaire, sans artifice romanesque. C’est un style à part entière.

Ce qui m’a surtout surprise en fait dans ce texte c’est le dernier tiers. Ou l’alliance magie-SF. Qui n’est absolument pas farfelue, au contraire. Expliquée, théorisée amenée avec une méthode bien scientifique, et démontrée de la même façon. Ce mélange est très convaincant, et amène un renversement des valeurs communément admises et du regard que l’on porte sur le monde. Assez dingue d’avoir, dans ce si petit texte, autant de choses qui mettent la tête à l’envers et apportent un déboussolement complet.

Dawn Kurtagich, The dead house

Résumé

Vingt ans depuis que l’enfer s’est abattu sur le lycée Elmbridge, emportant la vie de trois élèves et laissant Carly Johnson portée disparue. La principale suspecte : Kaitlyn, « la fille de nulle part ».

Le journal de Kaitlyn, découvert dans les ruines, révèle un esprit perturbé. Beaucoup disent qu’elle n’existe pas; elle est l’alter ego de Carly Johnson.

Carly est là le jour, laissant place à Kaitlyn la nuit. Et c’est durant la nuit que le mystère de la Maison Morte se dévoile…

Avis flash

Voilà un livre plutôt destiné à un public Young Adult que j’ai néanmoins beaucoup aimé. Ce n’est plus trop ma tasse de thé, mais j’ai trouvé The dead house efficace et intelligemment construit. Il faut dire que j’avais découvert Dawn Kurtagich avec Les brumes affamées qui m’avaient bien plu, et j’ai transformé l’essai ici. De quoi mettre son premier roman, Ce qui hante les bois, dans ma wishlist.

The dead house a tout du bon thriller. Du suspense, une écriture vive, un récit a posteriori des faits composé d’un mélange de pièces à conviction (rapports, entretiens enregistrés, extraits de journal intime…). De ce fait, la variété des écrits et des styles apporte un rythme soutenu au roman et un dynamisme bienvenu. Ajoutons à cela un très beau travail éditorial de la part des éditions du chat noir, faisant de ce roman un beau livre objet.

Le texte est facilement compréhensible, le langage adapté au public sans non plus être appauvri. On est plus dans l’action et les dialogues que dans les descriptions. Toutefois, l’autrice parvient en quelques traits efficaces à poser une ambiance bien gothique.

Ce que j’ai surtout apprécié, c’est la manière très fine et intelligente d’aborder les TDI (troubles de dissociation de l’identité – je ne spoile pas, c’est dit dans le résumé). Ca m’a un peu fait penser à La dernière maison avant les bois de Catriona Ward. On voit bien la descente aux enfers de Carly/Kaitlyn, la perte de repères et de sens engendrée, l’incapacité d’obtenir des réponses et du soutien des adultes, et au contraire la force de l’amitié. Je regrette un peu plus le côté occultisme qui selon moi est un peu en trop et noie le discours.

Lou Jan, La machine à aimer

Résumé

Un titre que j’ai pu remmener du festival Etonnants Voyageurs en tant que service presse, et j’en remercie beaucoup la maison Critic. Un roman prometteur, que je ne qualifierais pas de chef d’œuvre mais qui se défend plutôt bien.

Les machines sont au service de l’homme dans sa vie quotidienne, et les robots intelligents programmés pour aimer font même de parfaits compagnons. Trop, peut-être. Au point que l’humanité prend peur et décide de les liquider.
Un génocide cybernétique dont Nobod réchappe par la grâce d’un bug inopiné. Pour survivre dans un monde hostile, elle va devoir dissimuler sa véritable nature et composer avec l’humain.
Ses épreuves ne font que commencer.

Avis flash

On retrouve dans ce roman tout ce qui fait la réussite d’une bonne novella. Le style très bref, précis. La rapidité du récit. Une chute percutante. Un background très léger. L’ennui, c’est que ce texte n’est pas une novella. Ce qui fonctionne donc pour une centaine de pages finit par ennuyer sur près de 200. L’absence d’attachement aux personnages, à l’univers… crée à la longue un détachement aussi avec le texte. Il y avait matière à développer un peu plus le background et ça aurait été utile, je pense. Ne serait-ce que pour ancrer davantage l’intrigue qui y est liée et le pourquoi/comment des choses. (Par exemple, les Néanderthaliens auraient mérité plus de développement).

Comme A crier dans les ruines, le récit au présent et à la 3ème personne donne une impression de récit factuel, presque journalistique. La distance en revanche est énorme entre les personnages et le lecteur. Une froideur polaire, une émotion cachée. On comprend bien la raison de ce style très haché, aux phrases courtes, rugueuses, écorchées vives : dans ce monde, s’attacher, c’est mourir. Cet univers est marqué par la perte, la mort, et le génocide des IA programmées pour l’amour. Sur ce plan, c’est très réussi.

En revanche, j’ai eu plus de mal à aller d’un événement à un autre, d’une action à une autre. Comme le phrasé, l’intrigue manque d’huile; mais là, c’est un peu plus embêtant. Si j’ai apprécié Nobod, on passe quand même assez souvent du coq à l’âne, sans savoir trop où on va. La première moitié du roman manque de but. Puis paf, la seconde moitié du roman amène un personnage encore inconnu avec une seconde intrigue d’ampleur planétaire, qu’on a du mal à relier avec le parcours de Nobod. J’ai eu la sensation qu’ici, le propos se délayait et perdait de vue le propos de départ. Ca m’a semblé de trop, je n’ai pas trop compris d’où ça sortait et pour moi ça délaye le propos de départ.

Malgré tout, c’est un conte moderne que nous propose Lou Jan avec La machine à aimer. Un univers où l’amour brille, pur, sous les traits d’une IA : fraternité, amour, amitié, empathie, écoute, bienveillance font alors face à l’amour au sens humain, où dominent le sexe, l’utilisation des corps, la prostitution, le chantage et la dépendance. Le roman interroge ça : ce qu’est l’amour, profondément, et où il se trouve. Est-il encore dans nos cœurs ? Mais aussi le rapport entre vivant et machine, et les frontières poreuses entre les genres.

Voilà pour cet salve d’avis flash #11. Un peu en avance, mais j’avais déjà mon stock de chroniques courtes pour le mois. avez-vous lu l’un de ces titres ? Ces retours brefs vous donnent-ils envie d’en vous en procurer un ? D’autres livres à me conseiller des auteurs et autrices ? J’espère que vos lectures actuelles vous plaisent. A bientôt !

17 commentaires sur “Avis flash #11 : Juin 2023

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  1. J’avais prévu de lire « À crier dans les ruines », pour continuer de découvrir l’autrice après « La Dixième muse », mais, le thème ne m’attirant pas vraiment, j’avoue que ce que tu en dis me rassure pas mal !

    1. Si tu craignais un bouquin axé sur Tchernobyl et son lot d’horreurs ou son traitement politique habituel, tu peux être rassuré en effet. En revanche, je pense que j’aimerai davantage L’archiviste, qui, a priori, me semble peut-être un peu plus approfondi.

    1. C’est vrai que ça fait partie de choses qui sont un peu tabous en littérature. Ici, j’ai trouvé que c’était fort bien traité pour le public cible, permettant une identification au personnage et au vécu.

  2. J’avais découvert A crier dans les ruines peu de temps après sa sortie et c’était un vrai coup de cœur, je l’avais trouvé touchant. J’avais beaucoup aimé suivre Lena, lire ses doutes, ses souvenirs, son sentiment de manque. J’avais apprécié lire ses lettres à Yvan. Tu résumes bien ce côté magique et poétique qu’insuffle l’auteure à la ville de Pripiat. Je rejoins totalement ton avis, c’est du moins le souvenir que j’en ai gardé. 😊 Je ne connaissais pas The dead house, mais, jeunesse ou pas, cette histoire me plait bien et le thème des troubles identitaires m’intrigue. Merci pour la découverte Zoé. 🙂

    1. Oui c’est un texte très touchant effectivement ! Il se lit plutôt vite et n’explore pas profondément les choses non plus, mais la légèreté qui règne dans ces pages fait aussi du bien pour dédramatiser le vécu, et redonner un peu de magie et d’espoir; finalement ça va bien ensemble.
      Quant à The dead house, pour le coup on n’est plus dans la légèreté ^^ Mais il vaut le détour, il est intéressant et se lit tout aussi vite tant on est pris dans ses pages.
      Merci pour ton retour et le partage de ton ressenti sur A crier dans les ruines ! Je suis ravie que ce billet t’ait plu, merci pour ta visite 🙂

      1. Avec plaisir pour la visite ! D’habitude, je me basais sur tes Tweets (et parfois Babelio) pour venir jeter un œil, mais comme tu as annoncée que tu serais moins présentes chez l’oiseau bleu, je me sers à la source directement. 🤭 Pour The Dead House, je l’ai noté dans ma liste d’envie pour y penser lors de prochains achats. 😉 Passe une belle journée !

        1. C’est très sympa de ta part de venir ici directement alors, je te souhaite la bienvenue et j’espère que la source te plaira ^^ C’est un plaisir en tout cas de te lire !
          Je te souhaite aussi une belle journée, et de bonnes lectures !

          1. Merci beaucoup pour ton accueil ! 😊
            J’étais déjà passé à quelques reprises, d’ailleurs j’ai pensé à toi en achetant un livre numérique hier, j’ai craqué pour… Carne de Juliard Richard 😇 La couverture me rebutait clairement mais ta chronique m’avait intriguée, et nous en avions parlé un peu toutes les deux sur ton bilan de fin d’année il me semble. Alors, ça y est, il m’attend dans ma liseuse, grâce à toi. 😉 Encore merci. 🙂

          2. Ohhhh trop cool ! Ohlala quel bouquin ! Remarquable sur pas mal de plans. On peut lui reprocher beaucoup de choses, mais pas de ne pas y aller franchement et avec retenue… !
            J’espère que tu ne m’en voudras pas et qu’on restera en bons termes après ta lecture 😀

          3. Ahah ! Réponse après la lecture alors 😆 Mais je dois déjà terminer mon Lisa Gardner avant, et puis, qui sait, peut-être que je vais l’adorer ce livre ! 😉 Au pire, j’éviterais peut-être quelques steaks bien saignants après ça (quoi que, je les préfère déjà bien cuits) 😇

  3. Je découvre À crier dans les ruines : pourquoi pas ?
    Waldo : j’ai bien aimé sa lecture, même si je n’ai pas été bouleversé.
    La machine à aimer : j’hésitais et tu es la deuxième à avoir un avis plus que mitigé. Je ne crois décidément pas le lire.
    Quant à The Dead House : ce n’est a priori pas ma tasse de thé.
    Merci pour ces retours certes rapides, mais riches et bien argumentés.

    1. En effet, The dead house ce n’est pas un texte qui te plaira. Pas étonnée par ton retour sur Waldo, on partage le même ressenti quasiment.
      Et la machine à aimer, ah, j’aurais aimé qu’il te tente suffisamment pour que tu le lises, mais j’ai conscience que je ne le vends pas très bien, et qu’on est plusieurs effectivement à avoir un ressenti similaire. Intéressant avec du potentiel mais » : bien trop peu puissant pour nous faire rajouter un livre à nos paL immenses, c’est clair… ! Surtout en des semaines où on lit au ralenti 🙁

  4. J’avais beaucoup aimé A crier dans les ruines, une très belle surprise sur un sujet délicat.

    Waldo fait partie des novellas UHL qui ne me conviennent pas. (Trop datée !)

    Et je me foutais que La machine à aimer n’était pas pour moi.

    1. Du coup, tu l’as lu La machine à aimer ? J’avoue que je ne sais toujours pas si la rencontre un peu loupée vient du fait que ce n’était pas un texte que j’ai su apprécier parce qu’il n’était pas pour moi ou si c’est parce qu’il est effectivement perfectible… ca ne change pas grand chose au schmilblick tu me diras.
      A crier dans les ruines, oui c’était un beau texte, comme tu le dis c’était une surprise et traité avec délicatesse.
      Quant à Waldo, bon, je suis quand même contente de l’avoir lu, mais ça n’a pas été aussi décoiffant que je l’espérais…

  5. A crier dans les ruines me tente beaucoup, d’autant plus que je n’ai pas souvenir de l’avoir beaucoup vu passer. Waldo a l’air franchement intéressant aussi, il fait partie des UHL à rattraper.

    1. Non c’est vrai qu’il s’est fait discret. Bon, ce n’est pas le chef d’œuvre de l’année, mais j’ai apprécié son humilité, sa douce poésie touchante. Un peu de magie et de douceur dans un endroit d’où on pense que tout cela a déserté c’est chouette.
      Quant à Waldo, ça n’a pas été un coup de foudre, mais j’avoue que j’ai été bien convaincue par ce qu’il proposait, donc c’est un bouquin à lire, si tu as un petit dimanche sans lecture ça peut être sympa !

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