Catriona Ward – La dernière maison avant les bois

Un soir, Babelio me contacte pour me proposer un roman  lors d’une masse critique privilégiée : La dernière maison avant les bois de Catriona Ward. Evidemment, quand on me parle de maison, je ne peux pas refuser. En plus, on m’a super bien vendu ce livre : « expérience tout à fait particulière, qui peut s’avérer décourageante », « une lecture relativement ardue mais pas totalement illisible ». Je m’attendais donc à un OLNI de la taille de La maison dans laquelle ou La maison des feuilles, et donc hyper emballée j’ai accepté ce service presse. Cette maison s’est-elle révélée à la hauteur des autres ?

Synopsis

« Dans l’impasse de Needless Street se dresse une maison isolée et solitaire, à l’image de son propriétaire, Ted Bannerman, un étrange personnage. Dee, qui vient d’emménager dans la maison voisine, est persuadée qu’un terrible secret pèse sur les lieux. Ted aurait-il un lien avec cette disparition d’enfant survenue onze ans plus tôt dans les environs ? Que se passe-t-il vraiment derrière la porte de la dernière maison avant les bois ? »

La dernière maison avant les bois

Quelques éléments de décor préalables.

Le cadre est restreint dans ce roman : la maison de Ted, dont j’ai cru comprendre qu’il y avait plusieurs étages. Les bois : lieu sauvage, empreint de religiosité, de mystère et de drames. Et puis le cabinet du psychologue de Ted, pour ponctuer le roman.

Autres signes de ponctuation du roman : les personnages. Ted est le personnage principal, mais gravitent autour de lui des personnages secondaires remarquablement dessinés. Sa fille, Lauren; Olivia, sa chatte. Puis Dee, qui mène son enquête sur la disparition de sa sœur, jamais loin de Ted. Et une grande réussite avec « Maman », la mère de Ted, absente mais très présente, tellement qu’elle est un poids pour Ted. Et dans l’ensemble du récit.

La dernière maison avant les bois, c’est un lieu à l’écart de la civilisation (Neddless Street, rue inutile); Ted semble complètement marginalisé, plus du tout actif dans la société. C’est aussi un refuge, et ce mot est très important dans le roman. C’est à la fin que cette maison prend un sens plus métaphorique que l’on saisit complètement.

Enfin, c’est un roman qui brouille les pistes. Parce qu’on navigue entre :

  • plusieurs points de vue, dont un est très étrange, puisqu’il s’agit d’Olivia, un chat;
  • des « je » au présent, dont on ne sait pas bien quand ils parlent, à qui, ni quand ils se situent par rapport à ce qu’ils racontent. On croit comprendre qu’il s’agit d’enregistrements au magnétophone;
  • deux fils narratifs : la disparition de Lulu et sa recherche par sa sœur aînée d’un côté, et la vie de Ted entouré de sa fille Lauren et de son chat Olivia de l’autre;
  • entre passé et présent, dans les deux trames narratives. Aucune indication de date n’est jamais donnée, ce qui ne facilite pas la tâche.

Un thriller efficace

J’ai avalé ce roman en moins de 48 heures, complètement happée par ce récit.

C’est extrêmement facile à lire (« ardu, qu’ils disaient – hum) : chapitres courts, alternance de points de vue, écriture au « je » et au présent (humpf), rapidité du récit… La dernière maison avant les bois est un excellent page turner.

Côté thriller, le roman fait aussi le job : suspense, brouillage de piste, légère enquête policière dans le fond, disparition inquiétante, personnages flippants, cadre glauque. La tension monte peu à peu, extrêmement bien dosée, et l’autrice nous perd très facilement dans son récit. A vrai dire, je pensais avoir deviné au bout d’un tiers les tenants et aboutissants de cette histoire, avant de me rendre compte que je m’étais fourvoyée. Alors j’ai échafaudé d’autres pistes, toutes détruites durant ma lecture. J’ai dû attendre le dernier quart pour enfin découvrir ce que l’autrice avait derrière la tête, et j’ai vraiment été surprise.

Un train qui en cache un autre

Car il y a deux histoires en une dans ce roman, et l’une se cache derrière l’autre de manière très habile.

On a plutôt l’habitude, dans les thrillers, d’avoir des antagonistes déséquilibrés, et des cadavres dans le placard qui sortent en fin de roman. J’ai souvent fait le parallèle entre ce roman et ceux de Paula Hawkins. D’abord parce que je lis peu de thrillers, donc je n’ai pas beaucoup de références, mais aussi parce que j’ai trouvé le rythme, l’immersion et le côté page turner similaires. Les bouquins de Paula Hawkins mettent en scène un quotidien, le vôtre, le mien, celui du voisin… mais révèlent toujours des choses sordides et des antagonistes psychopathes. Je m’attendais donc à ça ici.

Sauf que pas vraiment. Enfin si, mais non. L’horreur et le sordide ne sont pas là où on les attend habituellement. Et c’est là que réside l’originalité de La dernière maison dans les bois. Catriona Ward aborde un sujet pointilleux, méconnu, difficile. Que je ne vais pas dévoiler pour ne pas vous gâcher la surprise. Mais habituellement, comme elle le dit dans sa postface, ce sujet est à la base des thrillers et romans horrifiques. Mais là, l’autrice renverse complètement le point de vue et permet aux lecteurs d’aborder ce sujet de manière différente. Avec une grande sensibilité, beaucoup de tact et d’intelligence.

Difficile d’en dire plus, je risquerais de spoiler le roman. Sachez juste que ce renversement est fort bien exécuté, et de ce fait, déplace habilement l’horreur et le sordide. Catriona Ward nous apprend à changer notre regard. Il faut souligner le gros travail de documentation qu’elle a mené. La postface décrit sa démarche, et le roman est accompagné d’une bibliographie assez fournie.

Finalement, excellente lecture ou pas ?

Je n’irais pas jusqu’à dire excellente. Très bonne, certes. Vite avalée, hyper prenante, originale. Et vraiment j’ai aimé la sensibilité que l’autrice a infusée dans ses pages.

Mais il m’a manqué quelque chose. On ne m’aurait pas vendu un OLNI ardu et une lecture décourageante, je pense que mes attentes auraient été moindres. Mais là, j’attendais un petit quelque chose de plus.

J’aurais aimé par exemple une mise en scène un peu plus élaborée dans l’alternance de points de vue. Des entêtes avec les dates et numéros d’enregistrements, par exemple. Une langue également un peu plus élaborée. Ca se lit vite et bien, c’est très facile d’accès : un peu trop pour me séduire totalement. Le langage est très courant, le vocabulaire pas très fourni…

J’ai aussi trouvé que le propos manquait un peu de clarté parfois. C’est évident que vu le sujet traité, ça ne pouvait pas être évident, transparent et facile. Finalement, on peut même penser que ce flou reflète bien l’ensemble du roman et la thématique évoquée. Malgré tout, ça nuit un peu à la compréhension globale du texte à mon sens.

Enfin, certains points m’ont semblé écartés très rapidement, et pas très crédibles. Attention, quelques spoilers, ne lisez pas la suite si vous ne voulez pas en savoir plus ! Par exemple, le sort de Dee dans la forêt, la manière dont elle s’incruste dans l’enquête sans vraiment être inquiétée, et plus globalement le fonctionnement de Ted : comment est-ce possible que personne n’ait jamais rien vu ? Qu’il ait été livré à lui-même avec pour seul suivi un rendez-vous de temps en temps chez un psy douteux ? Quelques facilités du coup.

Rien de grave ni de rédhibitoire cependant, ce qui fait que cette maison s’en sort avec un score tout à fait honorable. Encore une brique à rajouter à mon édifice personnel 🙂

En pratique

Catriona Ward, La dernière maison avant les bois

Editions Sonatine, 2023

VO : he last house on needless street, 2021

Traduction : Pierre Szczeciner

Couverture : Tuomas A. Lehtinen

Autres avis : ?

 

La dernière maison avant les bois de Catriona Ward est un thriller efficace. Excellent page turner, ce roman m’a surprise de bout en bout. J’ai énormément apprécié la manière dont l’autrice renverse les codes du genre pour aborder un sujet difficile, avec une extrême sensibilité. Une maison bien originale qui rejoint ma collection, même si elle n’a pas été aussi éblouissante et décoiffante que ses copines. Elle reste malgré tout une très bonne lecture, que je recommande fortement, même aux personnes qui ne sont pas très friands du genre. Un thriller tout à fait abordable, et mené avec finesse.

11 commentaires sur “Catriona Ward – La dernière maison avant les bois

Ajouter un commentaire

  1. Malgré le décalage entre ce qu’on t’a vendu et ce que tu as trouvé, tu sembles avoir passé un bon moment avec ce roman page turner. En grande curieuse, je serais tentée de le lire pour découvrir cette thématique que tu évoques sans la citer et le changement de point de vue dans la manière de l’aborder.

    1. Ah oui oui, c’était une très bonne lecture, qui m’a totalement convaincue et happée pendant deux jours. J’ai vraiment aimé ce renversement de point de vue très surprenant et ce jusqu’à la fin. Et effectivement je t’encourage à le lire, car il est très très bien mené, et il mérite le détour pour son traitement de ce sujet épineux et difficile que-je-ne-peux-pas-nommer ^^

    1. Ah oui oui je le recommande celui-là, super efficace, et surprenant jusqu’au bout – après bon, je suis bon public et je suis pas très habituée aux thrillers, donc ça marche bien avec moi. Mais je mets les habitués au défi, tant l’angle d’attaque est différent.

  2. Merci pour ta critique. Je note pour quand j’aurai envie de lire un thriller en mode page turner

    1. Ah oui, pour ça il est super efficace. Il se dévore, ça s’avale tout seul et il apporte beaucoup plus qu’un thriller classique par sa thématique et la manière dont il l’aborde.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Fièrement propulsé par WordPress | Thème : Baskerville 2 par Anders Noren.

Retour en haut ↑