Hé oui, petite incursion en littérature blanche ! Motel Valparaiso est un petit roman de Philippe Castelneau, publié en mars 2022 aux éditions Asphalte. Mon attention sur ce titre a été attirée par Claire Duvivier, qui y exerce. J’avais vu passer sur son fil Instagram l’annonce de la sortie de ce titre, dont la couverture m’a beaucoup plu (signée Eva Worobiec) et son synopsis. Un road trip américain pour redonner du sens à sa vie et échouer dans une ville fantôme aux portes du désert : j’adhère tout de suite. J’ai foncé chez Gibert, et à l’occasion d’une petite virée en province le temps d’un week-end, j’ai sorti mon petit livre pour la route. Concordance parfaite : les traces de la récente pluie de sable du Sahara étaient toujours là et les routes comme les paysages teintés d’orangé donnaient aux environs un aspect un peu désertique…
Synopsis
« Suite à une rupture amoureuse, un homme décide de quitter sa vie en France et part pour les États-Unis réaliser le road-trip qui redonnera un sens à son existence. Alors qu’il traverse en car une ville inconnue dans le désert de Sonora, il va apercevoir une femme qui semble lui faire signe, à une fenêtre. Happé par cette vision, il décide sur un coup de tête de poser là ses valises.
Installé au Motel Valparaiso, il entreprend d’explorer Cevola, cette localité écrasée par la chaleur qui semble avoir connu mille vies au cours de l’histoire. D’abord fasciné, puis inspiré, il prendra conscience que la ville semble avoir une emprise sur ceux qui y vivent… »
Du rêve américain…
« Go west »
Avant de démarrer ma lecture, Motel Valparaiso était pour moi une promesse d’écho à mon imaginaire américain. Le road-trip, les grandes espaces et paysages s’étirant à perte de vue, le désert… La couverture est d’ailleurs parfaite : elle met en image et en couleurs cet imaginaire. De plus, une chouette playlist très US concoctée par l’auteur parfait l’immersion. Plein de choses me sont venues en tête. Thelma et Louise, Sur la route de Jack Kerouac, Wild, de Cheryl Strayed, quelques épisodes de la vie nomade de Christopher McCandless relatés dans Into the wild de Krakauer, L’épouse de bois, de Terri Windling. Et enfin, des petits échos aux Raisins de la colère de Steinbeck. « Go west », qu’ils disaient.
C’est tout cela que je pensais retrouver ici. Et en quelque sorte, ça a été le cas. J’ai retrouvé ici l’appel de l’évasion, de la route, de l’ailleurs; le rêve d’une Amérique qui n’a jamais vraiment existé à part dans des fantasmes littéraires et musicaux; des personnages artistes/paumés/poètes/idéalistes, un peu tout ça à la fois. Et j’ai entendu des échos, des clins d’œil, à toutes ces œuvres. Pas forcément faits de manière consciente; mais reliées par leurs thématiques, elles se parlent entre elles.
« Je savais au fond de moi que je courais après une Amérique fantasmée qui n’avait sans doute même jamais existé ».
Huis-clos
Mais très vite, j’ai compris que ce rêve américain allait être stoppé net. Parce que le road-trip du narrateur s’achève rapidement, à Cevola. Une ville presque invisible depuis la route, aux portes du désert. C’est là que va se dérouler tout le roman, avec l’espoir du narrateur d’en partir. Sans jamais vraiment y parvenir.
Alors les grands espaces de liberté du début du roman se rapetissent, pour nous ramener dans cet endroit qu’on ne quittera plus. C’est un huis-clos qui se donne alors à lire. Un peu étouffant, par sa chaleur écrasante, mais aussi par tout le passé de la ville. Et ses habitants. Une ville fantôme.
… au rêve du narrateur
Un trompe l’œil assez chouette
Le récit est raconté à la première personne du singulier. Le narrateur, pigiste, rêve d’écrire son roman. Dans son récit s’intercalent des chapitres en italique. Des piges envoyées au journal ? Des pages de son futur roman en construction ? Je n’ai pas réussi à le définir clairement. Néanmoins, ces chapitres semblent sortis de nulle part, et se référer à des temps anciens ou comme sortis d’un rêve. J’ai beaucoup aimé cette alternance de ton et de temporalité. En effet, j’ai eu une impression de liberté et d’infini alors que le roman emprisonne son personnage principal dans Cevola. J’ai trouvé ce trompe l’œil assez chouette.
Un roman onirique
Cette impression d’anywhere out of the world provient aussi d’une sensation de rêve éveillé. Le narrateur pose ses bagages à Cevola après avoir eu l’impression de croiser le regard d’une femme… Qu’il va tenter de retrouver pendant tout le roman. Mais est-elle réelle ou seulement un mirage ? Les nombreuses légendes qui entourent Cevola, ses personnages fantomatiques et énigmatiques… font perdre le fil de la réalité.
Alors, le roman se poursuit en visions, impressions, images fulgurantes, non-dits, et personnages fantomatiques. Le narrateur lui-même semble perdu dans ses contemplations. Que cherche t-il réellement ? Il ne le sait pas lui-même. Alors il y reste… Le huis-clos se renforce et avec lui une impression d’irréel.
QUELQUEFOIS, une apparition. Certains jours, elle a le visage d’une femme enserrée de mystères, suprême idole de la nuit. De loin en loin, elle surgit dans mon sommeil, image trouble aux frontières du monde diurne. La main du jour agite alors mes rêves, qui passent dans un langage que je ne comprends pas.
Des lieux magiques et envoûtants
Un désert tantôt menaçant tantôt chantant
La peinture des lieux accroit l’onirisme ambiant. Le roman est assez court, et pourtant Philippe Castelneau parvient sans peine à dresser un tableau très vivant et contrasté des lieux.
Quelques mots, quelques phrases très courtes, hachées, qui se succèdent les unes à la suite des autres : on imagine sans nulle peine l’aridité de ce désert, retranscrite dans le mouvement du langage. De plus, les lieux sont personnifiés : c’est le soleil qui tape à la fenêtre, le désert qui avale, la ville qui recule. Les vrais personnages sont plutôt passifs, victimes des éléments (d’ailleurs la voix passive est souvent utilisée).
« Contrairement aux hommes, le désert se moque des frontières. Quelque chose apparaît au loin qui pourrait être une ville. Une cité fantôme. Un mirage. Le bus roule et la ville recule toujours […] Des corps gisent loin des regards. Des migrants mexicains momifiés par le soleil, squelettes à moitié cachés sous les dunes […] J’ouvre les yeux, nous finissons de traverser la ville. Midi au soleil. Les rues sont vides. les volets fermés. Déjà, le désert nous avale ».
Mais on retrouve aussi ce chant du désert qui en fait un lieu magique, avec sa musicalité, dans le rythme mélodique du phrasé et les répétitions :
J’écoute le désert me parler. Le désert qui m’appelle. Les accents magiques de sa mélopée m’entraînent dans sa danse; je suis comme ivre de désir. Je veux plonger dans la mer de sable et m’y noyer. J’entends au loin battre des ailes d’argent. Je veux les rejoindre, m’éblouir à les contempler ».
Je vous ai déjà dit que j’adorais le motif du désert en littérature : c’est exactement pour ça. C’est un locus terribilis, et pourtant je trouve ce paysage très très beau dans sa transposition romanesque; il est toujours quelque chose de terrifiant, mais aussi de magique, de musical et les écrivains parviennent très souvent à le faire vivre rien qu’avec des mots. J’ai beaucoup aimé la manière dont Philippe Castelneau le dépeint ici, ça m’a fait penser au Désert de Le Clézio qui illustre cette double facette (avec un double récit en miroir également).
Cevola, ville magique
Il y a le désert, mais il y a aussi Cevola, une ville envoûtante, qui exerce une fascination sans limites sur le narrateur :
Ce n’était pas une femme que j’avais cru voir aux limites de la ville, c’était la ville elle-même qui m’avait envoûté, que j’avais prise pour une femme […]
Cevola était pour moi comme une princesse lointaine : fascinante, irrésistible et incompréhensible.
Finalement, c’est elle le personnage principal du récit, plus que le motel Valparaiso qui lui aussi renvoie à un autre imaginaire sud-américain. Cette ville qui était d’abord invisible se complexifie au fur et à mesure que le narrateur y reste. Elle prend alors de la consistance, et revêt plusieurs visages : entre rêve éveillé, passé historique et légendaire, sujet de roman, terreau journalistique…
On ne parvient jamais vraiment à la saisir complètement, cette ville envoûtante. A la fois attirante et repoussante, elle parvient quand même à nous donner envie de plier bagage pour la visiter et y rester…
En pratique
Philippe Castelneau, Motel Valparaiso
Asphalte Editions, mars 2022
Couverture : Eva Worobiec
Motel Valparaiso est un roman court, mais dense. On penserait lire un petit road-trip maintes fois lu et relu : erreur. Philippe Castelneau offre ici un texte empli d’onirisme. La magie des lieux superbement retranscrits, le traitement des personnages et la structure du roman donnent à celui-ci une impression de liberté, d’infini et de rêve éveillé. L’imaginaire américain est ici déconstruit, mais il continue d’alimenter nos fantasmes de grands espaces et de recherche de sens. J’ai adoré cette lecture, elle était tout ce que j’attendais, et en même temps très différente, surprenante. Un auteur et une maison que je découvre et que je vais suivre de près !
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