Pause Café #26 : Le texte et son auteur

Hello à tous ! Bienvenue dans cette Pause Café #26. Après un sujet de reprise punchy il y a quinze jours, je vous propose de continuer dans cet esprit-là. Cette semaine, je voudrais parler du lien entre auteur et œuvre. Une question qui revient beaucoup dans les échanges. « Je ne lis plus untel car il a des idées de merde ». « J’aimais beaucoup ses textes mais depuis qu’elle a sorti ça, je ne veux plus la lire ni acheter un de ses livres ». « Lire la prose d’un auteur comme ça revient à accepter l’auteur et ses idées ». Un texte est-il lié à son auteur, à ses idées, est-il le reflet de sa personne, ou bien est-il indépendant, à considérer comme tel lors de la lecture ? En d’autres termes, peut-on aimer lire Céline, Roald Dahl, Barjavel, Lovecraft ou plus récemment J.K Rowling, sans forcément adhérer aux idées de ces écrivains ? Ou bien lire ces auteurs est-il une adhésion à leur personne et à leurs idées ?

Comment j’ai appris à lire

Pendant mes études de lettres, lors des épreuves de commentaire de texte, notre enseignante supprimait systématiquement le nom de l’auteur, la date et le titre de l’œuvre. Elle disait que cela nous influencerait au point d’appliquer une grille de lecture au texte.

Par exemple, pour un extrait d’un roman de Zola, elle aurait eu 30 commentaires avec un plan type « I. Un narrateur observateur du réel II. Dépeignant un tableau réaliste de la société parisienne III. Un exemple type du naturalisme ». Aucun intérêt à part enfoncer des portes ouvertes.

Sans ces informations, nous ne considérions plus alors que le texte et rien que le texte. Sa dynamique, sa structure, et surtout son langage. Basé sur une rhétorique, une grammaire, une syntaxe, une phonétique, des outils linguistiques. Nous devions déchiffrer ce langage pour interpréter le texte, le faire exister en tant que tel pour aboutir à une sorte de réalité du texte fluctuante. En cela, cette enseignante avait une vision de la littérature et de la critique littéraire très structuraliste (elle adorait Barthes et Genette…).

J’aime l’idée de m’approprier le texte, de laisser libre cours à mon interprétation, et de le considérer différemment selon ma sensibilité du moment, le temps, le contexte. Encore aujourd’hui, il m’arrive d’aborder un texte « vierge », sans connaître l’auteur, ses idées, sa vision de la vie.

Lire en connaissance de cause

Recontextualiser est nécessaire

Mais cette approche assez structuraliste ne suffit pas. Tous les écrits ne sont pas des manifestes, mais ils sont un produit de l’esprit, donc véhiculant des idées, se rattachant à un courant de pensée, et l’auteur y met de sa personne, forcément. Forcément aussi, certaines de leurs idées transpercent. Le texte est un reflet d’une époque aussi. Il ne serait pas honnête de le nier.

En revanche, je n’en fais pas un axe de lecture principal. Pour cela, je fais ce travail de recontextualisation a posteriori de ma lecture – ou en cours, pour me donner quelques billes si le discours tenu me dérange. Cela me permet de comprendre et de poursuivre en toute connaissance de cause.

Une question de valeurs ?

Comprendre n’est pas excuser, ni effacer, encore moins nier ou adhérer aux idées véhiculées. Ce n’est pas parce que j’aime Harry Potter que j’adhère aux idées transphobes de J.K Rowling. Ce n’est pas non plus parce que j’aime lire Lovecraft ou Tintin que j’adhère au racisme ambiant dans ces œuvres. Idem pour Voyage au bout de la nuit que j’ai adoré.

Devant Ravage de Barjavel, j’avais deux choix : refuser de le lire ou tenter d’apprécier l’œuvre dans son ensemble. Je l’ai lu, et j’ai bien fait, car ce livre est assez génial, pour bien d’autres choses. Est-ce que refuser de le lire, parce que mon regard de femme du XXIème siècle est en profond désaccord avec la vision véhiculée par ce livre, n’aurait pas été complètement à côté de la plaque, dans le fond ? Si on y réfléchit bien, dans ce cas je ne lis plus Rousseau, et, heu… une palanquée d’auteurs, en fait.

La personne, l’écrivain, le texte

En fait, pour aborder ces œuvres, j’ai deux solutions :

  • soit je sais que l’auteur a des idées contraires à mes valeurs, et cela transperce dans le texte. Dans ce cas, je garde cela en tête mais n’en fais pas un axe de lecture principal, préférant appréhender le texte dans son entier.
  • soit j’ignore tout des idées de l’auteur, ou bien ses idées pourries dont j’ai connaissance ne transpercent pas dans le texte. Dans ce cas, je sépare l’œuvre de son auteur, mais aussi l’écrivain de la personne.

Céline était à la fois un écrivain de génie (selon moi) et un antisémite (notoire) et un connard fini (selon moi). Notez bien le « ET » et non le « MAIS » : car de mon point de vue, les valeurs d’une personne n’annulent pas son talent. Considérer toutes ces données avec le même degré d’importance fait que je sais apprécier les films de Polanski, que j’adore écouter Marilyn Manson, mais sans me voiler la face non plus : leur personne me donne la nausée.

Seuls ne peuvent écrire que les « gentils » ?

Evidemment, chacun est libre de faire ce qu’il veut, et surtout selon sa sensibilité. Je comprends tout à fait qu’on ne souhaite pas lire ni donner un centime à un auteur ou une autrice qu’on exècre et je respecte bien sûr les choix de chacun.

Cela me gêne en revanche quand cela devient un appel à boycott, une (forte) incitation à suivre une « morale » jugée bonne par un groupe de personnes. A partir du moment où il y a une démarche collective de dire « bon, tel auteur désormais est à censurer parce qu’il est une ordure », où met-on le curseur ? Qui va décider de qui peut être jugé correct, moral, acceptable, ou pas ? Pour donner un exemple, j’ai lu des tweets d’une personne prônant le téléchargement illégal des œuvres de J.K Rowling pour ne pas lui verser un seul centime. Et concluait en disant qu’il fallait aussi ne pas dire qu’on la lisait. La personne estimait que lire et acheter l’autrice revenait à adhérer à ses propos. Je suis en profond désaccord avec cette idée et avec les propos de ce twitto.

Dans le cas d’écrits qui véhiculent des idées qui nous révulsent, j’estime malgré tout qu’il faut que les opinions s’expriment, même si elles ne nous plaisent pas ; et je pense qu’il faut aussi les lire. Pour comprendre, justement ; c’est aussi le reflet d’un courant de de pensée qui existe que ça nous plaise ou non. Et comment combattre des idées si on n’en a pas connaissance ?

Quelles solutions alors ?

Accompagner les textes

Pour moi, une solution assez simple serait d’accompagner le texte d’un appareil critique. L’édition de Ravage chez Folio m’a laissée perplexe : il n’y avait que le texte brut. C’est bien quand on a un public averti, qui sait recontextualiser de lui-même et qui saura juger le texte dans son ensemble. Mais un public plutôt jeune, collégien ou lycéen, que va-t-il en comprendre sans ces clefs ?

Si on sait apposer des pavés de trigger warning désormais, on peut bien encadrer un texte de cette manière-là aussi, non ? Cela me paraîtrait même plus cohérent qu’un TW. Mais c’est un autre sujet. (Tiens, une idée de pause café à venir… ? Si cela vous intéresse, Morgane Stankiewiez a déjà fait un long billet de qualité là-dessus).

Faire preuve d’honnêteté intellectuelle

Et on parlait tout à l’heure de la nécessaire recontextualisation : c’est crucial. Oui, Voltaire, Rousseau, Flaubert… sont des génies littéraires, MAIS ce sont aussi des hommes de leur temps. J’avoue que considérer Rousseau uniquement comme une figure incontournable de la philosophie des Lumières me pose question. A titre personnel, je trouve son mépris pour la femme assez puant dans son œuvre. « C’était la norme à l’époque ». Mais carrément ! Pourquoi donc alors ne pas le dire ? Il suffit d’ouvrir Emile ou de l’éducation… pour comprendre que l’étiquette « Homme des Lumières » peut être discutée.

« A quoi bon le préciser ? » C’est faire preuve d’honnêteté intellectuelle. Pour juger l’œuvre dans son intégralité et en mesurer toute la portée. Cette remise en contexte offre alors une tout autre manière d’appréhender l’œuvre de l’écrivain et de considérer son héritage. Ca n’amoindrit pas la qualité de l’œuvre mais lui redonne sa juste place.

Cela permettrait aussi d’arrêter de mythifier toutes ces figures. Ainsi on aurait pu éviter en 2011 la présence initiale de Céline dans le recueil annuel des célébrations nationales, dont la préface indique dresser la « liste des individus dignes d’être célébrés ; c’est-à-dire de ceux dont la vie, l’œuvre, la conduite morale, les valeurs qu’ils symbolisent sont, aujourd’hui, reconnues comme remarquables » . Qu’il soit lu, étudié, admiré pour son génie littéraire, oui. Honoré par l’Etat comme individu et pour sa conduite morale ? J’émets des doutes…

J’estime qu’à partir du moment où on est clair avec ça, on peut aborder et apprécier une œuvre malgré son contenu, son auteur, ses idées. Et ne pas s’en sentir coupable, ni gêné. Mais évidemment, dans le respect de sa propre sensibilité, avant tout.

Et vous ?

Vous avez l’habitude, c’est l’heure des questions !

Avez-vous déjà lu un texte qui vous a mis mal à l’aise à cause de ses valeurs qui n’étaient pas les vôtres ? Avez-vous déjà refusé de lire un auteur (ou une autrice) en raison de ses opinions ?
Comment faites-vous pour aborder des textes d’auteurs dont vous n’appréciez pas du tout les idées ni les valeurs ?
Plus largement, pensez-vous que lire des romans d’un auteur antisémite/sexiste/raciste/transphobe... est synonyme d’adhésion, de soutien et de compatibilité avec les idées de l’auteur en question ?
Comment encadrer la lecture de ce type de textes ?
Quel est votre avis sur la question ? 

C’est la fin de cette Pause Café #26, qui abordait un sujet un peu rude, je vous l’accorde. Mais je pense que ce sont des questions importantes sur lesquelles échanger. Les réseaux ne sont pas les endroits les plus adéquats pour mener des débats sur ces questions, selon moi. Car ce sont des sujets qui nécessitent d’être développés, argumentés, expliqués, pour que chacun se fasse comprendre sans contresens ou raccourci hasardeux. J’espère que le sujet vous aura plu, j’essaye de trouver un sujet plus guilleret pour dans 15 jours 🙂

15 commentaires sur “Pause Café #26 : Le texte et son auteur

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  1. Un billet clair, complet, d’une grande qualité ! Tu as très bien mis les mots sur des choses que je peinais à expliquer. Merci ! Encore une fois, on est d’accord…

    1. il m’a donné du fil à retordre ce billet, merci pour ton retour ! Pas facile de mettre des mots sur ce sujet sans froisser, sans brusquer… Contente que nous soyons toujours sur la même longueur d’ondes 🙂

  2. Je n’ai pas d’opinion tranchée sur la question de lire ou non un artiste qui pose problème ou voir ses films. Mais je pourrais regarder un Polanski s’il était en prison et pas en liberté. C’est là le vrai problème pour moi… En revanche, pour les artistes du passé, je te rejoins, il faut recontextualiser parce que juger des gens avec nos critères alors qu’ils ont vécu avec leurs propres valeurs n’a guère d’intérêt. Et j’aime beaucoup ton idée d’accompagner les textes d’un appareil critique, permettant d’apporter à tous des clés de compréhension. Et à titre personnel, ça ne me donnerait pas l’impression qu’un éditeur est prêt à tout publier tant que ça peut lui faire gagner de l’argent, voire pire, que des idées parfois indéfendables ne le gênent pas….

    1. Oui, je comprends tout à fait ton point de vue sur Polanski, c’est effectivement une nuance importante que tu mentionnes. Le sentiment d’impunité laissé à ce type de personnes peut complètement rebuter, et je le conçois tout à fait.
      Quant à l’appareil critique, je pense que c’est d’autant plus important qu’on rentre là dans le cœur du métier de l’édition à mon sens, et qui interroge la question de « comment publier ».

  3. J’ai mon lot d’auteurs adorés par ailleurs problématiques en tant que personnes.
    J’ai du mal avec l’argument « de son temps » qui je trouve est parfois utilisé comme si à l’époque de telles opinions étaient normales, majoritaires. Or c’est rarement le cas. Lovecraft était très raciste, même pour son temps. Certaines personnes étaient déjà anti-racistes bien avant lui. J’aime toujours le lire, bien que certains textes très expressivement (violemment) racistes me mettent mal à l’aise. Cependant je ne suis pas concernée ici et je comprends que des personnes qui tombent sur des choses qui les concernent elles puissent décider de boycotter du jour au lendemain un auteur qu’elles auraient pu aimer auparavant. Et si, parfois je me sens gênée d’apprécier lire des choses problématiques (même si c’est bien l’écriture/l’histoire/les personnages que j’aime en dépit des points problématiques), car ça me renvoie au fait que je vis dans un système avec des aspects problématiques que j’ai intégrés au point où ils me paraissent tolérables au détour d’une lecture. Ou deux, ou dix. Et j’espère bien garder ce malaise au moins en fond tant que je décide de continuer à lire ces auteurs car pour moi il s’agit aussi de vigilance.
    J’avais décidé de ne plus lire de Gaborit après ma lecture des Féals dont deux pages – puis le reste du livre – m’avaient complètement retournée (chronique présente sur mon blog), car là je me sentais concernée, et puis l’auteur étant en vie je trouve l’impact différent de mes éventuelles lectures et achats (non pas que je conseille de lire des auteurs problématiques morts sans se poser de question). Finalement récemment j’en ai lu un qu’il avait écrit avec quelqu’un d’autre, parce que je n’ai même pas fait attention (autant pour mon point ci-dessus 🙁 ). Je n’ai pas trop aimé au final donc je vais peut-être réussir à m’abstenir tout à fait.
    Par contre je commence à faire moins de pub, voire plus du tout, pour ceux que j’aime mais que je trouve problématiques, ou parler systématiquement du fait qu’ils le sont. Je trouve ça aussi très important de s’intéresser et de mettre en valeur des auteurs et autrices qui s’inscrivent en « contre ». Tolkien est mort depuis un bail, tout le monde le connait je crois à présent (et sinon il n’est pas bien compliqué à trouver), peut-être pourrait-on remplacer les tables rondes focalisées sur lui sur des auteurices plus récentes, plus inclusives ? Ainsi que les têtes de gondoles, les critiques, etc.

    1. Tu as raison, l’argument « de son temps » peut être une excuse quand il est mal employé, et pas toujours adéquat en effet. C’est une nuance importante que tu évoques; c’est vrai qu’on aurait ainsi tendance à faire une relecture biaisée de l’histoire en plus.

      J’aime bien ton ressenti face aux lectures qui t’ont gênée et ton envie de garder cette gêne. Comme un moyen de rester vigilante et de ne pas accepter les choses comme « normales ». En ce sens, tu as une lecture engagée, je trouve. Ce sont les lecteurices comme toi à mon avis qui permettent aux gens comme moi, qui ont tendance à mettre ces aspects au second plan (enfin pas vraiment, mais je conçois qu’on puisse considérer que c’est le cas) de garder les yeux ouverts et d’avoir conscience des choses.

      Et je trouve aussi très astucieuse ton idée de ne pas faire de pub pour les auteurs qui te semblent problématiques. Tu as raison, les auteurs problématiques vivants sont plus compliqués que les auteurs morts, en tout cas dans la manière de juger leur œuvre.

      Et pour finir, ouiiii, je suis tout à fait d’accord avec toi sur la nécessité de parler d’autres auteurices !! J’avais commencé un paragraphe là-dessus dans le billet, mais je trouvais que ça commençait à faire long. Je pense comme toi qu’il serait bien de commencer à réviser un peu notre histoire de la littérature, à la dépoussiérer et à (re)sortir des noms qui ont été enfouis très profondément pour x raisons. J’en ai un peu ras le bol d’étudier toujours les mêmes auteurs à l’école, de parler toujours des mêmes, et toujours dans les mêmes axes et angles d’attaque. En ça, j’aime bien Argyll qui remet au goût du jour des textes oubliés, idem pour Hachette Imaginaire et Mnemos.
      Et en ce qui concerne la littérature contemporaine, effectivement j’aimerais bien qu’on mette un peu Asimov/Herbert/Tolkien de côté, pour mettre en lumière des auteurices qui ont autant de choses à dire. Je pense à Becky Chambers, P. Djeli Clark, Michael Roch, N.K Jemisin, Rivers Solomon… il me semble que ces écrivains ont bcp de choses à dire, avec des plumes de qualité, et mériteraient un peu de lumière aussi.

      Merci pour ton commentaire, le partage de ton point de vue et les nuances précieuses que tu as apportées 🙂

  4. Ce qui est insupportable, c’est la gestion de la dissonance cognitive par le public. Quand des gens aiment une œuvre et apprennent que l’artiste est une ordure, une des réactions est de minimiser les actions de l’artiste afin de continuer d’apprécier l’œuvre… On voit ça avec Polanski, par exemple, qui a littéralement une carte « sortie de prison » parce qu’il est bon cinéaste.

    Je comprends qu’on puisse aimer l’œuvre d’ordures, ça me le fait parfois encore (Polanski, Manson, Cantat, Burzum, Hitchcock, Whedon…) même si, dans la majorité des cas, je choisis de m’abstenir. Et puis au-delà d’aimer, certains ont des choses justes à dire sur d’autres sujets (le Pianiste de Polanski est important… mais bon, il aurait pu être confié à un autre cinéaste tout aussi légitime sur le sujet de l’antisémitisme par les studios…).

    Une œuvre d’Art est imprégnée de l’essence de l’Artiste, on ne peut séparer l’artiste de son œuvre, ça ne fonctionne pas. Profiter de l’œuvre d’une ordure, cela ne me convient plus, et si j’ai pas toujours fait le tri par le passé, aujourd’hui je fais de mieux pour me renseigner quand j’apprécie quelque chose.

    Il y a suffisamment d’artistes dont les valeurs me conviennent pour ne pas apprécier ceux qui sont à l’opposé.

    Quant à « l’homme de son temps », je viens de tomber sur un essai théologique du 15è siècle écrit par un homme pour expliquer « la supériorité des femmes » à travers la Bible. Donc bon, si au 15è on peut être féministe, y a pas d’excuses pour les gros cons du 19 ou du 20e…

    1. J’ai déjà remarqué ça aussi : la carte du talent artistique face aux actions de l’artiste comme excuse. Quelque chose comme « Oui (sous-entendu oui c’est une ordure) mais… ».
      Peut-être que les gens, quand ils apprécient lire, regarder une œuvre d’une ordure, se sentent gênés de reconnaître que l’artiste est une ordure ? Peut-être que dans l’esprit des gens, les artistes sont des personnes pures et qui ne peuvent pas avoir des idées à la con, ou avoir commis des horreurs ?

      Après, ton argument sur « aller voir ailleurs, il y a suffisamment d’artistes dont j’apprécie les valeurs » rejoint celui de Tesra et je suis d’accord avec ça aussi. Ce sont un peu toujours les mêmes figures que l’on voit, comme s’il n’y avait pas assez d’auteurs, musiciens, peintres… qui ont des choses à dire.
      Reste que j’ai l’impression que l’histoire de la littérature a été faite par et pour des hommes (blancs, hétéro, cathos) et du coup, sortir de ces sentiers battus est un parcours du combattant. D’ailleurs, si je devais arrêter de lire les auteurs qui ont une vision de la Femme qui ne me convient pas, je ne lirais plus grand monde figurant dans mes Lagarde&Michard… (dans le genre littérature écrite par et pour des hommes, cet exemple est pas mal d’ailleurs).

      Concernant l’Homme de son temps : dans le fond, je suis d’accord avec toi, des humanistes il y en a eu de tous temps. Malgré tout, je me demande dans quelle mesure, à certaines périodes de récession économique et sociale par ex, la proportion d’idées rétrogrades, intolérantes etc etc n’est pas plus importante. D’autant que l’Histoire n’a pas un cours linéaire; il y a des périodes du Moyen-Age qui sont bien plus ouvertes culturellement que d’autres, mêmes postérieures. Le XIXè pour moi n’et vraiment pas un exemple d’ouverture d’esprit, de droits acquis, ou d’égalité.
      Oui, il y a très certainement eu des auteurs non racistes à l’époque de Lovecraft; cependant, le racisme de cet écrivain ne me choque pas plus que ça. Evidemment, il me hérisse, mais il me hérisse moi, maintenant, à notre époque. Mais ce qui m’intéresse davantage quand je parle de remise dans le contexte, c’est plutôt « quelle a été la réception de son œuvre à son époque ? Y a t-il une part du lectorat qui s’est offusquée de son racisme ambiant ? » Je n’ai aucun argument permettant d’illustrer mon idée, qui est « je ne pense pas, compte tenu du climat social et culturelle des USA début XXème ». Mais oui, c’était un connard, et il y a d’autres auteurs de son temps qui peut-être méritent plus d’être lus et considérés.

      D’ailleurs, sans aller aussi loin : on en a déjà parlé, plusieurs fois, la représentation des rapports homme/femme en imaginaire. Quand je lis aujd certains bouquins des années 90, ça me hérisse. Mais quand je les ai lus à l’époque, je ne trouvais rien de choquant. C’était même normal, pour moi, j’étais abreuvée de ces schémas à longueur de temps : à la télé, dans les bouquins, dans les films, les pubs… C’est surtout à ça que je pensais quand je disais « remettre dans le contexte ». C’est tenter, selon la connaissance qu’on a de l’époque, des idées en vogue, de la population, du climat social et culturel etc, de comprendre quelle a été la posture du lectorat au moment de la sortie du bouquin.

  5. Voilà un excellent argumentaire sur un sujet bien casse-gueule !
    Ton texte m’interpelle d’autant plus que je me suis retrouvée confrontée à un dilemme récemment.
    J’ai emprunté un court texte de Orson Scott Card. J’ai bien aimé le texte, qui est un conte indépendant situé dans un univers de saga qui comporte plusieurs tomes. J’étais tentée de lire cette saga sauf qu’en faisant des recherches sur internet je suis également tombé sur sa biographie qui m’a quelque peu refroidie. C’est la première fois que je me pose la question et pour être honnête je n’ai pas encore tranché la question. Son texte ne laissait rien paraître de ses idées ou si c’est le cas je n’ai pas su lire entre les lignes. Mais dilemme quand même…

    1. Ah oui, c’est l’exemple parfait, en effet. Je ne connaissais pas cet auteur, et je vois ce que tu veux dire.
      Je comprends ton dilemme. Peut-être que tu peux garder ce point en tête si tu te lances dans la lecture de la saga ? Avec cet éclairage, cela t’aiderait à comprendre certaines représentations que tu jugerais problématiques selon tes valeurs, s’il y en a. A toi de voir après si tu continues, ou si tu jettes l’éponge.
      Mais comme je le disais dans mon billet, chacun sa sensibilité et ses limites aussi (et surtout, en fait) : si cela te pose un cas de conscience dès maintenant, tu as tout à fait le droit de ne pas lire la saga, et de ne pas t’en vouloir pour cela.

  6. Je suis très d’accord avec tout ce que tu dis. Et ce qui me semble le plus important, c’est que chacun fasse comme il le souhaite sans avoir à se prendre une volée de bois vert ou des moqueries. Je ne suis pas fan des appels au boycott non plus, même si je conçois que cela puisse faire plier dans certaines circonstances (cf l’affaire Marsan, dont on ne saura jamais si son éviction résulte d’une érosion des ventes réelle ou si elle aurait fini par arriver de toute façon).

    Personnellement, je mesure tout en envie de lecture (ou de voir un film : je suis allée voir J’accuse de Polanski, le climat était tellement violent sur Twitter que je m’attendais limite à être reçue avec des tomates pourries en arrivant au cinéma XD) pour décider. Si j’ai envie j’y vais, si j’ai pas envie j’y vais pas. Peut être je peux ne pas avoir envie à cause d’actes ou de propos de l’auteur, c’est assez rare, mais ça peut arriver et à tout moment je peux aussi changer d’avis.

    Je trouve passionnant de recontextualiser l’oeuvre d’un auteur. Pour moi la phrase « séparer l’oeuvre de l’auteur » n’a aucun sens (ce qui m’implique rien sur l’exercice que ta prof vous faisait faire, je trouve ça génial :p), ce n’est pas parce que je lis Lovecraft que je « sépare l’oeuvre de l’auteur », justement on peut y aller en toute connaissance de cause et poser un regard analytique sur le problème, c’est passionnant. C’est certainement plus facile à faire avec des auteurs morts depuis belle lurette.

    C’est en tout cas un sujet pasionnant et il y a beaucoup de choses à dire là-dessus.

    1. Merci pour ton retour ! Je suis aussi très d’accord avec tes propos, et ça rejoint ce qu’on se disait sur le sujet hier sur le discord – où les échanges étaient vraiment super intéressants d’ailleurs.
      Comme tu l’expliques très bien, considérer qu’un rapport à une œuvre et à son auteur « problématique » est une affaire personnelle liée à plein de choses qui n’ont pas à être jugées, recontextualiser et prendre en compte ce contexte pour considérer l’œuvre et s’autoriser le droit de changer d’avis dans le temps et selon les cas de figure : c’est tout à fait mon idée.

      Et en effet, je pense aussi que c’est « plus simple » à gérer quand l’auteur est mort. Quand il est encore en vie, c’est plus délicat, peut-être aussi parce que les blessures infligées sont plus récentes et qu’on n’a pas encore eu le temps de les entériner. Ou parce qu’on n’a pas encore le recul pour considérer tout ça d’un œil plus distant. C’était très palpable dans la discussion hier par rapport à Cantat, je sentais bien (et je le comprends tout à fait) que l’affaire était encore trop récente pour accepter de reparler si tôt de l’artiste et de le voir recommencer sa vie « comme si de rien n’était ».
      Bref, artistes pourris, dépêchez-vous de mourir, qu’on puisse vous lire/regarder/écouter plus facilement (humour noir à 2 balles, pardon) !

  7. Je suis souvent la dernière au courant sur ce qu’à dit ou fait de mal un auteur, un réalisateur, un acteur. Je pense que consciemment ou non, je ne sais pas trop, je dissocie l’oeuvre de son auteur, d’autant que personne n’est irréprochable (J.K. Rowling est peut-être transphobe mais certains de ces fans sont racistes vu les commentaires émis pour le choix d’une famille racisée pour jouer les Granger dans la pièce de théâtre… et l’autrice n’avait pas manqué de les défendre). Bref, un sujet difficile auquel il n’y a pas vraiment de bonnes ou mauvaises réponses.

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