Nina Gorlier – La mélodie des limbes – #PLIB2022

La mélodie des limbes est un roman de Nina Gorlier, paru chez Magic Mirror Editions en septembre 2021. C’était une lecture très attendue : Magic Mirror d’abord, lecture dans le cadre du #PLIB2022 ensuite, le roman faisant partie des 80 présélectionnés. Et ce roman valide la catégorie Les ruines de l’Atlantide du menu Automne des Mystères dans le cadre du Pumpkin Autumn Challenge. J’ai beaucoup aimé la lecture, ce roman étant très fort et très touchant.

Synopsis

« Comment vivre sans rêver ? »

Elisabeth Branwen souffre depuis longtemps d’un vide dans le cœur qu’elle ne parvient pas à nommer. Ses proches la trouvent fantasque et réservée, le médecin de famille s’inquiète de sa santé mentale. Seul son ami imaginaire, Frederik, un être aveugle, mi-homme mi-corbeau, adoucit ses peines. La jeune-fille le rejoint chaque nuit : capable de faire des rêves lucides, elle se réfugie dans les songes pour fuir cette réalité qui ne lui correspond pas.

Son monde bascule le jour où elle croise le chemin de l’Entrepasseur, l’étrange entité qui régit le monde onirique. Son défi est implacable : elle a sept jours pour trouver trois clés qui la mèneront au plus profond de ce royaume. Si elle ne réussit pas avant le temps imparti, Frederik devra mourir.

Dans ce royaume à l’automne éternel, à qui pourra-t-elle se fier ? Confrontée au jeu cruel de l’Entrepasseur, Elisabeth devra faire un choix : renoncer au confort de ses rêves ou prendre le risque de rester à jamais prisonnière de ces Limbes. »

Le conte des sept corbeaux des frères Grimm

Ce conte est issu du folklore populaire allemand, recueilli par les frères Grimm.

Un jour, un couple voit naître la petite fille qu’il attendait tant. Le père envoie ses sept fils chercher de l’eau à la source pour baptiser la petite. Mais les frères se disputent, et tardent. Le père se fâche, et dans sa colère, souhaite que ses fils soient changés en corbeaux. Ce qu’ils deviennent…

La petite fille grandit sans savoir qu’elle a des frères. Quand elle finit par l’apprendre, elle se sent coupable et part à leur recherche pour les ramener à la maison. Elle ne prend presque rien, un petit tabouret pour s’asseoir, la bague de ses parents.
Elle parcourt le monde entier, puis le Soleil, et la Lune. Ce sont les étoiles qui lui offrent un osselet qui lui permettra d’accéder à la Montagne de verre où demeurent ses frères.

Arrivée à la Montagne, elle se rend alors compte qu’elle a perdu le petit os… elle se coupe un doigt et utilise celui-ci pour ouvrir la Montagne. Elle y rencontre un nain qui l’informe que ses frères ne sont pas là. Mais la table est dressée pour 7 : la petite fille y picore à manger dans chacune des assiettes, et laisse tomber la bague de ses parents dans la dernière.

Au retour des corbeaux, ceux-ci ont faim… l’un d’eux reconnait la bague : ce ne peut être que celle de leur sœur ! Celle-ci, restée cachée derrière la porte, se découvre : tout le monde s’embrasse et rentre à la maison.

Le récit du deuil

Il est de ces romans dont on sait qu’on va les aimer, beaucoup. Je n’avais aucun doute sur ce titre. Magic Mirror y est pour quelque chose, mais pas que. Le conte revisité, Les sept corbeaux des frères Grimm, m’avait attirée aussi. Je ne le connaissais pas, et ça sortait de l’ordinaire. Et puis j’ai eu l’occasion de découvrir l’autrice lors d’un live organisé par la maison d’édition, pour présenter son roman. J’ai beaucoup aimé l’écouter parler de son roman, de ses inspirations, et du lien qu’elle entretient avec ce livre. Un lien très étroit, intime.

Les 5 étapes

Le roman se présente comme le chemin des 5 étapes du deuil. Déni, colère, marchandage, dépression, acceptation : le personnage principal, Elisabeth, parcourt toutes ces étapes. On la suit dans sa douleur, dans sa souffrance, mais surtout dans sa volonté féroce de se battre pour son frère. Le ramener à la vie, le retrouver, quitte à mourir pour lui.

On a là un roman qui permet à son autrice de faire son propre deuil, d’ailleurs le roman s’ouvre sur une dédicace à ses deux frères disparus. Plusieurs réflexions me sont venues. D’abord, la force de l’autrice à transposer sa propre histoire dans un roman, sans qu’elle ne déborde, sans qu’elle ne prenne toute la place, et en gardant l’aspect imaginaire du récit. Si évidemment on peut sans difficulté établir des ponts entre Elisabeth et elle, Frédérik et ses frères, La mélodie des limbes reste un roman imaginaire, unique, qui fonctionne tout seul. Mais d’un autre côté, nul doute que la force de ce roman provienne directement de ce qu’a traversé l’autrice. Elle sait ce qu’endure Elisabeth. Et cela donne au roman une puissance particulière. Enfin, c’est toujours beau de constater à quel point la littérature permet de se (re)construire, de se relever.

Un conte

Mais La mélodie des limbes est une revisite d’un conte, Les sept corbeaux des frères Grimm. Le roman conserve cet aspect de conte, en proposant justement un chemin universel, que tous nous avons pris et que nous prendrons encore. En cela, il s’adresse à tous.

On retrouve alors dans le roman les éléments phare du conte : la naissance compliquée d’une petite fille, la disparition des frères, les corbeaux, la quête de la sœur, et la clé pour ouvrir la porte de la Montagne de verre.

La réécriture des contes permet toujours de remplir les trous du texte originel. En l’occurrence, j’ai beaucoup apprécié ici la figure d’Elizabeth, qui vit dans son monde, et dans une réalité qui ne l’écoute pas, qui ne la comprend pas. A priori, elle souffre d’autisme, cependant à la voir évoluer avec aisance dans les Limbes, j’ai plutôt envie de dire que ce sont les personnes autour d’elle dans la réalité qui posent problème. J’ai donc vu là un joli traitement de ce trouble, et une réflexion sur sa perception.

J’ai cependant trouvé beaucoup plus de noirceur dans le roman que dans le texte des Grimm. Elizabeth met sa vie en danger pour retrouver et sauver son frère; elle est prête à tout. Le personnage de l’Entrepasseur, aussi, est particulièrement marquant, jusqu’au bout du récit qui offre un dénouement vraiment singulier, mais que j’ai trouvé très intéressant aussi. Ca m’a un peu fait penser au Septième sceau d’Ingmar Bergman.

Un roman onirique et chantant

La thématique du rêve

La mélodie des limbes m’a également fait penser au roman Rêver double de Mina M, car les deux romans abordent la thématique du rêve, sous deux aspects : sa frontière poreuse avec le réel, amenant les personnages à ne plus savoir différencier le rêve de la réalité, et le rêve comment un moyen de se protéger du réel. Elisabeth comme Alcidie vivent des événements réels qui les traumatisent, et pour s’en protéger, pour continuer à vivre, se plongent dans un univers onirique, protégé de la souffrance, univers qu’elles ont construit pour s’y réfugier. Dans La mélodie des limbes, Elisabeth vit à une époque où les femmes sont très bridées, la fantaisie réprimée, la différence une horreur. L’hospice n’est jamais loin pour ces femmes; en cela, j’ai aussi pensé à Lullaby, d’ailleurs le personnage de Hazel suit le même cheminement.

J’ai beaucoup apprécié l’aspect légèrement fantastique, le temps qu’Elisabeth comprenne où elle est, trouve ses marques. On trouve alors tous les ingrédients du genre : incertitude, panique, impossibilité de définir si ce qu’on vit est réel, ou surnaturel, lié à une surdose de médicaments, de la folie, du rêve… Puis l’onirisme est assumé, pleinement, nous faisant plonger dans un monde vaste, puissant, terrible. Car finalement, ces lieux oniriques ne sont jamais aussi paisibles, protecteurs et paisibles que souhaités. Ils ne sont qu’un écran de fumée cachant la réalité, un endroit où les personnages vont devoir prendre conscience de la vérité, et se battre pour continuer à vivre avec le fardeau de la connaissance.

Une œuvre musicale et plastique

La mélodie des limbes est un roman musical. Elisabeth ne fait qu’un avec sa flûte. C’est ce qui la définit. La musique est son moyen d’expression favori, et elle imprègne le récit. Pour la jeune fille, tout est musique et son. On trouve aussi quelque chose de très musical dans la plume de Nina Gorlier. Le phrasé est chantant, mélodique, plein de poésie douce mais amère.

Nina Gorlier avait parlé, lors du live, de La danse macabre de Saint Saëns, un morceau que j’aime beaucoup, et qui est vraiment chouette à écouter. Il y a de la mélancolie dans cette œuvre, et de la fougue aussi, ça colle parfaitement au récit. La lettre à Elise revient aussi, dans le roman, à plusieurs reprises. Un petit écho au prénom de la jeune fille…

Pour moi, les Limbes sont un univers très sensoriel. Les 5 sens sont convoqués sans cesse. J’ai beaucoup aimé les tableaux d’inspiration que l’autrice a réunis sur son compte Pinterest. C’est exactement comme ça que je me figurais notamment les deux personnages principaux, et cela apporte énormément d’épaisseur au récit. Cela contribue à créer une ambiance que je m’étais imaginée exactement comme ça.

Finalement, le seul bémol qui réside, selon moi, dans ce roman, c’est la relecture, qui n’est pas parfaite. Il reste des coquilles disgracieuses, et c’est dommage. Ca peut paraître anodin ou secondaire, mais pour moi, c’est important. Surtout quand un texte met autant de la personne de l’auteur dans ses lignes. Fort heureusement, cela ne remet pas en question la qualité du roman, qui pour moi est vraiment très très bon. Et ce n’est pas juste un roman, comme un autre. Il a une saveur et une tonalité particulières. J’aime beaucoup quand les auteurs se mettent autant à nu dans leurs œuvres. Même quand c’est aussi dur. Peut-être justement pour ça, en fait. Car on a des œuvres qui revêtent tellement de sens.

En pratique

Nina Gorlier, La mélodie des Limbes

Magic Mirror Editions, collection Forgotten

Septembre 2021

Couverture : Mina M

#PLIB2022

#ISBN9791097222246

 

La mélodie des limbes est un roman de Nina Gorlier, qui, à travers la réécriture d’un conte des frères Grimm, aborde des sujets très difficiles, et intimes. L’autrice a mis de sa personne dedans, ce qui rend le roman particulièrement touchant, vibrant et très fort. C’est un très beau roman, écrit avec beaucoup de tact et de poésie, et qui m’a beaucoup plu. Je vais l’intégrer dans ma liste des 25 du #PLIB2022. Cela me donne très envie de découvrir le premier roman de l’autrice, que je ne connais pas encore, La bête du bois perdu. Et je suivrai ses prochaines parutions avec attention.

2 commentaires sur “Nina Gorlier – La mélodie des limbes – #PLIB2022

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  1. Oh, il est dans ma PAL celui-là ! J’ai lu plus tôt dans l’année La Bête du Bois Perdu, dont j’avais trouvé la relecture de La Belle et la Bête originale et rafraîchissante, malgré quelques défauts de plume de premier roman. Je m’étais alors promis de garder un oeil sur cette autrice pleine de potentiel, dont acte ! 🙂
    Normalement, j’ai prévu de lire La Mélodie des Limbes d’ici décembre, si mon emploi du temps ne m’engloutit pas ^^ » Ta chronique me donne encore plus hâte de le lire !

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