Le dernier né des éditions Noir d’absinthe, signé Morgane Stankiewiez ! Oui c’est un roman YA, mais je ne pouvais pas passer à côté d’un texte de cette autrice. La cour de l’hiver est un roman singulier, protéiforme, aux formes, genres et voix variées. Je remercie beaucoup Morgane et la maison d’édition pour l’envoi de ce service presse. Même si j’ai glissé ce roman dans ma pile à lire de l’ultime challenge (par commodité, soyons honnête), j’ai pris beaucoup de plaisir à le lire. Et j’ai beaucoup de choses à vous en dire !
Synopsis
Une fée qui s’ignore, prisonnière d’une adolescence trop normale, voit sa vie chamboulée quand elle fait la rencontre épistolaire de Csilla, une jeune femme solaire qui lui dévoile les véritables couleurs de son âme.
Un roman jeune adulte entre la Bretagne, Paris et l’Alsace, et surtout, dans le Monde des Fées.
Un roman patchwork
Morgane Stankiewiez touch
Morgane Stankiewiez se présente elle-même comme une touche-à-tout. Une autrice caméléon. Elle écrit du polar, de la romance, du gothique vampirique, de la poésie, du contemporain, de l’érotique. Elle excelle dans le format court (lisez Incouchement dans Monstresse(s), Tu aimes les enfants dans l’anthologie Nous parlons depuis les ténèbres et Ereshkigal dans Diluées). C’est peut-être d’ailleurs là que je la préfère, percutante, sans limites. Elle se fout enfin des genres, et adore par-dessus tout éclater toutes les frontières entre eux.
Cela donne bien souvent des œuvres singulières, inclassables. Pour qui a besoin d’un cadre connu et rassurant pour apprécier un roman, ça va être compliqué. La cour de l’hiver n’échappe pas à cette vision artistique et très libre de la littérature. C’est un roman qui n’aurait pas pu être écrit par quelqu’un d’autre, en tout cas dans cette forme-là. Et c’est un roman dont on reconnait la patte de l’autrice très vite.
Un roman aux multiples facettes
La cour de l’hiver est un peu tout à la fois. Le roman mélange des éléments romanesques classiques (récit et dialogues au registre de langue courant) avec des échanges épistolaires au style beaucoup plus pompeux (inspiré des Liaisons dangereuses de Laclos, point de départ du roman).
Le roman fait également appel à plusieurs genres, sans en reprendre totalement les codes. Le premier tiers, c’est du contemporain classique. Mais on se doute bien que l’autrice nous réserve quelques surprises… Qui arrivent bien vite. Tiens, une apparition de SF ! Un peu d’horreur aussi, comme ça l’air de rien. Des métamorphoses, des giclées par-ci, des giclées par-là, des corbeaux flippants, quelques morceaux de chair… Presque quelque chose de très visuel, filmique. Et puis un aperçu de fantasy et de merveilleux avec l’entrée en Faerie. Mais un univers tellement blanc qu’il en est dangereusement noir. Dans le fond, on pourrait même lire ce roman comme un conte…
Alors, c’est désarçonnant. Parce que le rythme de lecture en est complètement perturbé, parce que chaque incursion dans un genre peut frustrer tant on a des attentes qui en sont liées et dont Morgane se moque royalement. J’aime bien quand les auteurices osent des choses, sortent des sentiers battus, proposent des textes à la croisée de plein de chemins. J’aime bien être déroutée, aussi, et me laisser alors guider par l’auteurice, à l’écoute du message plutôt que de la forme. Honnêtement, cela donne ici un roman assez lumineux, intéressant, singulier. Mais aussi assez inégal. Si je salue grandement ces choix pour le souffle de liberté qu’ils apportent au roman, je dois reconnaître malgré tout que je n’ai pas été totalement séduite.
Un roman inégal
Un style trop pompeux
Je connais l’amour de l’autrice pour la poésie un peu grandiloquente, pleine de panache et de souffle. On la retrouve dans les échanges épistolaires entre les deux protagonistes (des ados de 1ère). Et là, première déconvenue : ça ne marche pas du tout.
D’une part, ça ne colle pas avec l’âge des personnages. Je veux bien admettre qu’on apprécie les grands poètes à cet âge, mais là ça sonne faux. Personnellement, je ne suis pas du tout émerveillée par ce type de prose que je trouve artificielle à souhait. Les images déjà vues mille fois, les déclamations ampoulées, les phrases à rallonge, pleines d’images et de comparaisons à l’infini… Trop souvent j’ai eu l’impression d’une déclamation, et si c’est fait exprès (après tout, les aèdes étaient des orateurs), ça ne me séduit pas du tout. J’avoue avoir grimacé plusieurs fois et levé les yeux au ciel autant.
Mais au-delà de cette question de goût, le problème vient surtout du fait que la voix de l’autrice prend toute la place et noie celle des personnages qu’on n’entend pas du tout. C’est dommage, parce qu’il y a un déséquilibre qui m’a semblé évident entre les échanges épistolaires qui m’ont laissée de marbre (et que j’ai fini par survoler) et des scènes de la vie quotidienne certes banales mais beaucoup plus chargées d’émotion brute et authentique. Mais ces échanges épistolaires sont fondamentaux dans les relations entre les personnages et dans le regard qu’ils portent sur eux-mêmes. Je trouve dommage de les avoir autant enrobés de sauce et de coulis et de ganache et de crème.
Des facilités
Par ailleurs, les amateurices de littérature de genre pourraient éprouver quelques frustrations, notamment concernant la SF. C’est vrai que la SF n’est développée que sur quelques pages, et finalement ce bref instant n’apporte pas grand-chose. A part un décor en carton pâte et des situations très faciles (par exemple les méchants très riches capitalistes, ça manque un peu de nuance tout ça), ça n’est pas forcément très utile. L’autrice profite davantage de ce moment pour taper sur pas mal de choses actuelles et là encore c’est surtout sa voix qu’on entend. Evidemment c’est le cas de la plupart des textes, mais j’apprécie quand c’est plus subtil.
Dans le genre passage rapidement survolé, il y a surtout une scène que je regrette, c’est l’énorme ellipse qui est censée traduire un long isolement vécu par le personnage principal. C’est pour le personnage un moment très très long, iel plonge dans une dépression lente et collante, mais deux pages plus tard, pouf, c’est déjà fini. Si je me réjouis de ne pas avoir revécu, par procuration, de tels moments, je regrette néanmoins le choix de l’ellipse. Parce qu’elle amoindrit énormément l’impact de ce que vit le personnage, et aboutit à un final…
… un final plus qu’expédié. J’ai rarement vu une situation finale aussi rapidement exécutée. C’est assez déconcertant. Hopla boum, rentrez chez vous, y’a plus rien à voir. Dans le genre frustrant on atteint des sommets. Je n’ai d’ailleurs pas grand chose à en dire : c’est comme si Morgane en avait eu ras le bol et appuyé sur le bouton accélérer. Voilà. Groumpf.
La cour de l’hiver, une autofiction
Bon, assez parlé de la forme et des genres, parce que dans le fond, on s’en fout. Le gros point fort de La cour de l’hiver réside dans les sujets qu’il traite.
S’accepter, s’affirmer et être libre
Et je ne vais pas dire précisément ce dont il est question, parce que sinon, je vais divulgâcher tout le bouquin, et ce serait franchement dommage. Je vous laisserai donc découvrir cela.
Sachez cependant qu’il est question d’une quête d’identité et de métamorphose. Le personnage principal se pose une question cruciale : « qui suis-je ? » Iel va prendre peu à peu conscience de son être au gré des échanges avec son amie Csilla. D’où l’importance comme je le disais des échanges épistolaires dans le roman. Mais les scènes les plus YA de ce roman sont finalement celles qui m’ont plu. Elles révèlent une fragilité, une peur féroce, des doutes immenses, une angoisse profonde. Et il ne suffit alors que de quelques mots, un dialogue de quelques phrases et un miroir pour offrir une scène particulièrement forte. L’autrice nous offre ainsi plus de sens et de force que dans ses envolées poétiques (et là elle grimace énormément).
Elle parvient à aborder ces thématiques avec tact et subtilité, bienveillance et amour pour ses personnages. J’ai très peu lu de romans qui abordent le sujet; il faut dire qu’il y en a peu. Mais ici j’ai trouvé l’angle d’attaque, le ton et le regard particulièrement bien choisis. Morgane Stankiewiez nous offre aussi une magnifique relation amicale entre les deux protagonistes, comme on n’en trouve aussi assez peu dans les bouquins. En cela, La cour de l’hiver est une sorte de témoignage de ce que vivent les personnes dans une situation similaire. Et puis j’ai réalisé pas mal de choses avec ce roman. Je me suis mise à la place de ce personnage, et ai vécu ses questionnements, ses doutes, ses peurs.
Une autofiction ?
C’est quoi, une autofiction ? Un récit qui semble autobiographique mais dans lequel le pacte autobiographique (auteur = narrateur = personnage, tel que défini par Philippe Lejeune dans Le pacte autobiographique, 1975) est brouillé par l’insertion d’éléments fictifs. En somme, un mélange de récit de soi et de fiction.
La cour de l’hiver peut ainsi se lire comme telle. Peut-être est-ce pour cela que l’on entend autant la voix de l’autrice, dans ce roman. Et pour cela aussi qu’elle traite si bien cette quête et cette métamorphose. Il y a tellement d’elle dans ces pages, de ce qu’elle a vécu. Pas un hasard qu’on se promène entre la Bretagne, l’Alsace et Paris, dans les pages de ce roman. On y lit les œuvres préférées de l’autrice, on y écoute la musique qui la fait vibrer (et moi aussi, par la même occasion)… C’est un peu une sorte de témoignage. Cela donne au roman une force supplémentaire, et il y a quelque chose de très émouvant dans cette relation intime qui se crée.
En somme, La cour de l’hiver n’est peut-être pas le meilleur bouquin de l’autrice, mais sûrement est-il le plus crucial dans le cheminement et la métamorphose de l’autrice, sur le plan personnel mais aussi artistique. Et cela en fait une œuvre particulièrement marquante, en plus d’être singulière…
En pratique
Morgane Stankiewiez, La cour de l’hiver
Editions Noir d’absinthe, 2023
Couverture : Anouck Faure
J’en ai beaucoup discuté de ce roman avec Morgane, pendant et après ma lecture. Elle était surprise que je le demande en SP, parce que bon, le YA ce n’est plus trop ma tasse de thé. Et pourtant, comme elle me l’a fait remarquer, ce sont les passages les plus YA que j’ai préférés dans La cour de l’hiver. Oui, parce qu’ils sont tellement authentiques; ils s’offrent presque à nu. Alors comme je le disais, ce n’est pas un roman coup de cœur, mais j’ai apprécié la manière dont l’autrice a voulu s’émanciper des codes et des cadres pour créer une œuvre unique, sur laquelle souffle un vent de liberté. J’ai beaucoup apprécié le cheminement des personnages, mais j’ai surtout aimé y lire le parcours autofictif de Morgane, qui se livre ici avec pudeur, magie, confiance.
Ce roman me tente beaucoup, mais je le prendrai en salon ! 🙂
Ton retour m’intrigue tout en ne m’étonnant pas, connaissant l’autrice 🙂 Entre le pitch et l’écriture de Morgane, ça me tente bien ! (et puis, je crains moins les aspects sombres qu’il y a d’habitude dans ses textes, vu que c’est du YA !)
Oui, en effet, c’est assez lumineux et bienveillant, je trouve. Bon, j’ai quand même eu du mal avec ses envolées poétiques. Ce n’est pas mon style.
Le résumé me plaisait bien, mais les points négatifs que tu cites me refroidisse. 😅 Je ne suis pas très poésie et guimauve épistolaires.
Ah. Alors tu auras peut-être un peu de mal comme moi pendant ces passages. Cela dit, ils se survolent facilement. Bon, je reconnais que c’est un peu dommage de le faire, parce que c’est quand même là que le personnage principal prend conscience de ce qu’iel est et de ce qu’iel veut être.