S. Buschmann, M. Stankiewiez – Zhaodi

Voilà un roman que j’avais dans ma bibliothèque depuis sa sortie l’année dernière. Je ne me souviens même plus si Zhaodi m’a été offert en service presse ou pas. Quelle piètre partenaire je fais ! J’ai attendu le bon moment pour ce roman noir, très noir, que j’avais fait dédicacer par ses deux autrices à Ouest Hurlant l’année dernière. Je savais qu’il était dur, connaissant l’appétence de Sarah et Morgane pour l’horreur, le brut, l’absence d’espoir. Après le fiasco qu’a représenté ma lecture de l’anthologie Nous parlons depuis les ténèbres, j’ai su que le moment pour du noir, du vrai, était arrivé.

4ème de couverture

« Chine, 2015.

Deux âmes perdues, un père et sa fille, se retrouvent après des années d’absence pour un décès. Celui de la Mère. Celui qui rouvre les plaies d’un passé que tous deux auraient préféré oublier…

Un thriller asiatique sombre et cruel, sur fond de secte, livré par deux autrices amoureuses des ténèbres… »

Une violence explosive portée par une écriture incisive

Zhaodi est à l’image de son résumé : brut de décoffrage. En effet, le roman se livre sans fard, de manière immédiate. Le lecteur n’est pas non plus épargné : les premières lignes arrivent, dures, brèves, percutantes. On n’a pas le temps de se préparer mentalement à la montée de la violence. Car elle est là, dès le début, tout de suite. Zhaodi, c’est une violence constante, assourdissante qui rend fou, à chaque page. Et ça ne s’arrête quasiment jamais.

Malgré cela, on tourne les pages avec avidité. L’alternance des chapitres centrés sur le père et la fille y est pour beaucoup, mais les analepses également, faisant se rejoindre passé et présent pour nous permettre de comprendre celui-ci. Le rythme est rapide, sans temps mort, reprenant ainsi les codes du thriller. Les autrices ne perdent pas leur temps en élucubrations, descriptions, décors etc. Il n’y a rien à quoi se raccrocher pour s’extraire de cette violence crasse et collante. Tout est dans l’émotion brute et dans l’action. On est dans une poétique de la dureté et du dénuement à tous points de vue : phrasé court, plumes incisives, sonorités brutes, pensées, gestes des personnages et lexique à l’avenant.

Vous vous demandez certainement comment lire un texte aussi difficile. Peut-être que nous sommes des monstres voyeuristes. Ou peut-être le roman nous confronte-t-il aussi à notre propre lâcheté, nous qui nous réjouissons de ne pas subir la violence infligée à autrui. Il y a une sorte de « c’est l’autre qui prend, ouf moi je suis épargné ». Mais les autrices savent aussi susciter l’espoir. Car l’humain espère toujours, guidé par l’instinct de survie. Alors on espère toujours avoir touché le fond pour forcément remonter un peu après. Non ? Non ??

Un monde réel

Je dois dire que ce qui marque vraiment, dans Zhaodi, c’est le réalisme de la violence représentée. Car nulle trace d’imaginaire, ici. Le roman est un thriller qui se déroule dans notre monde contemporain bien réel. Rien ici n’est invraisemblable. Et c’est peut-être ça le pire : de se dire que chaque phrase, chaque émotion, chaque poing dans la figure, est plus que vraisemblable. C’est un quotidien que certains et certaines connaissent.

Cette violence est totale : physique, mais aussi psychologique, intime, familiale. Elle est partout, se faufile insidieusement même là où on s’imaginerait préservés. Les autrices n’épargnent rien, ni à leurs personnages, ni à leurs lecteurices. Mais elle n’est pas imaginaire ni forcée. Les autrices mettent en scène des violences d’Etat : la politique de l’enfant unique en Chine, les ravages des transformations industrielles et économiques du pays qui ont mis sur le carreau des millions de chinois ou encore les bus d’exécutions. Elles nous parlent aussi de prostitution, de violence intra-familiale, de sectarisme. Et par-dessus le marché, des meurtres, une enquête sous le manteau et des règlements de comptes.

Outre la violence, les autrices décrivent à la perfection les émotions liées. La honte, la déchéance, la peur viscérale, le détachement ultime, le renfermement sur soi, et la propre violence que l’on peut être amené à éprouver envers les autres. Zhaodi est un roman très dur, par ce qu’il raconte, par ce qu’il décrit, par son regard sur ces deux personnages foutus, que rien n’enjolive.

En pratique

Sarah Buschmann, Morgane Stankiewiez : Zhaodi

Noir d’absinthe, 2022

Couverture : Amaryan

Autres avis : une réussite pour Fildediane; pas mal de retours globalement similaires sur Babelio, hormis celle de Gambadou qui n’a pas réussi à s’attacher aux personnages et a ressenti un certain malaise à la lecture.

Zhaodi signifie « apporte-nous un petit frère ». Dès le titre de ce roman, on se doute que sa lecture va être difficile. Comme une prière désespérée qui va retentir longuement sur les parois d’un puits sans fonds, sans personne pour l’entendre ni la satisfaire. Sarah Buschmann et Morgane Stankiewiez plongent à pieds joints dans l’horreur la plus glaçante qui soit. Leurs deux plumes s’entendent à merveille, générant une harmonie noire, crasseuse et collante particulièrement réussie. Je me suis amusée à deviner de qui était telle ou telle trouvaille épouvantable, et je ne me suis pas trompée ^^ Ces deux autrices vont au bout des choses, explorant les tréfonds tordus de l’âme humaine; elles ne reculent devant rien, même quand on se dit que ça peut paraître trop. Mais finalement, elles savent trouver le ton juste. Ce qui fait de Zhaodi un roman très difficilement soutenable parfois, terriblement lourd, suffocant, mais remarquable. A ne pas mettre entre toutes les mains, évidemment…

4 commentaires sur “S. Buschmann, M. Stankiewiez – Zhaodi

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    1. Ah oui, il est chouette aussi Sorcière de chair ! C’est avec ce titre que j’ai lu pour la première fois Sarah Buschmann. J’ai eu plus de mal avec Chair morte, la suite, trop hard pour moi.

  1. J’ai aussi adoré ce roman, pour des raisons similaires. Connaissant l’univers des deux autrices, je n’ai pas été surpris par sa dureté. Mais ce que j’ai particulièrement apprécié, c’est ce réalisme écrasant d’insalubrité. Pas de grandes envolées, juste une réalité froide et implacable. D’ailleurs, dans le personnage de Zhaodi, j’ai retrouvé des similitudes avec Sorcière de Chair, ce côté personnage abîmé, cabossé par la vie. Puis cette incursion dans la culture chinoise, sa mentalité à travers la famille et les traditions, m’a vraiment séduit.

    1. Oui le style très clinique met parfaitement en valeur la violence très froide de cette dure réalité. Et effectivement, il y a des échos entre Zhaodi et la sorcière de chair ! Des trajectoires un peu similaires, comme tu le soulignes. Et une impression que la sortie du tunnel… ne viendra jamais. Et quand on aperçoit une lueur, on a ce moment de recul, tant on sait qu’après les autrices vont nous enfoncer de nouveau la tête dans le dur. Morgane m’avait dit que c’était exactement le principe de Dremence, que je n’ai toujours pas lu : je le redoute un peu à vrai dire…

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