Léa Silhol – Romaji Horizon

Plus d’un an après la lecture de Hanami Sonata, premier roman de la série Seppenko Monogatari de Léa Silhol, j’ai enfin lu la suite du cycle. Romaji Horizon est assez complexe : il se situe à la jonction entre les événements qui se déroulent dans Hanami Sonata et la suite (relatée dans Hangul Express). Mais le roman revient aussi sur des événements qui se déroulent avant, et enfin se concentre sur d’autres personnages, dans un temps parallèle à celui qui court dans Hanami Sonata. L’autrice continue de tisser sa toile entre ses univers, ses temporalités, ses géographies.

4e de couverture

Quatre égarés. Quatre trajectoires qui n’en finissent pas de se croiser et percuter. Le bushi impeccable, la prophétesse des ombres, la princesse des chats, le chasseur implacable. Quatre pièces, sur un damier de câbles et de flux incandescents, qui redéfinissent à chacun de leurs mouvements la carte des jeux et enjeux.
Sous leur course éperdue, l’envers du monde. Un autre univers, invisible, fascinant et périlleux ; une nouvelle réalité qui est devenue, pour ceux qui l’arpentent, la seule qui compte.
Le Grid.
Depuis Tokyo, point d’entrée capital de cette Cour des Miracles numérique, se déploient les méandres de la ‘grande grille’ ; échiquier où multinationales, politiques et profiteurs de toutes catégories traitent avec les rascals, les inhumains et les accros au vertige.
Ici, tout est recomposable à l’infini, et tout est à vendre : l’Histoire, l’avenir, les gâchettes et les âmes, et jusqu’au temps lui-même. Et il n’y a rien de plus fluctuant, relatif et hors de prix, au final, que cela : le temps.
C’est sur ce fil tendu, plus fragile et explosif qu’un datalink, que doit se jouer le destin des Fays, des Gridrunners et, au-delà, celui de l’univers en son entier.

Romaji Horizon dans le cycle et la Trame

Romaji Horizon fait partie du cycle du Seppenko Monogatari, autrement dit La geste de Seppen. Ce cycle de fantasy japonaise/cyberpunk se compose pour l’instant de 4 chants :

  • Masshiro Ni, ensemble de nouvelles précédemment parues dans diverses œuvres ;
  • Hanami Sonata, composé de deux novellas : La Maître de Kodo et La maîtresse d’Echos ;
  • Puis Gridlock Coda, publié en deux volumes : Romaji Horizon et Hangul Express.

Le cycle devrait se composer à terme de 6 ou 7 chants. Son premier texte, La loi du flocon, paru dans Les contes de la tisseuse et repris dans Masshiro Ni, date de 1999. Romaji Horizon est sorti en 2018.

Ce cycle se trouve à la croisée des chemins, entre la suite majeure du cycle de fantasy celtique Vertigen (La sève et le givre, La glace et la Nuit : Nigredo, AlbedoCauda Pavonis), et la série de fantasy urbaine, le Dit de Frontier.

C’est vraiment à partir de là que l’on commence à relier tous les cycles de l’autrice, et à comprendre toute la construction romanesque qu’elle bâtit, lentement, patiemment, depuis des années.

Tout ceci se retrouve ici, pour plus de clarté.

A la découverte du Grid

 Un conseil : ne tardez pas à lire Romaji Horizon (et la suite) après Hanami Sonata. Ne faites pas comme moi, n’attendez pas un an. J’ai voulu attendre l’automne et le début de l’hiver pour ça. Et puis je voulais aussi prendre mon temps, parce qu’après cette série, je savais que n’aurais plus grand-chose à lire de l’autrice. Désormais, j’attends les nouvelles parutions… Snif. Mais ça en valait la peine. Comme attendu et espéré, Romaji Horizon a été une lecture fort puissante, belle, intense. Et évidemment, je vous conseille d’enchaîner rapidement avec Hangul Express, le 2e tome de Gridlock Coda. Vous le constaterez : les deux volumes se suivent directement et se complètement.

Je suis donc partie pleinement dans ce Grid, qui, à la fin de Hanami Sonata, était encore un peu obscur pour moi. Le Grid, c’est la matrice des sœurs Wachowski, ou la grille de Neuromancien. Visuellement, je m’en suis fait autre chose, mais le principe, à mon sens, est le même. On s’y connecte via des serveurs, et on y pénètre sous la forme d’un avatar (enfin, en général). On distingue le Grid, avec ses propres lois, ses étages et ses puissances capitalistes, de la vraie vie IRL.

Enfin, on découvre le Grid et ses (sub)levels à travers deux personnages, très différents. Saeru-One, mercenaire des lieux, qui rafle les plus gros contrats pour le compte des puissances en jeu. Il ne croit pas en grand-chose, est maître de tout, bastonne pas mal. Et pourtant, on s’attache fort bien à lui, parce que dans le fond, c’est pas un méchant du tout. Juste un peu brut de décoffrage. Et puis il a son propre code de conduite et ses propres valeurs. De l’autre, on a Neko-One, jeune fille tout aussi douée, mais plus idéaliste, justicière. Deux visions du Grid qui prend ainsi forme, que l’on apprend à connaître, à parcourir, à travers ses nuances, ses failles, ses zones d’ombre.

On avait déjà croisé Neko – alias Fuyue, dans Hanami Sonata, coincée dans le Grid, à la recherche de son âme soeur coincée quelque part dedans. Mais on n’y était jamais descendu vraiment longtemps, pas suffisamment en tout cas pour bien comprendre tous les enjeux liés à cet espace. Romaji Horizon nous permet une première incursion là-dedans.

Pas de deux

Romaji Horizon revient, comme je le disais, un peu en arrière dans le temps. Ceci afin de nous présenter les deux personnages principaux du roman, Saeru et Neko alias Fuyue. On découvre ainsi leur passé, leur lien personnel avec le Grid. Et puis l’on assiste à leur rencontre, on suit leur relation, puis on parvient aux événements qui expliquent le sort de Fuyue dans Hanami Sonata. Romaji Horizon est-il une romance ? Ce roman est un thriller cyberpunk redoutablement efficace, avec effectivement une romance qui porte le texte. C’est très intelligemment fait, évidemment. Ce n’est pas de la romancette. On parle de Léa Silhol, tout de même.

Ces deux personnages très différents peuvent sembler manichéens. Et un peu irréalistes, tant ils sont très jeunes. Ados, et pourtant si adultes. Mais ils le sont comme Angharad, Finstern… pouvaient l’être à leur manière aussi. Peut-être est-ce parce que ces personnages sont d’une autre dimension. Presque divine, supérieure, irréelle. Des personnages au destin hors du commun, faisant face à des enjeux qui dépassent l’entendement humain. Parfois, tous ces personnages personnifient des valeurs suprêmes.
Toutefois, je ne trouve jamais de facilité dans ces personnages, et ce duel blanc-noir à mon sens ne tient pas la route. Parce que ces personnages évoluent en fonction des lourdes décisions qu’ils prennent, font face à des choses lourdes et complexes. Ce faisant, ces figures sont elles aussi dotées de mille couleurs, de mille visages portés au fil du temps, de mille souvenirs… les rendant extrêmement riches, et même si complexes qu’ils en deviennent insaisissables. Ces personnages n’ont pas l’âge d’ados, mais celui de plusieurs générations cumulées…

Saeru et Neko nous offrent donc ici un très beau ballet, incroyablement bien dansé, impeccable, sans faute. Il s’en dégage une puissance et une pureté incroyables. L’écriture de l’autrice est toujours aussi précise, riche et sonore. Sa plume caméléon, remarquable, s’adapte en fonction de l’univers, de l’époque, du milieu. Léa Silhol maîtrise à la perfection le langage du Grid. C’est précis, technique, avec des dialogues au langage très courant. Très cyberpunk, en somme. C’est cohérent, parfois déroutant, mais très juste. Et l’autrice parvient, à travers tout cela, à créer un souffle, une beauté et une émotion très forte.

Et tout se met en branle…

Un roman à la croisée des chemins de la Trame, donc. On retrouve en effet, comme c’était le cas pour Hanami Sonata, des personnages de Vertigen, le cycle de fantasy celtique de l’autrice. Les échos entre les textes, les époques, les lieux, les personnages, les enjeux… sont plus que fréquents. Plus : ils trouvent enfin du sens. Des raisons, des explications. On commence à saisir la manière dont tout ceci s’imbrique. De loin, on a aussi des références aux événements et à des personnages évoqués dans Le dit de Frontier, cycle d’urban fantasy qui raconte comment les Fays américains se soulèvent et s’approprient Frontier, ancienne Seuil de Vertigen.

Romaji Horizon est le texte qui fait s’accélérer les choses. Plus le temps, ici, de contempler la beauté des reflets d’un érable dans l’eau. Les choses avancent, de manière implacable, l’heure tourne, la tension monte petit à petit, très efficacement. Les pions se mettent en place, les roulements de tambour s’intensifient. Et pourtant, dans ce récit sans temps mort, on a encore des petits trous où percent de petits instants de beauté pure, d’émotions fortes, d’humour, aussi. C’est vraiment un régal.

Richesse dans la construction, la plume et les émotions générées. Mais richesse aussi dans l’intertexte. L’autrice est une amoureuse de l’Asie et une geek assumée. Cela se ressent dans la plume, et dans toutes les références musicales, JV, télé… qu’elle parsème ici et là. En revanche, moi je suis une noob totale, donc j’ai dû louper, très certainement, pas mal de références. Cela ne m’a pas empêchée d’apprécier ce contexte, qui parfait l’immersion.

En pratique

Léa Silhol, Gridlock Coda, tome 1 : Romaji Horizon
Nitchevo Factory, 2018
Couverture : Mad Youri & Léa Silhol
Autres avis : Cyan a également adoré ce roman, et je suis d’accord avec elle, ce roman me semble meilleur que les autres, qui étaient déjà excellents. Je lui ai mis 20 aussi sur Livraddict… !

Vous l’aurez compris : Romaji Horizon a été une excellente lecture. Un roman que je devrai relire, plus tard. Comme tous les textes de l’autrice, il est riche, dense, plein de sens cachés, de clefs à trouver. C’est un texte qui gagne à être lu et relu, tant on l’appréhende à chaque fois différemment, tant il nous dévoile de choses différentes au fil du temps. Et notre perception change, aussi. Ce n’est pas un roman qui se lit comme une histoire avec un début et une fin, hoplaboum. C’est un texte qui se digère, que l’on doit savourer, remâcher, réfléchir. Je pense que c’est devenu mon roman favori de toute l’œuvre de l’autrice. Il y a vingt ans, je ne jurais que par Vertigen. Mais j’ai eu un coup de foudre pour le cycle de Seppen et particulièrement ce roman. Je le trouve plus frappant, plus dur, plus vif, plus juste, plus puissant. Il résonne plus fortement, vibre plus loin. Et j’ai vraiment adoré l’écriture ici, plus minimaliste que dans Vertigen mais beaucoup plus incisive et percutante. J’aime vraiment beaucoup le cyberpunk. Alors quand en plus, le récit coupe le souffle, wouah. C’est vraiment le pied.

5 commentaires sur “Léa Silhol – Romaji Horizon

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  1. Mais du coup, si je comprend bien, il faut obligatoirement avoir lu les deux autres textes, des nouvelles et recueils, avant de passer sur celui-ci ? Le cyberpunk m’intéresse, les nouvelles, beaucoup moins.

    1. Je n’ai pas lu encore Masshiro Ni, en revanche il me semble effectivement incontournable d’avoir lu Hanami Sonata avant, et même le cycle de fantasy celtique La sève et le givre + La glace et la nuit pour s’y retrouver ; sinon, on loupe complètement les liens et les échos, et on passe à côté de la portée du texte…

    1. Je ne l’ai pas encore lu, et je crois qu’il est paru après ; en tout cas, l’absence de lecture de celui-là n’est pas absolument nécessaire selon moi (enfin, ça se trouve j’aurais saisi plus de choses si je l’avais lu…). En revanche, Hanami Sonata me semble incontournable pour la suite.

      1. Oups, c’est moi qui me suis trompée, j’ai écrit Masshiro Ni au lieu de Hanami Sonata ^^ » suis fatiguée mais oui, faudra que je relise tout ça de toute façon ! (et puis on trouve toujours une bonne excuse pour relire du Silhol ;))

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