Léa Silhol – Cauda Pavonis

Et voici, après Nigredo et Albedo, le troisième opus de La glace et la Nuit. Cauda Pavonis nous ouvre les portes de Seuil que l’on franchit enfin. Cauda Pavonis est paru seulement un an après Albedo. Si je le signale, c’est parce qu’à mon sens cela explique, peut-être, pas mal des choses que je vais développer ici. Car si j’ai quand même aimé ce tome parce qu’il s’insère dans une saga chère à mon cœur et qui me passionne, et que la plume de l’autrice est une merveille, je dois quand même nuancer mon propos. Car Cauda Pavonis n’est pas, de mon point de vue, aussi bon que les précédents opus.

4ème de couverture

« Les royaumes faes viennent de subir le plus grand choc qui leur ait été infligé depuis la fondation : le retour de Seuil, la Cour Périlleuse, qui menace d’abolir des millénaires de concessions politiques, et de fragile statu quo avec les autres Sphères.
Tandis que les Monarques se déterminent, et que le conflit se dessine, les conquérants de Seuil font face à la rétivité du fief qu’ils ont voulu donner comme dernier refuge aux réfractaires, qui ne cesse d’éprouver ses citoyens et de mettre en opposition les valeurs de ceux qui prétendent à la gouverner. Leur utopie est-elle une citadelle inhabitable ?
Dans cet affrontement où chaque inimitié et chaque alliance met en mouvement la complexe et létale mécanique de Faerie, les nouveaux souverains de l’ancienne cour des Tuatha dé Danann doivent faire face aux intérêts contradictoires des Faes et à d’inaliénables dissensions internes. Un dédale dont l’antique Maison des Portes pourrait être à la fois la solution, et l’hypothétique bourreau ».

Un opus imparfait…

Un texte perfectible

Sur le plan de l’écriture déjà, cela frappe : il y a des coquilles. Du jamais vu dans les bouquins de Léa Silhol. Je parle bien de coquilles, pas de fautes. Des soucis typographiques. Pas dramatiques, hein. Mais la Dame ne nous a pas habitués à cela. Une relecture supplémentaire n’aurait pas été de trop.

D’autre part, sur le plan du récit, j’ai un peu bâillé. Cet opus est dans la continuité des Nigredo et Albedo au niveau des dialogues, à rallonge. Et puis apparaissent des personnages secondaires qui sortent d’on ne sait où et pas suffisamment exploités pour être intéressants. A contrario, je regrette la mise au second plan de personnages principaux (par exemple, Finstern perd son aura si magnétique, devenant un ours ronchonnant quand il apparaît de temps à autre). Moyennement apprécié également l’apparition d’un nouvel artefact qui redistribue les pions sur l’échiquier. Après la quête des Hallows dans Nigredo, je pensais qu’on en avait fini avec ça. Pour le coup, la sortie de ce nouveau joujou magique manque d’originalité et de cohérence avec les événements qui la précèdent. De ce fait, j’ai perdu l’émotion qui m’avait fait vibrer dans Albedo.

Un récit décousu

Surtout, ce qui m’a chagrinée, c’est le rythme de ce récit. Des scènes juxtaposées qui peinent à s’enchaîner de manière huilée, et des ellipses malheureuses.

Dans Nigredo, on apprend que pour trouver Seuil, il y a deux solutions. Isenne ou Carfax. Le choix s’est porté sur Isenne, qui fait l’objet d’un long (et magnifique) traitement dans Albedo. Mais voilà, Seuil ouvre enfin ses portes, et Carfax semble malgré tout incontournable. Alors Angharad s’y résout, et la voilà partie pour Carfax. Mission risquée, apprend-on. Chic, me dis-je alors ! Une nouvelle cité méconnue, pleine de secrets et de difficultés, j’ai hâte. Mais je n’ai même pas eu le temps de me dire tout ça qu’Angharad était déjà revenue, conquérante. L’épopée à Carfax a duré dix jours dans le bouquin, dix jours dont on ne sait absolument rien. Dix jours et trois lignes, séparées par… une énorme ellipse entre deux chapitres. Une facilité à la Deus Ex Machina qu’on n’attendait vraiment pas et qui personnellement m’a beaucoup déçue. Dommage de voir un enjeu si énorme balayé de cette manière.

Au-delà de cette ellipse, c’est un manque de fluidité que je reproche à cet opus. Celui-ci se constitue de scènes séparées par plusieurs semaines/mois/années parfois. Des scénettes assemblées de manière assez artificielle et pas toujours évidente. On dirait davantage des morceaux choisis accolés ensemble, au détriment d’une certaine continuité et d’une uniformité. De ce fait, certaines scènes arrivent comme un cheveu sur la soupe, comme les artefacts et les personnages secondaires qui débarquent. Je n’ai que très peu goûté toute l’histoire de Nemesh et de son procès face à l’époux de Faonne : ça arrive comme ça de but en blanc alors qu’en même temps ça ébranle l’équilibre de Seuil ! Ca aurait vraiment mérité quelque chose de plus développé, d’autant que Cauda Pavonis est assez court comparé à Albedo. Il y avait moyen de prendre plus de temps pour approfondir et mieux lier tout ça.

Ou un brouillon maîtrisé ?

Réflexions préalables

C’est très triste à dire pour moi, car je suis une fervente admiratrice de l’autrice, de son travail et de l’univers qu’elle crée livre après livre. Mais clairement, j’ai eu l’impression de lire un texte pas fini. Qu’il soit sorti avec autant de coquilles en est un indice.

Mais est-ce que ces choix narratifs n’auraient pas été effectués exprès ? C’est une question que je me suis aussi posé. En effet, l’autrice est réputée pour être une stakhanoviste du travail, perfectionniste et sachant très bien où elle va et où nous mener. Je sais qu’elle ne fait rien au hasard. Longtemps, l’autrice évoquait la sortie de Rubedo après Albedo. Et puis tiens, voilà Cauda Pavonis qui sort avant. Soit je n’avais rien suivi, soit ce titre était une surprise inattendue. Peut-être que Rubedo était trop gros pour être publié tel quel ? Je ne sais pas. Toujours est-il que cette sortie m’a interpelée et m’a fait réfléchir.

Ma théorie sur Cauda Pavonis

Déjà, ce titre : Cauda Pavonis. Une étape alchimique intermédiaire, entre les trois étapes traditionnelles : Nigredo, Albedo et Rubedo. Alors je me suis demandé si ce n’était pas là un indice sur la nature même de ce récit. Parce que comme je l’avais évoqué dans ma chronique sur les deux tomes précédents, je suis persuadée que la conquête de Seuil s’apparente au Magnus Opus alchimique. C’est la fin de Cauda Pavonis, qui offre un éclairage sur cette étape alchimique, qui m’a convaincue de cette théorie. En effet, Cauva Pavonis signifie Queue de Paon : la phase où toutes les couleurs s’expriment avant la transmutation finale. Une étape intermédiaire, instable par sa nature.

Seuil est conquise, mais… les ennuis commencent réellement maintenant. Car Seuil éprouve celles et ceux qui veulent se l’approprier. Seuil scinde les groupes, éloigne les uns des autres, éprouve chacun, pour les mener à la folie ou à la solitude. Elle se défend. Et puis la guerre approchant, se réunissent à Seuil beaucoup de populations différentes, issues des 3 clartés et de dizaines de cours. Plus Carfax. Bref, comment vivre ensemble en harmonie quand on frise la cacophonie ?

Alors, par mimétisme, le texte serait d’une nature similaire. Instable, comme un… effet de seuil/Seuil. Peut-être alors que cette impression de scènes décousues n’est que le reflet de la confusion qui règne dans les cœurs des conquérants, et une traduction de la division qui règne dans les murs de la cité. Il y a une impression de bordel qui règne, tant dans Seuil que dans le texte lui-même. Mais finalement, comme le dit Angharad à la toute fin : la beauté ne réside t-elle pas plutôt dans cette multitude de couleurs instables que dans une uniformité ennuyeuse ? N’est-ce pas finalement, « cohérent et somptueux » ?

 » Parfois, je l’avoue, je me prends à souhaiter que ni le blanc, ni le rouge ne paraissent. A ne désirer ni l’Albedo, ni le Rubedo. A cause de la bouleversante magnificence de l’arc d’Iris; de la vision de la Queue du Paon dans mon matras; de la splendeur de « toutes ces couleurs que nous représentons », ainsi que tu l’as posé tout à l’heure. Je voudrais les préserver toutes. Ne poursuivre aucune unité qui reviendrait à fondre ces identités distinctives en une terme homogénéité. Parvenir à ce qu’accomplit l’arc-en-ciel, en somme, au lieu de viser à un étendard uniforme : les faire voisiner toutes, se comprendre, et se conjuguer dans s’abolie mutuellement ».

En pratique

Léa Silhol, La glace et la nuit, tome 3 : Cauda Pavonis

Nitchevo Factory, 2021

Couverture : Léa Silhol, Dorian Machecourt & Greg Silhol

Autres avis : chouette lecture pour Magali,

Cauda Pavonis, 3ème tome de La glace et la nuit, est un entre-deux, selon moi. Très différent des tomes précédents, qui se caractérisaient par leur harmonie et leur complémentarité. Je me suis posé beaucoup de questions au sujet de ce livre. Des questions à mon sens qui touchent au sens de toute la série, donc pas inintéressantes du tout. Mais Cauda Pavonis n’est pas un volume qui m’a autant séduite que les autres. Je suis donc assez impatiente de voir sortir Rubedo qui viendra couronner cette série. Mais Léa Silhol m’a appris que la patience est une vertu, et je préfère que ce tome mûrisse plus longuement pour être le plus abouti possible.

7 commentaires sur “Léa Silhol – Cauda Pavonis

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    1. Hmm, pas sûre que tu prennes ton pied avec cette série; tu aimerais peut-être davantage son cycle cyberpunk japonais, le Seppenko Monogatari, mais comme il est lié à cette série de fantasy celtique à bien des égards, je ne sais pas trop si le Seppenko peut se lire (et s’apprécier) sans ce préalable. Mais si jamais l’aventure te tente et que le temps est devenu ton ami 😉 , je te conseille le roman La sève et le givre, qui vient avant La glace et la nuit. Comme ça tu vois si le style et l’univers te conviennent, et je trouve qu’il se peut suffire à lui-même avec sa fin très ouverte.

  1. Comme toi, j’avais trouvé cet opus en-dessous des autres (d’autant que j’avais tout lu d’affilée).
    Mais je n’avais pas du tout pensé à l’hypothèse que tu soulignes ! C’est très intéressant, ton analyse.
    Je suis aussi impatiente de lire Rubedo mais comme toi, je préfères patienter pour qu’il soit le meilleur possible ! 🙂

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