Léa Silhol – Hangul Express

Et voilà le dernier roman paru du cycle de Seppen ; Hangul Express est le deuxième volume de Gridlock Coda, qui suit directement Romaji Horizon. Hangul Express est découpé en deux, tant il est long. Léa Silhol signe ici un roman intense, bourré de suspense, et qui nous emmène au cœur du Grid et de la Trame. Deux livres, mais une seule chronique : pour moi, il y a une continuité dans le rythme, le récit, l’époque… Et donc, une seule chronique. Ca me semble plus cohérent. J’aurais peur de répéter inutilement des choses ou d’en dévoiler trop si je faisais une chronique par livre.

4e de couverture

Treize ans après le premier Gridlock et l’effondrement de Yule Inc. la grande grille subit le plus grand désastre auquel elle ait dû faire face. Et pendant que les runners luttent pour survivre dans une matrice fissurée irrémédiablement par sa collision avec l’Autre-Monde, les enjeux dévoilent enfin leurs faciès de revolver. Il est l’heure, tant pour les implacables gunslingers que pour les activistes rônins de découvrir s’ils sont vraiment ou pas au sommet de la chaîne alimentaire ; et pour les grandes figures de la Cité Libre de Frontier d’identifier, après des millénaires de manœuvres souterraines, le visage d’immémoriaux ennemis.
Et tandis que la grille se referme inexorablement sur ceux qui y avaient bâti leur pouvoir et fortune, il revient au plus improbable de tous les champions de sauver ce qui peut l’être, de retourner la marée, et d’unir sous sa bannière la faune impitoyable du Grid.

Hangul Express dans la Trame

Hangul Express fait partie du cycle du Seppenko Monogatari, autrement dit La geste de Seppen. Ce cycle de fantasy japonaise/cyberpunk se compose pour l’instant de 4 chants :

  • Masshiro Ni, ensemble de nouvelles précédemment parues dans divers œuvres ;
  • Hanami Sonata, composé de deux novellas : La Maître de Kodo et La maîtresse d’Echos ;
  • Puis Gridlock Coda, publié en deux volumes : Romaji Horizon et Hangul Express.

Le cycle devrait se composer à terme de 6 ou 7 chants. Son premier texte, La loi du flocon, paru dans Les contes de la tisseuse et repris dans Masshiro Ni, date de 1999. Hangul Express est sorti en 2019.

Ce cycle se trouve à la croisée des chemins, entre la suite majeure du cycle de fantasy celtique Vertigen (La sève et le givre, La glace et la Nuit : Nigredo, AlbedoCauda Pavonis), et la série de fantasy urbaine, le Dit de Frontier.

Pour plus de clarté dans cette Trame, rendez-vous par ici.

A noter que le 2e tome d’Hangul Express comprend un glossaire fort utile sur le Grid.

Baston

Hangul Express commence 13 ans après les événements finaux de Romaji Horizon. Pourtant, ce n’est pas le calme plat, chez Saeru et Neko. Ils sont devenus des adultes responsables (presque), parents, mais les ennuis ne sont jamais loin.

Pour spoiler le moins possible mais poser les bases quand même : ça va mal dans le Grid. Si la vie physique et le Grid étaient des réalités assez distinctes mais poreuses malgré tout, Hangul Express nous propulse dans un bazar sans nom où les frontières entre les deux sont bousculées, et où le Grid se casse la figure. Une sorte d’effondrement sur lui-même causé par je ne vous dirai pas quoi pour que vous le découvriez vous-même. C’est un gridlock. L’ennui, c’est qu’il y a des gens là-dedans, perdus, mal en point, qu’il faut sortir de là. Mais l’endroit est aussi peuplé de trucs méchants ancestraux.

Bref, c’est le bordel. Et qui mieux que Saeru et Neko pour nettoyer un peu tout ça ? Sans compter que bon, ils ne sont pas étrangers à ce foutoir.

Hangul Express se déroule sur un temps très resserré, quelques mois, entre août et octobre 2013. Il se passe énormément de choses, la tension et le suspense sont à leur comble, le souffle est au maximum. On retrouve quelque chose d’assez épique dans le rythme et le déroulement des événements. Nul ennui, mais il faut suivre. Ce n’est pas simple, et il y a plusieurs fils qui se croisent, plusieurs croisades, plusieurs destinées, plusieurs chemins.

Ce qui caractérise surtout Hangul Express, c’est que ça y est : on est au cœur, vraiment, de l’action. Au cœur de la Trame. Les pions ont été placés dans Romaji Horizon, et la partie est pleinement engagée. Si on retrouve encore de temps en temps quelques instants d’intimité entre les personnages et de calme, ce sont surtout des pauses entre deux manches. Le temps n’est plus à l’introspection ou à la rêverie. Et cette baston, elle n’est pas feinte. Plusieurs factions, armées, pans entiers d’Histoire et d’Epoques se rejoignent ici pour nous offrir quelque chose de grand. De violent. Ca s’entrechoque, bruyamment, violemment, puissamment. Oui, on retrouve un souffle épique, ici.

Orphée aux Enfers

Saeru ici est un peu le Orphée qui retourne chercher Eurydice aux Enfers. Eurydice ici, ce sont tous les perdus et mal en point qui sont restés coincés dans le Grid après l’Effondrement. Le cow-boy coréen va donc faire son héros au grand cœur et secourir tout ce petit monde parsemé d’embûches et d’ennemis. Mais sans montrer son grand cœur. Faut pas déconner. Ca reste musclé, efficace et précis. Redoutable.

Il y a quelque chose de mythique dans Hangul Express, au-delà de cette idée de quête aux Enfers. Peut-être est-ce du fait de la proximité avec les personnages de Vertigen, qui prennent une part active dans les événements. Angharad, mais aussi les Usher. A ce sujet, j’ai dû relire Cauda Pavonis, parce que j’étais un peu larguée, j’ai dû me rafraîchir la mémoire. Et cette fantasy celtique était mythique, reliée à tout un panthéon.

Et puis il y a de nouveau tous ces artefacts symboliques, ces énigmes. On retrouve un peu de ce qui avait fait la beauté d’Albédo et Nigredo. D’ailleurs, on retrouve aussi les Isenniens… Décidément, on a l’orchestre au grand complet. On a donc des figures antagonistes qui sortent de temps immémoriaux, des créatures mythiques, des voyages dans le temps et l’espace, différentes quêtes de personnages issus d’univers différents mais dont la réussite combinée est absolument nécessaire…

Orphée qui redescend, donc, dans ce Grid devenu dangereux, et où passer d’un sublevel à un autre relève du génie. Et puis les rôles s’inversent, ou se doublent. Orphée est lui-même Eurydice quand Neko se met en tête d’aller le chercher. Ca donne des choses qui se reflètent, comme dans des miroirs. Et je pense que c’est justement voulu, puisque Léa Silhol aime les miroirs et qu’il y en a justement plein dans Hangul Express. Tout ça pour dire qu’il n’y a pas de linéarité dans cette histoire. Cette histoire n’est-elle pas d’ailleurs la répétition d’une autre qui s’est déjà déroulée ? Il y a longtemps ? Ou bien était-ce ailleurs ?

Une complexité réelle

J’ai eu plus de mal à suivre ce tome.
Il se passe beaucoup de choses sur peu de temps, d’une part.
D’autre part, le style percutant mais minimaliste, propre au cyberpunk et que Léa Silhol maîtrise remarquablement bien, n’aide pas toujours à bien capter ce qui est en jeu. Surtout quand l’autrice ajoute de la difficulté avec des non-dits. Il y a plus de sens dans ce qui n’est pas dit, dans ce volume. Dans les silences, les phrases pas terminées, les propos que les personnages devinent (mais moi pas toujours).
Il me faudra donc relire ce tome pour bien en comprendre tous les méandres et tous les enjeux. J’ai la sensation d’être passée à côté d’un truc plus d’une fois.

La complexité vient aussi de tous ces fils imbriqués. Personnages de Vertigen, personnages du Dit de Frontier, personnages de Seppen, liés eux aussi à une histoire ancestrale. On voit bien que tout est lié, que la partition les fait jouer ensemble, mais j’ai encore du mal à tout saisir. Notamment le rôle précis d’Angharad et des Usher dans l’histoire. Je me demande si une partie des réponses n’est pas encore à venir, dans les tomes prochains. Je me suis aussi demandé si on avait tous les éléments en main sur ce qu’il s’était passé avant (après Cauda Pavonis, donc. Mais comme ce cycle n’est pas terminé non plus, je me dis que peut-être ceci explique t-il cela). (Je vous l’ai dit, faut suivre.)

Et enfin difficulté du fait de la symbolique omniprésente, associée à des jeux d’énigmes pas évidents. Je parlais plus haut des miroirs, qui font perdre pied avec la réalité. Je me suis souvent demandé où on était, avec qui, quand. A croire que l’autrice fait exprès de brouiller tout ça, pour nous faire ressentir la perte de repères ressentie par les personnages dans ce bordel souterrain. Mais de fait, c’est ardu.

Une pièce d’orchestre

Je parlais d’orchestre, tout à l’heure, et c’est tout à fait ça, et ce qui rend aussi le texte compliqué. Léa Silhol est la cheffe d’orchestre de toutes ces voix qui se répondent, chantent ensemble. Il y a un paquet de lignes. Dans Hangul Express, on côtoie des runners, des anciennes monarques de Faërie, des dragons, des IA nouvelle génération… Mais aussi des ribambelles de personnages secondaires passionnants, qui donnent davantage d’épaisseur à cette histoire.

On se retrouve donc ici face à un mille-feuilles délicieux, qui explose en bouche, mais dont on peine à en saisir le pourquoi du comment. Est-ce qu’il y a de la vanille ? Oh non, une pincée de cannelle ! Ou de l’amande amère ? Transposez ça à la musique, c’est pareil : oh un piccolo ! Non c’est une flûte. Et il y a du triangle, non ? Attends, j’entends pas, le cor joue sa partition avec les violons, là…
Voilà, on sent, on sait, que tout cela est maîtrisé, grandiose. On le sent à la lecture, à l’oreille. Mais on a du mal à comprendre pourquoi, à garder pied, et à tout suivre. Alors quand viennent les dernières lignes, avec ce point d’orgue au bord du précipice… Ciel. Ca fait un vide. J’aimerais dire « vivement la suite », mais je sais que la patience est une vertu…

En pratique

Léa Silhol, Gridlock Coda, tome 2 : Hangul Express
Nitchevo Factory, 2019
Couverture : Mad Youri & Léa Silhol
Autres avis :

Pfiou, je suis sortie décoiffée de cette lecture qui m’a littéralement habitée pendant des jours et des semaines. J’ai pris mon temps. Je suis revenue en arrière, j’ai relu des passages, j’ai fait traîner le plus longtemps possible. Et pourtant, si j’ai évidemment adoré ce tome, il m’a un peu perdue malgré tout. Pas tout saisi. Frustrant de sentir qu’on est passé à côté d’un truc crucial. Mais quoi, bon sang, mais quoi ? Allez, je le relirai volontiers. Rien que pour obtenir de nouvelles révélations et réponses. Qui me feront penser, à coup sûr, que vraiment, cette autrice. Elle est géniale.

 

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