Laurent Kloetzer – La voie du cygne

La voie du cygne est un roman de Laurent Kloetzer, publié une première fois aux éditions Mnemos en 1999. Il a été réédité ensuite chez Gallimard dans la collection Folio SF en 2001. J’ai lu ce texte dans le cadre du ABC challenge de l’imaginaire, lettre K. Ca n’a pas été une lecture réjouissante, à plus d’un titre. Retour de lecture sur ce roman.

Synopsis

« Dans la cité de Dvern, capitale du Domaine, règne l’effervescence : Jeophras Denio, le génial et fantasque inventeur, aurait mis au point un merveilleux engin capable – en théorie – d’imiter le vol des oiseaux !

Mais Dvern est soudain en deuil : le prince Nerio de Lethys, cousin de la famille royale, a été assassiné. Et tout accuse Carline, la fille adoptive de Jeophras. Comment l’innocenter ? Dans cette ville perverse aux mille intrigues, où chacun dissimule de sombres secrets, s’improviser détective n’est pas une mince affaire.

Une enquête en forme de labyrinthe s’engage, où Jeophras devra suivre les règles tortueuses d’un jeu de l’oie grandeur nature. Où il devra emprunter la difficile voie du cygne… »

Une enquête policière

La voie du cygne est une enquête policière, assez classique. Elle se déroule dans un monde pas vraiment fantasy, pas du tout SF non plus. Je dirais plutôt un mélange d’alchimie (Carline est obsédée par la pierre philosophale) et de mécanique (Jeophras est obsédé par sa machine volante). C’est assez original, d’autant que l’auteur ne prend pas du tout la peine de détailler son univers, d’en décrire l’histoire ni à quoi il ressemble. On arrive catapulté à Dvern et Lethys, à nous d’apprendre les règles du jeu. C’est un peu perturbant au début, quand on aime les choses clefs en main, mais on s’y fait bien. Comme quoi on n’a pas toujours besoin de tartines de descriptions pour comprendre les logiques d’un monde.

Enquête policière donc, mais rapide, parce que la justice dans ce Domaine est expéditive, alors il faut se dépêcher. C’est une course contre la montre, et on ne s’ennuie pas. Mais c’est sans compter toutes les galères que va rencontrer Jeophras. C’est dans un bourbier qu’il a mis les pieds, s’il avait vraiment joué au jeu de l’oie il serait tombé sur toutes les cases pourries. Il doit être de ceux qui finissent en prison au Monopoly sans passer par la case départ et qui se font taper tous leurs billets sur la case chance.

J’avoue que le guêpier inextricable est tel qu’il m’a un peu perdue parfois, mais c’est le jeu, un vrai labyrinthe. Cette métaphore du labyrinthe est d’ailleurs filée à toutes les sauces, géographiquement (Dvern, petite Dvern, Léthys, le puits et la caverne), temporellement (allers-retours dans le passé) et spirituellement (s’affirmer en tant que personne, trouver du sens à sa vie patati patata).

Sur fond de jeu de l’oie

Là réside surtout l’originalité de ce texte finalement. Le soir du meurtre de Nerio, toute cette aristocratie décadente qui s’ennuie joue à ce jeu, qui structure le texte (les chapitres, autant de coups de dés). Le jeu de l’oie est aussi en toile de fond de l’enquête de Nerio de manière symbolique (qui passe donc son temps à passer son tour, attendre qu’on le délivre, faire des sauts etc.). Tout tourne donc autour de ce jeu, à l’image de sa représentation sur le plateau. Il y a un chemin, mais parsemé d’embûches, de pièges, à éviter.

Mais la version de ce jeu ici est assez malsaine, menée par des gens qui sont là pour régler leurs comptes (et qui ne sont pas très nets dans leur tête). Le jeu s’assortit donc de gages, que doivent remplir les participants. Ces gages impliquent des actes à mener auprès d’autres joueurs (embrasser un participant, coucher avec un autre, en tuer un, se déshabiller etc.). Autant de pièges supplémentaires dans lesquels les personnages se prennent les pieds, pièges destinés à les affaiblir. C’est un jeu de l’oie pour adultes, un vrai traquenard glauque.

Un cadre et des personnages lassants

Vous l’aurez compris, l’aristocratie de La voie du cygne se tourne les pouces et est complètement fêlée. On comprend mieux pourquoi grâce aux allers-retours dans le passé. Il n’empêche que ces personnages sont tous cinglés, à part Jeophras (même Carline et Alexis révèlent quelques pètes au casque; ils sont bien gentils mais clairement n’ont pas inventé la poudre). Cette folie générale se teinte d’une bonne dose de violence brute et d’obsession charnelle et sexuelle. A la longue, j’ai fini par trouver cela pénible.

Car on a là des personnages guidés essentiellement par leurs instincts pervers. Les hommes de cette famille régnante m’ont fait penser aux Targaryen. Aussi brutaux, aussi bêtes, aussi cinglés sous le scalp, aussi affamés par le Pouvoir. Il n’y en a pas un pour rattraper l’autre. Le cliché de la brutasse sur pattes qui réfléchit avec ses organes masculins et s’extasie d’être le plus fort. Quant aux femmes, sans surprise reléguées au sort qui leur est « habituel » : des utérus sur pattes, éloignées du pouvoir, violées à tour de bras et/ou esclaves.

De là est venue ma lassitude. Je me suis demandé à un moment si Dvern n’a pas inspiré Bordage pour son Arkane, parce que ce sont là les mêmes personnages, les mêmes enjeux, les mêmes histoires (le jeu de l’oie en moins). J’ai trouvé le traitement des personnages, tant féminins que masculins, particulièrement pauvre, dénué d’imagination, cliché, et franchement agaçant.

La voie du cygne a été publié en 1999 : on est encore loin du renouvellement de situations et de personnages qu’on peut rencontrer aujourd’hui. Si je l’avais lu à l’époque, peut-être cela ne m’aurait-il pas vraiment gênée. Mais 20 ans plus tard, je me rends compte de l’incroyable évolution et diversité des schémas narratifs dans les œuvres publiées aujourd’hui, et je trouve cette rupture vraiment rafraîchissante. Un souffle d’air frais bienvenu après toute une série d’œuvres du même style, que je trouve de fait un peu poussiéreuses et datées aujourd’hui.

D’autres avis

Finissons sur une note positive avec deux avis plus réjouis que le mien :

  • Une chronique de Sia, sur son blog Encres et Calames. Elle apporte notamment un éclairage intéressant sur l’inspiration Renaissance italienne du récit.
  • Et une chronique de Saintrailles, sur son blog Epokhêlypse. J’ai aimé son regard sur les personnages, plus nuancé que le mien.

La voie du cygne n’a donc pas été une lecture très fun pour ma part. Mis à part le traitement labyrinthique de l’enquête (mais quelle enquête ne l’est pas ?) et cette toile de fond jeu de l’oie (traitée d’ailleurs de manière trop perverse à mon goût), ce roman reste classique. L’écriture ne m’a pas semblé non plus particulièrement riche, dans le travail de la langue. Et malgré les avis positifs que j’ai pu lire et qui m’ont amenée à reprendre la lecture en mode diagonale, je n’ai pas réussi à nuancer mon jugement concernant le traitement des personnages, même en remettant cette œuvre dans son contexte. Je pense que je ne suis définitivement pas le public pour ce genre de textes.

Un commentaire sur “Laurent Kloetzer – La voie du cygne

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  1. Je ne l’ai pas lu depuis longtemps et j’avoue que j’appréhende un peu. Ce livre a été écrit par un jeune type qui née connaissait pas grand chose à la vie et il y a mis ses fantasmes et le peu qu’il savait.
    Les temps changent. Merci pour cette lecture en tous cas !

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