Pierre Bordage – Arkane

J’étais attirée par la 4ème de couverture : des familles rivales, Arkane une cité mille-feuilles et labyrinthique (j’aime les labyrinthes littéraires), des conquérants menaçants, un diptyque… Cela promettait des choses intéressantes et des développements prometteurs. Une première découverte de Pierre Bordage pour moi, auteur prolifique de science-fiction et fantasy, plusieurs fois primé.

Composition et synopsis

7 familles régnantes, pour préserver l’équilibre d’Arkane. Et un jour, une famille, celle du Drac, est décimée par les autres. Toute ? non. L’irréductible Oziel résiste encore et toujours à la mort. Elle s’enfuit vers les profondeurs d’Arkane retrouver son frère, seul à même de pouvoir sauver la cité. C’est urgent : les conquérants du Nord arrivent. Renn, apprenti magicien, va devoir prévenir Oziel à temps de la menace pour pouvoir affronter ces barbares…

Cette œuvre est un diptyque. Désolation et Résurrection en sont les deux volets. Désolation a reçu le prix Imaginales 2018 du roman francophone.

Un labyrinthe limité

Beaucoup de familles, peu de personnages

7 familles régnantes, une cité labyrinthique… Rien que cela promettait d’avoir une fresque intéressante, propice aux descriptions, et à l’exploitation symbolique.

Mais finalement, des 7 familles, on ne sait pas grand chose. On connait leur nom (Drac, Orbal, Corridan, Aigle, Dauphin, Ours et Loup). On connait aussi leur blason, leur origine et leur mission (régner conjointement sur Arkane pour la maintenir à flots). 7 familles, cela fait du monde.

Mais le récit ne se concentre que sur quelques uns des personnages. La famille du Drac pour commencer (ou ce qu’il en reste : Oziel et son frère Matteo). Puis celles du Corridan (le jeune Noy), et de l’Orbal (Adamanta). Les autres font figuration. Il y avait pourtant là matière à créer quelque chose de dense, mais j’ai trouvé qu’on restait un peu trop en surface.

Je m’attendais aussi à liens complexes entre personnages et familles, des intrigues multiples… Mais ces 7 familles font plus toile de fond. Pourquoi la famille du Drac a t-elle été décimée ? Pourquoi elle et pas une autre ? Quelles sont les origines de ce complot et à quand remontent-elles ? Y a t-il eu des familles contre ? Autant de questions sans réponse car pas vraiment abordées.

Arkane

De la même façon, Arkane est traitée avec superficialité. C’est une cité à niveaux (niveaux hauts où règnent les 7 familles, niveaux bas où vivent les pauvres). Cette superposition de niveaux m’a semblé très clichée : les riches en haut les pauvres en bas. Plus on descend, plus c’est l’enfer. Les riches évidemment sont très riches, dédaigneux des niveaux inférieurs, déconnectés de la vie réelle. Les populations du dessous sont très pauvres et en souffrent. Abandonnées dans leurs cours des miracles, avec leur mécrose, leur violence et leur misère. C’est trop facile.

En revanche, le gros intérêt d’Arkane ce sont ses labyrinthes entre les niveaux, desquels on ne peut sortir qu’accompagné de la guilde des Torcherons. On a en une description spatiale assez intéressante, avec les ressentis qui vont avec (la peur, l’incompréhension, les sensations physiques : la chaleur etc.). Ce sont des passages que j’ai trouvé très intéressants, qui marquent un passage d’une couche à l’autre.

Un labyrinthe spatial, et puis c’est tout

Ce labyrinthe spatial aurait pu être un formidable ressort pour créer une réflexion sur la perte et la quête de soi. Le labyrinthe spatial aurait pu mettre en relief le labyrinthe psychologique des personnages. Ceux-ci sont confrontés à la menace, à la guerre, au changement : ils doivent évoluer, se remettre en question, tout repenser. Du moins, c’est ce que j’attendais.

Il aurait été intéressant que cette ville face apparaître les failles des personnages, dresse des murs entre eux. Elle aurait pu illustrer de manière imagée leurs tourments, leurs questionnements, leurs remise en question. Mais là encore, j’ai trouvé qu’il y avait une certaine superficialité dans les personnages; chacun reste à sa place, avec une psychologie pas assez fouillée à mon goût.

Une construction narrative appauvrie

La mise en texte

Les chapitres sont très courts, qui font se succéder des points de vue différents (Oziel, Noy, Renn, principalement). Ce roman choral aurait pu être une bonne idée. Mais les points de vue alternent trop vite et trop mécaniquement. Je n’ai pas le temps de m’accrocher aux personnages qui passent aussi vite qu’on tourne une page. Et ils sont dans l’action, essentiellement.

Les chapitres commencent tous par des chapeaux introductifs, provenant d’écrits fondateurs d’Arkane : ça c’est quelque chose que j’aime bien, qui contextualise et immerge le lecteur dans un univers. Mais sachant que les chapitres font au mieux dix pages, et que la longueur du chapeau tend à s’allonger au fil des chapitres, ça ajoute plus de lourdeur qu’autre chose. Je finissais par connaitre l’histoire du chapitre avant de l’avoir lu. Pour l’effet de surprise, c’est loupé, et c’est dommage…

Des personnages plats

Surtout, ce qui m’a le plus embêtée, c’est la représentation stéréotypée des personnages.

En effet, les personnages de premier plan sont très peu subtils, typiques, plats. Renn, est le personnage type du roman d’apprentissage, sauf qu’il n’apprend pas grand chose. Il met deux livres à comprendre son don, pile au moment opportun (ouf). Il est accompagné de son fidèle Orik (Aragorn en moins classe). Sans lui, Renn serait mort cinquante fois. Oziel, quant à elle, est la caricature d’Angélique trahie, bafouée, violentée, qui se relève, toujours. Elle aussi en met du temps à comprendre son don du feu, et que c’est elle, et non son frère, l’héroïne de l’histoire (ce dont je me suis doutée dès le début). Et elle le comprend à la fin, au moment opportun (ouf encore). Enfin, Noy, l’idiot mal aimé de sa famille, est d’une bêtise à casser du sucre, à tel point qu’il se fait avoir par Adamanta, pétasse lubrique dans toute sa splendeur qui en fait son jouet.

Quant aux personnages de second plan, on retrouve les méchants classiques (les assassins, les violeurs en puissance, les traîtres en échange d’une piécette, les parents indignes de Renn) et les gentils classiques (les pauvres bons samaritains qui ont le sens de l’honneur, les deux frères pieux de la secte de la Désolation qui « voient », la grand-mère au bon cœur de Renn…).

Finalement, j’ai trouvé ces personnages peu subtils : chacun est dans son rôle, aucun n’évolue, ne change, ne se métamorphose face aux événements. Ils sont des êtres de papier, stables.

L’intrigue et sa résolution

De la même façon, le roman se résume à une intrigue classique (les envahisseurs arrivent, il faut lever une armée), et le lecteur attend deux tomes avant qu’Oziel ne parvienne à retrouver enfin son frère et voir arriver les conquérants du Nord. Ils en mettent du temps, tous.

Ce n’est pas l’accélération du rythme par l’alternance effrénée des chapitres ni le suspense des péripéties des héros qui nous amènent au paroxysme du roman. Paroxysme d’ailleurs relatif, car honnêtement, on voit venir tout cela de loin, et on sait déjà comment cela va se terminer. Les gentils vont gagner, les méchants perdre. En revanche, le dénouement est expédié à la vitesse éclair, et là aussi j’étais déçue. Il n’y avait déjà pas beaucoup de tension dans le roman, mais le peu qu’il y avait s’essouffle en deux temps trois mouvements.

Arkane : Un Game of Thrones bis

Les 7 familles font penser aux 7 couronnes de Westeros. En revanche, GoT développe les liens de ces familles (ou plutôt la capacité de ces familles à détruire les liens) pendant plusieurs saisons. On a par exemple dans GoT une panoplie de personnages incroyables, tant principaux que secondaires, travaillés, et qui évoluent. Mais Arkane ne parvient pas, à mon sens, à ce niveau de complexité. Peut-être que cela provient aussi du format, évidemment; c’est « facile » de développer des personnages conséquents dans une série de plusieurs saisons, moins avec une duologie.

Et évidemment, il faut mentionner les conquérant du Nord, parce que quand même, ce sont eux la terrible menace qui pèse sur Arkane. Ils sont venus tout détruire (mais je n’ai pas très bien compris pourquoi). Ils sont assoiffés de sang, barbares, violents, impitoyables. Rien de les fera ployer. Et puis finalement, la baston finale… balaie ces brutasses insignifiantes en quelques pages. En face, la résistance est épuisée, lasse, démunie… mais il y a Orik (et Oziel, et Renn, qui se réveillent au moment opportun, ouf), et les gentils sont vainqueurs.

Cela me rappelle alors furieusement les marcheurs blancs, qu’on a attendus plusieurs saisons. Ces guerriers du Nord terrifiants, face auxquels un Mur de la Garde a été construit. Des guerriers qui avaient la certitude de s’emparer de Westeros facilement, tant les familles en face passaient leur temps à s’entretuer et à se diviser. Mais voilà, les marcheurs blancs, en un épisode, sont devenus fumée. Sur ce plan, Arkane et GoT même combat : attiser l’attention du lecteur, pendant longtemps, très longtemps (et Arkane n’est pas très douée pour ça), et une fois le paroxysme atteint… pouf.

Un diptyque décevant

Finalement, au bout de deux tomes, il ne se passe vraiment pas grand-chose et en même temps il se passe trop de choses, balayées très vite. On voit venir les péripéties et leur résolution de tellement loin. Des héros qui ne peuvent pas mourir, des hasards qui tombent tellement bien, des méchants très méchants, des aidants dans leur rôle…

J’ai donc trouvé que ça manquait d’épaisseur, de temps, de précisions sur les lieux, les personnages, leurs ressentis… Arkane aurait gagné à être bien plus étoffée en descriptions, en jeux de langues et d’images, tant sa structuration en couches et en labyrinthes se prêtait au jeu.

Vraiment déçue par cette première lecture de Pierre Bordage. Je m’attendais à quelque chose de dingue, mais j’ai trouvé ce diptyque très classique, superficiel, et ne réinventant pas la poudre. Vous me direz, on n’attend pas non plus à ce que tous les romans soient innovants. Certes, et d’ailleurs, le tout est assez efficace, même si la surprise n’est pas au rendez-vous. Je sais que cette duologie a plu à d’autres lecteurs, donc n’hésitez pas à la découvrir, et à vous faire votre propre avis ! De mon côté, je ne m’avoue pas vaincue : l’auteur a écrit beaucoup de choses, je ne doute pas que je parviendrai à trouver chaussure à mon pied dans son œuvre !

3 commentaires sur “Pierre Bordage – Arkane

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  1. Je suis d’accord avec vous, la réputation de Bordage est très surfaite, vu la médiocrité de son roman « Arkane ». En plus, il y a des tas de défauts dont vous n’avez pas parlé : l’auteur défigure Oziel pour rien, vu que tout le monde est au courant pour sa maladie et la poursuit en disant qu’elle a tué un « fils de famille » alors même que la sienne a été exterminée et que la légion ne fait aucune enquête ? Il y aussi le problème de la taille de la cité (qui fait environ 12 km de haut et 1400 km de large, si on se base sur les indications de l’auteur !), le passage du Laz qui nécessite un torcheron (le fil d’Ariane, ils ne connaissent pas ?), Renn et Orik qui tuent les Sixornes dans la forêt au lieu de grimper dans les arbres pour leur échapper ; cette même forêt qui repousse instantanément (et la route qu’a empruntée le père de Renn ? Comment elle pouvait exister ? Et d’ailleurs, comment son père savait-il où trouver l’enchanteur, qui habitait au milieu de nul part ?!). Il y a aussi la vision caricaturale de la noblesse (tous des violeurs !). Il y a aussi constamment de la violence, des viols, des meurtres, des crucifixions, des éventrations, émasculations, incinérations… écoeurant ! A un moment Renn détruit une maison alors qu’il ne peut agir que sur les pierres non façonnées (limité comme pouvoir), et la pierre en question est restée intacte : heuuu ? La cité d’Arkane a été bâtie par des enchanteurs : comment, vu qu’il y avait un marécage à l’origine, et donc pas de pierre ? On apprend qu’Arkane s’enfonce dans le sol : pourquoi ? Même si elle a été construite sur un marécage, le sous-sol profond, c’est de la roche et pas de la terre meuble comme le prétend l’auteur ! (en plus, il y a des grottes sous la cité : elles s’enfoncent aussi ?) Comment se fait-il que les Akchas n’aient pas eu de contact avec les bagnards, alors qu’ils sont tous dans le sous-sol ? D’où vient leur épée d’Arana, vu qu’ils n’ont pas l’air de savoir façonner le métal ? (ils se battent à mains nues, sans vêtement et sans armure) Toujours à propos des Akchas, une réflexion stupide de Renn, qui prétend qu’un jour les humains pourront vivre en paix avec eux, alors qu’ils se comportent comme les barbares du nord, et tuent sans remord ? A la fin, la cité s’effondre, on ne sait pas trop pourquoi (comme si une sculpture disparaissait à la mort de son créateur !) Comment le maître de Renn faisait pour livrer ses oeuvres ? On ne le saura pas (téléportation ?). La congrégation de Mère ? On en parle dans quelques lignes et puis hop, disparue ! Grace à elle, Renn est (enfin !) téléporté jusqu’à Arkane (hou, le deus ex machina !), puis il est poursuivi par des esclavagistes (on ne sait pourquoi) puis se cache sous l’eau d’un étang alors qu’il est gravement blessé au ventre (guérison miraculeuse ?) Qui sont les Pétrocles ? Pas beaucoup d’info… Noy meure à la fin en tuant un Pétrocle, alors qu’Orik a fait de même et n’a pas eu de contrecoup. Sabain meure aussi d’une manière inutile (mangé par les rats) ; idem pour un des deux jumeaux qui meurt et est remplacé par son frère… qui était censé être mort mais ne l’était pas : quelle utilité ? Aucune. On attendait aussi la rencontre de Renn et d’Oziel, et ça n’arrive qu’à la toute fin, et puis pouf, terminé ! D’où viennent les guerriers du nord, alors qu’Orik dit que son royaume avait exploré cette région sans trouver âme qui vive sur des centaines de lieues (1 lieue = 4km) ? Y aura-t-il une autre invasion ? Les barbares sont des personnages manichéistes : quasiment réduits à des bêtes sauvages assoiffées de sang : pas terrible ! Et comment font-ils pour envoyer des soldats par-dessus des remparts qui font une demi-lieue de hauteur ? (soit 2km !) Aucune catapulte ne peut faire ça ! Bref l’auteur semble avoir passé le concept de cohérence à la poubelle : ce n’est pas pas parce qu’on écrit de la Fantasy qu’on peut s’affranchir de la logique… D’un point de vue général, Bordage se répète de livre en livre : à chaque fois c’est violence gratuite et génocide final, sans oublier qu’il fait du « remplissage » avec des péripéties artificielles et répétitives : Oziel qui passe d’un niveau à un autre, encore et encore… (il y a le même schéma dans l’Enjomineur et les Chroniques des ombres, avec une histoire qui s’étire inutilement, comme si l’auteur voulait à tout prix remplir des pages et des pages…)

    1. Je retrouve dans votre post tout ce qui m’agaçais prodigieusement à la lecture ! Tout ce que vous pointez est effectivement un nombre invraisemblable de facilités et d’incohérences (particulièrement mauvaises) qui m’ont fait hésiter entre la colère et le rire à la lecture (mais plutôt la colère quand je lis que cet auteur est un des plus grands romanciers de fantasy contemporains…).

      J’ai essayé cependant dans ma chronique de faire au plus objectif possible, et construit, sans lister toutes ces aberrations, pour que cela reste lisible et pour ne pas trop dévoiler l’intrigue pour ceux qui ne l’auraient pas lu (et qui auraient envie de le faire, aussi bizarre cela peut-il paraître !).

      J’ai essayé aussi de nuancer mes propos (bon, d’accord, ce n’est pas très réussi, c’est un des rares livres que j’ai détestés).

      Merci pour votre passage en tout cas, qui m’a fait dire « mais ouiiiii » « mais tout à faiiiiit » ! J’aime discuter des livres que j’adore, mais aussi de ceux que je déteste ^^

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