J’ai découvert Le Chevalier à la canne à pêche de Guilhem à l’occasion d’un service de presse proposé par l’association Onze Création, que je remercie chaleureusement. Ce roman, publié chez ELP éditions en 2017 est le premier tome de La saga de l’Antévers. Le second tome, L’annihilatrice à couettes, est sorti en décembre 2020. La couverture (photo ci-dessus) de ce premier tome est magnifique, très épique et rigolote en même temps. Elle révèle bien la tonalité de cette saga.
On est dans un registre résolument fantasy, mais traité de manière humoristique et complètement déjantée. Le roman se vit plus qu’il ne se lit. Il est en effet une véritable pièce vivante, qui gigote dans tous les sens comme une truite hors de l’eau (et pourquoi une truite, bah vous le saurez en lisant !). C’est totalement dingue, et furieusement divertissant.
Synopsis
Une brave petite humaine gentille et naïve, Sélène, part à la recherche de son prétendu bienfaiteur Tylsä, engagé dans les armées de l’Archange. Derrière elle, un amoureux transi suit ses pas en cachette. Heureusement qu’il est là pour la tirer des situations rocambolesques dans lesquelles elle se fourre sans arrêt.
En parallèle, un groupe de créatures hautes en couleur réunies autour d’un « teignome » sont engagées dans une quête pour sauver le continent.
Enfin, en toile de fond, un conflit intercontinental oppose un Archange flingué de ses angelots kamikazes à un Oracle, ancien amant d’une gorgone.
Eclatement de l’intrigue
Il s’en passe des choses dans ce roman. Ça n’arrête jamais, ça fonce à 100 à l’heure, et ça part dans tous les sens. Le répit n’existe pas sur le continent : c’est la guerre ! Pas le temps de se la couler douce, ni pour la contemplation. Le lecteur n’a qu’à bien se tenir et tenter de suivre tous ces personnages complètement barrés.
Le roman commence autour de Sélène et de sa petite vie tranquille (et précaire) dans la Réserve. On fait connaissance avec quelques personnages, comme Tylsä, son prétendu bienfaiteur (un bougre crétin qu’elle veut épouser), et Lupin, l’apprenti boulanger (un gentil garçon bègue). Mais cet imbécile de Tylsä s’engage dans les armées de l’Archange. Voilà que Sélène se met en tête de le retrouver. Evidemment, elle va se retrouver dans des galères impossibles, et le pauvre Lupin la perdra de vue. Très vite, l’intrigue éclate et se démultiplie, suivant les péripéties vécues par Sélène et Lupin chacun de leur côté.
En parallèle de ce premier cadre, on suit un groupe de créatures improbables, dans une taverne d’Aleth, la grande ville du continent. En pleine partie de cartes, ce petit monde est interrompu par une contre-offensive des troupes de l’Archange qui bombardent la ville. Commence alors pour ce petit groupe une course effrénée pour survivre et poursuivre leur quête mystérieuse. De la même façon, ce noyau se retrouve scindé au gré des péripéties. Ainsi, les chapitres suivent les tribulations de tous ces personnages, de manière successive.
Le roman entremêle donc plusieurs chemins. Il suit les différentes aventures des personnages, qui se croisent, se perdent de vue, se retrouvent, se recomposent… Il faut suivre, et on ne s’ennuie pas !
Le chevalier à la canne à pêche, personnage d’un spectacle vivant
Expressivité de l’écriture de Guilhem
Dans Le chevalier à la canne à pêche, le temps presse. Les armées de l’Archange se préparent à la guerre, leur victoire est imminente. La quête du teignome At Coum et de ses amis est donc cruciale. Alors ça court dans tous les sens, littéralement. Il faut avoir un bon souffle pour réussir à suivre tout ce petit monde.
L’écriture de Guilhem, par mimétisme, va au plus efficace et au plus concis. Les paragraphes sont très courts, se succèdent comme des tableaux. De plus, beaucoup de dialogues composent le texte, et les passages narratifs sont racontés comme le ferait une voix off au théâtre. Le récit est donc très vivant, expressif. Il y a une parfaite cohérence entre le texte et le récit.
L’expressivité du texte vient aussi de son effet visuel, notamment quand At Coum s’exprime. At Coum ne parle pas : il hurle. Ses tirades sont toujours en majuscules. A contrario, le revenant parle en alexandrins… Il y a une vraie théâtralité dans le traitement des personnages et la mise en texte.
Entre pièce de théâtre baroque, film d’aventures et jeu vidéo
D’autre part, le récit offre un souffle épique, et de grandes scènes de baston mémorables. On s’y croirait vraiment. On les visualise très bien ces petits bonhommes en rang, ces angelots kamikazes qui écrabouillent tout, ces explosions… Au cinéma, il y aurait beaucoup d’effets spéciaux et une armée de figurants !
Tout ceci se donne plus à voir qu’à lire, finalement, et quelques passages relèvent typiquement du théâtre :
- de ses situations typiques (le trio amoureux, la méprise de Sélène sur l’identité de son amoureux)
- de ses artifices scéniques (« l’orage magnético-magique, purement pratique, mis en place […] pour aider les créatures non douées de la capacité à voir la nuit à se déplacer »)
- et baroques (la métamorphose du revenant).
Fantasy et humour
La saga de l’Antévers ou la fantasy prise à rebours
On est clairement dans un registre fantasy ici. Surnaturel, magie et créatures de toutes sortes peuplent ce monde étrange, et sont considérés comme normaux. On trouve là-dedans une gorgone, des fées, des harpies, des gnomes, des farfadets, des géants, des morts-vivants, des revenants, des crânes plantés au bout d’une pique en guise d’épouvantail, des angelots…
Fantasy oui, mais avec un traitement parodique. Parodie tant dans les personnages (la fée qui se fait écrabouiller par Coum, les angelots kamikazes, la truite-garou…) que dans les situations. Par exemple, le gentil Lupin maladroit affronte mille bestioles terribles (un ogre puis le « titanesque Béhémoth ») et en sort vainqueur, acclamé pour ses exploits surhumains. Il est en quelque sorte la version moderne et parodiée de Lancelot. Le motif de la quête est également très présent (Lupin de sa Dame, les autres d’un parchemin convoité) . On est clairement ici dans la parodie de l’heroïc fantasy.
Le titre du récit, Le chevalier à la canne à pêche, est un joli clin d’œil à Lancelot ou le chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes. Quant à son identité et le pourquoi de son titre… motus et bouche cousue, je vous laisse le découvrir vous-mêmes !
L’auteur dédicace d’ailleurs son livre à Terry Pratchett, le créateur des Annales du disque monde, cette somme de plusieurs dizaines de bouquins qui racontent des histoires abracadabrantesques, de fantasy, avec un humour très british, parodiant tous les codes du genre.
Attention, gens sérieux s’abstenir !
Il y a un humour complètement décalé dans ce texte, qu’on retrouve dans les dialogues (CAt oum qui parle comme un charretier et avec une franchise désarmante, l’humour de la Gorgone qui tombe toujours à côté…). Cet humour fait même passer des choses en fait assez dures comme une lettre à la poste (la vie de Sélène dans la Réserve est proche de la dystopie) du fait du ton très détaché.
Tout est relativisé et raconté de manière ludique (Dieu avec son problème d’alcool, Lupin qui n’a pas l’air de se faire trop de souci quand il est enrôlé, tout au plus trouve-t-il ça plutôt embêtant, Sélène un peu bébête…). Et finalement, cette légèreté rigolote est permise par l’histoire, sans grand enjeu. En effet, il n’y a pas de gentils ni de méchants dans ce livre (en tout cas on ne les identifie pas, et finalement, on s’en fiche même complètement).
Il ne reste alors qu’à se laisser porter par les trouvailles géniales de Guilhem, observer ces personnages complètement barrés… Il faut surtout ne pas chercher à comprendre un quelconque sens philosophique au récit !
Pas un coup de cœur, mais…
Le moins…
Le Chevalier à la canne à pêche de Guilhem n’a pas été un coup de cœur, et pour plusieurs raisons. La première vient du fait que cette œuvre gagnerait davantage à être visuelle qu’écrite. A mon avis, on perd une partie de l’expressivité du fait de la forme narrative choisie. La plupart des blagues fait sourire, mais ça manque de… vivant ?
D’autre part, le côté décousu du récit, qui accumule des actions dans un rythme soutenu et effréné, m’a un peu perdue au début. J’ai fini par arrêter de vouloir tout saisir, et de me laisser porter, et à accepter que je ne saisisse pas tout. Mais de toute façon, ce n’est pas bien grave !
En revanche, Coum m’a vraiment cassé les pieds. Sa vulgarité m’a fait rire au début, mais ce comique de répétition tout au long du livre a fini par m’agacer, j’ai finalement fini par trouver ça pénible. Je ne me suis pas faite à ses répliques en majuscules.
Enfin, c’est un détail, mais ce livre fourmille d’idées géniales, qui ne sont pas totalement exploitées jusqu’au bout. C’est le cas de Dieu, notamment, dont le traitement est un vrai régal, une bonne tranche de rire, mais on ne sait pas trop ce qu’il devient, ce qu’il est venu faire dans ces pages… bref une apparition qui aurait pu être davantage exploitée. Tylsä l’imbécile aussi aurait pu avoir des passages plus marqués dans la suite du récit. Peut-être que ce sont là des éléments qui seront gardés et exploités dans la suite ?
Mais pour finir sur le plus !
Car ce livre est un ovni fantasy. Il n’est comparable à rien, même si effectivement on sent une inspiration à Pratchett. En cela, il dénote complètement, et se trouve vraiment unique en son genre.
Il offre surtout un énorme divertissement. Ce premier tome se lit tout seul, et on se laisse très facilement embarquer dans toutes ces histoires de fous, avec ces personnages dingos… Et on s’y attache, en plus ! C’est rafraîchissant, léger, une bulle d’air bienvenue.
Et j’ai bien aimé aussi le fait qu’au-delà de cette apparente folie douce irréfléchie, cette apparence de décousu, il y a derrière un gros travail entrepris sur la narration, le texte, les références convoquées, l’ambiance générale, et le rendu global. La façon dont les scènes épiques sont travaillées, comme de majestueuses fresques hautes en couleur, et qui se détachent d’un embrouillamini de situations improbables… le montre bien.
On a finalement un roman empli de trucs de fous qui partent dans tous les sens, et le pire, c’est que ça marche, et qu’à la fin, ça fait quelque chose qui est cohérent et tient vraiment la route. C’est assez génial.
Je vous recommande donc la lecture du chevalier à la canne à pêche, de Guilhem : c’est un bon divertissement, bien écrit, qui apporte une généreuse dose de folie bienvenue, très riche… et vous aurez le loisir de poursuivre la lecture avec le second tome L’annihilatrice à couettes !
Pourquoi pas… J’avoue que certains points négatifs, notamment le côté décousu, me font dire que ce n’est sans doute pas pour moi. Mais il y a des aspects que j’apprécie grandement dans ton avis, le côté décalé en tête. A voir donc…
Je te comprends totalement et je vois ce que tu veux dire. Alors je te conseille de le garder sous le coude quand tu passeras une semaine de boulot intense par exemple, et que ton cerveau sera cramé de fatigue 😀 ça se lit tout seul, et ça divertit.