Frances Hardinge – Le chant du coucou

Après la lecture très mitigée de La voix des ombres, je ne voulais pas rester sur une note négative. Je me suis donc lancée dans Le chant du coucou de Frances Hardinge pour le Pumpkin Autumn Challenge (menu Automne frissonnant – Le portrait du mal; couverture avec un visage sinistre). Et… j’ai adhéré à ce récit fantasque, mi- comique mi- horrifique, tout droit sorti d’une imagination complètement débridée. Un récit que j’ai trouvé touchant, et très très riche.

Synopsis

« Ce qui bougea en premier, ce furent les yeux, les yeux superbes de verre gris-vert. Ils pivotèrent lentement pour se fixer sur le visage de Triss. Puis la petite bouche frémit, s’ouvrit pour parler.
« Qu’est-ce que tu fais là ? Pour qui tu te prends ? C’est ma famille. »

Quand Triss se réveille à la suite d’une noyade dont elle a réchappé, elle comprend que quelque chose ne tourne pas rond : elle est prise de fringales incoercibles, elle se réveille la nuit des brindilles dans les cheveux, et sa sœur a peur d’elle ».

Un roman en marge du réel

Une peinture des années post-1ère guerre

Le chant du coucou est un roman qui se déroule après la première guerre mondiale. Cela impacte d’abord les personnages. En effet, un frère mort à la guerre hante la famille Crescent. Le deuil n’est pas encore terminé pour ses parents, et son absence marque encore les deux jeunes sœurs. Un autre personnage est particulièrement intéressant, il s’agit de Violet Parish, la fiancée du frère disparu. Une femme qui a participé à l’effort de guerre, et pour qui le retour à la maison « dans le rang » ne réjouit pas du tout. Elle va donc continuer à travailler, multipliant les petits boulots pour s’en sortir. Une vie vue d’un très mauvais œil par le couple Crescent très conservateur. L’éducation donnée à leurs filles, le mausolée créé pour leur fils… en sont autant d’indices.

Au-delà des personnages, c’est une ambiance qui se dessine avec précision. L’essor de l’automobile, le téléphone et les standardistes, l’émergence du jazz dans les clubs privés, les petites échoppes d’Ellchester, les grands travaux d’ingénierie et de BTP pour relancer la machine, la manière de se chauffer… Plein de petits détails qui témoignent du quotidien de l’époque.

Mix Histoire / folklore

J’ai surtout apprécié que ce cadre ne soit pas juste un papier-peint pour faire joli. Déjà parce que l’histoire de Sébastian, le frère disparu, est plus complexe qu’il n’y parait. Je n’en dis pas plus, mais sachez que rien dans ce roman ne se déroule vraiment comme on l’attend. Forcément, tous les personnages et événements prennent une autre couleur et un autre visage à un moment dans le texte.

Frances Hardinge fait un lien entre cette représentation historique et son récit, issu du folklore celtique. Car Le chant du coucou revisite le mythe du changeling. Cette figure est évoquée dans les folklores irlandais, écossais et scandinaves. Le changeling désigne un leurre laissé par des créatures du Petit Peuple à la place d’un bébé humain qu’elles enlèvent. Cet enlèvement peut avoir de multiples causes, et je vous laisserai découvrir celles évoquées dans le roman.

Et ce mélange crée un contraste très marquant et très intéressant, que l’autrice exploite selon moi très bien. Elle parvient à imprégner un monde marqué par la guerre et encore assez rude, de magie et d’imaginaire. Un mélange de genres ici qui fonctionne très bien et qui est amplifié par un mélange de styles, de tonalités et d’ambiances.

Un mélange saisissant de styles

Ce qui m’a frappé dans Le chant du coucou, c’est ça : ce mélange d’ambiances, de styles et de tons.

Entre réalisme et surnaturel

Un mélange de réalisme et de surréalisme, d’abord. Réalisme avec cette peinture de société post-guerre. Et surréalisme car j’ai eu la sensation parfois de me retrouver dans Lombres de China Miéville : à parcourir un monde en négatif, bourré de non sens et absurde.

D’autre part, Le chant du coucou est un roman fantastique, sur le fil entre réalité et surnaturel. On se demande toujours où l’on va, et dans quelle sphère se déroulent les événements du roman. J’ai trouvé que le roman parvenait bien à rester dans cet entre-deux; chaque fois que l’on penche vers le surnaturel, l’autrice parvient à nous ramener dans le réel, mais tout en laissant planer le doute.

Comique-horrifique

Et puis surtout, il y a ce grand écart entre quelque chose d’assez horrifique, que la couverture retranscrit bien, et de comique. A chaque fois que l’autrice aborde le côté sombre de Triss, c’est pour nous dégoter des trouvailles complètement dingues sorties de son imagination débridée. Et ça fait sourire, en même temps que cela crée un malaise certain. Parce que c’est improbable et sans limites.

J’ai par exemple adoré les fringales de Triss, particulièrement déconcertantes, qui l’amènent à avaler tout ce qui se trouve autour d’elle. Elle engloutit alors une poupée (et ça j’ai bien aimé, parce que souvent les poupées dans les contes horrifiques c’est un peu Chucky – alors qu’elle finisse dans un estomac m’a beaucoup plu), des papiers de journaux intimes, des tissus… Complètement improbable ! Ces scènes sont de vraies régalades.

Il en résulte un émerveillement, car mine de rien, tout ceci fonctionne très bien ensemble. Mais c’est déroutant également, car on ne sait jamais sur quel pied danser, dans quelle sphère on se trouve, ni où l’autrice va nous emmener. Car elle déjoue nos attentes à chaque fois ! Ca donne l’impression de lire un roman qui part dans tous les sens et qui comporte mille tentacules. Cela déroute, mais paradoxalement ce mélange de tonalités et ces trouvailles inattendues créent quelque chose de très cohérent, et d’unifié.

Miroir, double et métamorphose

Et tout ça, pour dire quoi, dans le fond ? Le chant du coucou est un roman psychologique. En cela, il s’adresse plutôt à un public adulte. Attention, le rythme est assez lent, surtout dans la seconde partie. On n’est pas dans quelque chose d’ébouriffant et bourré d’actions.

Dualité intérieure et métamorphose

Le chant du coucou, c’est l’histoire d’un coucou : cet oiseau qui ne construit pas de nid mais dépose ses œufs dans celui des autres. En cela, il est considéré comme une espèce parasite. Une autre manière de voir le mythe du changeling.

Et donc, le roman va explorer cette thématique du double, et du double négatif; celle qui prend la place de l’autre, dont on va peu à peu percevoir les différences, le fond maléfique. Tout au long de ses pages, le roman interroge sur la nature de Triss : qui est-elle ? Qu’est-elle ? Pourquoi sa sœur semble t-elle la détester autant ? Pourquoi son comportement est-il si étrange ? Autant de questions qui vont dévoiler la psyché de Triss et révéler ses facettes pile et face. Car elle est un peu double, Triss; se battant contre ce qu’elle était, ce qu’elle souhaite redevenir, et ce qu’elle est devenue maintenant. Avec en toile de fond ces voix dans sa tête qui la hantent. Le récit raconte donc la métamorphose de ce personnage, et la manière dont on se construit en tant qu’être humain et personne unique.

Sororité et métamorphose

Dans la quête de son identité, Triss devra également faire face à Pen, sa sœur. Leur relation va évoluer tout au long du récit, et participer à la reconstruction de Triss. Cette relation offre un contre-poids intéressant à la dualité de Triss : à sa nature double et plutôt négative, maléfique, répond le double positif provenant de sa relation avec sa sœur. Ces forces contraires s’opposent et se répondent tout au long du récit et accompagnent la métamorphose de Triss. Cela crée un jeu de tensions assez dynamique ponctuant l’intrigue, d’autant que Triss doit aussi faire face à des forces extérieures négatives. A commencer par les parents étouffants au possible, mais aussi les anti-changelings qui sont prêts à découper aux ciseaux les parasites identifiés. Comme si ces créatures n’étaient que des assemblages de papiers épars. Tout ce parcours du combattant et de (re)construction de soi amène alors le lecteur vers le final tout aussi surprenant et déroutant que l’ensemble du roman, même si je m’attendais à quelque chose de plus mélancolique et amer.

En pratique

Frances Hardinge, Le chant du coucou

L’Atalante, 2018

Traduction : Patrick Couton // Couverture : Sarah Delle

VO : The Cuckoo song, 2014

Autres avis : celui de Sometimes a book, grâce à qui j’ai découvert Frances Hardinge; bonne lecture pour Elhyandra; fascination totale pour DreamBookineuse.

Finalement, j’ai aimé aussi Le chant du coucou pour ce récit de quête de soi et de sa nature profonde, face à toutes les forces négatives présentes. J’ai trouvé que le mélange de tous ces styles, ces ambiances, ces genres et ces tons mettait bien en exergue le récit de ce personnage double, et sa quête de vérité. Derrière les masques horrifiques et comiques il y a quelque chose de touchant dans cette histoire de métamorphose. Frances Hardinge a créé un récit assez tentaculaire, qui semble a priori aller dans tous les sens mais qui offre quelque chose d’unifié, une sorte de patchwork qui rend bien. Très contente d’avoir apprécié cette lecture après La voix des ombres. Je l’ai lu en ebook, je me le procurerai en papier à l’occasion. Il gardera une place de choix dans la bibliothèque.

8 commentaires sur “Frances Hardinge – Le chant du coucou

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  1. Et bien voici un livre qui t’a marqué et totalement emporté. Je ne suis pas certain d’apprécier le genre mais ce que tu en dis est des plus alléchant et attrayant. Je me le note si je tombe sur une bonne occasion de me le procurer 😉

    1. Oui, clairement ce n’est pas un livre qui conviendra à tous. Je ne suis pas sûre que ça te plaise ^^ Mais si un jour tu souhaites explorer d’autres genres, ce titre est une bonne pioche.

  2. Je suis ravie de lire ta critique positive de ce roman que j’avais lu à sa sortie et beaucoup aimé, car je trouve qu’il mériterait d’être davantage connu.

    1. Mais oui, je suis tout à fait d’accord avec toi, d’ailleurs on était plusieurs à se dire qu’il était injustement passé inaperçu à sa sortie, et c’est vraiment dommage. J’ai beaucoup aimé également ce roman, il m’en reste de très bons souvenirs et surtout celui d’une lecture fort satisfaisante.

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