Elisa Beiram – Le premier jour de paix

Commencer l’année avec une lecture qui parle de paix, c’est une bonne idée, non ? Je continue de piocher avec assiduité et régularité dans ma pile à lire de l’ultime challenge. Le premier jour de paix d’Elisa Beiram est un petit roman paru chez L’Atalante. On a beaucoup parlé de SF positive et utopiste pour évoquer ce texte et sa 4e de couverture le compare à l’œuvre de Becky Chambers. Un parallèle qui pour moi est un raccourci assez grossier et qui nuit à l’originalité de ce petit texte. Qui m’a plu, mais sans se révéler non plus aussi percutant que je l’espérais.

4e de couverture

La paix n’est pas l’objectif. C’est la solution.

2098. Aureliano est las du XXIe siècle, ses famines, ses guerres. Sa communauté s’entre-tue, isolée entre la jungle colombienne et l’océan. Seule porte de sortie : une aide extérieure à migrer et se séparer. Le vieillard lance des appels radio comme des bouteilles à la mer et érige un mausolée idéal fait des déchets déposés par les vagues. Mais une rumeur parcourt le monde : certains continuent à œuvrer pour la paix. Si Aureliano regarde vers le rivage, d’autres rêvent toujours en fixant les étoiles.

A l’instar de Becky Chambers, Elisa Beiram ne cède pas notre avenir au cynisme ni au fatalisme dans cette anticipation climatique. La gravité de la situation n’exclut pas l’espoir.

La paix dans tous ses états

XXIIe siècle, une Terre dévastée, à bout de ressources, notamment l’eau. Partout sur la planète, des conflits humains éclatent. Les populations se battent pour une gorgée d’eau ou un lopin de terre. Souvent les belligérants ne se souviennent même plus des origines du conflit.

Le roman est divisé en trois parties. La structure est le point fort de ce roman et sa plus grande qualité, particulièrement bien exécutée et porteuse de sens. Ces trois parties grandissent en taille et vont crescendo. Trois parties pour autant d’endroits parcourus et de personnages, qui tentent de construire la paix à leur échelle.

  • Vers le rivage : partie la plus courte. Aureliano, le vieux du village qu’on n’écoute plus, tente d’autres méthodes pour prévenir la violence ;
  • Vers le monde : Esfir est une émissaire qui traverse les territoires dévastés et dépeuplés pour tenter de résoudre des conflits locaux avec les populations;
  • Puis Vers les étoiles, avec America, négociatrice pour une ONG. Elle est aidée de Xa-Ög, qui travaille pour le Pacte, grande réunion de planètes placées sous le signe de la Paix et qui travaillent ensemble. La Terre est un de ses dossiers et il doit l’amener à se tourner durablement vers la Paix. J’ai adoré cette partie qui m’a semblé la plus aboutie et captivante.

On passe ainsi dans le roman d’un cadre très resserré (le rivage, avec des points de vue bornés et une incompréhension totale), à un élargissement de la vision jusqu’au dépassement des logiques terriennes. Ce dézoomage particulièrement efficace permet de réduire à rien du tout la portée de conflits quotidiens, de les relativiser.

J’ai trouvé cette construction maligne et remarquablement exécutée. En revanche, je suis un peu plus mitigée en ce qui concerne le cœur du propos.

Un manuel de CNV

D’abord parce que je l’ai trouvé assez didactique. J’ai eu une impression d’échanges très artificiels, peu vraisemblables, comme une discussion philosophique. Ca m’a un peu fait penser au Monde en Julia mais cela n’en a pas le corps ni la solidité. Comme si la paix était si facile à trouver et les conflits aussi faciles à résoudre. Certains dialogues m’ont paru tellement faciles… et certains conflits tout aussi faciles dans leur dénouement. Je comprends l’idée sous-jacente : la plupart des différends ont une origine dérisoire et peuvent se résoudre très vite. Ca m’a rappelé la formation à la communication non-violente que j’ai suivie il y a quelques années… C’est un peu comme cela que j’ai vu certaines parties du roman : une mise en pratique d’un traité de CNV.

Mais… je n’y crois pas. Je n’ai jamais été convaincue par ces méthodes utilisées seules. Suis-je défaitiste ? Peut-être… Je me souviens des propos de l’autrice dans un récent échange avec le journal 20 minutes. Je suis d’accord avec elle, les dystopies ne proposent pas toujours de solution et ont tendance à nous conforter dans notre cynisme. Si je salue le point de vue de l’autrice et ce qu’elle a tenté dans son roman, je n’y ai cependant pas été totalement réceptive. Je trouve davantage de réalisme et de vraisemblance dans les dystopies que dans les utopies, dont je ne suis pas convaincue qu’elles peuvent fonctionner.

Alors certes, c’est toujours plaisant de lire ces textes dits de SF positive de temps à autre, pour justement voir les choses autrement et se donner un petit shoot d’espoir. Mais je lis ces textes comme cela : un shoot, un mirage, qui fait du bien sur le coup, une parenthèse de rêve, avant le retour à la réalité. C’est davantage ici une question de regard sur le monde qui se dégage.

Un manque de corps

Je regrette par ailleurs la mauvaise habitude des éditeurs à comparer leurs auteurices à d’autres plus tendance. Tactique marketing, je le sais bien et je comprends l’idée, vraiment. Mais je trouve ça très moyen. Parce que ça crée des attentes qui ne sont pas totalement remplies. Becky Chambers c’est un style et des thématiques bien particulières. Pour moi, Le premier jour de paix n’a rien de chambersien. Et franchement, tant mieux. Déjà parce que je ne suis pas une inconditionnelle de Becky Chambers (ça a une logique avec ce que je raconte plus haut). Mais aussi parce que je trouve le texte d’Elisa Beiram est original et unique, il mérite donc d’être traité en tant que tel et non pas placé sous l’ombre déformée de l’œuvre d’une autre.

En revanche, ce que j’aime chez Chambers ce sont ses personnages transhumanistes et leurs relations complexes et passionnantes qui se mettent en place. Si Le premier jour de paix offre à la fin du roman des personnages différents et extraterrestres, on ne rentre jamais vraiment dans les détails. J’aurais aimé en savoir plus sur ces corps, sexualités, façons de penser et mœurs différentes. Les dialogues entre America et Xa-Ög sont par exemple très savoureux. Mais tout ceci n’est pas suffisamment développé; cela a titillé ma curiosité, qui n’a pas été entièrement satisfaite. Mais ce n’est pas le propos ici et certainement que le développer davantage aurait noyé le message central du texte.

Message qui manque malgré tout de force percutante, à mon goût. Peut-être du fait de l’aspect très didactique et creux des échanges, dans un cadre qui se veut réaliste. Peut-être aussi parce que le final, s’il est logique et n’aurait pas pu être différent, ne m’a pas surprise. Il est cohérent avec le reste, mais je m’attendais à quelque chose de plus « bousculant », surtout après la très bonne troisième partie. Mais c’est peut-être ce qui fait que je suis moins fan de SF positive : ça ne me bouscule pas.

En pratique

Elisa Beiram, Le premier jour de paix

L’Atalante, mai 2023

Couverture : Thomas Dambreville

Autres avis : Retrouvez l’avis de Stéphane, qui a aimé ce second roman de l’autrice;

Le premier jour de paix est un roman assez court d’Elisa Beiram. Le message de ce roman est simple : sans cynisme, sans défaitisme, il est possible de changer de façon de faire dès maintenant. La paix n’est pas un objectif, c’est une solution. Elle n’est pas non plus l’absence de conflits mais la manière dont on les résout. J’ai trouvé la construction de ce roman particulièrement bien faite, et j’ai adoré la dernière partie. En revanche, j’ai été moins convaincue par le message et l’angle choisi. Mais tout dépend du regard de chacun je pense… Je vous recommande la lecture de ce texte, dans tous les cas, en espérant que vous serez moins cynique que moi.

4 commentaires sur “Elisa Beiram – Le premier jour de paix

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  1. Le titre a lui seul me donne envie de lire le livre, je trouve qu’il sonne très bien. A-t-on déjà vu lecteur plus facile à appâter que moi ? >.<
    Ça me rassure presque que tu n'aimes pas trop Becky Chambers et la SF positive, ça me donne plus de chances d'apprécier ce roman plus que toi.

    1. Ah c’est vrai que ce titre fait envie, porteur d’espoir et plein de promesses.
      En effet, si tu es moins cynique et défaitiste que moi, tu as toutes les chances d’apprécier davantage ce roman 🙂

  2. Ah la cnv, ça fonctionne, mais seulement avec ceux qui ont un esprit ouvert et qui ont cette capacité à se remettre en question. 😁

    Je n’ai jamais lu de SF positive, je pense. Des civilisations du futur dans lesquelles l’utopie régnait oui, mais souvent on a l’élément perturbateur (genre Hibernatus ou homo sapiens du XXIe siècle) qui bouscule tout ça.

    Je me demande si je pourrais apprécier. 🤔 J’ai plutôt tendance à préféré les camaïeux de couleurs que le monochrome.

    1. Honnêtement, j’ai beaucoup de mal avec la CNV. J’en comprends le principe, mais je ne parviens pas toujours à la mettre en œuvre; ce n’est pas très naturel chez moi. Et selon qui j’ai en face, quand je me sens agressée ou prise à partie ou encore quand quelqu’un me manque de respect, j’ai tendance à mordre en retour et je m’y donne à cœur joie; mais évidemment, ça ne donne rien de bon à la fin 🙁 Donc j’ai plus tendance à fuir le conflit qu’autre chose pour éviter les ennuis.
      Bref, je serais intéressée par ton avis sur ce titre. Voir si justement tu y trouves de la nuance ou si c’est effectivement trop monochrome. Dans tous les cas, c’est vrai qu’il est intéressant à lire, tant son positionnement diffère de ce qu’on a l’habitude de lire; ça donne une perspective différente.

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