Morgane Stankiewiez – Meredith

Une nouvelle sortie des éditions Noir d’Absinthe, toute fraîche ! Meredith de Morgane Stankiewiez est une novella gothique, parue le 3O mars 2021. Je remercie Audrey de la maison d’édition pour l’envoi de cette œuvre, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce texte, ensorcelée par la plume de la fée Morgane. Cette lecture s’inscrit dans un double challenge : le projet Ombre 2021, du fait de son format court, d’une part. Et je me suis dit que ce texte et son autrice pouvaient être mis à l’honneur dans le cadre du Printemps de l’Imaginaire francophone 2021, dans la catégorie « Mage, mageresse, les deux ou pas ».

Synopsis

 » Nouvelle Angleterre, 1813.

Caleb Vance est destiné à un avenir ennuyeux : épouser la fille du maire, reprendre l’entreprise familiale et perpétuer la lignée. Pour lui qui rêvait d’aventures, le futur s’avère peu reluisant.

L’arrivée d’Elias Morrington et sa fille, deux Anglais fuyant la guerre qui fait rage au Nord, contrarie ce gris destin. La sulfureuse Alathea, sirène noire au charme aussi vénéneux qu’envoûtant, éveille l’intérêt de Caleb, que cette noire passion pourrait bien mener à sa perte. Les Vance ont invité le diable en leur demeure, et il semble bien qu’ils en paieront le prix… »

Meredith : une novella d’ambiance

Une œuvre éponyme

La novella porte le nom d’un des personnages de ce texte : Meredith. Meredith est une commune du New Hampshire, Etat faisant partie de la région de la Nouvelle-Angleterre. Meredith est donc d’abord un cadre géographique et temporel pour le récit. C’est également un arrière-plan historique, puisqu’il est fait référence dans l’histoire à la guerre anglo-américaine de 1812 à 1815. Plusieurs causes à cette guerre sont évoquées aujourd’hui, comme des tensions commerciales, la souscription forcée de déserteurs anglais sur le sol américain, ou encore l’invasion de terres canadiennes par les Etats-Unis. Ce cadre historique n’est pas au cœur du récit, toutefois Elias et Alethea sont anglais, ce qui évidemment aura un enjeu dans le déroulement de l’histoire.

Plus qu’un décor, Meredith est aussi un être vivant, qui vit, qui respire et qui meurt. Par métonymie, elle désigne tous les habitants, humains, qui ne font qu’un bloc. Elle est dotée d’un souffle, de veines, du pouvoir de choisir, et meurt comme tout être humain. Elle étouffe, aussi. Isolée du monde extérieur en cet hiver 1813, elle empêche tout personnage de la quitter, resserrant l’intrigue en son sein. C’est un huis-clos qui se donne à lire.

Enfin, il y a un cadre romanesque, clairement gothique. La ville, pour commencer, dans son traitement. On est dans une ville isolée du reste du pays par les neiges hivernales, et Meredith se pare de couleurs très pâles, feutrées. Son traitement humanisé ajoute à l’ambiance un peu surnaturelle. Le manoir des Vance est une demeure gothique par excellence, dans son architecture. On aurait apprécié davantage de développement sur cette ville et son ambiance, d’autant qu’elle porte le nom de la novella. Toutefois, le format court ne permet pas de s’étaler.

Une intrigue assez classique

Clairement, mon intérêt pour Meredith n’est pas venu de l’intrigue. Peut-être est-ce du fait de la longueur très courte de cette novella, qui empêche de fait de développer une intrigue captivante à multiples fils.

Celle-ci est donc classique, les rebondissements minimaux et pas vraiment surprenants, d’autant que quelques facilités ponctuent l’histoire. Classique certes, mais efficace : pas de détours labyrinthiques, un fil narratif quasiment en ligne droite, dans les pas de Caleb que l’on suit du début à la fin.

Cela dit, j’ai lu deux fois cette novella, et la seconde lecture m’a permis de déceler au gré du texte des indices, qui m’ont davantage fait apprécier l’histoire. Et ce second essai m’a apporté un autre éclairage sur la fin de l’histoire, que je n’avais pas saisie la première fois. Pour le coup, il y a quelque chose d’assez inédit et surprenant dans ce final, comme un point d’orgue, et qui clôt de manière magistrale cette novella.

Des personnages types

De la même façon, les personnages sont peu fouillés, peu complexes. Ce sont des types : Alethea la femme sulfureuse, Caleb le fils de famille, son père la figure patriarcale traditionnelle, avec sa femme dans l’ombre. Le méchant de l’histoire est tout de suite identifiable, lui non plus ne fait pas dans la subtilité. Caleb, le personnage principal, n’est clairement pas du genre attachant. Du coup, difficile pour moi d’être complètement captivée. Mais là encore, Morgane Stankiewiez crée de la surprise en inversant les rapports entre les personnages en cours de route. Ce n’est pas commun, et une autre dynamique est créée. Morgane Stankiewiez utilise donc un matériau classique, mais parvient par petites touches à créer quelque chose d’original et d’intéressant.

Une écriture tout en contrastes

Eros et Thanatos

Meredith est une novella qui met en scène la double pulsion d’amour et de mort, théorisée par Freud dans sa seconde théorie des pulsions (Au-delà du principe de plaisir, 1920). Je ne vais pas rentrer dans les détails de la psychanalyse (parce que ce n’est pas trop ma tasse de thé, et que ça me dépasse !), mais il me semble que cette théorie peut éclairer quelques aspects de la novella.

Le couple Eros et Thanatos représentent un duo qui s’équilibre. Eros, dans la mythologie grecque, est une des cinq divinités qui émergent du chaos. Il est la force qui pousse à l’engendrement, à la reproduction, associé au plaisir, à l’amour sexuel. C’est une force qui va vers, qui rend les êtres attractifs. A contrario, Thanatos est le fils de Nyx, déesse de la nuit. Il a deux jumeaux, Hypnos et Lyssa, le sommeil et la destruction. Thanatos personnifie la mort. Vous l’aurez compris, ce n’est pas folichon dans cette famille.

Selon Freud, ces deux antagonistes s’équilibrent naturellement. La vie serait rythmée par des cycles de créativité et de mort, à comprendre plutôt comme une aspiration à l’équilibre. Les pulsions de mort inciteraient l’individu à revenir à un état antérieur, et à réduire ses tensions (et vice versa).

Cette double tension se retrouve dans cette novella, vampirique et érotique. Certaines scènes sont très visuelles, et la sensualité très forte. Mais cet érotisme n’est pas là juste pour faire beau, à mon sens, il équilibre. Par exemple, Caleb voit son futur avenir emprisonné dans un mariage qu’il ne souhaite pas. Pour répondre à cet immobilisme (Thanatos), il se réfugie dans la sexualité à outrance (Eros). Alethea est également dans ce modèle, sa sexualité débridée (Eros) répondant à un état de mort prolongé (Thanatos). Elias est dans le Thanatos uniquement, et l’on voit bien que son personnage n’est pas équilibré. Pour finir, la figure du vampire n’est-elle pas la fusion de ces deux aspects dans sa nature profonde ? Je trouve donc ici que l’alliance vampire-érotisme, concept laaaaargement utilisé, fonctionne plutôt bien dans Meredith et est porteuse de sens.

Une peinture en clair-obscur

Comme pour souligner cette dualité, la plume de Morgane Stankiewiez est tout en contrastes. Son écriture ici est comme une toile du Caravage, constituée d’ombres et de lumières. Peu de couleurs en vérité dans cette novella : le noir, et le blanc. Ces deux couleurs se superposent, créant des écarts assez violents (la sirène Alethea, aux cheveux noir de jais, dans sa robe de satin noir, devant le paysage de Meredith enneigée et blanche). L’écriture oscille entre ombres et lumières, selon l’éclairage, créant un tableau pictural très contrasté, tout en clair-obscur.

La suite de la novella ajoute le rouge du sang à ce tableau, générant un réalisme brutal, allant jusqu’à l’horreur. Morgane Stankiewiez met en scène le macabre dans des scènes très visuelles. La couverture de Marcela Bolivar révèle particulièrement bien cette atmosphère tranchante.

De la même manière, ces contrastes ponctuent l’intrigue, qui se déroule tantôt le jour (le monde des humains, le monde de la raison incarnée par Abraham Vance), tantôt la nuit (le monde des créatures de la nuit, de la débauche dans laquelle se vautre Caleb). Les ressentis et sensations qui en découlent se divisent de la même manière, entre chaud (le sang, le désir, la brûlure de l’envie, la chaleur des draps froissés…) et froid (les paysages enneigés, le souffle glacial du vent, le manoir ténébreux des Vance…). Ces contrastes violents et brusques sont parfaitement mis en valeur par le style de Morgane Stankiewiez. L’intrigue est concise, efficace, directe, parfaite pour le style court adopté ici. Mais d’un autre côté, l’écriture est riche en effets d’images et de sonorités, sensuelle, travaillée, chaleureuse.

Pour finir…

Une interview de Morgane Stankiewiez au sujet de Meredith. Pour en savoir plus sur son autrice, ses inspirations, sa vision du vampire… Un échange passionnant !

En pratique

Morgane Stankiewiez, Meredith

Noir d’Absinthe, 2021

Couverture : Marcela Bolivar

Autres avis : Une bonne surprise pour Lotte Sardane, sur son blog Dans les montagnes noires

Meredith offre à première vue un récit gothique assez classique, dans son intrigue et ses personnages. Toutefois, par petites touches, Morgane Stankiewiez nous surprend, parvenant à créer de la surprise et de l’originalité là où on ne s’y attend pas. A mon sens, c’est une œuvre qui se découvre pleinement à la seconde lecture. On aurait néanmoins apprécié un format un peu plus long, permettant de dépeindre plus précisément Meredith et d’épaissir les personnages. En revanche, j’ai vraiment apprécié cette écriture de contrastes, à tous les niveaux, prolongée par l’alliance de la sensualité dans un univers macabre. Le format court peut certes créer de la frustration ici, mais en même temps j’y ai trouvé quelque chose de percutant, tant dans son écriture que dans son final atypique. C’est une œuvre singulière qui se donne à lire ici, et que j’ai appréciée.

3 commentaires sur “Morgane Stankiewiez – Meredith

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  1. C’est justement son format court qui m’intéresse. Généralement j’apprécie les romans gothiques mais je les trouve souvent trop longuets.

    1. Alors celui-là devrait te plaire ! Je suis arrivée à la fin en me disant « oh déjà ? » Alors effectivement, certaines choses selon moi auraient pu être plus étendues (j’aime bien quand ça s’étale un peu, comme la confiture) mais avec cette seconde relecture, je me suis rendue compte que ça fonctionnait très bien comme ça.

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