Premières lignes #26: Dune

Il m’en aura fallu, du temps, pour ouvrir Dune. Une sorte de crainte multiple; d’inaccessibilité, d’incompréhension, d’incompatibilité. « Un monument », ça fait son effet. Il m’aura fallu revoir Dune 1 et Dune 2 pour enfin, enfin, avoir la révélation. Alors j’ai ouvert Dune, ce chef-d’œuvre de Frank Herbert paru en 1965. A l’heure où j’écris ces lignes, j’ai avalé la première moitié du roman en deux jours. A l’heure où vous les lisez, j’aurai vraisemblablement fini les deux premiers volumes; on verra si j’aurai enchaîné sur la suite dans la foulée. Je vous laisse avec ces premières lignes #26 et on se retrouve un peu plus bas.

4e de couverture

Il n’y a pas, dans tout l’Empire, de planète plus inhospitalière que Dune. Partout des sables à perte de vue. Une seule richesse : l’épice de longue vie, née du désert, et que tout l’univers convoite.

Quand Leto Atréides reçoit Dune en fief, il flaire le piège. Il aura besoin des guerriers Fremen qui, réfugiés au fond du désert, se sont adaptés à une vie très dure en préservant leur liberté, leurs coutumes et leur foi. Ils rêvent du prophète qui proclamera la guerre sainte et changera le cours de l’Histoire.

Cependant les Révérendes Mères du Bene Gesserit poursuivent leur programme millénaire de sélection génétique : elles veulent créer un homme qui réunira tous les dons latents de l’espèce. Le Messie des Fremen est-il déjà né dans l’Empire ?

Premières lignes #26 : Dune

C’est à l’heure du commencement qu’il faut tout particulièrement veiller à ce que les équilibres soient précis. Et cela, chaque sœur du Bene Gesserit le sait bien. Ainsi, pour entreprendre cette étude de la vie de Muad’Dib, il convient de le placer tout d’abord en son temps, en la cinquante-septième année de l’Empereur Padishah, Shaddam IV. Il convient aussi de bien le situer, sur la planète Arrakis. Et l’on ne devra pas se laisser abuser par le fait qu’il naquit sur Caladan et y vécut les quinze premières années de sa vie : Arrakis, la planète con nue sous le nom de Dune restera sienne à jamais.

Extrait du Manuel de Muad’Dib,
Par la princesse Irulan.

Durant la semaine qui précéda le départ pour Arrakis, alors que la frénésie des ultimes préparatifs avait atteint un degré presque insupportable, une vieille femme vint rendre visite à la mère du garçon. Paul.

C’était une douce nuit. Les pierres anciennes du Castel Caladan qui avaient abrité vingt-six générations d’Atréides étaient imprégnées de cette fraîcheur humide qui annonçait toujours un changement de temps.

La vieille femme fut introduite par une porte dérobée et conduite jusqu’à la chambre de Paul par le passage voûté. Pendant un instant, elle put le contempler dans son lit. Il ne dormait pas ; à la faible lueur de la lampe à suspenseur qui flottait près du sol, il distinguait à peine cette lourde silhouette immobile sur le seuil et celle de sa mère, un pas en arrière. La vieille femme était comme l’ombre d’une sorcière; sa chevelure était faite de toiles d’araignée qui s’emmêlaient autour de ses traits obscurs; ses yeux étaient comme deux pierres ardentes.

« N’est-il pas bien petit pour son âge, Jessica ? »

La voix sifflait et vibrait comme une balisette mal accordée. Et la douce voix de contralto de la mère de Paul répondit : « Il est bien connu, que, chez les Atréides, la croissance est tardive, Votre Révérence. »

 » On le dit, on le dit, chuchota la vieille. Pourtant, il a quinze ans, déjà.

« Oui, Votre Révérence. »

« Il est éveillé, il nous écoute. (Elle eut un rire étouffé.) Le rusé petit démon ! Mais ceux de son rang ont besoin de ruse. Et s’il est réellement le Kwisatz Haderach… Eh bien… »

Dans les ténèbres, Paul gardait les yeux mi-clos, réduits à deux fentes très minces. Mais il voyait les yeux de la vieille femme, larges et brillants comme ceux d’un oiseau de nuit, de plus en plus larges, de plus en plus brillants, semble-t-il.

« Dors bien, rusé petit démon. Demain, tu auras besoin de tous tes moyens pour affronter mon gom jabbar. »

Et la vieille disparut, elle entraîna la mère de Paul; la porte se referma avec un bruit sourd. Et Paul se demanda : Qu’est-ce qu’un gom jabbar ?

Entre tous les récents bouleversements, la vieille sorcière était bien la chose la plus étrange qui lui fût apparue. Votre Révérence… Et elle s’était adressée à sa mère comme une servante… Une Dame bene gesserit, concubine du Duc et mère de l’héritier du nom…

Un gom jabbar…? Est-ce là une chose d’Arrakis qu’il me faut connaître ? se demanda-t-il. Et il rumina les mots étranges : Gom jabbar… Kwizatz Haderach… Il lui avait fallu apprendre tant de choses. Arrakis était si différente de Caladan… Tout ce qu’on lui avait récemment inculqué tourbillonnait maintenant dans son esprit. Arrakis… Dune… La planète des sables…

Thufir Hawat, le Maître Assassin de son père, lui avait expliqué; leurs ennemis mortels, les Harkonnen, avaient résidé sur Arrakis durant quatre-vingts ans. Ils avaient signé un contrat de semi-fief avec la compagnie CHOM pour l’exploitation du Mélange, l’épice gériatrique. A présent, les Harkonnen allaient être remplacés par la maison des Atréides qui recevrait Dune en fief sans restriction aucune. A première vue, c’était là une victoire pour le Duoc Leto mais, pour Hawat, cela représentait en réalité un péril mortel. Le Duc était populaire auprès des Grandes Maisons du Landraad, « et un homme trop populaire provoque la jalousie des puisants »…

Arrakis… Dune… La planète des sables…

Paul se rendormit et rêva d’une caverne arrakeen. Des êtres silencieux se dressaient tout autour de lui, dans la pâle clarté des brilleurs. Tout n’était que solennité, ainsi qu’à l’intérieur d’une cathédrale. Il percevait le bruit lointain de gouttes d’eau. Au cœur du songe, il se dit qu’il se souviendrait de tout à son réveil. Il se souvenait toujours des rêves prémonitoires.

Le rêve s’évanouit. Il s’éveilla dans la tiédeur de son lit… Il pensa, pensa longtemps…

Castel Caladan ne méritait pas le moindre regret. Il n’avait ni jeux ni compagnons de son âge. Le docteur Yueh, son éducateur, lui avait laissé entendre que le système de castes de faufreluches n’était pas aussi rigide sur Arrakis. Sur Arrakis, au seuil du désert, vivaient des hommes qui ne dépendaient d’aucun caïd, d’aucun Basahr, les Fremen, le peuple du vent de sable, libre de toute règle impériale.

Arrakis… Dune… La planète des sables…

Premières lignes #26 : Quelques réflexions

Quelle idiote j’ai été d’attendre si longtemps avant de mettre mon nez dans ce livre. Quelle idiote j’ai été d’avoir écouté si longtemps mes craintes fondées sur rien. Ainsi me voilà à avoir, à 36 ans, la révélation que beaucoup d’entre vous ont eue 20, 25 ans… plus tôt. Vous me direz, il n’est jamais trop tard pour rien. Alors ce blog ayant été conçu pour faire découvrir l’imaginaire à celles et ceux qui n’en lisent que peu (voire pas du tout), il me semblait particulièrement opportun de faire figurer l’incipit de ce roman dans ces premières lignes #26.

Et ce, pour que vous vous rendiez compte qu’il est très abordable, mais aussi qu’il porte en lui, déjà, tous les ingrédients qu’on va retrouver dans le cycle Dune. Quelques pages, et tout est mis en place.
Des personnages très marqués et marquants, acteurs situés sur différents plans d’un échiquier géant. De la politique, mais aussi autre chose; comme une certaine religiosité, peut-être. Avec un air d’épopée grecque. Une promesse d’aventure(s) dans un monde sur le point de basculer.
Et une manière de raconter. Alternant entre chroniques ultérieures en tête de chapitres, pensées et visions d’avenirs possibles et temps présent. Une narration qui parait linéaire mais qui est déjà bousculée pour dynamiser le récit et apporter d’autres tranches de sens à ce panorama. Je perçois aussi une grande attention à la façon dont les personnages perçoivent, sentent, devinent, analysent, et tout cela avec une économie de mots et une force de la suggestion.
Et enfin, derrière tout cela, Dune, Arrakis; la planète, au centre de ce récit, dont l’entrée ici est remarquablement mise en scène. Chuchotée, répétée.

Je vous encourage donc, par le biais de ces premières lignes, à ne pas faire la même erreur que moi. N’attendez pas des lustres avant de plonger dans Dune, en pensant à tort que le roman est difficile d’accès, cryptique, vieillissant et poussiéreux. C’est tout le contraire. En effet, ce roman est d’une fraîcheur sur tous les plans. Et sur celui du style, la traduction de Michel Demuth, revue et corrigée, y est certainement pour beaucoup.

Un rendez-vous bloguesque partagé

Ce rendez-vous créé par Aurélia du blog Ma lecturothèque est suivi par pas mal de blogueurs et blogueuses : Lady Butterfly & CoCœur d’encreLadiescolocblogÀ vos crimesJu lit les motsVoyages de KLes paravers de Millina4e de couvertureLes livres de RoseMots et pelotesMiss Biblio Addict !!La magie des livresElo DitLe nocher des livresLight and smell.

N’hésitez pas à me dire si vous participez aussi à ce rendez-vous dominical, je pourrai ainsi actualiser la liste.

La chronique de ce roman arrivera dans les semaines qui viennent. Je ne sais pas encore quelle forme cela prendra. Un billet par tome, ou un billet comparé film/livre, ou un billet pour l’arc dédié à Paul Atréides, comprenant aussi Le Messie de Dune ? On verra. En attendant, j’espère que ces premières lignes #26 auront donné envie aux uns de lire ce roman, et aux autres le souvenir d’une excellente lecture passée, à refaire, peut-être ? 🙂 En attendant, je suis assez contente de refaire des premières lignes avec des bouquins que j’ai finir par lire et qui m’ont plu ou me plaisent. Car les derniers numéros, Agrapha et Le peuple des rennes, se sont soldés par deux abandons. Renouer avec un coup de foudre, c’est top ! Je vous souhaite un bon dimanche de et de belles lectures 🙂

9 commentaires sur “Premières lignes #26: Dune

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  1. Je vais avoir 40 ans cette année, et je pense que sans ces premières lignes que tu partages et commentes ici, je n’aurais jamais mis le nez dans Dune. Merci, donc 😉

    1. Ahhh que je suis heureuse de lire cà 🙂 C’est tout le but de ces premières lignes, de faire découvrir des textes et de donner envie d’aller plus loin que les premières lignes, alors si cela t’a donné envie, contrat rempli 🙂 Et finalement, peu importe l’âge avec lequel on découvre ces textes… Quelqu’un me disait dernièrement que plus jeune, je n’aurais pas aimé autant ni compris tous les enjeux du roman. C’est vrai que ce n’est pas un texte pour un public jeune, même si beaucoup ici l’on lu jeune. En tout cas, Dune pour fêter tes 40 ans c’est fort beau 🙂

  2. Décidément, tu t’attaques aux monstres sacrés les uns après les autres ces temps-ci ! Mais « Dune » semble mieux te réussir que « La Horde ».
    Sache que je ne l’ai pas lu non plus. Pas facile de s’attaquer aux classiques quand on est déjà plongé jusqu’au cou dans les œuvres plus récentes. Mais je vais écouter ton conseil et tenter de trouver de la place pour ce chef-d’œuvre parmi mes lectures prochaines (beaucoup de SP en retard…).

    1. Oui 2024 était une année monstre en effet, si tu voyais ce qu’il y a derrière 😀
      Mais oui, Dune est une révélation, et comme je m’en doutais, j’ai enchaîné la lecture des tomes, et j’en suis au tome 3. J’ai fait le choix cette année de me détacher un peu des nouveautés, pour me consacrer aux classiques, histoire de faire un peu ma culture.
      J’espère que tes lectures actuelles te plaisent en tout cas, parce que finalement, l’important est là, et Dune ne va pas s’enfuir 😉

    1. Oui j’étais intimidée, et pourtant il n’y avait pas de quoi : c’est vrai que c’est un monument, mais finalement accessible, captivant et très lisible, pas du tout poussiéreux ni ardu. Je te le recommande, avec une dose de crainte en moins 🙂

  3. Comme d’autres, Dune m’intimidait. Je le mets au passé car ton avis me donne envie de me lancer ! Merci pour ces premières lignes et ces quelques mots extrêmement motivants !

    1. J’ai adoré les deux premiers tomes, qui constituent le 1er cycle, en quelque sorte. Ma chronique arrive bientôt 🙂 J’en suis au 4, j’ai un peu peiné sur le tome 3 mais bon, j’étais en vacances et j’ai lu de manière très décousue, ça n’a pas aidé.
      Je confirme donc que c’est une œuvre accessible, passionnante et les sujets traités dans les 2 premiers volumes le sont remarquablement, franchement j’ai été bluffée !

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