Pause Café #34 – Réécrire les œuvres du passé ?

Bonjour à toutes et tous, et bienvenue dans cette nouvelle Pause Café #34 ! Aujourd’hui, je voudrais discuter avec vous d’un sujet qui a un peu secoué Twitter ces dernières semaines. Sans doute en avez-vous entendu parler. Il s’agit de la réécriture des bouquins de Roald Dahl et ceux de Ian Fleming, avec sa série James Bond. Réécriture modernisée, avec retrait de tout un tas de références jugées offensantes. Réécrire les œuvres du passé, une bonne idée, ou pas ? Censure, ou pas ? 

Le débat s’envenime, comme toujours, et très vite. Pour caricaturer et reprendre les insultes fleuries trouvées dans les « argumentaires » des uns et des autres, on aurait des « néo culs bénis«  facilement choquables, qui chouineraient pour rien et souhaiteraient transformer la littérature en monde bisounours et ouaté. Et en face, des « boomers », qui ne verraient pas où est le problème parce qu’ils se situeraient dans une position de dominance bien confortable. Billets d’humeur, insultes qui fusent, moqueries : j’ai entendu de tout. C’est la magie des réseaux où personne n’écoute l’autre et où seul importe le bon mot qui va faire parler. Le dialogue reste très binaire « j’ai raison / tu as tort« , avec moult mépris.

De mon point de vue, ce sont des débats sociétaux qui traduisent un changement de regard sur notre société, qui subit des évolutions profondes en cours. D’ailleurs, cette Pause Café #34 n’a pas pour but de désigner qui, selon moi, a raison ou pas.

Retour aux faits

Avant de plonger dans le vif du sujet de cette Pause Café #34, revenons aux faits.

Roald Dahl

C’est d’abord Roald Dahl qui a fait parler de lui. Cet auteur jeunesse, mort en 1990, est l’auteur de James et la pêche géante, Charlie et la chocolaterie, Matilda etc. Tout un tas de livres qu’on a dévorés enfants.

C’est un article du Telegraph qui dévoile « l’affaire », le 17 février. Il s’agit d’une réédition des textes de l’auteur par son éditeur, Puffin Books. A noter que cette idée n’émane pas de l’éditeur mais des ayants-droits de l’auteur. Cette réédition propose la suppression et la reformulation de tout un vocabulaire jugé offensant aujourd’hui. Tous les termes grossophobes, relatifs à la santé mentale ainsi qu’aux questions raciales et de genre ont été supprimés ou reformulés.

Finalement, après l’intervention de personnalités publiques comme Salman Rushdie ou encore Camilla en faveur du maintien des textes d’origine, l’éditeur a annoncé souhaiter conserver ceux-ci en parallèle des rééditions révisées, de manière à satisfaire tout le monde.

De son côté, Gallimard, éditeur historique de l’auteur en France, a annoncé ne pas souhaiter suivre ce projet de révision rééditée.

James Bond

Une semaine après, c’est un bis repetita avec la série James Bond de Ian Fleming.

L’idée est la même. Cette fois, elle émane d’un groupe de sensitivity readers, des consultants et relecteurs qui, aux-côtés d’une ME (ici en l’occurrence, Iam Fleming Publications), débusquent des termes à même de choquer aujourd’hui. Il s’agit d’une réédition (en VO) révisée à l’occasion du 70ème anniversaire de 007 (1954, parution de Casino Royale). Les textes de la série seront nettoyés de tous les termes jugés offensants, sexistes et racistes. Ca passe par exemple par le changement du mot « nègre » par « personne noire », ou la suppression d »expressions comme « les femmes ignorantes » ou « le goût sucré du viol ». Idem pour le « handicap tenace », qui désigne dans le texte d’origine l’homosexualité.

A noter que cette révision s’inscrit dans une démarche plus large, que l’auteur de son vivant avait acceptée. Par exemple, les scènes de sexe avaient été édulcorées pour ne pas choquer le lectorat américain.

Pour les ouvrages révisés, une note accompagnera le texte. « Ce livre a été écrit à une période où certains termes et attitudes, pouvant être considérés comme blessants par des lecteurs contemporains, étaient habituels. Une série de mises à jour ont été apportées à cette édition, tout en restant aussi fidèle que possible au texte original et à la période dans laquelle il s’inscrit ».

Une tendance de fond

Ces deux faits rapprochés ne sont pas les premiers. En effet, en 2020, c’est la série d’albums Martine qui était retoilettée. Par exemple, Martine petite maman est devenu Martine garde son petit frère. Dans le même temps, Les dix petits nègres sont devenus Ils étaient dix en français, par choix de l’arrière-petit-fils de l’autrice. A noter que le roman, publié en 1938, parait aux Etats-Unis en 1940 sous le titre And Then There Were None. L’autrice avait accepté de changer le titre de son roman aux USA. La France était le dernier pays à ne pas avoir encore changé le titre du livre (Allemagne, 1944; Italie, 1946). On peut évoquer aussi le cas en 2005 du Club des cinq dans la bibliothèque rose et verte, même si le but était différent (simplification du langage pour les jeunes d’aujourd’hui).

Pourquoi réécrire ?

La réécriture et la littérature jeunesse

Ces réécritures ne sont pas un phénomène récent. Un article de décryptage de l’Express paru le 24 février analyse ce phénomène de réécriture dans la littérature jeunesse (réservé aux abonnés). Plusieurs universitaires reviennent sur ce sujet et évoquent un mouvement permanent, depuis la naissance du genre romanesque. Un François le Champi de Sand dans lequel une maîtresse devient amie, un Trois mousquetaires sans scène d’amour entre d’Artagnan et Milady, ou encore l’éditeur de la Comtesse de Ségur qui lui demande de toiletter son texte avant publication…

Car le livre jeunesse est un lieu d’instruction et de divertissement. Ne pas choquer le jeune public, l’instruire tout en le divertissant : c’est d’ailleurs l’argument principal des sensitivity readers. Pour eux, la lutte contre la haine, omniprésente dans notre société, doit passer par la suppression de tous ces stéréotypes raciaux, sexistes, homophobes etc. dans les ouvrages destinés à un jeune public. Qui n’ira de toute façon pas lire une préface remettant l’œuvre dans son contexte.

Il y a enfin un objectif éditorial économique évident derrière cela : celui de trouver un nouveau public, notamment Young Adult. C’est tout l’intérêt d’une double édition : attirer et satisfaire deux publics différents.

Toute culture n’est-elle pas le produit d’une réécriture ?

C’est évidemment plus large que le sujet de départ, mais je me demande si ces volontés de réécriture ne s’inscrivent pas dans un mouvement plus large : réécrire notre Histoire et notre culture pour (re)construire une certaine idée de société, reconditionner dans le présent notre rapport au monde.

Cette idée m’est venue en lisant un article récent paru au Monde sur le rejet par des étudiants de cinéma de toute une partie de notre socle culturel commun (réservé aux abonnés mais lisible entièrement ici). J’ai le sentiment qu’il y a dans ces récriminations un écho à celles qui se trouvent derrière la volonté de réécrire des œuvres du passé. Dans les deux cas, il s’agit de prendre de la distance avec le passé, de le remodeler, pour changer notre regard sur le présent. Je précise que c’est une interprétation tout à fait personnelle.

Pourquoi en arrive-t-on « à ces extrémités » ?
Parce que d’une part, ce socle commun n’est pas commun du tout. Il ne parle qu’à la partie dominante de la population; et c’est « normal », puisque c’est elle qui écrit sa propre Histoire, forge sa propre culture, avec son regard et soucieuse de ses intérêts. C’est d’ailleurs ce qu’illustre la journaliste et autrice Rokhaya Diallo dans cet article de Slate, à propos du terme « nègres » dans le titre du livre d’Agatha Christie.
Et d’autre part, je pense qu’il y a une lassitude quant à ces références considérées comme des modèles, tant et tant rebattues, revues, toujours considérées avec ce seul regard unique. Et jamais, ces modèles n’évoluent, ne sont interrogés ni estimés à leur juste niveau. Un seul exemple : on connait tous le Brutus de Voltaire, mais qui connait le Brutus que Catherine Bernard a écrit 40 ans plus tôt, œuvre dont la maternité a longtemps été niée grâce à ce même Voltaire qui a allègrement pompé dedans ? (Titiou Lecocq, Les Grandes Oubliées. Pourquoi l’Histoire a effacé les femmes, L’Iconoclaste , 2021).

Réécrire le passé pour reconstruire le présent

Je pense donc que remodeler des textes du passé pour les faire correspondre aux idéaux sociétaux contemporains répond au même objectif que celui de refaire l’Histoire et de toiletter la culture : celui de faire évoluer notre société actuelle. Si on change le passé, notre présent n’est plus le même (pensez à Retour vers le futur !). En effet, on se construit sur un passé. Or quand on reconvoque systématiquement une culture passée, brandie comme une référence intouchable, alors même qu’elle exclut les uns et violente les autres, forcément cela modèle négativement notre présent.

Tout ceci répond selon moi à une volonté très claire de former un monde plus inclusif, ouvert à la diversité et dénué d’une violence systémique, invisible pour celles et ceux qui n’en sont pas les victimes. Rien de bisounours là-dedans, et je ne vois rien « d’ouaté » dans ces idées. Si la littérature contemporaine commence à évoluer dans ce sens, celle du passé reste un témoignage très vif d’un système de pensées et de valeurs jugées aujourd’hui obsolètes, rétrogrades. Nombre d’œuvres du passé contiennent une vision et des propos clairement sexistes, homophobes, racistes etc. Forcément, puisqu’elles reflétaient leur époque.

Réécrire le passé serait donc une manière d’accélérer les évolutions du présent, de se défaire d’un passé qui serait comme un boulet au pied. De détricoter plus facilement des rapports de force sociaux qui existent encore aujourd’hui, notamment par leur présence sans cesse réaffirmée dans la culture et la littérature passées.

Expliquer, plutôt que réécrire

Autant je partage les idéaux qui sont à l’origine de ces faits, autant je ne suis pas convaincue par la manière de les atteindre.

Expliquer, accompagner, plutôt que gommer

Gommer, réécrire, reformuler : cela n’effacerait-il pas un passé qui gagnerait à rester tel quel, quel qu’il soit? Comment parvenir à mesurer et à comprendre tous les combats qui ont suivi sans ces témoignages ? Oui, des auteurs ont été colonialistes, racistes, sexistes, homophobes, grossophobes, antisémites etc. Et il serait bon de ne pas laisser croire que leurs discours n’ont pas existé.

Dans le cas de Roald Dahl, je trouve la réécriture encore moins pertinente car elle lisse un vocabulaire choisi par un auteur aux idées nauséabondes. L’auteur se disait lui-même antisémite. Alors gommer ce qui fait sa pensée me gêne, car cela efface en même temps la pensée de l’auteur. Je préfère qu’on se souvienne de ses mots précis, tels qu’il les a choisis, les plus à même de refléter ses idées, quelles qu’elles soient. Comment les faire comprendre aux générations futures, si son discours est policé ?

Remettre dans le contexte

Remettre dans le contexte ne veut pas dire excuser. Ca ne rend pas moins abject le contenu d’une œuvre. C’est plutôt un recul qui permet là encore de prendre une distance nécessaire. Pour mesurer l’écart, justement. Et faire réfléchir.

Ca me semble être le plus important à faire, en tant que lecteur mais aussi (et peut-être surtout) en tant que prescripteur. Et je constate que c’est un effort que peu font, et ce des deux côtés. A l’occasion de ma lecture de Ravage de Barjavel, j’ai lu des chroniques qui pointaient du doigt le sexisme de l’auteur, qui expliquaient en quoi c’était insupportable et pourquoi ça avait amené leurs lectrices à abandonner le texte. De mon point de vue, c’est un peu embêtant. Oui, la vision sociétale de Ravage est pétainiste. Car son auteur a lui-même eu des accointances avec le pétainisme. J’ai eu envie de dire à ces personnes : « Hey, what did you expect ?! » Pourquoi avoir voulu le lire, alors ? Céline est notoirement antisémite, donc forcément, ses textes en témoignent. L’inverse serait totalement incohérent. L’argument de « redécouvrir » ces auteurs autrement non plus. Ce n’est pas en gommant des passages que les auteurs concernés deviendront passables.

Autant c’est un effort à faire en tant que lecteur, autant c’est également indispensable à faire du côté des prescripteurs. Je me souviens avoir pesté à la lecture de Ravage, car aucune préface/postface n’accompagnait le texte. C’est inconcevable !

Changer de référentiel

Personnellement, ferais-je lire Roald Dahl aux jeunes générations ? Ai-je envie de lire Ian Fleming ? Franchement, non. Parce que c’est poussiéreux et le point de vue ne me plait pas du tout. Même en remettant dans le contexte, ça me ferait grincer des dents.

Et s’il faut se tourner vers le passé, redécouvrons des auteurs et autrices oubliés (peut-être d’ailleurs plus en accord avec nos attentes actuelles) ! Certaines œuvres sont vieillissantes et dégueulasses ? Hé bien lisons autre chose, ce ne sont pas les bouquins qui manquent. Rien n’empêche de repérer tous les livres qui mériteraient un signalement sur ces questions, et de les accompagner soit d’une note, soit d’un appareil critique. A mon sens, les James Bond ne méritaient pas un gommage – malgré la violence de certaines phrases. Une note d’attention aurait suffi. Au lecteur ensuite de prendre la distance avec ce qu’il lit : la lecture n’est pas un acte passif, et un lecteur adulte est en capacité de faire cet effort. Et je pense qu’il appartient aux parents d’accompagner leurs enfants dans la lecture.

Pour ma part, je considère que rafistoler ces textes est une perte de temps colossale, qui bénéficie surtout aux auteurs concernés. Je préfèrerais que l’énergie dépensée pour ça soit focalisée ailleurs. Sur la recherche d’autres auteurs à lire et découvrir, par exemple. Les littératures contemporaines imaginaire et jeunesse fourmillent de discours inclusifs, pleins de diversité etc. Sur la remise au goût du jour et l’enseignement d’œuvres d’artistes oubliés/balayés. Bref, sur la mise en place d’un autre référentiel culturel passé et présent, dans lequel le tapis rouge n’est pas systématiquement déroulé pour les mêmes auteurs, les mêmes bouquins, encore, et encore, et encore…

Et vous ?

Bon, j’ai beaucoup soliloqué, j’espère que ce n’était pas trop indigeste. J’ai retravaillé ce texte et affiné ma pensée et mon argumentaire des jours durant, pour que ce soit le plus fluide et compréhensible possible. Ce sujet mérite mieux que des tweets envoyés à l’arrache, et il ne sera pas solutionné en deux minutes. J’ai conscience que cette pause café #34 est loin d’être aussi récréative que les précédentes, mais j’espère que le sujet et les différents articles partagés ici vous auront intéressés.

J’aimerais bien avoir votre avis sur la question, si vous en avez un. Que pensez-vous de la réécriture de textes de Roald Dahl et de Iam Fleming ? Est-ce que c’est une entreprise que vous validez entièrement, ou émettez-vous des réserves ? Si oui, lesquelles ?
Est-ce que la révision de ce type de textes serait susceptible de vous faire découvrir toute une panoplie d’auteurs et d’œuvres qui vous répugnaient jusqu’ici ?
Y a t-il des textes que vous souhaiteriez voir dépoussiérés et modernisés ?

Voilà, c’est la fin de cette Pause Café #34 ! Je pense que c’est un sujet très vif, qui reviendra sur le devant de la scène encore et encore. Et il n’est pas impossible que mon opinion dessus évolue. Je vous ai livré ici mes réflexions actuelles, mais mon point de vue pourrait changer, s’affiner ou se nuancer selon mes lectures et les arguments des diverses parties.
Je vous prépare d’autres sujets bien touchy pour les semaines à venir, notamment un sur Chat GPT, mais je suis encore en train de me documenter dessus. J’espère que le sujet vous aura plu et amené à réfléchir à ces problématiques. Je vous souhaite un très bon week-end !

24 commentaires sur “Pause Café #34 – Réécrire les œuvres du passé ?

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  1. J’ai trouvé ton article passionnant et bien déroulé. Je suis d’accord avec toi sur pas mal de points, et je réfléchis encore à d’autres. Peut-être que je changerai aussi d’avis sur certains détails. Enfin il y a une chose qui revient par moments, et que je crois tu n’as pas évoqué, ou pas en ces termes exacts ci-dessus : malgré les effets de contexte, qui sont bien réels, certains auteurs étaient déjà considérés comme dégueulasses par leurs contemporains. ça ne change à rien à la réflexion sur : que lire, que ne pas lire, que censurer ou réécrire. Mais le contexte ne fait pas tout, n’excuse pas tout. Même si l’antisémitisme ou le racisme, par exemple, « passaient » mieux à une époque qu’à la nôtre, ce n’est pas pour autant que des personnes étaient déjà vent debout contre cette idéologie aux époques de Lovecraft ou Céline.

    1. Tu as tout à fait raison, et tu me rappelles d’ailleurs que c’est une idée que tu avais déjà posée dans une pause café sur la distinction auteur/personne. Tu avais déjà cité Lovecraft d’ailleurs, en pointant du doigt que « remettre dans le contexte » était certes qqch à faire mais d’un autre côté, à l’époque de, d’autres artistes ne partageaient ni n’écrivaient de telles idées.
      Remettre dans le contexte est une expression un peu trop large, mais dans mon esprit c’est bien ce que tu pointes : non pas ramener à l’époque où « c’était courant » de penser comme cela – car comme tu le dis, c’est inexact -, mais plutôt mettre en relief le texte et la personne (comme dans le cas de Ravage de Barjavel par ex. : oui le texte est puant sur certains points, et cela s’explique par les idées pétainistes de l’auteur – et non de l’époque). Ce qui, tu le constates, détruit complètement mon argumentaire de ma pause café précédente, sur le fait de distinguer auteur et texte ^^ J’ai fait cette pause café il n’y a pas si longtemps que cela, et pourtant depuis mon avis sur le sujet a déjà bougé… !

  2. Encore un article intelligent, instructif et nuancé, une fois de plus. Je trouve que tu as très bien cerné le problème, et posé dessus un regard éclairant, qui change des prises de position à l’emporte-pièce qu’on peut lire en ce moment sur le sujet (twitter…). J’avais tendance personnellement à être contre les réécritures (y compris les simplifications pour les enfants, je me rappelle avoir été frustrée enfant en découvrant que le texte que j’adorais était en fait tronqué d’une bonne partie – idem adulte avec certaines éditions de SFFF américaine), mais tu as rappelé un point auquel je n’avais pas pensé : les enfants n’iront pas forcément lire les avertissements et autres mises en contexte et prendront le texte tel quel. Mais, comme tu l’as si bien souligné, sont ils obligés de lire Ian Flemming et Roald Dahl aujourd’hui, avec tout le choix qu’ils ont ? Tu avais raison de rappeler qu’au delà d’une « morale » que voudrait nous imposer certains, il s’agit surtout de s’affranchir ou de questionner la culture hégémonique venue d’une élite « dominante » qui s’impose pour tous (par le biais de l’école, du monde de la culture etc), afin de proposer autre chose. Dans ce cas-là, pourquoi s’obstiner à lire ces auteurs qui ne nous parlent pas ? Ne devrait-on pas plutôt discuter de leur place dans les programmes ? Et, de toute façon, s’ils sont lus en cours, ne bénéficieront-ils pas de toute façon d’une mise en contexte de la part du prof ? Je constate que ces histoires de réécriture, pour l’instant, touchent les œuvres considérées comme des classiques et qui sont proposées à l’école. Personne n’a encore décidé de se pencher sur le cas des San Antonio, par exemple…

    1. C’est effectivement un point qui m’a interrogée aussi mais que je n’ai pas mentionné dans mon billet, à savoir : si on commence à toiletter tel texte, où s’arrête-t-on ? Tu évoques les San Antonio, c’est un très bon exemple. J’ai aussi en tête les Arlequin – franchement, s’il fallait remettre son nez dedans, je pense qu’on pourrait modifier pas mal de choses là-dedans… Et tous ces pulps des années 50 (rien que certaines couvertures sont révélatrices…).
      Mais comme tu le pointes aussi du doigt, ces volontés de réécriture semblent se focaliser pour l’instant sur des classiques (qui gagneraient effectivement à être réinterrogés sur leur place à l’école – mais est-ce le cas ? Je n’enseigne pas et n’ai aucune idée des programmes, aussi je n’ai que des questionnements : par exemple, lit-on Voltaire de la même manière qu’on me l’a enseigné ? Lit-on des autrices oubliées ? Lit-on autre chose que les mêmes bonhommes depuis des années et des années ? J’ai rien contre Flaubert, Hugo, Balzac, Rousseau etc. en soi, mais pfff j’aimerais qu’on change de disque… ou du moins, entendre des petites notes différentes à côté). Mais l’article du monde semble laisser penser que cette place n’est pas discutée, ni réinterrogée, et la remise en contexte « oubliée » (bon, ça reste très centré sur les écoles de cinéma, donc je ne me prononcerai pas sur le reste).

  3. J’aurais voulu dire que c’est « au lecteur ensuite de prendre la distance avec ce qu’il lit : la lecture n’est pas un acte passif, et un lecteur adulte est en capacité de faire cet effort. Et je pense qu’il appartient aux parents d’accompagner leurs enfants dans la lecture. » mais tu l’as dit avant ! Bravo pour cet article très bien construit et instructif !

  4. Une article ultra intéressant et très très loin d’être indisgeste. Merci pour ton analyse pertinente et documentée. Je t’avoue que quand ils ont changé le nom du roman d’Agatha Christie, je n’ai pas compris, je n’étais pas d’accord, surtout parce que j’etais « habituée » à ce titre et qu’il n’y avait pas volonté pour moi de racisme mais de référence à la comptine fil rouge du roman. Mais je n’avais pas vraiment cherché plus loin que le bout de mon nez et aujourd’hui, après m’être documentée, je trouve le nouveau plus adapté. Concernant les réécritures de roman, je te rejoins. Je préfèrerais une postface qui alerte (un peu comme ce qui a été mis en intro de certains disney il me semble) et qu’on dépense de l’énergie et de l’argent pour des œuvres nouvelles, modernes, contemporaines, inclusives et à même de remplacer à termes ces oeuvres du passé qui ne refletent plus la pensée d’aujourd’hui.

    1. Figure-toi que j’étais dans le même cas que toi : je me suis insurgée du changement de titre à l’époque, mais sans vraiment avoir cherché à comprendre pourquoi ni me pencher sur l’historique de ce titre. Pour le coup, je trouve aussi le nouveau titre plus adapté, enfin surtout le titre américain qui reprend la dernière phrase de l’œuvre. Mais ça pourrait être un peu spoilant d’un autre côté.
      On se rejoint sur l’énergie à dépenser pour d’autres œuvres, et sur l’encadrement des textes « problématiques ». Et si ce sont des œuvres jeunesse, je pense que les parents et l’école ont leur rôle à jouer pour accompagner le jeune public.
      Merci pour ton retour! J’espère que ça a bien occupé une partie de ton trajet 😉

      1. Spoilant pour un livre aussi vieux et avec Internet? Je suis pas certaine^^ Si mes fils aiment la lecture j’essayerai de les orienter vers des romans plus récents et modernes. J’ai hâte qu’ils commencent la lecture (enfin là ce sera mon aîné en septembre).

  5. Pas grand-chose à ajouter à ton argumentaire assez complet (du moins, par rapport à l’état actuel de mes réflexions). Je suis, dans l’ensemble d’accord avec tes conclusions même si, moi, je ferais quand même lire Roald Dahl (tout en détestant le bonhomme) car j’ai aimé ces histoires.

    Je pense que nous sommes dans un moment de réflexion commune qui accouchera, je l’espère, d’une solution tout sauf extrémiste.

    Et j’espère également que les réécritures nettoyées disparaitront car, comme tu le soulignes, c’est pour beaucoup une histoire de gros sous : les héritiers veulent continuer à toucher des droits, alors ils tentent de continuer à faire vivre les textes par tous les moyens. Même les moins nobles.

    Merci pour cette lecture fort instructive et pas du tout indigeste.

    1. Merci pour ton retour ! J’ai encore lu un article hier soir sur ce sujet qui apportait un autre angle de vue fort intéressant. L’article était contre la réécriture, et estimait qu’on demandait aux auteurs, par ce biais, d’être davantage des garants moraux d’une époque donnée que des faiseurs d’histoires. Je trouvais cela fort à propos aussi, mais je n’ai pas eu le temps de réfléchir à ce point de vue (et mon billet était déjà rédigé).
      Comme tu le dis, c’est un moment de réflexions communes, qui se heurtent, se mélangent et se nourrissent, et je trouve ça assez passionnant (quand on arrête de s’engueuler évidemment et qu’on a quelques arguments).
      Et oui, tu pointes du doigt quelque chose de très pertinent : à qui cela profite t-il le plus ? Aux auteurs concernés (quand il ne sont pas morts) et aux éditeurs et ayant droits, très clairement. Et que ça fasse autant parler leur rend beaucoup service aussi.

      1. Effectivement, cet article dont tu parles apporte une hypothèse très intéressante. On demande souvent beaucoup à ceux qui ont une parole qui porte. Et les romanciers sont là avant tout pour nous distraire. Ils peuvent aussi vouloir nous faire prendre conscience de certaines choses, mais ce n’est pas leur premier « devoir ». Ne faisons pas peser sur eux les responsabilités de la société civile.

  6. Personnellement, cette histoire de réécriture m’a laissée dubitative dès le départ. Soit un auteur est vraiment « problématique » (raciste, antisémite et j’en passe) et dans ce cas on peut tout simplement arrêter de le publier, il l’a déjà largement été et ça fait de la place aux autres ; soit il ne l’est pas vraiment et on continue de publier tel quel. Dans les deux cas, il n’y a aucune raison de modifier le texte.
    J’ai trouvé intéressant le passage sur la réécriture du passé qui finirait par l’édulcorer, d’autant que cette réécriture ne me paraît pas franchement compatible avec le fait de rappeler à tout va (et sans doute à raison) les injustices du passé pour pousser à ne plus commettre les mêmes erreurs. Il faut être cohérent si on veut se faire entendre, rappeler que le passé était tel qu’il était, sans l’excuser mais sans s’acharner non plus, pour bien voir d’où on part et faire mieux à l’avenir.

    1. Je suis d’accord avec toi, j’ai l’impression aussi qu’on redécouvre aujourd’hui que tel auteur avait telles idées, comme si on ne s’en était pas rendus compte avant. Bon, dans le cas de Fleming, je ne suis pas certaine que son discours ait été jugé problématique à l’époque (mais je n’ai pas approfondi la question).
      Et oui, il faut être cohérent : si on édulcore les écrits passés, ça devient difficile de continuer à s’acharner sur ces auteurs.
      Faire de la place aux autres : je suis tellement d’accord avec ça !! A t-on vraiment besoin de faire 36000 rééditions des mêmes textes et des mêmes auteurs sans arrêt… ?

  7. Pour une fois je vais faire court : ton argumentaire est fourni et nuancé, et je te rejoins. C’est une question délicate, mais au final, je rejoins aussi Claire Billaud : quel besoin y a-t-il de réécrire les oeuvres d’auteurs déjà bien connus, pour effacer les traces de leurs idées nauséabondes comme s’ils avaient été des saints de leur vivant ? Mieux vaut laisser la place à d’autres auteurs !

    1. C’est pas comme si on en manquait en plus, le secteur jeunesse notamment est tellement dynamique – et qualitatif en plus !
      Merci pour ton retour ! (qui me perturbe, je ne suis plus habituée à un message si court ahah !!)

  8. Je trouve ton article très intéressant et très nuancé. C’est vraiment un sujet complexe, typiquement j’ai lu l’article du Monde que tu cites, je devais le mettre dans ma revue de presse au boulot et j’ai laissé tomber parce que je trouvais impossible d’en résumer le contenu en 5 lignes.
    Je trouve aussi qu’on a tendance à tout mélanger entre le cas d’Agatha Christie (où on n’a fait que s’aligner sur ce qui se faisait en VO depuis 50 ans), les œuvres jeunesse (où il m’arrive de comprendre certaines réécritures, vu le nombre de fois où je soupire intérieurement en lisant certains albums à Mini-Vert 😁, et puis de toute façon le secteur jeunesse regorge d’adaptations/réécritures sans même se poser la question de la censure ou du lissage ou je ne sais quoi) et le cas général où je serais plutôt partisane de la contextualisation (et surtout de lire/promouvoir des alternatives).

    1. Oui tu as raison, souvent on met sur le même plan beaucoup de choses qui n’ont rien à avoir – d’ailleurs, en ce qui concerne le Agatha Christie, je découvrais, je n’avais pas du tout idée de tout cet historique; je trouvais intéressant de le remettre pour montrer justement que c’était sur un autre plan.
      Et tu rejoins un avis largement partagé : promouvoir des alternatives, et effectivement nombre d’adaptations ont déjà été révisées/mises à jour, sans que ça ne fasse hurler tout le monde non plus.

  9. En un seul mot : Stupide.
    Il faut soit contextualiser les textes, soit les laisser tout doucement disparaitre. Réécrire les anciens textes c’est remettre en lumière ce que l’on veut effacer.

    1. Et ensuite on fait quoi :
      – On change les paroles des vieilles chansons ?
      – On redessine quelques cases de Bandes Dessinés ?
      – On coupe certaines scènes de film ?
      – On repeint quelques toiles de maître ?
      – On modifie les sculptures ?
      – …
      – On réécrit l’histoire, c’est cela le but final, réécrire l’histoire.

      1. Je suis d’accord avec ton point de vue, où s’arrêter dans ce cas ? et oui, je trouve que c’est réécrire aussi le passé, et je trouve ça dangereux de faire croire que le passé n’a pas été ce qu’il a été.
        Mais l’ennui c’est qu’on se tourne beaucoup vers le passé et qu’on ressort beaucoup les mêmes œuvres encore et encore; difficile donc de laisser tomber dans l’oubli des bouquins que le mériteraient bien (selon nos standards actuels). Et bcp d’ouvrages manquent de contextualisation, de mon point de vue.

        Pour autant, je ne trouve pas non plus l’avis des autres stupide, je comprends aussi le positionnement des uns et des autres et des gens concernés.

        D’ailleurs, pas mal de réécritures/modifications ont été faites du vivant des auteurs : c’était le cas d’Agatha Christie pour les 10 petits nègres, et j’ai en tête aussi Lucky Luke, que Morris dessine à partir des années 80 avec un brin d’herbe dans la bouche plutôt qu’une cigarette, sous la pression des assos anti-tabac : on n’est pas vraiment dans la réécriture mais l’idée est la même, celle de faire évoluer un texte/un personnage avec son temps.

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