Olivier Bérenval – Des nuées

Premier roman que je reçois en tant que partenaire des éditions 1115 ! Des nuées est un roman d’Olivier Bérenval, paru dans la collection longs-courriers de la maison d’édition. Si la maison, en bonne agence de voyages littéraires, fait habituellement voyager ses lecteurices le temps d’une nouvelle, elle nous propose cette fois carrément un vol de plusieurs jours en Afrique du Sud. Olivier Bérenval est notre guide, grand voyageur lui-même et arpenteur du continent africain. Je l’ai suivi les yeux fermés, et je vais vous raconter mon voyage…

4e de couverture

D’un côté, il y a Leon Visagie et Nazanin Amanpour, respectivement lieutenant et capitaine de police. D’un autre, il y a Elsabe van der Merwe, paléoanthropologue. A priori, rien ne relie ces professionnels, sinon l’Afrique du Sud, où ils résident et exercent leurs métiers.

Jusqu’au jour où une vidéo montrant un vieillard déposant un cadavre sur un site archéologique les entraîne tous les trois dans la même enquête. Car, manifestement, le cadavre en question n’est pas celui d’un Homo sapiens. Alors, des townships de Johannesburg aux terres arides d’Alice Springs, en Australie, une pièce après l’autre, c’est tout un puzzle qui se reconstitue.

Le puzzle d’une humanité plurielle et composite, où se croisent les simples mortels et ceux qui traversent les âges. Comme les mille et une facettes d’un polar à la fois choral et surnaturel.

Passion squelette

Un roman squelette

Des nuées est un roman à recomposer; comme un tas d’os, en fait. Chaque chapitre est comme un os, une pièce d’un cadavre étendu sur la table de la morgue. Un vrai puzzle. Vous connaissez la série Bones ? J’ai eu l’impression de lire une histoire similaire, qu’il faut reconstituer à partir de cadavres jonchés ici et là, avec des personnages qui s’esquintent à y voir clair dans tout ce fatras.

La structure morcelée du roman accompagne une intrigue du même acabit. En effet, il y a dans ce roman beaucoup de personnages, de lieux, et d’époques. On voyage pas mal en Afrique du Sud, et quelques instants en Australie, également. D’ailleurs, sur ce point, je n’ai pas forcément bien saisi l’utilité de ces quelques pages, mais passons. Quant aux personnages, ils sont nombreux, d’ailleurs certains ne durent que le temps d’un fugace passage. Ca vit et ça meurt, dans ce roman, très vite. Les cadavres pleuvent, l’assassin court vite, les policiers sont comme des guêpes en fin de saison : aux abois. Les points de vue et les voix sont changeants, apportant encore un peu de complexité supplémentaire. Ajoutons à cela un roman qui met un peu de temps à démarrer quand à Johannesburg tout va à 3000 à l’heure.

Enfin, l’ambiance kaléidoscopique apporte une sensation similaire. Ce roman, c’est une métamorphose à chaque page. Extrêmement coloré mais avec des couleurs qui se chevauchent, se battent, se superposent. Et toujours cette impression de violence sous-jacente, tout aussi brute et sans fard, jusque dans les cirrostratus déchiquetés. Néanmoins, je parle d’un roman squelette parce que je le vois vraiment comme un assemblage de petites pièces à remettre dans l’ordre, mais je trouve que c’est inexact tant ce roman vit, bouge, se meut. Il n’est jamais fixe, et à chaque page il semble qu’il nous échappe. Des nuées (d’ailleurs, son titre évoque bien cette idée) est un roman protéiforme, un assemblage d’une multitude de petites parties qui ensemble forment un tout unifié et qui bouge extrêmement vite.

Evolution et histoire de l’Homme

Des nuées est une sorte de roman de l’humanité. Avec un des personnages qui fait office de référence et de fil rouge tout au long du récit et la paléoanthropologue Elsabe, on remonte le temps. Mes souvenirs d’arbres phylogénétiques et d’étude des origines de l’Homme sont lointains et poussiéreux. Et la recherche a beaucoup avancé des dernières années. Par exemple, j’étais assez surprise de retrouver des Homo erectus dans ce roman. Mais j’ai trouvé que ce qui était avancé reflétait bien justement tous les tâtonnements qui agitent le monde de la recherche dans le domaine. En tout cas, c’était assez intéressant et vertigineux de faire ce voyage géographique et temporel, sur une aussi longue échelle.

Vertige généré par le décalage entre le présent et le passé de l’Humanité assez prononcé. Malgré tout, tout ceci reste cohérent, même si on galère un peu à s’y retrouver. Car le personnage qui nous permet de faire ce voyage est comme un fil rouge tout au long du roman, il en fixe le cadre et les limites. En plus de retracer un passé, il s’adonne à de nombreuses réflexions sur les effets de la civilisation sur l’Homme, dont le langage. Ce personnage se fait alors anthropologue et ethnologue, et j’ai trouvé ses réflexions, générées par son recul sur son vécu, passionnantes. Ce faisant, Des nuées est un roman très humain, dans tous les sens du terme.

Un polar surnaturel, tout en contrastes

Un polar dans un monde brut et terre à terre

Des nuées est un roman policier, mais qui ne suit pas le cadre habituel. Certes, il y a des cadavres, un assassin potentiel, un peu de suspense. Quoique celui-ci est surtout concentré à la fin. Les 3/4 du roman sont assez lents, l’enquête fait plus que piétiner tandis que les corps s’amoncellent. Et on ne voit pas de solution pointer le bout de son nez, pas même une malheureuse piste. En fait, on ne comprend pas grand chose pendant un bon moment, comme les personnages. On tâtonne. Des nuées ne suit effectivement pas le schéma classique du polar : pas d’enquête à la Maigret, pas d’interrogatoires, pas de suspects… Certes, l’un des personnages principaux est un flic (qui lui est le cliché du vieux briscard, mais c’est un rôle qu’il endosse exprès).

Mais l’ambiance policière permet surtout de donner un aperçu des villes du Cap, de Johannesburg et de Pretoria. De leurs tensions, forces, et tiraillements. On parcourt donc ces villes dans tous les sens et on les ressent à travers les différents personnages qui les perçoivent différemment. Au gré de l’enquête, on traverse les townships, les quartiers d’affaires mais aussi les quartiers chicos et préservés. On prend conscience de l’état très morcelé là encore de cette société, où les différences ethniques, sociales, économiques… se côtoient plus qu’elles ne se mélangent. Sauf dans l’affrontement, quasi perpétuel. L’enquête policière permet donc de prendre le pouls du pays et d’offrir un cadre très terre à terre, qui s’offre entièrement, dans toute sa brutalité.

Mais où magie, mysticisme et folklore infusent

Et puis ce roman policier mélange quand même deux ingrédients qui semblent irréconciliables : le souci réaliste dans la peinture sociale, et le surnaturel qui débarque peu à peu. Cela m’a un peu fait penser aux romans de Sarah Buschmann chez Noir d’absinthe, comme Sorcière de chair (qui se passe en Australie, tiens). Il me semble qu’il y a une similarité assez grande entr les deux romans, dans le jeu de contrastes mis en scène. J’aime aussi comment ces romans dépoussièrent et modernisent des figures traditionnelles de l’imaginaire : la sorcière chez Sarah Buschmann, et le vampire chez Olivier Bérenval.

Car Des nuées est définitivement un roman de contrastes. Un roman qui jongle entre des humains contemporains et des personnages aux pouvoirs flous et qui traversent les époques. Et aussi un roman qui développe une intrigue quasi mystique dans un cadre à la fois terre à terre et matériel. A la vie concrète et rude de tous les jours répond un discours plus éthéré et métaphysique. Le titre est particulièrement évocateur. Le roman joue en effet beaucoup sur cette image de murmurations, dont plusieurs illustrations ornent d’ailleurs le roman. Je n’en dirai pas plus pour ne pas dévoiler l’intrigue mais le cœur du récit est construit sur cette idée. Un rassemblement de petits bouts épars formant un tout uniforme, et une sorte de langage qui permet d’unifier et de lier tous ces petits bouts ensemble.

Il en ressort alors quelque chose qui nous fait faire un grand écart à chaque page. Et de tout ce mélange improbable se dégage une certaine beauté, que la fin étrange et très ouverte renforce, à sa manière. Car il reste pas mal de questions sans réponses, mais n’est-ce pas là aussi une manière de garder la magie intacte, et donc belle ?

En pratique

Olivier Bérenval, Des nuées

Editions 1115, Longs-courriers, 2023

Couverture :

Autres avis : ?

Des nuées est un roman bien particulier. Pas facile à appréhender, dans un premier temps. Puis, on se laisse prendre au jeu; et alors, cela devient très plaisant. J’ai beaucoup aimé le perpétuel mouvement de ce roman, tiraillé entre récit des origines et monde contemporain, temps long et temps court. La confrontation entre un passé saupoudré de magie, de mysticisme et de folklore et un monde très terre à terre, violent et brut fonctionne très bien et aboutit à un mélange assez rare, efficace et original. Olivier Bérenval signe ici un roman qui ne parlera pas forcément à tout le monde, mais qui m’a emmenée sur des terres inconnues, ouvert pas mal d’horizons et donné envie d’y revenir. C’est précisément cela que j’aime dans les voyages. Vivement le prochain 🙂

2 commentaires sur “Olivier Bérenval – Des nuées

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  1. Je ne connaissais pas du tout ce roman, mais tu me donnes envie d’y voyager à mon tour et de sortir de ma zone de confort pour le découvrir

    1. Oh je suis très contente de t’avoir donné envie de prendre un billet pour Johannesburg aussi ! Tu as tout à fait raison en parlant de sortie de zone de confort, c’est effectivement de cela qu’il s’agit tant ce roman est original et assez inclassable, aussi; c’est franchement une sortie bien chouette, j’espère que tu aimeras autant que moi !

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