Népenth S – Dolls

Dolls est un recueil de nouvelles horrifiques signées Népenth S, parues aux éditions Noir d’Absinthe en septembre 2021. Quand la maison m’a proposé ce recueil en service de presse, j’ai eu un peu peur. Les trucs de poupées, ça m’angoisse. En plus, le format court n’est pas ce que je préfère. Et puis j’ai accepté pour sortir de ma zone de confort. Je ne regrette pas, mais je déconseille la lecture le soir ^^

Composition de Dolls

D’abord, un recueil visuellement abouti : une couverture signée Marcela Bolivar, des illustrations intérieures en couleur de MoonE et toujours une maquette soignée, avec  police de titres et bordure supérieure. J’aime beaucoup ces finitions.

11 nouvelles composent ce recueil. Certaines sont très petites, agissant comme des intermèdes, des tournants dans le recueil. La majorité des textes oscillent entre 10 et 25 pages, offrant une harmonie formelle à l’ouvrage.

Je n’ai jamais ressenti de frustration à la fin des textes. Chacune des nouvelles est très bien ficelée, percutante, tant dans le contenu (forcément) que dans la forme.

Sommaire du recueil

Quand la mer fait silence : Nouvelle ouvrant le recueil. Deux frères, étranges, grandissent seuls, tentant de trouver leur voie face à une mère fantomatique et à un 3eme enfant voisin laissé à lui-même, dans toute sa violence sauvage.

Achate : Un enfant-loup tente de fuir son geôlier et sa condition de prostituée.

Portrait d’un ange en chute libre : Une petite fille est convaincue que son frère est un ange… Mais cet ange en voit de toutes les couleurs, auprès d’une mère complètement instable après le décès de son époux.

La recluse : Une jeune fille solitaire prête une oreille attentive aux murmures qui lui viennent de la recluserie. Si elle prend tout le malheur du monde pour elle, les gens vivraient peut-être enfin heureux ?

Nietszche ta mère : un jeune adolescent souffre de l’absence de sa mère, qui accumule les heures supplémentaires. Il s’enfonce dans sa propre violence qu’il ne parvient pas à faire sortir, et prend pour modèle des serial-killers.

La marionnette : un pantin a été rafistolé par son propriétaire, mais son cœur saigne : il se sent seul, et aimerait tant ressentir comme les humains…

Les petites âmes de la moquette : une femme refuse de passer l’aspirateur chez elle, pour protéger  les pauvres acariens injustement tués à chaque passage de la machine, sous prétexte qu’ils sont invisibles…

A.L.I.C.E : une Alice passe de l’autre côté du Miroir, et si tout est aussi fantasque que dans Lewis Carroll, ici tout se teinte de noir, de maladie et de mort.

Séraphin : un jeune garçon est jaloux de l’amour que porte sa chère Mère, adulée, à son petit frère égoïste et violent.

Entre les lignes : comment tuer un personnage de fiction ?

Doll : dans un monde où les personnages handicapées et vieilles finissent au rebut, Dolly, jeune femme tétraplégique, est récupérée par un homme, qui l’utilise comme poupée.

Unité et beauté du recueil

Poupées Chucky

Je l’avoue platement : je suis une flipette, je ne regarde pas de films interdits aux moins de 12 ans, et je n’ai pas vu le film Dolls de Kitano dont s’est notamment inspirée Népenth S. Si j’aime beaucoup Marcela Bolivar, la couverture me faisait aussi un peu peur. Autant dire que je n’étais pas super à l’aise avant de commencer ce recueil, et j’avais un peu peur de trouver des histoires à la Chucky (que j’ai pas vu et que j’ai pas envie de voir, merci bien).

Pourquoi j’ai accepté de chroniquer ce recueil, alors, me direz-vous ? Point par masochisme, je vous rassure. Je me doutais que Noir d’Absinthe, n’aimant ni les choses classiques et attendues, ni la facilité, n’aurait pas publié un recueil de ce genre. Et de fait, point de poupée ici. Enfin, point de Chucky plutôt. Dolls m’a surprise, à plusieurs titres. Comme quoi, j’ai bien fait de surmonter mes premières (fausses) impressions.

La poupée dans ce recueil est métaphorique. Elle est ce personnage en proie à ses démons psychologiques; cette créature étrange, imaginaire, coincée dans sa vie et incapable de changer son destin; ou encore cette marionnette de bois, forgée par son propriétaire menuisier, coincé dans un corps de bois sans aucune sensation; aussi cette femme tétraplégique, utilisée comme poupée pour faire beau dans la pièce. Enfin, elle est ce personnage de fiction, qui rappelle que le personnage lui-même, en tant que création de papier, est le pantin de tout auteur.

J’ai beaucoup aimé ces différentes déclinaisons/interprétations de la figure de la poupée, de la marionnette, du pantin… prisonnière de la vie, du destin, des autres, de nos pulsions, et in fine, de l’auteur.

De l’horreur… belle

C’est là l’autre talent de Népenth S, qui a su rendre jolie et émouvante l’horreur de ce recueil. Car c’est un autre des thèmes de prédilection de ces textes. En effet, on est dans de la violence pure, dans ce que l’esprit humain fait de plus abject. Oui, les nouvelles dérangent. Pas une seule ne laisse indemne. Les personnages sont prisonniers de leur violence et se changent véritablement en monstre, parfois. Souvent, plusieurs des personnages du recueil revêtent plusieurs visages.

Toutefois, l’aspect monstrueux et horrifique est sublimé par une écriture touchante, pleine de mélancolie. Nul jugement envers ces personnages, même beaucoup d’amour presque. La langue est belle, soutenue, douce, mélodique. J’ai beaucoup aimé aussi l’humour présent dans A.L.I.C.E. Ce texte ressemble parfois à un cadavre exquis (pour rester dans le thème) tant les dialogues sont farfelus.

Ce n’est pas tant l’horreur décrite qui m’a touchée, que la solitude profonde des personnages, et leur besoin de fuir leur vie. Souvent, la mort est délicieuse, alors. L’autrice a su rendre attachants des personnages monstrueux.

En pratique

Népenth S – Dolls

Noir d’Absinthe éditions, septembre 2021

Illustrations : MoonE – Couverture : Marcela Bolivar

Un autre avis chez Lucie, qui a aussi été sensible à la beauté de cette poésie macabre. En revanche, L’ourse bibliophile n’a pas accroché et en est fort marrie… Parfois, une rencontre ne prend pas !

 

Je devrais savoir, après avoir lu plusieurs textes publiés par Noir d’Absinthe, qu’il n’est pas nécessaire que j’imagine quoique ce soit avant ma lecture : je me planterai toujours, tant la maison sait surprendre et repousser les limites des possibles. Je remercie donc chaleureusement Noir d’Absinthe pour m’avoir proposé Dolls, et Népenth S pour m’avoir offert une lecture certes pas toujours facile, mais marquante. J’ai beaucoup aimé découvrir cette plume qui manie aussi bien l’horreur et le Beau ensemble. Une œuvre à découvrir.

7 commentaires sur “Népenth S – Dolls

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    1. Ah oui, c’est sombre, je ne peux pas dire le contraire. Mais quand tout est sombre, « il suffit de se souvenir de rallumer la lumière » 🙂 (et ce recueil n’en manque pas non plus ^^)

  1. Bonjour Zoé.
    J’ai enfin quelques instants à moi pour découvrir la version longue de ta chronique et à nouveau, tes commentaires me vont droit au cœur ! L’une des raisons pour lesquelles j’écris est que je souhaite voir mes lectaires sortir de leur zone de confort et tu t’es admirablement prêtée à l’exercice ! J’aime en effet profondément mes personnages et de voir que tu les as compris me fait très plaisir.
    Personnellement, j’ai vu tous les films Chucky, mais mon préféré reste le 5e film, Seed of Chucky, le moins aimé car c’est celui qui ressemble le moins à un film Chucky (mais qui selon moi raconte une magnifique et tragique histoire de famille sur fond d’horreur et d’humour noir, avec un questionnement très pertinent sur l’identité de genre et les attendus des parents). Cependant, il faut avoir les tripes bien accrochées pour le voir car les victimes de Chucky… ne les ont pas !
    Merci aussi pour tes petits résumés des nouvelles, ils sont super ! Et donc tu fais partie des personnes qui voient Sam comme un garçon ? Intéressant ^^

    Je vais de ce pas partager ta belle chronique sur mon blog. Merci encore !

    1. Bonjour Népenth.S ! Merci pour ton passage et ton retour 🙂 Je vais laisser Chucky aux personnes aux tripes bien accrochées, même si ce que tu dis du 5eme est intéressant et semble traiter de sujets bien plus profonds qu’un film d’horreur trash.

      Désolée de ma réponse tardive, je voulais remettre mon nez dans la nouvelle en question sur le genre de Sam, ça m’a interpelée, je me suis demandée si j’étais passée à côté de qqch !
      Et c’est très marrant, parce que je n’avais pas fait attention à ça à la première lecture. J’avais automatiquement associé Sam à un garçon, d’abord parce que sa mère l’appelle « chaton », ensuite pour sa manière de parler et sa violence que j’ai automatiquement associée à une figure masculine (le cliché, oui, je sais, j’ai honte en m’en rendant compte…). Et en relisant la nouvelle, je me rends compte que je suis vraiment passée à côté de ce sujet, parce que tu fais tout pour qu’on ne sache pas vraiment le genre de Sam ! Et tu le fais exprès, en fait 🙂 Donc ça a du sens dans la nouvelle et ça m’avait échappé.
      A un moment, il/elle dit qqch comme « Sam, juste Sam, rien de masculin ou de féminin », et ça a fait tilt. Je ne sais pas du coup comment tu le vois, un mix des deux genres, ou aucun des deux.
      Je me suis d’abord dit « non, c’est pas une fille ». Mais en fait, je me retrouve quand même un peu dans ce personnage. Enfin, disons que je comprends son point de vue, et ses attirances compte tenu de sa vie.
      Alors j’ai opté pour l’interprétation suivante : Sam n’est ni fille, ni garçon, mais aussi fille et garçon à la fois, il/elle porte des caractères et des préoccupations universels qui peuvent parler à tous, quelque soit le genre. Le mal-être qu’il/elle ressent n’est pas lié au genre, enfin je crois.

      Je ne sais pas si c’est ce que tu voulais démontrer, mais en le relisant, c’est comme ça que je le vois. Et vraiment, ça m’a bien chamboulée, parce que je me rends compte que, malgré mon ouverture d’esprit (je pense), mon esprit reste visiblement très binaire, à l’image de ce que j’ai eu l’habitude de voir, de lire, d’apprendre, d’entendre, et des comportements autour de moi, majoritairement masculins ou féminins.
      Ca me perturbe assez de voir que mon esprit reste très classique, instinctivement ou culturellement, je ne sais pas encore… 🙁

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