Marianne Stern – Smog of Germania

Depuis le temps que je voulais me lancer dans cette trilogie steampunk ! Smog of Germania est en effet le premier volume des Récits du monde mécanique de Marianne Stern, parue aux éditions du chat noir. J’ai calé cette lecture et la trilogie entière dans la catégorie bonus du défi Un hiver au chalet. Ca devait me rapporter 3 points. Mais ça ne m’en apportera qu’un seul, car j’en resterai là : Smog of Germania a été une très très grosse déception.

Synopsis

« Germania, début des années 1900, capitale du Reich.

À sa tête, le Kaiser Wilhem, qui se préoccupe davantage de transformer sa cité en quelque chose de grandiose plutôt que de se pencher sur la guerre grondant le long de la frontière française – et pour cause : on dit qu’il n’a plus tous ses esprits. Un smog noir a envahi les rues suite à une industrialisation massive, au sein duquel les assassins sont à l’oeuvre.

Une poursuite infernale s’engage dans les rues et les cieux de Germania le jour où la fille du Kaiser échappe de peu à une tentative de meurtre. Objectif : retrouver les commanditaires. La chose serait bien plus aisée s’il ne s’agissait pas en réalité d’un gigantesque complot, qui se développe dans l’ombre depuis trop longtemps ».

Un roman steampunk au background original

La représentation d’un Reich décadent

C’est majoritairement ce qui m’a plu dans Smog of Germania. On est dans un roman purement steampunk avec tous les ingrédients habituels : smog, vapeurs, industrie galopante, automates, ferraillerie, machines volantes etc. etc. J’aime beaucoup ce genre d’ambiances.

Ce qui fait la force de Smog of Germania, c’est son décalage géographique. Ici, on n’est pas dans le cadre habituel anglais victorien. On n’est pas à Paris non plus; on trouve pas mal de récits pendant l’Exposition Universelle. Non, Smog of Germania se passe en Allemagne, en 1900, dans une des plus grandes villes de la civilisation occidentale de cet univers : Germania. Il s’agit d’uchronie, puisque le Kaiser a mis à genoux l’Alsace Lorraine. France et Allemagne sont d’ailleurs en guerre.

J’ai particulièrement aimé la peinture de la ville, entre dorures impériales et poussières suffocantes des bas-fonds industriels de Germania. Si cette représentation est assez classique, elle est assez réaliste aussi.

Un décentrement géographique, et une ambiance particulière, très décadente. Le Kaiser semble devenir fou, et sa violence exploser. D’autre part, il gravite autour de lui une aristocratie complètement défoncée. L’absinthe coule à flots, les corps se mélangent, la violence s’exacerbe. Il ne semble plus y avoir de limite et de raison dans cet univers. C’est assez déstabilisant, ça fonctionne très bien.

Mais une intrigue pas très originale

En revanche, l’intrigue ne m’a pas passionnée. Elle est construite autour d’un vaste complot qui allie scène politique et diplomatique et intrigues de cour. Du classique, qui impacte, tout aussi classiquement, la protagoniste, Viktoria – « celle qui n’est pas grand chose et qui semble insignifiante mais en fait pas du tout ». La fille du Kaiser est en grrrrrand danger, et elle doit fuir. Le rythme du roman prend alors l’allure d’une course contre la montre quand Viktoria échappe de peu à une tentative de meurtre. Sauvée par Jeremiah, la main armée de l’Empereur, elle doit se transformer en pauvre hère des bas-fonds. C’est là encore très classique le coup de l’aristocrate capricieuse qui devient peu à peu plus humble, sortie de ses dorures.

Alors on ne s’ennuie pas une seule seconde. C’est dynamique, rythmé, les rebondissements arrivent au bon moment et les révélations apportent leur lot de suspense. De plus, l’écriture est plutôt immersive, et la relecture est parfaite (merci Vincent Tassy). Je regrette cependant les quelques mots d’allemand dont sont truffés les dialogues – ça fait très artificiel selon moi. Un peu trop volonté de faire « couleur locale ». Mais ça se lit, et jusque là, ça aurait pu être une bonne lecture.

Un roman érotique ?

Des personnages catastrophiques

Ca aurait pu, mais il y a un gros mais. Qui est rédhibitoire pour moi et ne m’a pas permis d’aller gratter derrière pour aller chercher dans ce roman sa substantifique moëlle.

D’abord, les personnages. Il n’y en a pas un potable. Viktoria est le cliché de l’aristo capricieuse et arrogante. Jeremiah mi humain-mi automate, tueur expérimenté, qui est aux yeux de Viktoria aussi repoussant que séduisant. C’est Christian Grey avec une moitié automate. Le même traumatisé de la vie et de l’amour, inadapté aux relations sociales et amoureuses (« Quittez-moi, je suis un monstre » / « Mais non je vous aime » / « Ne faites pas ça petite idiote »). Son frère (non, on n’est pas dans Vampire Diaries) n’est pas mieux. Derrière ce trio, une panoplie de personnages, chacun dans son rôle : l’aristo traîtresse (insoupçonnable car « trop grosse et moche » – soupir devant cette figure trop souvent vue et revue), le fils banni qui revient en cachette, les figurants des bas-fonds et ceux des salons impériaux…

Harlequin version 2022

L’ennui de tous ces personnages, c’est qu’aucune femme ne parvient à conserver ses seins dans son corsage plus de 10 lignes, et que chaque personnage masculin est un queutard invétéré. Je sais bien qu’on est dans un roman qui dépeint la décadence d’un régime, d’une société et d’une aristocratie qui s’ennuie. C’est donc cohérent d’avoir des personnages qui se conduisent de manière tout aussi décadente.

Je me sens cependant un peu flouée, car le résumé ne laissait pas entendre que Smog of Germania était en fait un roman érotique. Et particulièrement catastrophique de mon point de vue dans la représentations de relations entre les hommes et les femmes et celle des corps. Là encore, on peut dire que c’est « justifié » par l’époque. Mais enfin, l’agression sexuelle par ici, le viol par-là (ah non, deux, ah non, trois, ah non… etc.) : c’est comme le comique de répétition, à la longue ça devient lourd. On n’a pas besoin de quinze scènes où un vicelard veut « jouer » avec une femme mal en point pour comprendre que l’époque est décadente, merci bien.

Quant aux scènes de sexe « consenti », elles sont maladroites, et d’un autre temps : une femme se faisant plaquer contre un mur et détrousser de manière musclée, virile et sauvage, avec un « Tais-toi » bien directif : pourquoi tant de clichés et de descriptions qui s’étalent sur trois pages, dignes d’un mauvais harlequin ?

Enfin, Viktoria qui s’éprend de son Jeremiah « parce qu’il est repoussant mais séduisant mais repoussant mais séduisant mais pas humain mais un peu quand même mais a t-il un cœur sous un armure oui j’en suis sûre et de toute façon je ne peux plus vivre sans lui » : au secours. Cette romance n’est vraiment pas réjouissante, lui la considérant comme une gamine sans cervelle et elle qui nous sort des tirades aussi larmoyantes que dans Paul et Virginie… J’ai hésité entre le ridicule et le lassant.

En pratique

Marianne Stern, Récit du monde mécanique, Tome 1 : Smog of Germania

Editions du Chat noir, 2015, collection Black Steam

Couverture : Miesis Illustration

Autres avis : retrouvez l’analyse de Marc sur ce roman qu’il a beaucoup aimé; lecture sympathique pour Black Wolf, qui n’a cependant pas été très convaincu par la romance; Miss Amelia Chatterton a su mettre le doigt sur la substantifique moëlle de ce roman et a été conquise.

Smog of Germania ne m’a malheureusement pas séduite. Je n’ai pas réussi à retirer toute cette couche d’érotisme malaisant pour aller chercher les bons côtés de ce roman derrière. Certes, est dépeint ici un Reich décadent, mais était-il vraiment nécessaire de convoquer à ce titre tout cet attirail de stéréotypes, de clichés relationnels et de noyer ce roman sous ce sexe omniprésent ? La décadence ne rime pas forcément avec lourdeur et gros sabots… Néanmoins, je salue le travail de représentation steampunk et l’originalité du cadre germanique, peu commun. J’aurais du mal à conseiller ce roman, toutefois il semble que les tomes se lisent de manière indépendante et que le dernier tome, Realm of Broken faces, est meilleur.

8 commentaires sur “Marianne Stern – Smog of Germania

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  1. Je passe direct mon chemin! Le thème, l’époque, tout ça me semblait prometteur à moi aussi mais « l’érotisme » gerbant et les personnages clichés sont deux excellentes raisons pour fuir très vite

  2. Je suis super choquée par ta chronique ‘-‘ j’ai lu ce roman à sa sortie en 2015 et je n’en gardais pas du tout ce souvenir. Je ne me rappelle absolument pas de cet érotisme dont tu parles, d’ailleurs, même si c’est vrai que les perso sont exécrables. Ce qui est voulu je pense même si Marianne a vraiment du mal à écrire les femmes 😅 elle s’est améliorée plus tard dans sa biblio m’enfin clairement le duo principal, argh. Par contre j’adorais Max perso et c’est une trilogie que je recommande encore en salon quand on cherche du bon steampunk 😅 les suivants sont mieux et mon préféré c’est le 3 même si tout peut être lu indépendamment il y a quand même une continuité.
    J’avais hésité à la relire mais je crois que je vais m’abstenir pour en garder le bon souvenir que j’en avais. À mon avis la moi d’aujourd’hui serait trop agacée par plein d’aspect 🙄
    Je trouve ça super intéressant de découvrir des avis contraires et de réfléchir sur nos perceptions 😊

    1. Merci pour ton commentaire !
      Je me doute que ma chronique choque… Moi-même, je suis un peu étourdie, tant je suis tombée de haut. Je l’ai pas mal retouchée d’ailleurs cette chronique, je me suis interrogée, me suis demandé si je surinterprétais, ou pas.
      J’ai beaucoup réfléchi, à mon ressenti, ma perception des choses, et aussi à mon regard 2023 par rapport à l’écriture du roman qui commence à dater un peu. J’ai aussi échangé avec Miss Amelia Chatterton qui a bcp aimé le livre et que tu rejoins je pense.
      Et j’ai lu plusieurs passages à mon conjoint (qui a levé les yeux au plafond un nombre incalculable de fois).

      Je vais être honnête : je pense que j’aurais beaucoup aimé ce roman en 2015. Parce qu’à l’époque, je ne faisais pas attention à cette hypersexualisation . De mémoire, pas mal de bouquins étaient dans cette veine. Je me rappelle de certaines de mes lectures que j’adorais (Angélique, les Troyat, même les bouquins de Jeanne Bourin et Régine Deforges – bon, OK ça date encore plus, mais c’était encore à la mode quand j’étais jeune) contiennent des schémas relationnels hyper classiques, déjà vus 100 fois, qu’on trouvait normaux. Avec des scènes de sexe plus ou moins réussies (mais toujours aussi classiques, et avec ce côté sauvage/dominateur qu’on trouvait croustillant).
      Mais maintenant, je trouve ça très daté. C’est là que je m’aperçois que les choses ont changé, mine de rien, en peu de temps. Je lis pas mal de bouquins désormais où le regard sur le corps a changé, les rapports entre les personnages aussi. Et retrouver du coup des choses qui me semblent ancrées dans un autre temps aujourd’hui ça m’agace m’a gênée.

      Je pense aussi, et je m’en de plus en plus compte, que je suis très sensible à cette sexualisation des corps dans les livres (mes avis sur Mexican Gothic et une couronne d’os et d’épines en sont le reflet). Il y a donc une grosse part de subjectivité là-dedans, d’autant que je n’ai pas retrouvé tout cela dans les chroniques que j’ai pu lire (à part la romance convenue).

      Comme tu le dis, il y a un décalage entre nos souvenirs et la personne qu’on est aujourd’hui, et là, je fais le grand écart ces derniers temps. Pas au point de renier les lectures que j’ai adorées, mais je me suis souvent demandé si je serais encore capable d’apprécier La chambre des dames, ou Les semailles et les moissons, ou la bicyclette bleue… C’est un questionnement que j’ai depuis quelques temps, et pour en avoir discuté avec ma maman, je me rends compte que ma réflexion à ce sujet est encore au stade d’ébauche, en train de mûrir, sans que j’aie pu encore véritablement mettre le doigt sur le truc qui coince.

      J’essaie toujours de remettre dans le contexte et aussi de juger de la cohérence d’ensemble. Ici, cela semble cohérent, vu le choix de décrire une décadence. Personnellement, je trouve ça trop grossier, je pense qu’on peut être dans la décadence tout en étant un peu plus subtil que ça, et moins voyeuriste.

      Je suis partagée sur ta volonté de le relire : tu en as un très bon souvenir, et j’ai déjà fait des relectures qui ont détruit le beau souvenir que j’en avais – c’est assez triste; je ne te le souhaite donc pas.
      D’un autre côté, je suis assez tentée de t’y encourager, pour mesurer l’écart entre ton moi de l’époque et celui d’aujourd’hui.

      Bref, je me rends compte que je t’ai fait un roman, je suis désolée ^^ cela dit, les retours comme le tien présentement me poussent à avancer dans cette réflexion qui est la mienne sur cette histoire de perception, de représentation des corps et de réception aussi des bouquins à différents moments. Donc merci 🙂 et désolée encore pour les tartines !!

      1. Ne t’excuse pas, je trouve ton explication vraiment intéressante. En fait ça me rappelle un constat que j’ai fait sur ma propre écriture : mon premier roman est sorti en 2015 et j’en ai sorti plusieurs à la suite, assez vite. Puis j’ai changé de ME, j’ai publié un autre roman totalement différent et plus d’une fois des lecteurices m’ont demandé si j’allais rééditer ma trilogie et ma duologie. J’y ai déjà pensé, j’avais commencé à relire pour retravailler mais en le faisant je me suis rendue compte que j’avais un rapport très problématique au corps et à la sexualité à l’époque. Et qu’aujourd’hui, avec la prise de conscience qui était la mienne, je ne pouvais plus promouvoir ces livres. Du coup j’ai pris l’habitude de dire que Bratva est mon premier roman alors que c’est le 6e ^^’ parce que je le considère comme le premier roman de mon « moi » actuel.

        Bref tout ça pour dire que oui, la société et nos perceptions évoluent vite, parfois trop et ça peut donner des écarts comme ceux qu’on constate ici. Je ne pense pas que je vais relire Smog parce que c’est un roman qui appartient à mon passé et je pense que je vais y réfléchir à deux fois avant de le recommander, ou alors en donnant davantage de nuances sur ma recommandation.

        Comme quoi écrire des articles sur des livres qu’on n’a pas aimé ou qu’on juge problématique ça donne lieu à des échanges vraiment passionnants ^-^ je suis contente de t’avoir lue !

        1. Merci pour ton retour ! Je suis contente que cette chronique ait pu donner lieu à cet échange en effet 🙂 moi qui regrettais de publier ce retour de lecture, finalement c’était une bonne idée.
          Mais oui je pense aussi que faire des retours sur des lectures qu’on n’a pas aimées c’est une bonne idée – ça permet d’alléger la wishlist, ou au contraire de repérer, dans les « reproches » des autres, des choses susceptibles de nous plaire.

  3. Dommage, le contexte changeait un peu de ce qu’on connait, mais le côté érotique et les personnages clichés, ça ne marchera pas ^^

    1. ha ben c’a n’a pas du tout marché avec moi, donc je te comprends totalement. Après, j’ai la sensation que c’est une question de point de vue et de sensibilité, dans les avis que j’ai parcourus je n’ai pas trouvé de mention particulière à ce que je pointe. Des fois, je me demande si c’est moi qui me fais une montagne et qui surinterprète… !

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