Les temps ultramodernes est un roman steampunk de Laurent Genefort, publié en février 2021 chez Albin Michel Imaginaire. Ce roman est en lien avec l’Abrégé de cavorologie, disponible gratuitement en format ebook. Laurent Genefort construit ici un univers fort bien ficelé et très documenté. Il transpose notre monde réel dans ce Paris steampunk, bourré de clins d’œil et empreint de merveilleux-scientifique.
Synopsis
« En débarquant à la capitale, en quête d’un emploi d’institutrice, Renée est loin de se douter qu’elle va tomber sur un Martien blessé. Mais ce Paris-là n’est pas le nôtre. Grâce à la découverte de la cavorite, un métal miraculeux, les voitures volent, des paquebots transcontinentaux appontent aux quatre tours Eiffel parisiennes, et Mars est une destination comme une autre.
Quand Marie Curie découvre que la cavorite a une durée de vie limitée, elle ignore à quel point le monde va en être bouleversé. Deux ans après le « vendredi noir » de 1923, les empires occidentaux bataillent pour récupérer les dernières miettes de la si précieuse manne.
Contre vents et marées, Renée soigne son protégé et décide de le ramener sur sa planète natale. Comme elle, Marthe, une intrépide journaliste, et Georges, un jeune artiste pris dans un mouvement politique qui le dépasse, seront les témoins, mais aussi des acteurs de premier plan, de cette époque-charnière pleine de bruit et de fureur. »
Un worldbuilding complet
Un univers décrit à la perfection
Les temps ultramodernes s’appuient sur la cavorite, matériau que l’on rencontre chez H. G. Wells dans son roman Les Premiers Hommes dans la Lune (1901). Ce matériau annulant la gravité ouvre la porte à la colonisation spatiale mais donne aussi un tout autre visage à la Terre – du moins à ses villes, dont Paris que l’on explore ici.
J’ai beaucoup aimé l’univers de ce roman. Les temps ultramodernes offrent un décor steampunk (ou « atompunk », « radiumpunk » ou « decopunk ») finement détaillé, où rien n’est laissé au hasard. Transports et bâtiments, évidemment, mais aussi médecine, diplomatie, politique, armée, loisirs… La cavorite a eu un impact sur tous les domaines de la vie. On est ici dans une uchronie, qui brouille un peu les dates et les événements, les mélangeant ou déformant l’échelle réelle du temps. Demeure ainsi l’aspect pétillant de ces années folles, dont on côtoie d’ailleurs ses artistes, ses grands noms, ses hommes politiques… bref, on s’y croirait vraiment, dans ce monde rétrofuturiste, et j’ai adoré le parcourir.
Un roman merveilleux-scientifique
Ce roman offre beaucoup d’échos au genre merveilleux-scientifique dont je vous ai d’ailleurs parlé récemment. En effet, la découverte de la cavorite fonctionne comme l’arrivée dans un monde réel d’un événement scientifique perturbateur. Tout au long du roman et des intrigues autour des personnages, se posent des questions d’ordre politique, éthique, scientifique. La cavorite a généré un laboratoire d’idées énorme, et chacun, dans le roman, s’interroge sur les conséquences de cette invention, encore plus quand la disparition programmée de la cavorite est annoncée. C’est une réflexion globale sur le rapport de l’Homme à la technologie et à la science qui est amorcée ici.
J’avais également en tête beaucoup d’images pendant ma lecture qui auraient parfaitement pu illustrer certains épisodes du roman; et le genre merveilleux-scientifique est tout autant un courant littéraire qu’artistique. Les temps ultramodernes est un roman que je trouve d’ailleurs particulièrement bien adapté à une mise en images. A ce titre, la couverture de Didier Graffet est déjà une invitation au voyage et reflète parfaitement l’ambiance du roman.
Abrégé de cavorologie
En lien avec ce roman, Laurent Genefort nous propose un artifice littéraire comme je les aime : un Abrégé de cavorologie (dans son édition révisée de 1931), faussement écrit par un certain Hippolyte Corégone, professeur au Collège de France. Le but est de poser les bases du worldbuiling à l’œuvre dans le roman Les temps ultramodernes.
Pourquoi j’adore ? Parce que c’est un tour de passe-passe littéraire que je trouve toujours aussi rigolo. Encore plus rigolo quand l’auteur (le vrai, cette fois) inclut une « note de l’auteur derrière l’auteur » à son abrégé ! Ensuite, parce que c’est fichtrement réaliste. Donc crédible. Tout y passe : l’historique de la cavorite, sa structure chimique, minéralogique, mais aussi ses implications dans l’industrie, la médecine, les enjeux politiques, économiques et diplomatiques… La cavorite a même influé les arts, et j’ai souri de voir Breton non plus en chef de fil du surréalisme mais du sidéralisme (« qui vise à reproduire la sidération mentale des premières réalisations cavoriques, et l’imprimer dans tous les domaines artistiques, y compris modernes comme la photographie ou le cinéma. Il se fonde sur l’utilisation des forces psychiques échappant à la conscience, hors de toute préoccupation esthétique ou morale » –> dans le procédé, c’est très similaire finalement).
Bref, l’Abrégé vous apprendra tout sur la cavorite, vous donnera les éléments pour comprendre l’uchronie présente dans le roman et apprécier ensuite son traitement plus romanesque. Pour ma part, j’ai lu l’Abrégé pendant ma lecture des Temps ultramodernes, et je m’y suis référée assez souvent. Je pense qu’il serait vraiment dommage de ne pas le lire, il accompagne pleinement Les temps ultramodernes. L’ouvrage est gratuit en plus. Donc, pas d’excuse.
Un roman ultramoderne
Un roman choral
Les temps ultramodernes est un roman choral, qui n’offre pas un intrigue, mais plusieurs. On suit 4 personnages principaux (du moins, pendant une bonne partie du roman). Une jeune enseignante provinciale qui débarque à Paris, un jeune artiste idéaliste et plein d’espoir qui pense trouver le succès à la Capitale, un vieux flic qui met le doigt dans une enquête bien pourrie et un médecin eugéniste parfaitement odieux. Ce sont des parcours de vie, des gens qui se croisent, font leur chemin, et j’ai apprécié être prise au dépourvu dans les relations entre les personnages.
J’ai apprécié aussi que ces fils narratifs ne se croisent pas toujours. On attend souvent, dans ce type de structures, que les différents fils finissent par se rejoindre en fin de récit, où l’on découvre que tout était lié. Ici, non. Certains personnages ne se croisent pas, d’autres de manière très brèves et font leur chemin de leur côté… Ils offrent ainsi des regards très différents et complémentaires sur cette époque.
Un peu trop technique, pas assez humain
C’est le seule reproche que je formulerais à ce roman. Tout est techniquement parfait. Une précision technologique (qui me fait penser à Jules Verne), une volonté de crédibilité jusqu’au moindre détail. Ca marche très très bien. Mais… j’ai parfois manqué d’émotions, notamment dans la peinture des personnages. Parfois, ils m’ont semblé très en retrait, un peu lisses et comme peu touchés par ce qu’il se déroule. C’est un détail, et je pinaille, car j’ai passé un très bon moment de lecture. Qui aurait néanmoins pu être excellent avec un peu plus de chaleur dans ces personnages.
Une fresque sociale et politique
Je le disais plus haut : Laurent Genefort propose une uchronie en brouillant les pistes. On retrouve dans Les temps ultramodernes beaucoup d’éléments historiques, détournés. Je pense notamment au krach boursier dans le vendredi noir de 1923 généré par l’annonce de la disparition programmée de la cavorite, à la guerre de 14 qui me semble être désignée « franco-prussienne » et qui a eu lieu en 1912… J’ai également trouvé en Marcel Chéry, le médecin eugéniste, des échos (certes anachroniques) aux médecins des camps de la mort.
J’ai également beaucoup aimé l’intégration dans le roman d’articles de journaux, qui sont comme une trame historique au roman, gage de vraisemblance à l’univers dessiné.
De la même façon, j’ai trouvé superbe et très crédible la représentation de la société des années folles. Je ne suis pas assez calée en Histoire malheureusement, mais le roman évoque la crise économique, les révoltes de gauche (que l’un des personnages rejoints)… Il y a là une peinture sociale qui fait de ce roman une fresque très vivante de cette période.
En pratique
Laurent Genefort, Les temps ultramodernes / Hippolyte Corégone, Abrégé de cavorologie
Couverture : Didier Graffet
Autres avis : L’épaule d’Orion, qui réintègre le roman dans sa tradition littéraire par le biais de parallèles avec d’autres œuvres; une super lecture pour Tachan; Le bibliocosme, qui m’a appris le terme Atompunk; Albédo, dont j’ai bien aimé la vision du « patchwork d’existences » et Apophis qui m’a lui appris les termes Decopunk et Radiumpunk.
#PLIB2023
#ISBN9782226461599
Les temps ultramodernes est un roman de Laurent Genefort, qui ne va pas sans son Abrégé de cavorologie dont je vous recommande la lecture – avant ou pendant. Un univers steampunk très crédible, d’une finesse dans le détail assez incroyable. C’est très documenté, vraisemblable, cohérent, et ce roman offre une très belle peinture vivante de cette époque. C’est un travail de minutie et de précision que l’auteur livre ici. Si j’ai pu trouver parfois que les personnages manquaient de chaleur, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire ce roman, qui m’a bluffée. Je ne connaissais pas l’auteur, c’était une très belle rencontre, j’aurai plaisir à lire d’autres de ses œuvres.