Gauthier Guillemin – La fin des étiages

Après Rivages, Gauthier Guillemin nous offre une suite : La fin des étiages, roman publié en 2020, toujours chez Albin Michel Imaginaire. Vu l’excellente lecture que s’est révélée Rivages, inutile de préciser que j’ai enchaîné directement sur ce second opus. Je vous disais d’ailleurs que le premier volume pouvait se lire en one shot. C’est vrai. En soi, il peut se suffire à lui-même. Mais cette suite approfondit davantage certains aspects de Rivages, et le complète parfaitement. 

Nul besoin de préciser que cette chronique va immanquablement contenir des révélations sur le premier tome et son final, et ce dès le synopsis. Donc si vous comptez lire la duologie et n’avez pas encore commencé, je vous conseille de ne pas lire cette analyse tout de suite 😉

Synopsis

« On l’appelle le Voyageur. Il a quitté le village de son épouse, Sylve, pour honorer une dette ancienne, pour retrouver les mers et les océans depuis trop longtemps perdus. Et il a disparu. A-t-il été capturé ou tué par les Fomoires, s’est-il égaré, continue-t-il son voyage vers les rivages ? Au village, nul ne le sait. Neuf mois après le départ de l’homme qu’elle aime, trop inquiète pour rester sans rien faire, Sylve décide de partir à sa recherche, d’affronter une forêt où les merveilles se disputent aux dangers.

La Fin des étiages est la suite de Rivages. Le récit nous emmène encore plus profondément dans le Dômaine et nous fait découvrir la capitale des Nardenyllais. Là, commence à réapparaître une technologie qu’il aurait sans doute mieux valu laisser dans l’oubli ».

La fin des étiages se place dans la continuité de Rivages, mais aussi en rupture. Continuité dans l’intrigue, les thématiques explorées, la déconstruction et la plume poétique de l’auteur. Mais rupture aussi, car les décors, les focus personnages changent, et le roman prend des tonalités épiques en conclusion, renouant avec les grands récits des anciens, à l’image des histoires et mythes fondateurs.

Entre continuité…

En ce qui concerne l’écriture, La fin des étiages poursuit le travail poétique entrepris dans Rivages. La plume de Gauthier Guillemin est toujours aussi légère, dénuée d’artifices et de lourdeur. Mais on y repère toujours de jolis effets d’images. Rivages explorait la thématique de la frontière, de la limite entre deux mondes et deux réalités. La fin des étiages propose également un travail métaphorique sur la fin du reflux, à la fois de la mer mais aussi des souvenirs. Il y a, pour certains personnages de La fin des étiages, le souhait de retourner aux sources et de prendre le contrôle de leur destin commun : ne plus assister, impuissants, à l’éloignement de la mer dans leurs vies, en allant à sa rencontre, en la ramenant à eux.

L’univers est toujours aussi lumineux et doux. On retrouve le Dômaine tel qu’on l’a laissé à la fin de Rivages, dans sa nature foisonnante et végétale. L’intrigue de La fin des étiages se place par ailleurs dans la continuité directe de la fin du premier volume, son action débutant quelques 9 mois après les événements de Rivages.

Egalement présente la volonté de détricoter encore un peu tous nos repères romanesques traditionnels. En effet, le voyageur est absent pendant les trois quarts du roman, et on ignore quasiment tout de son état. C’est d’ailleurs ce qui motive Sylve pour partir à sa recherche. A la fin de Rivages, on pressentait un éclatement du village par le fait que plusieurs personnages avaient émis le souhait de partir. La fin des étiages va donc dans plusieurs directions, alternant les focus sur d’autres personnages. Cette diversité de fils narratifs permet de dévoiler d’autres horizons de Dômaine, et de complexifier davantage l’intrigue. Je me suis demandé pendant un bon moment en quoi tout cela allait me ramener au voyageur et à la trame principale, sans me douter réellement de ce qui allait se passer. Une plongée totale dans l’aventure.

… et rupture

Paradoxalement, si ce souhait de déconstruction se place dans la continuité du premier volume, les choix opérés par Gauthier Guillemin font de La fin des étiages un opus bien à part, avec sa propre identité et en nette opposition à Rivages.

Le changement complet de narration, décentrée sur plusieurs personnages de manière alternée, accélère le rythme du récit. Si Rivages était assez lent et contemplatif, La fin des étiages se place davantage dans l’action, creusant les personnages que l’on découvre un peu plus et tissant plus finement les relations entre les uns et les autres.

Ce second opus offre également un changement complet de décors. Si par le biais des focus alternés, l’on suit encore Sylve et le village dans leur cadre forestier, l’essentiel du roman se déroule en ville. On se promène dans la cité principale des Nardenyllais. Là encore, peut-être que j’extrapole : Rivages m’avait fait penser à Rousseau par les rêveries d’un… voyageur solitaire, La fin des étiages m’a remémoré ses réflexions sur la différence entre l’état de Nature et l’état social. Les choix des Nardellynais sont très discutables, notamment sur le plan éthique, comme si la cité, ses pouvoirs et ses technologies corrompaient; plongés dans cet univers dont ils ne connaissent pas les codes, les villageois semblent un peu dépassés, simples dans le dénuement de leur mode de vie et par leur ingénuité.

Un retour aux bases classiques de la fantasy

La fin des étiages, c’est aussi le retour aux classiques de la fantasy. Je ne rappellerai jamais assez que classique n’est pas synonyme de ringard ou de mauvais. Oui, j’aime bien certains romans qui dépoussièrent un peu la fantasy, mais j’aime aussi retrouver dans d’autres les recettes qui ont fait leurs preuves.

En l’occurrence ici, plusieurs éléments :

  • Le roman est placé sous le signe d’une guerre imminente entre peuples. Des alliances se forgent, d’autres se dénouent;
  • Les personnages sentent qu’ils vivent un tournant majeur non seulement de leurs vies mais aussi de leur peuple, de leur civilisation. Chacun se prépare à affronter ce nouveau destin qui se dessine. Ainsi, la fin des étiages est comme un point d’orgue à la duologie, offrant un final assez grandiose;
  • Enfin, l’auteur nous offre une baston finale, aux tonalités très épiques.

La fin des étiages a une tonalité très différente de Rivages; beaucoup plus grave, puissante, par la confrontation des personnages à des enjeux qui les dépassent grandement. Il y a quelque chose de mythique dans ce roman. Comme si nous assistions là à des événements majeurs dans l’Histoire de tout un peuple, destinés à être racontés et transmis de génération en génération.

Peut-on alors parler d’un aboutissement de la quête entreprise dans Rivages ? Oui, et non, car finalement, on se rend compte que « la fin », d’un voyage, d’une lecture, d’une quête… n’est jamais vraiment la fin, mais une étape, une porte ouverte vers autre chose. Alors peut-être que c’est la fin des étiages, oui; toutefois on entrevoit, pour tous les personnages, d’autres histoires à raconter, un autre destin à tracer, un renouveau.

En pratique

Gauthier Guillemin, La fin des étiages

Albin Michel Imaginaire, 2020

Couverture : Aurélien Police

Autres avis : Yuyine, qui a apprécié replonger dans cet univers poétique; une analyse de Marc, passionnante; Le nocher des livres a beaucoup apprécié le retour dans le Dômaine, où il retournera très certainement en rêve.

La fin des étiages conclut la duologie commencée avec Rivages. Gauthier Guillemin offre ici une belle suite aux personnages attachants du premier opus. J’ai eu plaisir à revenir au Dômaine, parcourir d’autres lieux et rencontrer d’autres peuples. J’ai trouvé qu’il y avait dans ce roman une ambiance plus mythique, comme si ce texte était un récit de mémoire, forgeant l’identité d’un peuple. Une sorte de récit fondateur. La fin des étiages se place dans la continuité directe de Rivages, mais parvient à offrir quelque chose de nouveau, différent, tout aussi beau et merveilleux à lire. Moi aussi, j’y retournerai sans doute en rêve, un jour.

5 commentaires sur “Gauthier Guillemin – La fin des étiages

Ajouter un commentaire

  1. Merci pour cette lecture précise et enthousiaste ! Quand à la fin, en effet je crois aux fins heureuses et ouvertes….

    1. Merci beaucoup à vous pour cette belle duologie, j’ai passé un excellent moment de lecture. Une parenthèse d’optimisme, de beauté aussi. Et j’ai beaucoup aimé cette fin, ouverte, laissant place à… autre chose, à imaginer 🙂

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Fièrement propulsé par WordPress | Thème : Baskerville 2 par Anders Noren.

Retour en haut ↑