Traduction vers le rose est la dernière sortie des éditions 1115. Je me la suis procurée à Ouest Hurlant et j’ai pu la faire dédicacer par son autrice, Esmée Dubois. Traduction vers le rose est une novella dont la jolie poésie, aussi douce que le coton, masque une réalité brute et tranchante comme la glace. Sa couverture rose bonbon est un leurre, ne vous fiez pas à sa mignonitude !
Résumé maison
Dans un univers imaginaire indéterminé, à une époque indéterminée. Reine règne sur le Pays du Sable. Il y fait bon vivre, doux et tiède. Une pépiniériste veille avec amour sur les plantes-archives du Royaume, plantes qui enregistrent le passé et le présent de cette société matriarcale qui ne connait pas l’écrit.
Un jour, un cataclysme détruit tout sur son passage. Pire, il amène le Froid. Le gel frappe désormais ce Royaume démuni. Comment continuer de vivre et comment s’en sortir ? Le salut vient des Insensibles, des personnes qui ne sont pas touchées par le Froid, et mieux, qui le comprennent. Elles peuvent le traduire, et ainsi le repousser au-delà de la rivière.
Une nouvelle organisation se met en place…
Un conte merveilleux : mignonnet et glaçant à la fois
Traduction vers le Rose est un conte merveilleux. On y retrouve des ingrédients à la Alice au Pays des merveilles, donnant à l’univers décrit un aspect farfelu et rigolo. Malgré tout, comme tout conte, il y a des enseignements à tirer, et le rigolo cache la monstruosité.
J’ai particulièrement aimé la force d’imagination de l’autrice dans ce texte. On croise par exemple des plantes-archives, qui enregistrent le passé et le présent. J’ai trouvé l’association très jolie et bien trouvée. Ca m’a un peu fait penser à l’univers très fleuri de Prospérine Virgule-point et la Phrase sans fin. Les fleurs ont du sens, du pouvoir et une sorte de conscience magique.
Malgré tout, comme Alice au Pays des merveilles, il y a, derrière le charme que ces éléments imaginés et farfelus opèrent sur nous, une tyrannie sans pitié qui croît tout au long du texte, cachée par un récit tout en douceur.
En effet, quand l’équilibre se rompt après l’arrivée du Froid dans ce pays du Sable, c’est la panique. Comment s’en sortir ? Survivre ? Pérenniser l’ancien modèle ? De ce côté-là, j’ai trouvé le propos intéressant, car Esmée Dubois décrit les mêmes comportements que dans notre monde réel : la dénégation, la panique, et surtout les solutions de court terme. L’incapacité et la non volonté de comprendre ce qu’il se passe et pourquoi, avant de résoudre le problème. Et repousser celui-ci, plutôt que l’affronter. Il y a davantage le souhait de pérenniser un modèle passé qui ne fonctionne plus que de s’adapter et changer sa façon de faire. Et cela, coûte que coûte, au détriment des vies des traductrices. C’est une véritable tyrannie qui se met en place sous ces mots tout jolis et le rythme très doux du récit.
Une jolie balade, mais…
Ce texte aurait pu beaucoup me plaire, malheureusement il n’est pas exempt de défauts qui amoindrissent un peu sa force. En premier lieu, la multiplicité des points de vue. 5 ou 6 personnages racontent la même histoire de leur point de vue. C’est bien vu, malheureusement cela ne marche pas bien, car les façons de raconter sont quasi similaires; difficile de distinguer une individualité propre derrière les mots. De ce fait, on finit par tourner en rond. Même le point de vue grusien reprend les mêmes tournures de langage, la même façon de parler et c’est vraiment dommage. Car on ne ressent pas du tout l’Altérité. Ca manque de force ici.
D’autre part, comme les personnages, on n’avance pas beaucoup. On fait reculer le Froid durant des pages, mais pourquoi il est là, ce qu’il se passe au-delà du fleuve, on l’ignore jusqu’aux dernières pages qui apportent les réponses dans une grosse précipitation. Cela m’a paru, dans le dernier tiers, un peu brouillon et je suis arrivée à la fin un peu désarçonnée, n’étant pas bien sûre d’avoir saisi le message qu’a voulu faire passer l’autrice.
Enfin, c’est certainement le format novella qui veut ça, mais je regrette un peu le manque d’approfondissement de certains aspects de la magie présentée. On rencontre le Charbon blanc, des bêtes froides… Tout cela semble avoir de l’importance mais de la même façon je n’ai pas bien saisi leur véritable sens et j’ai eu la sensation d’être passée à côté de quelque chose.
En pratique
Esmée Dubois, Traduction vers le rose
Editions 1115, 2023
Couverture : Victor Yale
Autres avis : Retrouvez l’avis détaillé de Maude Elyther sur son blog.
Traduction vers le rose est une novella d’Esmée Dubois. Originale, inventive, toute en fausse douceur poétique, cachant une réalité bien plus tranchante. Ce jeu de cache-cache et de contrastes était fort bien trouvé. Cependant, je regrette n’avoir pas su m’y investir davantage, notamment du fait d’un récit à plusieurs fois qui n’a pas fonctionné suffisamment bien pour pouvoir m’entraîner tout du long. J’ai ainsi la sensation d’être passée à côté de quelque chose, d’avoir presque mis le doigt sur le message du texte mais sans vraiment le comprendre totalement. Malgré tout, rien que pour la découverte de ce voyage imaginaire merveilleux et la plume de l’autrice, je ne regrette pas la lecture.
Merci pour cet avis plus contrasté que ceux que j’ai lus jusqu’ici. Cela me permet de me faire une idée plus nette de ce qui m’attend si j’attaque cette lecture. L’univers imaginé semble, malgré les défauts que tu as repérés, mériter le voyage.
Oui, très original et plein d’imagination. Même si tout ne m’a pas plu ou si je n’ai pas tout suivi, j’ai apprécié la lecture. C’était un voyage que je n’ai pas été mécontente de faire. Après, qu’en restera-t-il sur le long terme, ça…
Ah, le long terme… On est parfois surpris d’images qui subsistent de textes assez anodins et d’autres qui nous ont marqué sur le moment et disparaissent dans l’oubli au profit de nouvelles histoires. C’est toujours surprenant.
Malgré ton avis en demi-teinte, le côté poétique et métaphorique me donne envie d’y jeter un oeil curieux à l’occasion ! Merci pour ce retour.
Oui c’est ça, poétique et un peu onirique aussi parfois. C’est une petite curiosité cette novella en effet, voyage original garanti. Pas ébouriffant non plus, mais sympathique.