Une couronne d’os et d’épines est un roman d’Emily Norsken, paru aux étidions des trois nornes. C’est ma 4ème lecture des 5 finalistes du #PLIB2022, après D’or et d’oreillers, Prospérine Virgule-Point et Encens. Autant le dire de suite : ça a été une lecture assez pénible pour moi. Entre l’ennui et surtout l’agacement, ça n’a pas été un bon moment du tout. Mais j’ai souhaité malgré tout aller au bout afin de pouvoir faire un retour le plus complet possible. Je préfère prévenir également : ma chronique ici comportera des spoilers, car je tiens à revenir sur les passages qui m’ont posé problème et expliquer en quoi.
Synopsis
« Servir le royaume qu’importe le prix, qu’importe le moyen. Bien au Nord, sur le royaume de Cnàimh, les Dieux, les Anciens et le Os veillent. Le souvenir du roi Teodor dit le Boucher hante toujours ses habitants. Pour survivre aux hivers glacials du dieu Wyrn, ces terres doivent rétablir les alliances défaites sous la lame des conquêtes du feu dirigeant sanguinaire.
Nayla appartient au sang sombre, la chamane l’a désignée ainsi lors de son rituel de passage. Corbeau, elle devra devenir. Elle doit rejoindre cet ordre de femmes pour devenir les yeux et les oreilles du roi des Os, Ingvar le Juste.
Guidée par la Reine des Corbeaux, Frihër Agn, Nayla devient Nå, son héritière ».
Une structure perfectible
Un manque de relecture
Une couronne d’os et d’épines n’a pas été bien relu. Il reste pas mal de fautes (les traditionnelles fautes d’accord, une concordance des temps toujours aussi étrange; elle est faite quand « ça fait joli ou pas » j’imagine), de maladresses de langage et de lourdeurs. C’est dommage et embêtant, pour deux choses. D’abord, cela ne met pas en valeur le travail de l’autrice, qui a, selon moi, une plume intéressante, joliment étoffée de vocabulaire varié. Ensuite, parce que c’est un roman qui figure dans les 5 finalistes d’un prix littéraire… Avec Encens, cela fait donc 2 textes sur les 4 que j’ai lus qui laissent à désirer sur ce point. A croire qu’une langue française à peu près correcte dans un bouquin c’est devenu optionnel, et ce pour tout le monde (je mets les lecteurs dedans, puisque ce roman n’est pas arrivé dans les finalistes par hasard).
Un one shot ?
Passons dans le vif du sujet. Une couronne d’os et d’épines est un joli pavé. J’aime bien les pavés : je m’attends toujours à plonger dans un univers dense et riche, avec un background étoffé; une promesse de voyage intense.
Le roman démarre doucement, et j’ai plutôt bien apprécié les 150 premières pages. C’est assez lent, mais l’on suit la jeunesse de Nayla et sa quête d’identité et de place dans cet ordre des Corbeaux. On est dans quelque chose d’assez classique cependant. Un petit côté roman d’apprentissage, avec en toile de fond quelques éléments de décor pour saisir ce dont il est question. Malgré tout, j’ai eu la sensation d’arriver In Medias Res sur les plans politiques et diplomatiques. J’ai eu du mal à saisir tous les enjeux de cet ordre des choses. J’ai manqué de background, de précisions sur le passé historique pour bien tout comprendre. Cet univers semble vaste mais je n’ai jamais réussi à me le représenter dans mon esprit. Une petite carte m’aide toujours pour m’immerger totalement dans un univers si dense.
Par ailleurs, la variété de rythmes m’a semblé bancale, donnant lieu à un récit assez décousu. Tantôt des longueurs, tantôt des ellipses assez inattendues qui m’ont un peu perdue en route et lassée. C’est dommage, car le roman par bien des aspects se rapproche souvent de l’épopée; d’ailleurs, j’attendais beaucoup de la dernière scène de bataille mais celle-ci se dégonfle assez vite. J’aurais bien vu ce roman en duologie. Débarrassé des quelques longueurs, allégé dans sa narration, il aurait alors pu étoffer un peu son arrière-plan et mieux enrober les ellipses, pour éviter les à-coups nombreux et déroutants.
Une couronne d’os et d’épines : beaucoup d’os
Des personnages archétypaux
Attention, première volée de spoilers.
Plusieurs personnages souffrent selon moi d’un côté assez artificiel. Je pense notamment à la traîtresse de service (oh la méchante), ou à la Reine, très très méchante (et un peu jalouse et un peu folle, évidemment). J’ai déjà évoqué Nayla, parfaite dans son rôle de « jeune-héroïne-venant-de-sa-cambrousse-qui-ne-connait-rien-à-rien-mais-qui-va-devenir-Reine-parce-qu’elle-est-l’élue-alors-elle-va-découvrir-la-vie-et-c’est-dur ».
On est par ailleurs dans un monde où les Hommes et les Femmes ont une position malheureusement bien connue : Les Hommes dictent, les Femmes ouvrent les cuisses (et ferment leur gueule sinon bûcher). Diablement original; du jamais vu. Le récit ne laisse donc pas beaucoup de surprise quant au placement des personnages sur cet échiquier politique. Je regrette que le roman, qui parle beaucoup de sororité, n’en offre qu’une image biaisée. Je n’ai pas vu de sororité là-dedans.
Enfin, quelques incohérences ne permettent pas non plus aux personnages d’être crédibles. Je pense notamment à l’Homme-bête qui ne sait pas dire un mot mais qui apprend rudement bien vite la langue, jusqu’à tenir des discours impeccables assez vite. Et en plus il devient Roi. Franchement, chapeau quand même. Une belle victoire de l’Etat de civilisation sur l’Etat de nature. Et évidemment c’est un roi bon et sage. Qui rend même sa couronne… à une femme à la fin (quelle mansuétude – c’est une preuve de féminixsmféminninsiem – argh, j’arrive pas à l’écrire).
Scène de viol ou scène sexy ?
Attention : seconde volée de spoilers
Quand on annonce à Nayla qu’elle va devoir offrir son corps lors d’une Enchère (cela rappelle furieusement Geisha d’Arthur Golden), et accepter de coucher avec un type qui la paie, et que « c’est comme ça », « que oui c’est horrible mais elle n’a pas le choix » : c’est une scène de viol à laquelle je m’attends. Mais non, car à la place, on a une scène sexy, dans laquelle la gamine (oui elle est jeune) est rassurée parce que le mec est pas si moche que ça (!!), qu’il est pas si violent (!!!) et que donc finalement c’est pas si horrible (!!!!). Et of course, parce que sinon c’est pas sexy, elle dit même un petit « oui » comme ça hopla on a le consentement, z’avez-vu ?
Je veux bien admettre que pour beaucoup de lectrices, il n’y a rien de choquant; après tout, on est tous habitué à ce type de représentations. Et j’ai d’ailleurs entendu les divers arguments en face (« oui mais elle est jeune et ne connait rien d’autre », « Urian n’est pas si violent », « c‘est une question de sensibilité », « oui mais c’est normal dans le cadre du roman » et « oui mais c’est qu’un roman »). Personnellement, cela m’effare et m’interroge en même temps.
Pourquoi j’en fais une affaire d’état ?
Car on connait les ravages de schémas de ce type dans l’inconscient collectif. L’ennui de cette scène, c’est que jamais elle n’interroge. Elle ne remet RIEN en cause, elle ne dénonce pas. Au contraire, elle lisse, normalise, amoindrit. Elle enrobe le tout dans un gloubi-boulga romanesque et harlequinesque, qui se poursuit tout le roman puisque Nayla devient amie avec Urian pour le respect qu’il a à son égard (si si, en vrai).
J’aurais accepté cette scène si elle avait été traitée comme telle : un viol. Cela ne m’aurait pas empêché de râler sur le manque d’originalité (le viol comme passage obligé dans l’apprentissage de la vie d’une femme c’est pareil ça me lasse).
Alors oui, je me suis demandé si je n’étais pas passée à côté du message derrière, et si je ne surinterprétais pas. Mais cela pose d’autres questions : y a t-il un message derrière et celui-ci a t-il été suffisamment adroit dans sa formulation ? Pour ma part, j’estime que non, sinon il n’aurait pas fait l’objet d’une telle différence d’appréciation. Et pour en avoir discuté avec beaucoup de lectrices, je sais que je ne suis pas la seule à avoir ce point de vue. Or, un sujet comme celui-ci ne peut pas, à mon sens, être sujet à interprétations différentes, justement. Un viol DOIT rester un viol et être traité, selon moi, comme tel. Est-ce un sujet qui dépend de la sensibilité de chacun ? Je crois que non. Donc oui, je suis en colère; mais surtout déçue en fait. Je pensais que les choses évoluaient.
En pratique
Emily Norsken, Une couronne d’os et d’épines
Editions des Trois Nornes, 2021
Couverture : Anaïs Flogny
#PLIB2022
#ISBN9782492118043
Autres avis : Nina a aimé son excursion dans le royaume des Os malgré quelques retenues; coup de cœur pour Adopt a librairian; l’avis de Callysse, ma copine de LC 🙂 ; Sphinxou et moi avons eu le même ahurissement sur les aspects problématiques du roman que j’ai signalés.
Une couronne d’os et d’épines est un roman d’Emily Norsken paru aux éditions des Trois nornes. Un roman qui n’a pas su me passionner et qui m’a beaucoup dérangée dans sa manière de reproduire des relations entre les personnages que je trouve particulièrement problématiques. C’est dommage, car cela aura complètement éclipsé les bons points du roman, notamment la relation pleine d’amitié (vraie pour le coup) entre Nayla et son protecteur. Mais ça n’a pas suffi à me faire passer un bon moment de lecture, à vrai dire. Ca a été un moment particulièrement pénible pour moi, et j’aurais malheureusement du mal à recommander ce roman.
« Un viol DOIT rester un viol et être traité, selon moi, comme tel » C’est effarant de devoir le dire et encore plus que des personnes puissent opposer des arguments à cette vérité. Il n’y a pas de sensibilité ou d’interprétation, juste un cadre légal à respecter, à défaut d’un cadre moral qui apparaît pourtant évident. Et le fait que l’héroïne soit jeune devrait suffire à tout le monde pour voir le problème….
Je n’ai pas encore lu le roman, mais le fait que l’autrice transforme une scène de viol en quelque chose de banal, voire de sexy me rebute vraiment.
Alors elle est jeune mais pas non plus mineure (enfin, je ne sais pas où se situe la majorité dans ce roman, cela dit). Elle est jeune dans sa perception des choses, encore naïve, douce, innocente, et vierge. Donc pour moi, c’est embêtant.
Sur la transformation de la scène : je ne pense pas que ce soit du fait de l’autrice, ou encore que ce soit voulu comme tel. Je pense plutôt que c’est une reproduction d’un schéma qui malheureusement a fait ses preuves, qu’il y a une habitude et qu’elle est ici reproduite. J’ose espérer, et je me plais à le penser, que la manière dont la scène est traitée ne représente pas la pensée de l’autrice; cependant, la maladresse de cette scène est problématique. Il aurait fallu lors des corrections éditoriales, soulever ça et améliorer cette scène pour que justement, elle ne soit pas sujette à interprétation comme tu le dis.
Le sujet est trop grave pour laisser la porte ouverte aux différentes sensibilités et que la question se pose.
Et comme toi, je suis effarée, oui. Le nombre de viols dans les bouquins comme passage obligé d’un perso féminin ou encore le nombre de ces scènes qui sont traitées comme qqch de sensuel et à moitié consenti m’effare (je pense notamment à Mexican Gothic, que j’ai lu, mais pas mal de titres que je vois passer sur instagram sont dans cette veine-là : et ils sont acclamés !).
Je comprends mieux pour la scène… Et dommage en effet que ce point ait passé l’épreuve de la relecture/correction.
Je ne suis pas étonnée pour les bouquins sur Instagram parce qu’on ne peut voir les points problématiques qu’en étant sensibilisé et ça prend du temps, notre société étant encore enfermée dans des schémas archaïques. Même moi, je sais pertinemment que je ne vois pas tous les points problématiques (et en cela tes chroniques sont une précieuse aide) et que je les tolère parfois
oui c’est long, tu as raison. Moi aussi d’ailleurs, je déconstruis encore des habitudes. Et c’est aussi en lisant d’autres retours sur ces sujets, d’autres points de vue, que j’apprends à voir les choses autrement.
Merci pour le lien 🙂
Après la lecture de ta chronique et notre discussion, je m’aperçois que j’ai peut-être été trop gentille avec ce roman… ^^’ Avec le recul, je revois mon avis à la baisse.
Si mon avis permet justement de reconsidérer le livre avec un plus critique, je me dis que je n’ai pas galéré pour rien à rédiger cette chronique ! Je te remercie pour ton retour 🙂 Même si je suis désolée du coup d’avoir contribué à revoir ton avis à la baisse sur un livre qui t’avait globalement plu – et je comprends tout à fait cela, et je respecte également les avis de tous.
Je me fais tous les jours cette réflexion, au sujet de livres, de films… : « si j’avais lu ce livre il y a dix/quinze ans, je n’aurais pas vu le problème. Mais maintenant, les choses ont changé et mon regard aussi ». J’apprends encore tous les jours à détricoter mes habitudes. Il y a encore des choses que je trouve normales mais qui dans le fond… non, ne le sont pas. C’est pour cela que je ne jette pas la pierre à celles et ceux qui ont apprécié ce roman.
Je compte alors sur la littérature, notamment, pour m’ouvrir les yeux. Alors quand celle-ci ne le fait pas, je trouve qu’elle rate son but.
Complètement d’accord avec tous les points évoqués. Tu as parfaitement développé tout ce qui m’a profondément agacé et lassé (mis à part les coquilles que je continue à ne pas voir 🙈😄).
ah j’ai un radar à fautes. j’aimerais le mettre sur pause de temps en temps. Mais non, ça veut pas ^^
Merci beaucoup pour ton retour, qui me rassure également, sur ma vision des choses mais aussi sur la manière dont j’ai exprimé mon avis. Toujours délicat à écrire ce genre de chroniques, d’autant que ce bouquin est super bien noté (et figure dans les finalistes, c’est dingue…).
J’en suis ressortie avec exactement le même avis que toi !
Merci pour ton retour ! Cela me rassure, mais je suis navrée que tu n’aies pas eu un bon moment de lecture non plus… 🙁
Merci pour la mention !
Dommage que cette lecture ait été une telle déception pour toi 🙁
Je t’en prie, c’est avec plaisir, d’autant que ton avis positif contrebalance très bien le mien 🙂
Jolie chronique pour un bouquin que tu n’as pas vraiment apprécié, bravo ! Sur ce, il ne me tentait pas et me tente encore moins du coup ahah.
Une chronique travaillée et argumentée. Je comprends ton retour, suis d’accord sur certains points avec toi mais pas tous notamment la scène de viol où pour moi elle est remise en cause étant donné que ces enchères sont supprimées dès que Nayla a l’occasion de le faire. Mais cela manque effectivement de conviction et de dialogue sur ce sujet afin de montrer à quel point il est inacceptable quelque soit l’univers réel ou fictif dans lequel on le place. A mon sens, cet ouvrage a manqué de travail éditorial et aurait pu être séparé en 2 tomes comme tu le dis. Cela lui aurait été bénéfique pour justement développer ce type de problématique.
Malheureusement, la remise en cause arrive trop tard pour moi pour prendre tout son sens et amoindrir la maladresse de cette scène qui m’a filé la nausée.
Oui, tu as raison, je pense que c’est vraiment le travail éditorial qui fait défaut à ce roman. Tant sur le plan de la langue que sur le fond; certaines scènes auraient pu être remaniées, et une duologie aurait vraiment pu apporter de la solidité à l’ensemble.
C’est dommage… 🙁