Je redoutais un peu la lecture de ce roman. Je ne sais pas pourquoi, vraiment. De la SF américaine des années 60, un prix Hugo… J’avais tendance à penser que le texte serait poussiéreux, vieillot, et un peu ardu. Et puis bon, les prix et moi… Et en fait, rien de tout ça. Quels a priori à la con quand même on peut avoir. Bref. Au carrefour des étoiles, roman de 63, a été retraduit par Pierre-Paul Durastanti et republié chez J’ai lu en 2021. La nouvelle traduction n’est pas pour rien dans le plaisir que j’ai eu à découvrir et lire ce texte.
4e de couverture
Etrange demeure que cette ferme Wallace, qui se dresse sur une falaise escarpée du Wisconsion. Une ferme aux fenêtres aveugles, vieille de plusieurs siècles et cependant intacte, comme si le temps n’avait nulle emprise sur elle. Enoch Wallace, son propriétaire, vie là, de toute éternité semble-t-il.
Or, c’est par cette maison — cette station — que transitent les voyageurs de l’Espace : les Thubains, masses globuleuses et bavardes, les Lumineux de Véga XXI, rayonnant d’ondes heureuses, d’autres encore…
Depuis bientôt deux ans, Claude Lewis — agent des Renseignements déguisé en ramasseur de gingseng — enquête et tourne autour de la ferme…
Un texte de SF positive ?
Faisons la paix
On parle beaucoup de SF positive ces derniers temps, avec Becky Chambers, notamment. Une SF qui n’est pas complètement dystopique, qui propose des solutions fondées sur la paix, le vivre-ensemble, des idées qu’on pourrait dire utopiques. Récemment, j’ai lu Le premier jour de paix d’Elisa Beiram et l’étiquette est accolée à son roman, aussi.
C’est assez drôle comme enchaînement, vous semblera t-il. Toutefois, j’ai trouvé pas mal de similitudes entre les deux romans. L’idée de paix et de tolérance est centrale dans les deux textes, et sa finalité également. En effet, dans les deux romans, il s’agit d’intégrer une sorte de confédération galactique. Or, pour cela, il faut montrer que la Terre n’est pas qu’un ramassis de barbares qui se battent continuellement pour des clopinettes. Que sa population sait vivre ensemble, et faire les bons choix. Qu’elle est aussi capable d’accepter la différence et d’en faire une force.
Au carrefour des étoiles est ainsi un texte profondément doux, mélancolique et porteur d’espoir en même temps. Qui parvient, quand la catastrophe est imminente, à ouvrir une autre porte et trouver des solutions. Qui fonctionnent plutôt bien. Plutôt. J’y reviendrai plus bas.
En attendant, peut-être que je suis à côté de la plaque, mais je trouve là une source aux textes de SF positive contemporains.
Quelques facilités…
Je disais plus haut que le roman parvenait plutôt bien à mener sa barque. J’insiste sur le « plutôt« . Parce que l’intrigue en elle-même n’est pas non plus parfaite. Certes, c’est fluide, agréable à lire, facile. Mais… un peu trop, justement. Car le schéma narratif est d’une simplicité enfantine, et les éléments perturbateurs assez ridicules, tombant comme un cheveu sur la soupe. On sent bien que ce n’était pas là l’important pour l’auteur, mais quand même. Je me suis marrée plusieurs fois en constatant quels étaient les ressorts utilisés par Simak pour faire avancer son histoire. Parfois, c’était vraiment risible, tout de même.
Au carrefour des étoiles, et au carrefour des choix
Au centre de la galaxie…
Au carrefour des étoiles se déroule au centre d’une galaxie interconnectée, au cœur d’un réseau de planètes reliées. Mais on ne sait pas, par exemple, comment s’est construite cette station-gare; ni comment les liens se sont faits entre la Terre et ces autres planètes. On ne sait pas non plus pourquoi, qui, quand.
L’altérité, on la côtoie au moment où des extraterrestres font escale chez Enoch. Ce sont des scènes de vie : un thé, une discussion, une soirée bavarde. Quelques descriptions, quelques impressions personnelles et intuitions d’Enoch permettent d’en apprendre un peu plus sur toutes ces créatures. Mais on n’en sait pas vraiment plus. Mais finalement, on n’en a pas besoin non plus. L’auteur parvient à nous donner juste ce qu’il faut pour attiser notre curiosité, et notre imagination fait le reste toute seule.
Certaines scènes sont très touchantes, porteuses de beaucoup d’émotion très pure et très simple. Je ne m’y attendais pas du tout. En fait, je ne m’attendais pas à un texte empli d’une si grande humanité. Nulle technicité compliquée dans ce roman; pas de jargon, pas de concept tiré par les cheveux ou nécessitant un bac +1000 pour comprendre ce dont il est question. Non, Au carrefour des étoiles est un roman très abordable et qui donne des étoiles plein les yeux.
Au cœur des choix
Un texte de SF profondément humain. Car l’enjeu est résolument humain. Enoch doit faire des choix, et il se trouve à un carrefour présentant plusieurs solutions. Laquelle choisir ? Quelles conséquences aura tel choix, pour lui et sa planète ? C’est très intéressant d’avancer dans ses réflexions, parce que l’échelle change; ce n’est plus seulement lui qui compte, mais la Terre entière. Sa place dans la galaxie. Tout devient très relatif : le temps, l’individu, la vie et la mort. D’ailleurs, la différence d’échelle se mesure à chaque instant. L’infiniment grand côtoie directement l’infiniment petit, avec des querelles de voisinage et des histoires du quotidien.
J’ai bien aimé à ce titre la place de cette maison. Je n’y avais pas pensé de prime abord, mais ce bouquin rejoint parfaitement mon petit challenge littéraire autour de « la maison en SFFF ». En effet, elle est au centre du roman, du réseau intergalactique qui se construit; en cela, elle est un lieu de passage, mais aussi de protection contre l’extérieur. Tout se concentre, dans cette maison : les enjeux galactiques, planétaires, et ceux du voisinage. Et évidemment, tout est interconnecté, et la maison joue un rôle prépondérant ici. Je trouve qu’elle symbolise parfaitement ce qui se joue dans ce roman : elle offre des portes aux personnages, vers des chemins différents, jamais empruntés.
En pratique
Clifford Donald Simak, Au carrefour des étoiles
J’ai lu, 2021
VO : Here Gather The Stars / Way Station (1963)
Traduction : Pierre-Paul Durastanti
Couverture : AkuMimpi
Autres avis : grande œuvre humaniste pour Bob, et je suis bien d’accord avec lui; un classique de SF humaniste, un peu vieillot mais toujours d’actualité pour Le Maki.
Très très chouette surprise que ce carrefour des étoiles. Beaucoup aimé ce livre, que j’aurai plaisir à relire. On m’a dit que la nouvelle traduction avait pas mal dépoussiéré le texte, et je le crois sans peine. J’ai trouvé la prose moderne, agréable et d’une fluidité déconcertante. Bon, ça fait quinze minutes que je cherche à écrire la suite de conclusion, mais je suis enrhumée comme jamais et la tête comme un gros chat, je peux plus rien écrire de pertinent là; j’espère d’ailleurs ne pas avoir raconté d’âneries. Bref, vous aurez compris que c’est un roman à lire, lumineux et tout à fait d’actualité. Voilà. Je poursuivrai avec Demain les chiens.
Bonjour
J’ai aussi relu avec grand bonheur ce roman dans sa nouvelle traduction
Je conseille aussi dans le torrent des siècles
Il n’est pas retraduit mais il y un le même message.
Je vais relire « Demain les chiens » j’en garde un excellent souvenir et il vient d’être retraduit lui aussi
Bonjour ! Merci beaucoup pour tes conseils ! Je ne connaissais pas Le torrent des siècles, je note, merci ! Ce sera intéressant de voir à quel point la retraduction peut avoir un effet, justement, tiens.
Bonne relecture, alors ! Je lirai volontiers Demain les chiens à l’occasion.
Il est dans ma wish-list, il faut que je m’y mette un jour !
Et soigne bien ton rhume ^^
Rhume soigné, ça va mieux. J’ai l’impression que depuis le covid les rhumes ont muté : ça ne me mettait pas à plat comme ça avant. Bref. Oh mais c’est incroyable, tu n’as pas lu ce titre ? Je pensais être la petite dernière à le lire ^^ Ah oui, il faut alors. Je pense que tu feras pas mal de liens entre celui-là et d’autres textes que tu auras lus. Et puis c’est une belle plume 🙂