Premières lignes #22 : Central station

Bonjour ! Un peu en retard, voici les premières lignes #22. Des premières lignes un peu particulières, puisque ce sont celles de Central Station, de Lavie Tidhar, qui sort chez Mnemos le 21 février. Un petit avant-goût de ce fix-up qui j’espère vous donnera envie de vous plonger dedans à sa sortie. Place aux premières lignes, et on se retrouve plus bas.

4e de couverture

Boris Chong vit sur Mars depuis de nombreuses années. À son retour sur Terre, il atterrit à Central Station, un hub interplanétaire où l’humanité s’est réfugiée pour échapper aux ravages de la pauvreté et de la guerre : un véritable carrefour où se croisent des humains, des augmentés, des robots, des IA, des créatures génétiquement modifiées et même des entités extra-terrestres. Depuis son départ, bien des choses ont changé et c’est l’histoire de plusieurs vies qu’il va découvrir, entre une ancienne amante, un enfant aux dons étranges, un père malade, un cousin amoureux, un cyborg mendiant ou encore une data-vampire dont la présence est interdite sur Terre. De carrefour des planètes, Central Station devient alors le carrefour d’une humanité faite de débrouillardises, de sensibilités et d’amours, où chaque vie à son importance et chaque destin son parcours unique.

Lavie Tidhar nous offre une vision d’un futur et d’une humanité qui portent en eux la mosaïque d’un avenir fascinant, d’un monde en mutation constante où l’espoir est toujours présent.

Premières lignes

Je viens pour la première fois à Central Station un jour d’hiver. Des réfugiés africains étaient assis dans l’herbe, l’air impassible. Ils attendaient, mais j’ignorais quoi. Devant une boucherie, deux enfants philippins jouaient à faire l’avion : les bras écartés, ils fonçaient, virevoltaient, actionnant les mitrailleuses sous leurs ailes imaginaires. Derrière le comptoir du boucher, un Philippin fendait une carcasse à coups de feuille, séparant la viande et les os en côtelettes. Un peu plus loin se trouvait le stand de chawarma Rosh Ha’ir, qui avait été victime de deux attentats suicides par le passé, mais qui était ouvert, comme à l’accoutumée. L’odeur de gras d’agneau et de cumin, venue de l’autre côté de la rue bruyante, m’ouvrit l’appétit.

Les feux de circulation clignèrent : vert, jaune, puis rouge. Un magasin de meubles débordait sur le trottoir d’en face, dans une profusion de canapés et de fauteuil tape-à-l’œil. Un petit groupe de camés discutaient, assis sur les fondations calcinées de l’ancienne gare routière. Je portais des lunettes noires. Le soleil était haut dans le ciel et, même s’il faisait froid, c’était un hiver méditerranéen, lumineux et pourtant sec.

Je descendis la rue piétonne Neve Sha’anan et trouvais refuge dans un shebeen. Quelques tables et chaises en bois, un petit comptoir qui servait principalement de la bière Maccabee. Derrière le bar, un Nigérian me regarda d’un air neutre. je commandai une pression. Je m’assis, sortis mon carnet de notes et contemplai la page.

Central Station, Tel-Aviv. Le présent. ou un présent. Une autre attaque à Gaza, les élections à venir. Au sud, dans le désert d’Arava, ils construisaient un immense mur de séparation pour empécher les réfugiés d’entrer. Ils étaient désormais à Tel-Aviv, autour du quartier de la vieille gare routière, au sud de la ville, environ deux cent cinquante mille d’entre eux si l’on comptait les migrants économiques en souffrance, les Thaïlandais, les Philippins, les Chinois. Je bus une gorgée de bière. Elle n’était pas bonne. Je fixai la page. La pluie se mit à tomber.

Je commençais à écrire.

Jadis, le monde était jeune. Les vaisseaux de l’Exode commençaient seulement à quitter le système solaire, le monde d’Heven n’avait pas encore été découvert, le Dr Novum n’était pas encore revenu des étoiles. Les gens vivaient comme il s l’avaient toujours fait : bravant le soleil ou la pluie, heureux ou malheureux en amour, sous un ciel bleu et dans la Conversation, qui ne parle que de nous, toujours.

C’était dans la vielle Central Station, ce vaste spatioport qui s’élevait au-dessus des paysages urbains jumeaux de Jaffa l’arabe, Tel-Aviv la juive. Cela se produisit parmi les arches et les pavés, à un jet de pierre de la mer : l’on pouvait encore sentir le seul et le goudron dans l’air et observer, au lever du soleil, les virages et les piqués des cerfs-volants solaires et de leurs surfeurs ailés dans le ciel. 

Oui, c’était un temps de naissances insolites : j’évoquerai ce sujet. Vous pensez sans doute aux enfants de Central Station. Vous vous demandez également comment une strigoï fut autorisée à venir sur Terre. C’est la matrice hors de laquelle l’humanité à rampé, bec et ongles ensanglantés, en direction des étoiles.

Mais c’est également le foyer ancestral des Autres, ces enfants de la digitalité. D’une certaine façon, ceci est tout autant leur histoire. La mort abonde elle aussi, évidemment : c’est toujours le cas. L’Oracle est présente, ainsi qu’Ibrahim, l’homme des alte-zachen, et de nombreux autres dont les noms vous seront peut-être familiers…

Mais vous savez déjà tout cela. Vous devez avoir été témoin de l’Ascension des Autres. Tout est là-dedans, même s’ils ont embelli tous les protagonistes.

Cela s’est passé il y a longtemps, mais nous nous en souvenons toujours et nous nous chuchotons les vieilles légendes à travers les siècles, ici, dans notre séjour parmi les étoiles.

Cela commence par un petit garçon, qui attend un père absent.

Un jour, racontent les vieilles histoires, un homme venu des étoiles est tombé sur Terre…

Quelques réflexions

Ces premières lignes #22 sont le prologue du fix up de Lavie Tidhar. Central Station est constitué de 13 nouvelles, qui ensemble forment une sorte de mosaïque de personnages, de situations qui s’entremêlent. Cette œuvre a reçu le prix John-Wood-Campbell Memorial du meilleur roman de SF en 2017.

On commence déjà à saisir ici la multitude de voix, de temporalités, dont il sera question ensuite. J’aime beaucoup ce prologue pour plusieurs raisons.
D’abord, j’aime bien le début, qui donne l’impression d’être dans un cadre contemporain et actuel. Le récit est assez posé, les phrases courtes, le regard observateur, on dirait une première scène de film. A côté de ce calme apparent, on voit déjà fourmiller toute une population hétéroclite qui va dans tous les sens. Il se crée ainsi une rupture entre cet observateur qui semble hors de ce cadre et ce qu’il voit.
Et puis ce début de récit dans le récit, en italique. Dedans s’intègre une sorte de dialogue avec le narrataire, nous incluant complètement dans ce qui va se raconter. J’aime bien cette manière de capter notre attention, de nous incorporer dans ce qui se déroule, comme si nous en étions une partie prenante.
Et enfin, il y a cette apparente différence d’échelle, entre un quotidien bien terrestre aux cadres réduits, et une histoire aux contours beaucoup plus larges, aux termes et aux noms qui pour l’instant nous échappent. Je trouve plus de poésie dans cette 2e partie de prologue, avec une touche de mélancolie et de rêvasserie qui me plait beaucoup.

Un prologue qui me séduit donc pleinement, et qui confirme ma 1re bonne impression à réception de cet ouvrage. Je le lirai ces prochaines semaines, avec grand plaisir. J’espère que la suite confirmera ces 1res impressions !

Un rendez-vous bloguesque partagé

Ce rendez-vous créé par Aurélia du blog Ma lecturothèque est suivi par pas mal de blogueurs et blogueuses : Lady Butterfly & CoCœur d’encreLadiescolocblogÀ vos crimesJu lit les motsVoyages de KLes paravers de Millina4e de couvertureLes livres de RoseMots et pelotesMiss Biblio Addict !!La magie des livresElo DitLe nocher des livresLight and smell.

N’hésitez pas à me dire si vous participez aussi à ce rendez-vous dominical, je pourrai ainsi actualiser la liste.

 

Que pensez-vous de ces premières lignes #22 ? Etes-vous tenté ? Séduit ? Avez-vous lu son précédent roman paru chez Mu, Aucune terre n’est promise ? Il a été réédité chez Pocket en 2023. J’aimerais bien le lire également, mais ce sera d’abord au tour de Central Station dans les prochaines semaines, et je vous en parlerai plus en détail au moment de sa sortie. En attendant, très bonne soirée et profitez-bien de la fin du week-end !

5 commentaires sur “Premières lignes #22 : Central station

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    1. Pareil, je ne veux pas publier ma chronique avant la sortie, alors j’attends un peu. On devrait le lire à peu près en même temps, j’espère qu’on sera comblés tous les 2 !

    1. Ah super, c’est le but recherché alors tant mieux si elles t’ont donné envie, ou au moins attisé ta curiosité 🙂 Merci à toi pour ton commentaire et à bientôt ! (je découvre ton blog à cette occasion, dès que j’ai un peu de temps je viens explorer tout cela, j’ai aperçu foule de choses fort intéressantes 🙂 A très vite 🙂

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