Second volet du cycle Le dernier apprenti sorcier, Magie noire à Soho de Ben Aaronovitch est paru en 2011. Il développe les personnages découverts dans Les rivières de Londres. On suit Peter dans une enquête sombre à Soho, et dans son apprentissage de la magie. Les éléments narratifs et stylistiques du premier volume sont repris : on retrouve donc un humour 36ème degré et un cadre urban fantasy bien ancré. Particularités de ce tome : son atmosphère noire et sa tonalité musicale, jazzy, qui accompagne les personnages et le texte.
Synopsis
« Après avoir réconcilié les divinités qui se partagent la Tamise, et mis hors d’état de nuire un tueur en série sorti d’un conte pour enfants vieux de plusieurs siècles, l’agent Peter Grant et l’inspecteur Nightingale pensaient pouvoir souffler un peu. Mais le repos n’est pas une option pour les deux derniers sorciers de Londres : ce sont cette fois les jazzmen de la capitale anglaise qui meurent un peu trop souvent et dans des conditions un peu trop suspectes.
Au son du swing, du bop et de l’électro, Peter nous emmène dans les clubs enfumés de Soho, où magie et musique forment les deux faces d’un même penny… »
Magie noire à Soho : dans la suite des rivières de Londres
Une suite narrative
Ce tome peut se lire de manière indépendante, car c’est une nouvelle enquête que Peter mène. Cette fois, c’est à Soho que l’on se promène. En revanche, les personnages sont approfondis, et leurs rapports se nouent davantage. On retrouve par exemple tous les personnages là où on les avait laissés à la fin des Rivières de Londres (dont la fin embrayait déjà sur l’enquête de ce second volume). On en apprend plus sur leur vie privée (le quartier de l’enfance de Peter, la maison de famille de Lesley), leur famille (on découvre les parents de Peter, leur histoire). D’ailleurs, l’enfance et la famille de Peter sont étroitement intriquées à son enquête (« Je compris que mon enfance était sur le point d’affecter mon enquête »). Enfin, les liens noués entre les personnages au premier tome sont repris (les rivières de Londres, notamment Beverley Brooks et Lady Ty, sont en toile de fond) et poursuivis (amitié entre Lesley et Peter).
On poursuit également les progrès de Peter dans son apprentissage de la magie, et dans ses recherches scientifiques sur l’origine de celle-ci.
L’humour de Peter est toujours aussi décapant, très british. Sa mesure faite maison de l’ampleur des vestigia en est un excellent exemple. Il met au point le « jap », fonction du volume sonore des jappements de son chien Toby (« Le jap ferait partie du système international d’unités, bien entendu; ainsi, le niveau naturel d’un pub du centre de Londres s’établissait à 0,2 jap (0,2J) ou 200 millijaps (200 mJ) »).
Un cadre urban fantasy toujours bien ancré
Peter continue de décrire Londres (son urbanisme, sa sociologie, son histoire, au cœur de son enquête d’ailleurs). Il décrit des bâtiments, et les associe à des éléments architecturaux (le modernisme des années 60, le style édouardien etc.). Ce volume reste donc bien ancré dans un cadre urbain et contemporain, réel.
D’un autre côté, la magie reste cachée (« Il est facile d’oublier la Folie, en partie parce que nous faisons des choses dont personne n’aime parler […] Ainsi, nous remplissons nos missions à l’insu de nos collègues, empruntant des voies impénétrables »). Elle est également toujours aussi peu appréciée par les non-initiés (« S’il a été attaqué par magie, ça n’a pas été fait directement. – Je préfèrerais que vous m’employiez pas ce terme, dit Stephanopoulos. Si on appelait ça « d’autres moyens »? »). Le surnaturel reste donc toujours à sa place, à l’abri des regards.
En revanche, l’ampleur des vestigia (ces « empreintes sensorielles » ressenties par les magiciens) renforce l’aspect urban fantasy dans ce tome. Peter est tout au long de son enquête à l’affût de celles-ci. En effet, l’enquête se déroule à Soho, qui résonne des sons et bruits de ses pubs et boîtes. La magie est donc un écho persistant derrière les murs.
Ce second tome reprend les ingrédients qui ont fait le succès des Rivières de Londres. On a donc une cohérence d’ensemble qui se construit, et une continuité entre les volumes se crée.
Un roman relevant de la littérature noire
Magie noire à Soho joue avec plusieurs codes : ceux du roman policier, du thriller et du roman noir.
Entre policier et roman noir
Peter mène d’une part une double enquête. On retrouve tous les instruments classiques du roman policier (recherche d’un coupable, enquête par le biais de moyens rationnels : autopsie, interrogatoires, croisement de témoignages…).
D’autre part, Magie noire à Soho présente aussi des caractéristiques du roman noir. Habituellement menée par un détective et par des moyens assez peu conventionnels, l’enquête menée par Peter sort un peu des clous officiels. Peter a également recours à des moyens discutables pour espionner les lieux (Ash). On a aussi un milieu social décrit, dans son cadre urbain, et dans son histoire, qui teinte l’enquête (qui remonte aux années 40/50, apogée du roman noir aux Etats-Unis).
Un thriller haletant
Enfin, on a également des éléments du thriller. Le roman construit une gradation dans le suspense qui culmine en fin de récit (d’une violence tragique, et mettant en danger la vie de Peter, dans son rôle de héros du genre). Le magicien noir est le méchant par excellence du thriller. Donnant l’impression d’être un véritable psychopathe, il fait l’objet d’une traque par Peter et Nightingale, et s’amuse à mettre des obstacles sur leur route. Il joue avec eux au jeu du chat et de la souris, parsème leur route de cadavres tous plus horribles les uns que les autres, comme autant de messages à leur attention.
Par ailleurs, le décor accentue le côté sombre (magie noire, enquête en soirée et la nuit, pendant et après les concerts, dans des bars et caves souterrains) et crée une atmosphère de tension et de peur. Enfin, ce roman ajoute une dose d’horreur, savamment saupoudrée dans le récit. Les scènes de crime sont particulièrement brutales et visuelles (« le regard glisse sur l’horreur », « c’était horrible…). »
Magie noire à Soho se distingue donc des Rivières de Londres par son aspect plus sombre. Elle s’inscrit pleinement dans la littérature noire, jouant habilement des codes de plusieurs genres.
Un roman musical
Peter se retrouve donc dans les rues festives de Soho. Deux enquêtes s’entremêlent. En effet, d’un côté il y a des artistes du jazz qui meurent après un concert dans des circonstances étranges (apparemment « naturelles »). D’un autre côté, on a des cadavres sanguinolents et démembrés, qui jonchent le récit. Ces deux enquêtes vont finir par s’entremêler, créant ainsi un chœur musical se terminant sur un très beau point d’orgue.
Les enquêtes amènent également Peter dans le passé : le sien (son enfance, ses rapports avec son père, la carrière de musicien de celui-ci) et celle du quartier (les scènes et pubs de Soho dans les années 40). Des échos se créent alors, entre passé et avenir, et se ressentent dans les murs et pierres des caves (les vestigia). La musique des jazzmen des années 40 retentit encore aujourd’hui dans la ville.
Enfin, certains chapitres sont introduits par un titre de jazz. On parcourt donc un pan de l’histoire du genre, aux côtés des Platters (Smoke gets in your eyes, 1959, chapitre 8), De Nat King Cole (Almost like being in love, 1947), ou encore d’Holt Marvell (These foolish things, 1936, notamment chanté par Billie Holliday, chapitre 11). C’est très agréable à lire, j’ai découvert aussi des titres de jazz que je ne connaissais pas, et en arrière plan de lecture, c’était vraiment parfait.
Magie noire à Soho est le second volume du cycle Le dernier apprenti sorcier de Ben Aaronovitch. Il reprend l’ambiance, le décor et les ingrédients narratifs mis en place dans les Rivières de Londres. S’il peut se lire indépendamment des autres, il s’inscrit dans la continuité du premier volume, reprend les personnages là où on les avait laissés. Il développe ainsi davantage leur passé, les relations entre eux, et on s’attache de plus en plus aux personnages. J’ai trouvé ce volume plus sombre que le précédent, cette plongée dans le thriller et le roman noir donne une coloration particulière au roman. Ca colle très bien avec l’ambiance musicale, et crée une atmosphère particulière au récit. Je vais donc continuer la série, j’espère ne pas tomber dans l’ennui. En tout cas, pour l’instant, j’adhère toujours, et j’ai déjà commencé le tome suivant, Murmures souterrains !