Tom Perrotta – Les disparus de Mapleton

Et voilà ma chronique pour ma dernière lecture de 2023. Les disparus de Mapleton est un roman de Tom Perrotta, écrit en 2011 et traduit en français en 2013. Le roman a été adapté ensuite en série, The Leftovers (excellente, je vous la conseille si vous ne l’avez pas vue, surtout la 1e saison). Série que j’ai regardée il y a déjà quelques années, et le bouquin figurait dans ma liseuse depuis. Comme je me suis lancée dans une opération grand ménage dans ma pile à lire, je me suis enfin mise à la lecture de ce roman. Après La forme de l’eau, voici une nouvelle chronique-regard croisé.

4e de couverture

Que feriez-vous si certains de vos proches, de vos amis, de vos voisins, disparaissaient en une fraction de seconde ? Sans aucune explication ? Pourriez-vous continuer à vivre comme si de rien n’était ? C’est la question que se posent les habitants de Mapleton.

Même s’ils n’ont pas été touchés directement, Kevin, le nouveau maire, sa femme Laurie et leurs deux enfants, Tom et Jill, se débattent pour retrouver un sens à leur vie. Laurie part rejoindre une secte de « pénitents », Tom un groupe d’illuminés hippies, et Jill, autrefois lycéenne modèle, se livre à tous les excès. Peut-on faire son deuil quand l’autre disparaît sans raison ?

Une chronique décapante et émouvante, un portrait sans concession mais humaniste de gens ordinaires dépassés par un extraordinaire bouleversement.

The leftovers

La série TV comporte trois saisons, diffusées sur HBO entre 2014 et 2017. Elle a été créée par Damon Lindenof et Tom Perrotta. C’est la 1e saison qui est tirée du roman; les deux suivantes sont une création originale de Lindenof (le créateur de Lost) assisté de Perrotta. D’ailleurs, de mon point de vue les deux saisons suivantes sont qualitativement en-dessous de la 1e et choisissent des chemins que j’ai trouvés tirés par les cheveux (même si pas inintéressants).

La BO de cette série est incroyablement magnifique, signée Max Richter et j’ai également trouvé le casting super, hormis Justin Theroux qui selon moi ne dégage pas grand-chose. Mais on retrouve notamment le 1er Doctor Who, Christopher Eccleston en Pasteur du coin, et l’excellente Ann Down (La servante écarlate), parfaite en dirigeante de secte.

Regard croisé série TV/roman

En premier lieu, je trouve intéressante l’analyse comparative des titres. La traduction française met l’accent sur les disparus, le titre en VO et la série TV sur ceux qui restent… Les deux œuvres s’attachent bien à montrer le quotidien d’une population marquée par un deuil impossible à faire, dans un monde qui a complètement perdu son sens. En cela, je trouve que le titre traduit n’est pas vraiment adapté au roman.

Le roman n’est pas particulièrement déchirant ni dramatique, contrairement à la série. La musique de celle-ci accentue cet aspect à mon sens. D’ailleurs, la scène d’intro… est sans doute le début de série qui m’a le plus marquée.

En revanche, le roman reste assez vague sur la disparition, alors que la série démarre directement là-dessus et tente d’apporter, durant ses trois saisons, des réponses sur l’origine du Ravissement.

Les disparus de Mapleton alterne les focus sur différents personnages principaux concentrés dans une famille (Kévin, son épouse Laurie, leurs enfants Jill et Tom puis Nora, qui se greffe ensuite). Il montre comment ces individus survivent au Ravissement, plusieurs années plus tard. Les points de vue s’enchaînent sans forcément de lien, comme les relations entre les personnages qui sont complètement distendues. Pour traduire cette perte de sens, le roman est un peu déconstruit, lui aussi. En effet, il n’a pas vraiment d’intrigue, et il ne s’y passe pas forcément grand-chose. On n’y retrouve pas non plus les 5 étapes du schéma narratif. Enfin, il se termine comme il commence : en plein milieu de moments insignifiants comme tant d’autres dans le roman.

En revanche, la série est beaucoup plus vibrante. Bouleversante, aussi. Elle comporte beaucoup plus de personnages secondaires (le Pasteur, Patti, Christine…) qui ont leur importance. Et elle va beaucoup plus loin dans la représentation des sectaires, plus agressifs que dans le bouquin. Cela donne à la série un aspect presque religieux, fanatique, qu’on ne ressent pas forcément dans Les disparus de Mapleton, même si on le devine.

Un roman du non-sens et du deuil

Si la série TV insiste pas mal sur l’aspect post-apo, le roman est davantage dans un quotidien assez banal. Raison pour laquelle j’ai classé ce roman dans la catégorie Littérature contemporaine. C’est d’ailleurs un peu le sujet du roman : Mapleton. Petite bourgade des Etats-Unis profonds, où vivent une poignée d’individus dans un entre-soi étouffant. C’est une peinture d’une Amérique paumée qui se lit dans le roman. Un mariage qui fout le camp. Une mère débordée par ses gamins, qui a sacrifié sa vie pour eux et s’est perdue en cours de route. Le père qui batifole derrière le dos de son épouse pourtant parfaite. Des ados complètement perdus dans les high-schools américaines. Un personnage principal rentier qui n’a plus aucun but, et des administrés qui se plaignent au Maire pour des broutilles. Un Pasteur sans croyants. Des sectes toutes puissantes, avec des grands Gourous que l’on écoute. Une chronique d’un monde en bout de course.

Finalement, Les disparus de Mapleton est un roman très psychologique, centré sur l’évolution des personnages. Chacun, à sa manière, va faire son deuil. Peut-être faut-il lire ce roman comme un condensé des cinq étapes du deuil, vers la reconstruction des uns et des autres. Certains personnages ne sont pas forcément plus avancés à la fin, peut-être même un peu plus perdus. Ils errent dans ce roman comme des fantômes, sans vie, sans verve, incapables même de se barrer. Mais d’autres parviennent à s’en sortir, et tentent de recommencer, autrement. Ce sont là des parcours de vie bien différents.

Zoé la fataliste

A la longue, je dois bien avouer que le roman manque de passion, d’action et d’émotions. Il s’y lit une sorte de fatalisme un peu fatigué; pas pesant mais assez plat, à l’image de la vie de tous ces habitants, que rien ne peut plus embellir. C’est une sorte de tranche de vie qui se présente. Une période choisie au hasard, dans la vie d’après. Sans commencement défini, sans fin bien marquée non plus. Une manière de dire qu’après le Ravissement, tout est gris, que chaque jour qui passe comme le précédent, inodore et sans saveur et que cela perdurera après la dernière page tournée. Il y a vraiment, oui, ce fatalisme, dans ces pages, qui colle.

Et malgré ce sentiment de pesanteur, Les disparus de Mapleton est un roman qui m’a plu. Parce qu’il est incroyablement vraisemblable et réaliste. Je ne crois pas au crac-boum apocalyptique qui amènerait des populations à se bouger pour survivre et à réinventer le monde. Je ne crois pas non plus à la révolte ni au sursaut de dernière minute. J’ai plutôt tendance à penser que l’humanité se vautrera dans cette lente dégénérescence qui ramollit jusqu’à effacer le sens de la vie et la chaleur des relations. Ce roman ne fait pas rêver, il ne nous incite pas à nous bouger, il ne propose pas de solutions. Mais il donne ainsi un aperçu d’un futur que je crois tout à fait probable, compte tenu de ce qu’on est en train de faire de notre présent.

Peut-être qu’il m’a plu parce qu’il a su parler à mon propre fatalisme, quelque part… On ne s’est pas adorés, mais on s’est compris, lui et moi.

En pratique

Tom Perrotta, Les disparus de Mapleton

Fleuve noir, 2013 puis 10/18, 2015

VO : The Leftovers, 2011

Traduction : Emmanuelle Ertel

Autres avis : Le chat du Cheshire a également préféré la série TV au roman plus psychologique; un ressenti très similaire au mien chez Stéphanie-Plaisir de lire; « une ambiance pesante et indolente » pour DragonLyre : c’est tout à fait ça.

Les disparus de Mapleton est un roman bien étrange. Une chronique d’un trou perdu au fin fond des USA, dans une époque qui n’a plus de sens. Un petit bled paumé, où les habitants tournent en rond comme des poissons dans un bocal, face à un drame mondial. Cette différence d’échelle génère une pesanteur assez palpable tout au long des pages de ce roman psychologique. Un roman bien moins dramatique que son adaptation en série, mais marquant par sa vraisemblance et son fatalisme. Voilà un roman qui ne marque pas sur l’instant mais qui, je pense, révèle sa force dans la durée. Une lecture que je suis très contente d’avoir faite.

7 commentaires sur “Tom Perrotta – Les disparus de Mapleton

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  1. Je ne connaissais ni le livre ni la série, mais je te remercie pour ces deux découvertes. Tu as du trouver ça surprenant que le roman reste flou concernant les disparitions, c’est certainement la chose que j’attendrais le plus de savoir, pourquoi ? Malgré le réalisme que tu sembles avoir apprécié, et le côté psychologique des personnages qui a l’air bien travaillé, je ne suis pas certaine d’être le bon public pour ce roman. Je me laisserais peut-être plus facilement tentée par la série par contre. 🙂

    1. Ben pas tant que ça en fait, parce que dans la série c’est pareil, on ne sait pas pourquoi. Les deux saisons suivantes donnent des pistes pour comprendre, mais ce sont plutôt des interprétations que des explications. D’ailleurs, c’est avec cet aspect que j’ai eu le plus de mal dans la série, et la raison pour laquelle j’ai préféré la saison 1, qui est tirée du bouquin. J’ai trouvé les interprétations tirées par les cheveux et ça ne m’a pas convaincue. Parfois, je préfère ne pas avoir de réponses…
      Le roman s’intéresse surtout à la survie des gens qui restent, avec un angle choisi psychologique. C’est un bouquin qui parle de deuil et de résilience, et interroge la faculté de se remettre d’un événement qui n’a pas d’explication. Faut-il forcément des réponses pour continuer ? Et comment faire quand on n’en a pas et qu’on n’en aura pas ?
      Je te conseille vraiment la première saison de la série, elle est franchement remarquable !

      1. Ah ben je laisse tombé aussi pour la série alors 🫣 Je pensais surtout la découvrir en série, car les univers post apocalyptique sont des univers je suis plus facilement en série qu’en livre bizarrement mais de toute façon, j’ai cru voir qu’elle était dispo sur Amazon et je n’ai pas Prime donc tant pis. 😇 Mais c’est vrai que le côté psychologie a l’air intéressant dans le roman, mais dans le doute, je ne vais pas encombrer ma pile à lire cette fois. Par contre si j’ai l’occasion quand même de tester la première saison, j’y penserai, merci 😉

  2. Ton avis ne donne pas envie même si tu as apprécié 😅. Peut-être trop fataliste pour moi. Autant je pense que l’immobilisme est une vérité pour une grande part de l’humanité autant je pense qu’il y a aussi des humains qui se bougeront les fesses, s’adapteront et donnera naissance à l’évolution suivante sauf si le changement entraîne un changement immédiat de l’environnement qui empêche l’adaptation qui elle exige une petit temps.

    1. Là en l’occurrence, difficile de se bouger, car le phénomène est totalement inexpliqué, il n’y a aucune piste rationnelle, et la vie est obligée de reprendre son cours… C’est intéressant pour cela justement ce bouquin, car ici, bouger pour aller où et faire quoi, contre qui, changer quoi ? C’est d’ailleurs tout le questionnement des personnages, qui se débattent tout seuls dans leurs propres tourments et ces questions existentielles. Si encore il y avait qqch à combattre. Mais là…
      Mais oui je conçois que ce n’est pas une lecture folichonne et que ce soit très pesant et fataliste en effet.
      Ma chronique de cette semaine devrait davantage te plaire. Enfin, le bouquin. Parce que la chronique… tu vas détester je pense certains passages – je n’en dis pas plus, on en reparlera 😉

  3. J’ai vu la première saison à l’époque, depuis j’alterne des phases « ça m’a suffit » et « il faudrait quand même que je regarde la suite ». En tout cas, si je retourne dans cet univers ça sera définitivement avec la série et non avec le livre. Je m’étais toujours demandé comment ça pouvait rendre en roman, vu la non-intrigue, et ce que tu en dis me conforte que ce ne serait pas pour moi, même si je ne doute pas de ses qualités et de son réalisme, comme la série.

    1. Ben c’est vrai que par rapport à la série, il ne se passe… rien.
      Je serais tentée de te conseiller de t’arrêter à la première saison aussi pour la série, mais bon, selon les attentes et le regard de chacun, les deux autres peuvent apporter des éclairages et des pistes intéressantes. Elles sont de très bonne qualité aussi, mais la 1e se suffit à elle-même selon moi.

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