Bonjour et bon dimanche ! Comme promis hier, je partage avec vous ici les premières lignes d’un roman qui va sortir le 5 juin. C’est le nouveau titre d’Anne-Claire Doly, Ceux de la montagne évanouie, à paraître au label Mu chez Mnemos. Cette dédicace aux Imaginales a été l’occasion d’une rencontre qui m’a beaucoup marquée, parce que placée sous le signe de l’échange et de la considération mutuelle. Et le soir même, en lisant la dédicace, j’ai lu l’épigraphe tirée d’un roman de Thomas Mann (La montagne magique). Puis l’incipit, puis le premier chapitre. Je n’avais alors une seule hâte : commencer ce roman. Place donc aux Premières lignes #34 !
4e de couverture
Après la tempête qui a ravagé la vallée, Cesterín est coupé du monde. Depuis la plaine, la montagne a disparu, évanouie derrière la brume. De l’autre côté du rideau compact, un autre monde, un autre temps, peut-être. Pour les habitants et les réfugiés de passage, privés de secours, c’est l’heure du choix : faut-il partir pour échapper à la montagne et à la brume qui les a coupés du monde ou rester auprès de celles et ceux qui ne quitteront pas les hauteurs malgré le péril ?
Ceux de la montagne évanouie est une fresque moderne surréaliste et une formidable histoire intime de femmes et d’hommes qui se révèlent dans les ombres inquiétantes de la brume.
Après son premier roman Sous la lune brisée, une dystopie philosophique saluée par les libraires, Anne-Claire Doly s’affirme, avec ce nouveau récit relevant du réalisme magique, comme une des écrivaines de l’intime et de l’universel.
Premières lignes #34
Émergée du lac, l’aube enveloppait les névés du mont Brûlé. Le mauve dévalait lentement, le cédant aux teintes que l’homme ne peut regarder en face sans s’aveugler. Enroulé dans l’amas indistinct des couleurs annonçant le lever du soleil, l’air fraîchissait avec le vent descendu des cimes aiguës, cendreuses ainsi que les parois qui cernaient le lac et les songes des marcheurs.
Le pas encore imprégné des mauvais rêves, Ferràn inspecta les réparations de la veille, tapant fort des pieds contre les planches récemment étayées. Le martèlement résonna dans l’encaissement qui précédait les rives du lac, auquel répondirent quelques sifflements ténus. Parmi les touffes d’herbe qui brunissaient, des silhouettes se dressèrent et presque aussitôt, détalèrent dans la pente douce qui rejoignait la piste. Les yeux baissés sur la pointe boueuse de ses chaussures, Ferràn scruta l’interstice des lattes rivetées qui composaient la terrasse du refuge. Pierraille et terre sèche se détachèrent, format un petit éboulis qui vint s’entasser contre le soubassement des escaliers. La nuque raide, il chassa les visions de la nuit qui partait, emportant avec elle l’inutile constat des jours auxquels plus aucun de ses choix ne changerait rien. Devant lui, la surface indifférente du lac semblait le défier de respirer plus doucement, plus régulièrement. Il ne faisait pas d’effort, mais les eaux imposaient une certaine cadence et malgré lui, il l’avait faite sienne. Son souffle était long, son sang battait lentement dans ses veines larges encore, gonflées d’altitude, son passé blanchi aux heures solitaires des hauteurs. Il était tel et n’en tirait ni gloire, ni sentiment de sacrifice. Des regrets, moins encore, jetés aux vents qui parfois, ramenaient des terres trop basses l’âme morne de la plaine et ses trépassés.
Les senteurs s’éteignaient sous les avertissements de l’automne. Laîches et grassettes épuisaient leurs grelots colorés, déjà moisis par les jours de soleil et de pluie que l’été charrie sans relâche, et sa fin retire sans sommation. Ferràn s’accouda à la rambarde. Elle était humide, comme les chaises qu’il faudrait rentrer. Il n’avait pu se résoudre à les mettre à la cave, ni à replier la toile cirée dont les motifs criards réverbéraient les premiers rayons.
Quelques réflexions
Mon Dieuuuu, que la montagne est bêêêlleuuuh
La couverture me plaît beaucoup avec ses couleurs mélancoliques et ses personnages tout petits face à l’immensité des lieux. Elle est signée Kévin Deneufchatel. Mais c’est vraiment le résumé qui a retenu toute mon attention, et ce dès la 1re ligne. La montagne, c’est pour moi. Tempête, vallée, brumes, personnages coupés du monde… Ça me parle, ça me fascine. Et ça génère chez moi énormément d’idées, de couleurs, de rêves, d’histoires dans ma tête.
Ce premier chapitre est vraiment splendide. Une sorte de tableau peint avec les mots. Il retranscrit très bien mes propres ressentis quand je suis dans ces espaces isolés. Des détails qui ressortent, des couleurs, des ambiances, des impressions fugaces. Il y a aussi dans ces premières lignes quelque chose de très organique qui me plait. Je sens d’ici ces parfums que j’aime retrouver chaque année, pendant mes vacances à la montagne. Je visualise donc très bien ces tableaux de couleurs et de formes. L’autrice a su d’emblée capter et maintenir mon intérêt.
Moi qui en plus préfère le récit aux dialogues, je suis aux anges. Je trouve d’ailleurs que la prépondérance du récit souligne bien la dureté des lieux et le silence. Car les mots se font rares, en ces lieux. Dans ce roman, les dialogues d’ailleurs sont réduits, bruts. Ces premières lignes oscillent ainsi, je trouve, entre un sentiment d’apaisement (le calme après la tempête, l’étrange force magnétique des montagnes) et une forte âpreté (chez les personnages, qu’on devine éprouvés). Cela donne alors une ambiance particulière. On sent que déjà pas mal de choses se mélangent ici dans ces premières lignes.
Réalisme magique
Autre mot-clé qui m’attire : le réalisme magique. J’ai lu quelques textes dans ce genre. Par exemple Sous le lierre de Léa Silhol ou encore les romans d’Alexandra Koszelyk, comme La dixième muse. J’aime beaucoup le réalisme magique. Il offre une autre lecture du réel, avec un autre langage. Celui de symboles, de significations, de métaphores et d’images. Magie et surnaturel infusent alors dans notre réalité, et tout ceci se mélange, estompant les frontières entre les mondes.
C’est surtout une question de perceptions, selon moi. Je sens déjà qu’il y a quelque chose relevant d’un autre ordre que le seul plan rationnel ici. Ce paysage semble surnaturel. Peut-être du fait du jeu des couleurs, ou du chevauchement du monde des rêves et du monde éveillé. Ou encore des éléments naturels vivants, aux contours imprécis. Les silhouettes qui s’échappent, le lac qui défie Ferràn, les vents chargés d’une âme… Tout est en place pour que l’imagination s’emballe et réinterprète le réel. Une belle page de poésie, dans le sens étymologique du terme : de recréation du monde.
Un roman qui parle de la montagne, ou de personnages ?
Il est vrai que cet incipit met en scène un paysage montagnard. Elle est ici un personnage, qui se meut, évolue. Toutefois, la dynamique de ce texte m’incite à penser qu’il sera davantage question d’individus. Qui vivent en symbiose avec elle ou qui la fuient. Plus qu’un paysage, il y a quelque chose de résolument humain ici.
En effet, cet incipit crée un resserrement autour du personnage. On passe de l’aube qui se lève sur le paysage à Ferràn qui émerge de son mauvais rêve, du mont Brûlé au petit refuge de Ferràn. Comme un zoom, qui donne l’impression que le personnage est bien seul dans les environs. Ce sentiment est renforcé par le fait que ce paysage semble sur le déclin dans la saison. De plus, les quelques animaux (non déterminés) se sauvent de ce tableau. Nulle mention encore du mur de brume, ni de la catastrophe qui s’est abattue dans les environs. Et pourtant je sens déjà un étau bien resserré autour des personnages. Plus qu’un roman sur la montagne, je crois donc deviner un roman qui évoque plutôt la manière dont celle-ci façonne et isole les personnages. Je m’attends à des individus isolés tant sur le plan physique et géographique que psychologique.
Beaucoup de choses donc, déjà, dans ces premières lignes. Elles m’indiquent que ce n’est pas un roman qui peut s’avaler rapidement. Plutôt un texte à savourer, à peser, à apprécier. Qui recèle une puissance à chaque mot, et qui n’est pas toujours facile. Le cadre assez sombre me laisse penser qu’il sera par moments aussi rude que les reliefs découpés. Mais je suis une marcheuse, et une aventurière, alors j’y vais, sans regrets.
Un rendez-vous bloguesque partagé
Ce rendez-vous créé par Aurélia du blog Ma lecturothèque est suivi par pas mal de blogueurs et blogueuses : Lady Butterfly & Co, Cœur d’encre, Ladiescolocblog, À vos crimes, Ju lit les mots, Voyages de K, Les paravers de Millina, 4e de couverture, Les livres de Rose, Mots et pelotes, Miss Biblio Addict !!, La magie des livres, Elo Dit, Le nocher des livres, Light and smell.
N’hésitez pas à me dire si vous participez aussi à ce rendez-vous dominical, je pourrai ainsi actualiser la liste.
Qu’avez-vous pensé de ces premières lignes #34 ? Exercent-elles sur vous le même effet magnétique que sur moi ? Que vous évoquent-elles ? Vous donnent-elles envie de parcourir les crêtes ? Pour ma part, à l’heure où j’écris ces lignes, j’arrive à la fin du roman, et je vous en parlerai bientôt. Je peux simplement vous dire que j’ai adoré ce roman, qui est d’une puissance et d’un souffle incroyables. Une excellente lecture donc, comme je n’en avais pas eu depuis quelques semaines. Et j’ai adoré découvrir la plume de l’autrice, un vrai régal à lire. Je n’en dis pas plus, la chronique sera publiée mercredi en 8 ! Patience, donc 🙂 D’ici là, je vous souhaite un très bon dimanche de de très bonnes lectures !
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