Premières lignes #2 : Silo, Tome 1

Après Fahrenheit 451, j’ai choisi de vous partager les premières lignes de Silo, premier volume de la trilogie du même nom de Hugh Howey. Cela fait un moment que je l’ai emprunté à la bibliothèque, et je suis en train de regarder la série. J’ai déjà visionné les épisodes disponibles (il y en a un chaque vendredi), et j’ai tout de suite accroché. La BO, le générique, les acteurs, la représentation du Silo… Difficile pour moi d’attendre plus longtemps avant de me plonger dans le livre. Je vous souhaite une bonne lecture avec ces premières lignes #2 !

Silo : Présentation et résumé

 » Dans un futur post-apocalyptique indéterminé, quelques milliers de survivants ont établi une société dans un silo souterrain de 144 étages. Les règles de vie sont strictes. Pour avoir le droit de faire un enfant, les couples doivent s’inscrire à une loterie. Mais les tickets de naissance des uns ne sont redistribués qu’en fonction de la mort des autres.
Les citoyens qui enfreignent la loi sont envoyés en dehors du silo pour y trouver la mort au contact d’un air toxique. Ces condamnés doivent, avant de mourir, nettoyer à l’aide d’un chiffon de laine les capteurs qui retransmettent des images de mauvaise qualité du monde extérieur sur un grand écran, à l’intérieur du silo.
Ces images rappellent aux survivants que ce monde est assassin.
Mais certains commencent à penser que les dirigeants de cette société enfouie mentent sur ce qui se passe réellement dehors et doutent des raisons qui ont conduit ce monde à la ruine ».

Silo est le premier volume de la trilogie du même nom, écrite par Hugh Howey. Il a d’abord été écrit à compte d’auteur et publié sur Amazon. Le succès a amené ensuite l’auteur à transformer ce roman indépendant en premier tome d’une trilogie, et les deux volumes suivants paraissent en 2013. Le roman inaugure la collection Exofictions, dédiée à la SF, d’Actes Sud.

Le roman est ensuite adapté en série en 2023, diffusée sur Apple TV. Elle compte 10 épisodes de 50 minutes à une heure chacun.

Premières lignes #2 : Silo, Tome 1

 » Les enfants jouaient pendant qu’Holston montait vers sa mort ; il les entendait crier comme seuls crient les enfants heureux. Alors que leurs courses folles tonnaient au-dessus de lui, Holston prenait son temps, et chacun de ses pas se faisait pesant, méthodique, tandis qu’il tournait et tournait dans le colimaçon, ses vieilles bottes sonnant contre les marches.

Les marches, comme les bottes de son père, présentaient des signes d’usure. La peinture n’y tenait que par maigres écailles, surtout dans les coins et sur l’envers, où elle était hors d’atteinte. Le va-et-vient ailleurs dans l’escalier faisait frémir de petits nuages de poussière. Holston sentait les vibrations dans la rampe luisante, polie jusqu’au métal. Ça l’avait toujours ébahi : comment des siècles de paumes nues et de semelles
traînantes pouvaient éroder l’acier massif. Une molécule après l’autre, supposait-il. Peut-être que chaque vie en effaçait une couche pendant que le silo, lui, effaçait cette vie.

Foulée par des générations, chaque marche était légèrement incurvée, son rebord émoussé comme une lèvre boudeuse. Au milieu, il ne restait presque aucune trace de ces petits losanges dont la surface tirait jadis son adhérence. L’absence s’en déduisait seulement du motif visible de chaque côté, où de petites bosses pyramidales, aux arêtes vives et écaillées de peinture, se découpaient sur l’acier.

Holston levait sa vieille botte vers une vieille marche, appuyait sur sa jambe et recommençait. Il se perdait dans la contemplation de ce que les années sans nombre avaient fait, cette ablation des molécules et des vies, ces couches et ces couches réduites à l’état de fine poussière. Et il se dit, une fois de plus, que ni les vies ni les escaliers n’étaient faits pour ce genre d’existence. L’espace resserré de cette longue spirale, qui se déroulait dans le silo enterré comme une paille dans un verre, n’avait pas été conçu pour pareil traitement. Comme tant de choses dans leur gîte cylindrique, il semblait obéir à d’autres fins, répondre à des fonctions depuis longtemps oubliées. Ce qui servait aujourd’hui de voie de communication à des milliers de personnes, dont les montées et descentes quotidiennes se répétaient par cycles, Holston le trouvait plus propre à servir en cas d’urgence et à quelques dizaines de personnes seulement.

Il franchit un palier supplémentaire – un camembert de dortoirs. Alors qu’il gravissait les quelques étages qui restaient, pour sa toute dernière ascension, les bruits de joies enfantines se mirent à pleuvoir plus fort au-dessus de lui. C’était le rire de la jeunesse, d’êtres qui ne s’interrogeaient pas encore sur l’endroit où ils grandissaient, ne sentaient pas encore la terre presser de tous côtés, ne se sentaient pas le moins du monde enterrés, mais en vie. En vie et inusés, ils faisaient ruisseler leurs trilles heureux dans la cage d’escalier, des trilles qui s’accordaient mal aux actions d’Holston, à sa décision, à sa détermination à sortir.

Alors qu’il approchait du dernier étage, une voix juvénile résonna un ton au-dessus des autres, et il se rappela son enfance dans le silo – toutes ses heures d’école et de jeux. À l’époque, l’étouffant cylindre de béton, sa succession d’étages d’appartements, d’ateliers, de jardins hydroponiques et de salles d’épuration aux mille tuyaux enchevêtrés, lui paraissait un univers immense, une vaste étendue qu’il ne pourrait jamais explorer
en entier, un labyrinthe dans lequel lui et ses amis risquaient de se perdre à jamais.

Mais plus de trente ans avaient passé. Holston avait l’impression que son enfance remontait à deux ou trois éternités, qu’elle avait été la joie de quelqu’un d’autre. Pas la sienne. Il avait derrière lui toute une vie de shérif qui pesait de tout son poids et lui barrait l’accès à ce passé. Et plus récemment, il y avait eu ce troisième stade de son existence – une vie secrète en plus de l’enfance et de sa vie de shérif. Les dernières couches de son être à se trouver réduites en poussière ; trois années à attendre en silence ce qui n’allait jamais arriver, trois années où chaque jour lui avait semblé plus long qu’un mois des temps heureux.

Au sommet du colimaçon, la rampe se déroba sous la main d’Holston. La barre de métal rond et usé s’arrêtait et la cage d’escalier se déversait dans les deux salles les plus spacieuses de tout le silo : la cafétéria et le salon adjacent. Les cris enjoués étaient maintenant à sa hauteur. Des formes vives zigzaguaient çà et là entre les chaises, jouant à s’attraper. Une poignée d’adultes essayait de contenir le chaos. Holston vit Donna amasser des craies et des pastels éparpillés sur le carrelage sali. Son mari, Clarke, était assis derrière une table garnie de tasses de jus de fruits et de saladiers de biscuits à la farine de maïs. Il salua Holston de l’autre bout de la salle.

Holston ne songea pas à répondre, il n’en eut ni l’énergie ni le désir. Il ignora les adultes et les enfants en train de jouer pour contempler le panorama flou projeté derrière eux, au mur de la cafétéria. C’était la plus grande vue existante de leur monde inhospitalier. Un tableau matinal. La lumière chiche de l’aube enveloppait des collines sans vie qui n’avaient guère changé depuis l’enfance d’Holston. Elles étaient là, telles qu’elles avaient toujours été, alors que lui était passé des courses poursuites à travers les tables de la cafétéria à cette sorte de vide qu’il était aujourd’hui. Et par-delà leurs crêtes ondoyantes, majestueuses, les sommets familiers d’une ville en décomposition captaient les rayons du matin par faibles miroitements. Verre et acier antiques se dressaient tout au loin, à l’endroit où, soupçonnait-on, des gens avaient un jour habité en surface.

Un enfant, propulsé du groupe comme une comète, fonça dans les genoux d’Holston. Holston baissa les yeux et tendit le bras vers lui – c’était le garçon de Susan – mais comme une comète l’enfant était déjà reparti, ravalé dans l’orbite des autres. Holston pensa soudain à la loterie qui leur avait souri, à Allison et lui, l’année où elle était morte. Il avait encore le ticket ; il le gardait toujours sur lui. L’un de ces enfants – peut-être
qu’il ou elle aurait deux ans aujourd’hui, et tituberait derrière les plus grands – aurait pu être le leur. Ils avaient rêvé, comme tous les parents, de la fortune double d’avoir des jumeaux. Ils avaient essayé, bien sûr. Une fois l’implant d’Allison retiré, ils avaient passé nuit après nuit à essayer de concrétiser ce ticket,
et si les parents déjà comblés leur souhaitaient bonne chance, ceux qui espéraient encore être tirés au sort priaient en silence pour une année blanche.

Sachant qu’ils n’avaient qu’un an, Allison et lui avaient convié la superstition dans leur vie, cherchant de l’aide de tous côtés. C’était des trucs – suspendre de l’ail au-dessus du lit, ce qui était censé accroître la fertilité ; placer deux pièces sous le matelas pour avoir des jumeaux ; un ruban rose dans les cheveux d’Allison, des taches de bleu sous les yeux d’Holston –, le tout ridicule, éperdu et drôle. Une seule chose aurait été plus
folle : ne pas tout essayer, laisser de côté la moindre légende ou séance de spiritisme idiotes.

Mais cela ne devait jamais arriver. Avant même la fin de leur année, la loterie avait désigné un autre couple. Ça n’avait pas été faute d’essayer ; ç’avait été faute de temps. Faute, tout à coup, d’épouse.

Holston se détourna des jeux d’enfants et de la vue floue projetée sur le mur pour diriger ses pas vers son bureau, qui se trouvait entre la cafétéria et le sas du silo. En chemin, ses pensées se tournèrent vers la lutte dont tous ces lieux avaient été témoins, une lutte de fantômes qu’il avait dû revivre au quotidien ces trois dernières années. Et il savait que, s’il se tournait et scrutait ce vaste panorama sur le mur, cherchait à percer le flou des caméras voilées et de la crasse en suspension dans l’air, suivait ce pli sombre qui gravissait la colline, cette ride qui sur la dune terreuse traçait son chemin vers la ville lointaine, il pourrait distinguer sa silhouette paisible. Là, sur cette colline, on pouvait voir sa femme. Elle y reposait comme un rocher endormi, érodée par l’air et les toxines, les bras repliés sous la tête.

Peut-être.

Il était difficile de voir, de distinguer clairement, même à l’époque où le flou n’avait pas encore commencé à se reformer. Et d’ailleurs, il n’y avait pas grand-chose de fiable dans cette image. Il y avait même vraiment de quoi douter. Holston fit donc simplement le choix de ne pas regarder. Il traversa les lieux du combat fantomatique de sa femme, décor de sa folie soudaine, à jamais habité de mauvais souvenirs, et
pénétra dans son bureau.
— Tiens, regardez qui est tombé du lit, dit Marnes en souriant.
L’adjoint d’Holston referma l’un des tiroirs métalliques du classeur, dont les antiques jointures pleurèrent une note terne. Il souleva un mug fumant puis remarqua l’attitude solennelle de son supérieur.
— Tout va bien, chef ?
Holston hocha la tête. Il désigna le tableau de clés derrière le bureau :

— Cellule.
Le sourire de l’adjoint s’affaissa en une moue perplexe. Il posa le mug et se retourna pour décrocher la clé. Pendant qu’il avait le dos tourné, Holston frotta une dernière fois dans sa paume l’acier froid, anguleux, puis il plaqua l’étoile sur le bureau. Marnes se retourna et tendit la clé. Holston s’en saisit.
— Vous voulez que j’aille chercher le balai à franges ?
Marnes pointa le pouce vers la cafétéria dans son dos. Sauf arrestation, ils ne se rendaient dans la cellule que pour la nettoyer.
— Non.
Holston hocha la tête vers la cellule, invitant son adjoint à le suivre. Il tourna les talons, entendit la chaise crisser derrière le bureau lorsque Marnes se leva pour l’accompagner, et acheva son périple. La clé glissa sans peine dans la serrure. Bien fabriqué et bien entretenu, le mécanisme de la porte émit un claquement sec. Il y eut un grincement minimal des gonds, un pas déterminé, une poussée, et clac, ce fut la fin du supplice.
— Chef ?
Holston tendit la clé à travers les barreaux. Marnes la regarda, perplexe, mais sa paume s’avança pour l’accepter.

— Qu’est-ce qui se passe, chef ?
— Fais venir le maire, dit Holston.
Il laissa échapper un soupir, un souffle lourd qu’il retenait depuis trois ans.
— Dis-lui que je veux sortir ».

Premières lignes #2 : une brève analyse de l’incipit de Silo

Quelle première phrase ! La dichotomie entre la mort programmée d’Holston et les rires des enfants est au centre de ce premier chapitre qui joue sur les contrastes forts.

D’abord, il est assez intéressant de noter que pour mourir, il faut monter. Ainsi, ce premier chapitre est une ascension… vers la fin et la sortie. L’auteur déjoue en effet nos attentes en renversant la symbolique liée à la ville et au mouvement ascensionnel. Habituellement, l’ascension est connotée positivement, liée à tout un imaginaire de liberté, de douce délivrance, de paix. C’est d’autant plus notre attente ici que Silo est un huis-clos enfoui sous Terre, sans air pur ni ciel bleu. Or l’ascension d’Holston ressemble davantage à un chemin de croix. Les derniers mots du chapitre révèlent bien cette représentation inversée. Ainsi, plus on pense s’échapper du Silo, plus en fait on s’y enfonce. Ce premier chapitre est paradoxal dans sa dynamique. Il nous plonge alors, c’est le cas de le dire, dans la complexité et la singularité de cet endroit. Et ce, avec une incroyable efficacité.

Je n’ai pas encore fini ce roman, c’est ma lecture en cours. Cependant, ce premier chapitre m’a complètement happée. J’apprécie la manière dont l’auteur parvient en plus à suggérer ici et là les grands enjeux du roman. Le contrôle des naissances, le rôle des nettoyeurs, la baie vitrée donnant sur l’extérieur, le passé d’Holston, la mémoire oubliée… Etonnant également de nous faire présenter un personnage en début de roman dont on pressent qu’il ne va pas durer longtemps… ! Hugh Howey a su ici attirer notre attention et la conserver. En effet, en présentant un personnage qui monte pour s’en échapper, il parvient ce faisant à nous y faire descendre et nous piéger à l’intérieur. Comme pour prendre la place d’Holston.

En pratique

Hugh Howey, Silo, Tome 1

Actes Sud (2013) et Livre de poche (2016)

VO : Wool, Omnibus (2011)

Traduction : Yoann Gentric et Laure Manceau

Un rendez-vous bloguesque partagé

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N’hésitez pas à me dire si vous participez aussi à ce rendez-vous dominical, je pourrai actualiser la liste !

Que pensez-vous du début de ce roman ? L’avez-vous lu ? J’ai cru comprendre que les deux volumes suivants étaient loin d’égaler ce premier tome excellent. En tout cas, pour moi il commence très bien. Et la série me permet de me représenter les lieux et l’ambiance, chose que j’ai toujours du mal à faire habituellement sans visuel. Je verrai si je poursuis ensuite. Enfin, j’espère que ces premières lignes #2 vous ont plu et donné envie de lire ce roman ! Je vous souhaite un bon dimanche et une bonne lecture !

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