Peng Shepherd – Le livre de M

Première lecture du challenge Avril autour de la SF organisé par Céline Lecture sur son compte instagram. Le livre de M de Peng Shepherd est un roman post-apo, un joli pavé qui m’a beaucoup plu par son humanité et ses questionnements divers. Un roman qui semble simple, dépouillé des ingrédients SF traditionnels, mais percutant, et finalement bien dense. Le roman est paru en 2020 chez Albin Michel Imaginaire. C’est le premier roman de l’autrice américaine, et il a reçu le prix Neukom Award 2019.

Synopsis

Que seriez-vous prêt à sacrifier pour vous souvenir ?

Un jour, en Inde, un homme perd son ombre – un phénomène que la science échoue à expliquer. Il est le premier, mais bientôt on observe des milliers, des millions de cas similaires. Non contentes de perdre leur ombre, les victimes perdent peu à peu leurs souvenirs et peuvent devenir dangereuses.
En se cachant dans un hôtel abandonné au fond des bois, Max et son mari Ory ont échappé à la fin du monde tel qu’ils l’ont connu. Leur nouvelle vie semble presque normale, jusqu’au jour où l’ombre de Max disparaît…

Situé dans une Amérique tombée de son piédestal, où nul n’échappe au danger, Le Livre de M raconte l’incroyable destin de gens ordinaires victimes d’une catastrophe mondiale extraordinaire.

Un post-apo humain

C’est sans nul doute ce qui m’a le plus plu dans ce roman : l’humanité qui imprègne l’ensemble. On est ici dans du post-apocalyptique. Cependant, l’autrice ne donne que très peu d’éléments sur l’origine de cette « épidémie ». La perte des ombres en est-elle seulement une ? En tout cas, Le livre de M ne s’appesantit pas sur les raisons de ces événements, qui restent d’ailleurs ignorées tout du long. De même, il n’aborde pas, sinon rarement et en pointillés entre les lignes dans un dialogue, la manière dont les Etats ont fait face (ou plutôt n’ont pas fait face). 

Bref, la perte des ombres et de la mémoire des gens reste un mystère pendant tout le roman. Du coup, celui-ci se concentre plutôt sur la manière dont les gens vont vivre avec. Le livre de M offre alors une palette de personnages très différents, tous impactés à divers degrés par ce fléau.

Le livre de M est un roman qui porte sur une période assez courte. On ne connait pas vraiment la vie d’avant des personnages. Ce sont donc des tranches de vie de gens meurtris, paumés. Ces parcours vont se croiser, se rencontrer, se perdre… J’ai beaucoup aimé chacun des personnages que l’on suit de manière alternée. Vivre à leurs côtés, les voir se battre contre l’oubli, la peur… les rend très attachants.

La valeur de la vie

Ces personnages parcourent de grandes distances, à pied, en camping car… Une rumeur, des murmures… : à la Nouvelle-Orléans, il faut aller à la Nouvelle-Orléans. Pourquoi ? Ca, je vous laisse le découvrir ! En attendant, pour y arriver, les personnages prennent des chemins différents. Et l’on suit chacun d’entre eux dans son quotidien sur les routes, ici pour sauver ce qui peut encore l’être, là pour résister à l’oubli et graver dans un magnétophone des souvenirs encore présents. Parfois, cela peut paraître un peu long. On n’est pas ici dans l’action permanente, et le recours à la science et à la technologie est assez minime  : rien que des personnages face à eux-mêmes et qui se délitent. Cependant, cela apporte énormément de réalisme et de crédibilité à ce monde qui pourrait être/est le nôtre.

Sur les routes, on croise des personnages secondaires qui forment un arrière-plan social terrifiant : des gens qui se sont constitués en groupes solidaires et fermés, une secte qui considère l’Oubli comme un don qu’il faut rechercher (Ils m’ont fait penser aux Guilty Remnants dans The leftovers), des gens seuls à la durée de vie plus que limitée, des citoyens qui prennent les armes pour défendre leur vie, et la faim qui règne en maître. J’ai aimé aussi le renversement de point de vue qui fait des Oubliés une menace au lieu de victimes. Bref, c’est l’anarchie dans ces Etats-Unis frappés par l’Oubli.

Ce sont nos propres peurs qui sont mises en scène ici. Et c’est là encore une preuve que la SF est pleinement ancrée dans la réalité : elle interroge notre réel et notre rapport à lui. On parvient sans peine à se projeter dans ce monde car il touche ce qui nous définit pleinement. Chaque personnage m’a touchée, et je me suis imaginée à leur place, ça m’a glacée d’effroi.

Des questionnements humanistes

Au-delà de ces parcours de vie, j’ai également beaucoup aimé le cheminement éthique/scientifique/moral qu’il y a derrière.

Pour contextualiser sans trop en dire, un des personnages du roman est le premier individu frappé par l’Oubli. Il est alors suivi par un neuropsychologue qui suit également un homme récemment accidenté et devenu amnésique. Ses travaux vont l’amener à réfléchir sur cette perte de mémoire, à rechercher des similitudes avec l’amnésie connue et tenter de trouver un moyen d’y remédier.

Le roman explore, par le biais des différents personnages, la manière dont on pourrait ralentir les effets de l’Oubli, voire même reconstruire une mémoire. Par exemple, une des interrogations du roman est celle-ci : faudrait-il rattacher un individu dans sa mémoire collective, par le biais de livres qui offrent la connaissance et le savoir passés ? Si la sauvegarde des livres est un enjeu de guerilla dans le roman, on se rend compte que ce n’est finalement pas la solution idéale : car la mémoire humaine est bien plus individuelle, affective, personnelle que collective.

Enfin, sans en dire davantage, le final du roman est absolument terrifiant et bouleversant. Un gigantesque plot twist final est particulièrement violent et poignant. Ca ne pouvait pas finir autrement, mais boudiou, ça m’a déchiré le cœur.  C’est un des meilleurs excipit de romans que j’aie lus !

Je vous laisse donc découvrir toutes les trouvailles de ce roman sur ces questions, qui pose des questions de morale, d’éthique et qui interroge la nature même de ce qui fait l’humanité. Et je vous invite à découvrir le mystère derrière le M… 🙂

En pratique

Peng Shepherd, Le livre de M

VO : The book of M, HarperCollins, 2018

VF : Albin Michel Imaginaire, 2020

Couverture :  Leo Nickolls

Traduction : Anne-Sylvie Homassel

Prix Neukom Award 2019

Autres avis : Très bonne lecture pour Sometimesabook, qui pointe la beauté de l’histoire d’amour du roman, et une SF transcendée; 4 points de vue de personnages pour trois apocalypses chez Tigger Lilly; une fable philosophique pour la Geekosophe qui a mis la même note que moi à ce beau roman; un roman marquant qui a beaucoup bouleversé Chut Maman lit ! et un coup de cœur pour Yuyine, qui a trouvé ce roman brillant.

Le livre de M a été une très bonne surprise ! Je ne m’attendais pas à ce pavé (je l’ai lu en numérique, je ne fais jamais attention au nombre de pages), et malgré quelques longueurs j’ai beaucoup apprécié cette lecture. Elle a été à l’image des personnages : un cheminement à leurs côtés. J’ai trouvé ce post-apo très différent de ce que j’ai pu lire : plus humain que technologique, peu attaché aux causes des événements, et assez lent dans son déroulé. J’y ai trouvé une crédibilité et un réalisme très forts, avec des personnages particulièrement touchants, attachants et bouleversants. Un roman qui me restera en tête pour les questionnements qu’il aura générés chez moi et pour son final grandiose et terrible.

9 thoughts on “Peng Shepherd – Le livre de M

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  1. Je n’ai pas encore osé franchir le pas. Ta chronique fait peser la balance davantage dans le sens de l’audace. Mais ma P.A.L. est gigantesque. En tout cas, merci pour cet article aux arguments clairs.

    1. C’est un titre qui mérite du temps, parce que le rythme est assez lent et il est assez gros. Du coup, je te conseillerais de le lire un jour, vraiment, mais de lui consacrer le temps qu’il faut; et rien ne presse, tu peux d’abord commencer par te consacrer à ta Pal qui regorge sûrement de beautés aussi !

  2. Plus je lis d’avis sur ce roman plus il me tente même si ma PAL n’est pas très d’accord…
    Je suis tentée par cette dimension humaine qui prend le pas sur la dimension technologique et par les personnages qui semblent avoir su te toucher.

    1. Oui c’était la surprise de mon côté ! je trouve que c’est un roman qui convient bien aux personnes qui redoutent toujours un peu (comme moi) les aspects trop technologiques (de peur de ne pas tout saisir).
      Tu pourras lui faire une petite place quand tu auras reçu le feu vert de ta paL ^^

    1. oui il a une force en lui qui touche beaucoup. Je pense aussi qu’il va perdurer dans ma mémoire, et bonifier comme tu dis. C’est le genre de bouquin qui « vieillit » bien, aux valeurs intemporelles…

  3. Première fois que j’entends parler de ce texte, mais il semble bien bien sympa ! Merci de la chronique, je le note ^^

    1. Tu peux l’ajouter à ta wishlist en effet, je pense que ça te plaira beaucoup !
      Toujours ravie de faire découvrir des livres, merci pour ton retour 🙂

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