Pauline Sidre – Rocaille

Rocaille est un roman de Pauline Sidre, publié par Projet Sillex. J’ai découvert cette autrice avec l’anthologie de fantasy animalière qui sortira cet été. J’avais énormément apprécié sa nouvelle La voix de l’écorce, qui révélait un remarquable travail poétique sur le langage. Enfin, on est dans le mois de la fantasy ; je suis allée « vers d’autres contrées » et me suis « laissée porter », suivant les conseils de mon amie Véronique Parrenin Brun, avec qui je fais le challenge Livra’deux (chacune propose à l’autre de lire 3 livres  issus de la PaL de sa binôme). Merci beaucoup Véronique pour cette proposition ! C’était une lecture particulière : Rocaille est un roman de qualité, mais je suis incapable de dire si j’ai aimé ?

 Synopsis

Gésill ne dort plus depuis qu’il est mort.

Assassiné puis ramené à la vie par les Funestrelles, des brigands sans scrupules qui voudraient le voir reprendre son trône, l’ancien roi Gésill n’a plus goût à rien.

Son sang vert, autrefois seule source de végétation de la Rocaille, s’est tari. Il pourrit. Seul un représentant des Magistres, ces êtres mythiques exterminés par les ancêtres de Gésill, pourrait y remédier.

Aussi, lorsque les Funestrelles, accompagnés du défunt, se mettent en quête de trouver un jeune homme qu’on dit leur dernier descendant, ils sont loin d’imaginer que leur découverte ébranlera toutes leurs certitudes. Sur la Rocaille comme sur eux-mêmes.

Rocaille : un monde rocailleux

Un Locus terribilis

Vous connaissiez sûrement le locus amoenus, topos littéraire qui désigne des lieux paradisiaques. On l’a beaucoup utilisé dans une certaine littérature du 17ème siècle notamment (l’Astrée, etc.). Le locus amoenus représentait des lieux naturels idylliques, dans lesquels se déroulaient des histoires d’amour entre personnages vivant à l’état de nature, dans la pure innocence et le confort. Mousses, herbes fraîches, arbres verts, ruisseaux…

Le locus terribilis, c’est l’inverse. Déjà le titre donne le ton. La couverture, signée Cindy Canévet, renforce également cet aspect, avec ses tonalités brunâtres, ses fumerolles marron et sa tête de mort (on dirait la marque des Ténèbres). Dans Rocaille, tout est gris, rabougri, mort. Pierres, cailloux, rocs, ruines, bois morts, écorces à sec, marécages, poussières de gravats, crevasses : le paysage minéral semble dénué de vie.

C’est remarquablement rendu, tellement bien que j’ai ressenti comme les personnages un manque de sève. J’ai eu envie de verdure. Je ne me suis pas sentie à l’aise dans cet univers. J’ai eu la sensation de suffoquer. « De l’aiiiir ! de l’aiiiir ! c’est juste une question de surviiiie » (Vous moquez pas, siouplé, on a tous été ados) !

 Un travail poétique d’ensemble

Comme pour mimer cet univers, l’écriture est factuelle, sans aucun lyrisme, ni envolée. Le phrasé est assez court, Pauline Sidre fait à l’économie de mots ; chacun à sa place, et rien de plus. Les descriptions sont efficaces, précises, binaires, sans fioritures. J’avais déjà remarqué ce travail poétique dans La voix des écorces, je suis ravie de retrouver ce travail du langage ici (mon dada, je crois que vous commencez à le comprendre), mais ça ne m’a pas fait aimer cet univers pour autant.

Et tout est à l’avenant. Les personnages sont à l’image de cet univers, pierreux et lunaires, tout comme les relations qu’ils entretiennent. Pour l’amour sincère et les déclarations passionnées on repassera. Du coup, je ne me suis pas attachée à ces personnages, froids, et bruts de décoffrage. J’ai eu du mal avec Gésill aussi, qui n’a goût à rien. Un sacré mollasson, pas entraînant pour un sou, à côté de la plaque : Dieu quel shamallow !

Dans le désert, une petite oasis

Seul espoir dans ce monde gris : le magistre. J’ai particulièrement aimé le passage où les personnages reviennent dans le repaire des anciens magistres. Quelques touches de vert apparaissent, des tilleuls, de l’herbe, et la vie qui revient dans les cœurs. Là, l’écriture se fait alors sensorielle (l’odorat, le toucher, les « explosions sensitives » …). Alors, les sentiments reprennent petit à petit place dans les cœurs, offrant aux personnages une évolution inattendue . Enfin, une étinceeeeelle, allez vers elle, ouvrir ses ailes, comme un appel, au milieu du ciel, que tout s’éclaire !!!

Une petite parenthèse bienvenue, que j’ai aimée, mais à partir de ce moment-là, je me suis détachée d’Iliane, qui retrouve ensuite des caractères féminins romanesques classiques. Finalement, je la préférais butor.

Une fable baroque

Un baroque théâtral

On est effectivement dans quelque chose de baroque ici. Pour rappel, baroque provient du portugais barocco, qui désigne une perle irrégulière. En littérature, on associe souvent le baroque au théâtre (illusions, miroirs, fantômes, métamorphoses…). On retrouve toutes ces thématiques dans Rocaille qui revêt d’ailleurs un aspect théâtral.

Morts-vivants, spectres, fantômes peuplent les pages de Rocaille. Le magistre effectue plusieurs allers-retours dans le passé, par le rêve ou le miroir, fenêtre sur le passé. On est pleinement ici dans l’illusion. De la même façon, les personnages et les paysages se métamorphosent.

On retrouve également un ensemble de scènes très baroques et théâtrales : le duel, les massacres sanglants, les tueries avec le sang qui gicle, les complots…

Une intrigue construite en tableaux

L’intrigue n’est pas linéaire. Elle suit une temporalité logique mais emprunte quelques chemins de traverse, détours et rallongements avant d’arriver à son terme. Elle est construite en chapitres qui sont autant de tableaux, de scènes de vie et de portraits. J’aime bien ce type de constructions originales.

Dans la course de Gésill vers la reprise du château et du trône, qui est la trame principale, se greffent quelques apartés, notamment autour de sa sœur Sénielle et des ministres. Des apartés trop rares pour s’attacher à ces personnages, qui ne font que figuration (et heureusement parce qu’ils m’ont tapé sur le système, ces cons de ministres et cette princesse précieuse).

Une fable

Finalement, Rocaille offre aussi une leçon de vie. Cette œuvre n’est pas une ode à la vie éternelle, bien au contraire. Par la mort, Gésill expérimente ce qu’est la vie et ce qu’elle signifie. Vivre, c’est surtout ressentir. Or Gésill ne ressent plus rien du tout : aucun des plaisirs de la vie ni l’envie de les vivre. Par extension, Rocaille poursuit ce même chemin, ses habitants recherchant le souffle de la vie, le vert, la sève dans les arbres, le retour de l’espoir.

Rocaille souffle un vent de mort dans ses pages, dans ses paysages, ses personnages, mais en creux, c’est la quête de la vie que ce roman raconte. De ce fait, j’ai vu arriver ce final avec plaisir, contente de quitter ce monde peu reluisant, il faut bien le dire. Mais aussi parce que je trouve que c’est dans ce final que le personnage de Gésill m’est apparu le plus sympathique. Finalement, c’est bien la première fois que ça m’arrive : la qualité de ce roman est indéniable, remarquable même, mais son univers, ses personnages, et son intrigue ne me correspondent pas du tout.

 

Rocaille est un roman de Pauline Sidre, publié par Projet Sillex. Je n’ai pas été surprise de retrouver ici l’écriture travaillée et poétique de l’autrice, mise au service d’une belle fable baroque célébrant la vie dans toutes ses formes. A ce titre, c’est un roman remarquable, mais je n’ai pas encore réussi à déterminer si j’ai aimé ma lecture. Evidemment, j’ai apprécié toutes les qualités que j’ai relevées, cependant je ne suis pas certaine d’avoir envie de le relire. Car c’est un univers très gris, sombre, malgré les lueurs de vie qu’on peut y trouver. Si j’aime les jardins minéraux, j’ai une préférence pour les nids de verdure, malgré tout ?

8 commentaires sur “Pauline Sidre – Rocaille

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  1. coucou !

    Encore une chronique très intéressante. Ton avis m’intrigue. J’ai encore plus envie de le lire. Vais-je être séduite par ce monde rocailleux et dur ?
    je viendrais commenter ici quand je l’aurai lu. 🙂
    (et merci pour m’avoir inclus à ta chronique 😀 )

  2. Merci pour cette très belle critique ! Même si je suis désolée que vous n’ayez pas accroché, je suis touchée par votre ressenti et votre avis. J’espère que ça ne vous empêchera pas de lire mes prochains textes car j’ai bien envie de savoir ce que vous en penserez !
    Par ailleurs, je n’ai pas pris le temps de commenter votre article sur « Féro(ce)cités », mais merci également pour vos jolis mots sur « La Voix des écorces », ils m’ont fait très plaisir.

    1. Bonjour Pauline,

      Avant tout, un très grand merci pour votre passage ! Je suis contente que ma chronique vous ait plu malgré mes quelques réserves.
      Oui, je n’ai pas accroché, mais dans le fond, ce n’est pas très important, ce n’est qu’un ressenti. Ca ne m’a pas empêchée d’apprécier la valeur de Rocaille.

      D’ailleurs ce que je retiendrai surtout de ma lecture c’est l’originalité qui se dégage de ce texte, votre écriture absolument merveilleuse, travaillée, très riche, que j’avais d’ailleurs remarquée dans La voix des écorces, et puis ce côté baroque absolument génial qui est très plaisant à lire formellement.

      Et je tiens à vous rassurer : je découvrirai vos prochains textes avec beaucoup de plaisir, certaine que la qualité et la surprise seront au rendez-vous. Je foncerai les yeux fermés. Je vous dis à très bientôt, alors 🙂

  3. Une très belle chronique comme d’habitude, l’ambiance de la couverture ressort clairement dans tes impressions. Je n’ai pas lu ce roman, mais je pense garder un oeil sur l’auteure et ses prochains écrits (la thématique de celui-ci ne m’emballe pas trop) car la plume a l’air belle et soignée.

    1. Merci pour ton passage et ton commentaire ! Effectivement le travail d’écriture de cette autrice est remarquable. Et elle a le don pour proposer des choses très particulières et originales. Je te recommande sa nouvelle La voix des écorces dans l’anthologie Féro(ce)cités qui va paraître cet été. Je garderai un œil aussi (les deux même, ahah) sur ses prochains textes.

  4. Malgré (ou grâce) à tes réticences, j’ai le sentiment que j’adorerai cette lecture. Je le garde donc en mémoire en bonne place 🙂

    1. Ah je suis contente que tu me dises ça ! J’avais un peu peur de freiner ceux qui ne l’auraient pas encore lu, du fait de mes quelques réserves, et j’en aurais été frustrée car c’est un roman d’une telle qualité !
      Je suis donc contente de t’avoir donné envie de le lire, je pense en effet que ça pourrait te plaire !

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