Première lecture de ma PaL d’hiver ! Les chats des neiges ne sont plus blancs en hiver est un roman de Noémie Wiorek, paru aux éditions HSN. Avec ce roman hivernal, j’inaugure mon Cold Winter Challenge avec la catégorie Père Fouettard (démon, enfer, forces obscures) du menu Hiver Sombre. J’avais adoré découvrir la plume de Noémie Wiorek avec sa novella Lever de soleil, j’avais grande hâte de voir ce que ça pouvait donner en version froid et roman. J’ai passé un excellent moment, au-delà de mes attentes.
Synopsis
« Morz est la terre la plus au nord du monde. Des siècles plus tôt, la neige a cessé de tomber et la glace a fondu, devenue une boue informe et immonde.
Il y a une ombre dans l’est de Morz ; celle de Noir, un esprit maléfique prêt à tout pour provoquer la ruine du royaume. Sur ses talons court le Second, un guerrier prodigieux, plus cruel et féroce que tous les séides gravitant autour d’eux.
Il y a un enfant sur le trône de Morz : on attend de lui la ferveur de ses ancêtres pour maintenir le royaume dans la Lumière. Mais le prince Jaroslav doute de sa place, de son pouvoir, et ne souhaite qu’une seule chose : vivre en paix.
Et dans le nord, près des montagnes, ourdissent les sorcières, vengeresses, dévorées par le rêve incertain de refaire un jour tomber la neige sur leur monde déchu. »
Le roman de la déconstruction
Les attributs traditionnels du roman effacés
Les chats des neiges... est un roman qui casse les codes de la fantasy. Ici, Noémie Wiorek détruit les concepts d’intrigue et de personnage. Si vous aimez les romans avec un début, un nœud, des péripéties et puis une fin, vous serez surpris. Si vous aimez les personnages avec des noms, des caractères qui vous parlent, vous serez surpris.
On est ici dans un roman très lent, à l’image des temps longs du récit. On n’est pas dans l’immédiateté; le récit se déroule sur des âges étendus. L’action est minimaliste. J’ai eu la sensation d’écouter une histoire solennelle, issue d’une mémoire collective et très ancienne.
Intrigue minimaliste, et très peu de détails sur le cadre. Nulle carte, nulle précision temporelle, nul indice pour nous prendre par la main et nous guider. Les informations sont données au goutte à goutte, comme un liquide très précieux à ne pas gâcher. On est comme ces personnages dans cette vaste étendue de boue en guettant les flocons : un peu dépassés.
Ce n’est pas non plus aux personnages qu’on va se raccrocher : Jaroslav a l’air complètement à côté de la plaque, sa mère à moitié folle, ses conseillers tous faux. Quant aux méchants, même leur nom est nié (Noir, le Second). Ils n’ont même pas de visage : je n’ai jamais vraiment su à quoi ressemblait Noir, quant aux N’dus… impossible de savoir s’ils sont humains, ou autre chose. Le Second offre d’ailleurs une belle surprise, de taille, tout comme la relation qu’il entretient avec Noir. Finalement, Les chats des neiges… raconte ce lien, intime, puissant, fusionnel, de longue date. Le roman a un côté très intimiste qui m’a beaucoup plu.
Une fantasy renouvelée
L’ambiance emprunte un peu à divers imaginaires (Game of Thrones, Seigneur des anneaux), mais difficile de ramener Les chats des neiges… à ces œuvres : quand on y voit des similitudes, pouf, elles s’évanouissent.
Car Noémie Wiorek déconstruit tous les codes de la fantasy. Ici, pas grand chose ne fait rêver. La neige a fondu, on nage dans la boue. Peu d’actions, et des scènes de carnage, sans rien d’héroïque. Des N’dus qui pourraient faire penser aux Orques, sauf qu’on ne sait pas vraiment quelles sont ces créatures.
On retrouve aussi des gentils et des méchants, et c’est facile, le grand méchant s’appelle Noir. Son bras droit, le Second, est assimilé à un boucher. Heureusement, les gentils auréolés de lumière feront triompher celle-ci. Oui, mais non, ça ne marche pas non plus. Car l’autrice nous fait apprécier ces méchants, avec l’alternance des focus. Gentils, méchants… tout finit d’ailleurs par se mélanger à la longue, chacun arborant une teinte de gris différente.
Déconstruction, OK, mais que reste-t-il ?
Une écriture incroyablement belle
Tout ce que j’aime. D’abord, l’écriture, les mots, le langage. La substantifique moëlle d’un texte littéraire. Les blancs, les longueurs, la lenteur… j’ai eu l’impression d’avancer, un pas après l’autre, dans la neige, et de l’entendre crisser sous les pieds. La neige, d’ailleurs. Incroyable tour de magie. On ne fait que parler d’elle; elle est attendue, espérée, guettée, redoutée. Mais quand vient-elle ? Elle met du temps à arriver. Beaucoup. Et pourtant, son absence la rend palpable, réelle, présente.
La plume de Noémie Wiorek est jeune, et pourtant si sûre. J’avais déjà remarqué sa précision dans Lever de soleil. Capable de dessiner par les mots, de rendre une sensation, de faire parler les blancs. Alors oui, c’est un texte exigeant. Pas facile d’accès. Certains peuvent s’ennuyer, manquer d’action, ou de dialogues. Moi, c’est exactement ce qui me plaît, et j’aime voir chaque mot pensé et réfléchi, à la bonne place. Sans artifice. Je me suis laissée porter par la musicalité de cette écriture, belle, solennelle, puissante.
La structuration du roman accompagne à merveille l’écriture. Superbe livre objet, avec une bordure noire qui colore de gris les tranches. Sur la couverture, on devine le Second, à contre-jour, presque Noir comme… Noir; j’aime bien sa ressemblance avec Lui, car ce personnage est son ombre, son double, sa conscience… Une maquette fort belle, avec des têtes de chapitres comme des coups de griffe sur la neige. Deux prologues, trois parties, deux épilogues : tout ceci a renforcé le sentiment de lire une histoire ancienne conservée dans un grimoire écrin.
Un imaginaire personnel à construire
Dans les vides laissés par l’autrice, l’imaginaire personnel fonctionne à plein régime. Rocaille ? j’ai pensé à celui de Pauline Sidre, c’est rigolo. Il y a plein de zones d’ombre : qui est vraiment Daria ? Que cache Jaroslav derrière son masque de fils à côté de la plaque ? Quels étaient les rapports entre Agnieszka et Svetlana ? D’où vient Noir et que veut-il vraiment ? Autant d’interrogations, laissées sans réponse précise. Au lecteur de raconter sa propre histoire avec les quelques indices à interpréter. Ca donne en plus un aspect très mystique au texte.
J’y ai lu le récit métaphorique du passage des saisons, des âges. La lenteur de la plume met en relief l’immuabilité des choses, du temps qui passe. J’ai aussi trouvé le final très beau, pas si sombre que ça, même si empreint d’amertume. Pour moi, ce n’est pas vraiment une fin en soi, plutôt l’issue d’une étape, laissant la place à une autre. J’ai aimé l’histoire de ces deux personnages, Noir et son Second, très secrète, intime. Ce roman contient peu de personnages, tourne autour d’eux sans cesse, en cela il fonctionne un peu comme un huis-clos psychologique. J’ai encore plus aimé l’idée d’apprécier les méchants de l’histoire. Même si en fait, il n’y a nul gentil ni méchant ici, tout est brouillé, et les cartes rebattues.
En pratique
Noémie Wiorek, Les chats des neiges ne sont plus blancs en hiver
Editions HSN, 2020
Couverture : François-Xavier Pavion
Autres chroniques : celle de Yuyine, qui a apprécié la plume de l’autrice, immersive et poétique; Sometimes a book, qui pointe l’utilisation à rebours des clichés de la fantasy; petite déception chez Amanda, qui aurait aimé quelque chose de plus approfondi parfois.
Les chats des neiges ne sont plus blancs en hiver a été pour moi une lecture quasiment parfaite, de bout en bout. Ce roman de Noémie Wiorek contient tout ce qui me plaît en littérature : de la lenteur, une ambiance parfaitement maîtrisée, une écriture belle et poétique, une intrigue minimaliste, des personnages réinventés, des expériences narratives nouvelles…Je suis émerveillée par la beauté de la plume de Noémie Wiorek, et sa capacité à oser, à faire des paris narratifs risqués. Selon moi, c’est réussi. Noémie Wiorek fait désormais partie de mes auteurs favoris, et je suivrai de très très près ses prochaines publications. Que je me procurerai les yeux fermés.
Ce roman et sa superbe couverture me donnaient déjà fort envie et m’intriguaient totalement mais ton avis, aussi élogieux qu’accrocheur, me donne encore plus envie de le découvrir et encore plus la plume de l’auteure qui semble avoir fait écho en toi avec perfection !
Je suis particulièrement réceptive avec les romans lents, qui n’ont pas forcément d’intrigue de A à B, et qui s’éloignent des récits traditionnels. Et oui, la plume de l’autrice m’a bcp plu 🙂 J’adore les récits d’hiver ^^
Je t’encourage à le découvrir, en espérant que tu aimes ! C’est un roman particulier, il ne plait pas à tous, mais j’espère que ça marchera pour toi.
De nouveau qu’elle belle chronique, j’ai beaucoup aimé te lire, j’ai eu l’impression de feuilleter le livre et de lire des extraits. Tu m’as convaincu je vais me le prendre pour mon noyel ?
Merci beaucoup ! Oh je suis tellement contente de t’avoir donné envie de le lire ! J’espère que tu aimeras autant que moi cette ambiance, ce roman si particulier, assez lent, parfois exigeant, mais vraiment puissant à mon sens. Le duo Noir/Second m’a complètement subjuguée, j’ai adoré ces deux personnages complexes, magnétiques, fusionnels…
Tu verras, le bouquin est d’une beauté… !
Il n’y a pas de raison vu ta chronique, et j’avoue j’aime aussi beaucoup le titre et la couverture ?