Magali Lefebvre – Bad Queen

Voilà un roman que je redoutais un peu. D’abord, parce que cela fait un bon moment que j’ai délaissé les réécritures de contes, m’étant orientée davantage vers de la SF cette année. D’autre part, lire les textes d’ami(e)s, c’est toujours délicat. Bad Queen est en plus un roman très important et particulièrement personnel pour son autrice, Magali Lefebvre. Si j’ai adoré sa première novella, La captive de Dunkelstadt, et plutôt bien apprécié Sang d’écume, j’ai eu plus de mal avec Bad Queen. Mais je suis parvenue à le terminer, et je peux donc vous en parler plus longuement ici.

4e de couverture

Miroir, miroir… connaissez-vous son histoire ?

Bien avant qu’elle soit reine ou sorcière, Violaine, guerrière décelant les destins, était loin de se douter que le pouvoir coulant dans ses veines lui vaudrait tant d’attentions. D’abord de la part de cruels étrangers, prêts à l’arracher à sa famille et à sa patrie pour s’approprier ses pouvoirs…
Puis d’un royaume menacé et de sa reine, dont elle deviendrait le dernier espoir… Et enfin de cet homme, l’ennemi honorable dont elle ne pouvait deviner le futur et qui, pourtant, faisait battre son cœur avec tant de force…

Miroir, miroir… préparez-vous à entendre l’histoire de Violaine, la Reine-Sorcière !

Un prequel de conte

Comment Violaine devient Reine-Sorcière

Bad Queen peut se lire comme un prequel du conte de Blanche-Neige. On y suit toute la jeunesse de la future Reine-Sorcière, prénommée Violaine. Les réécritures, parce qu’elles comblent les blancs des contes, apportent de la nuance et de l’épaisseur aux personnages. C’est le cas ici avec le personnage de Violaine. Tout l’enjeu du roman est de nous faire comprendre comment elle en arrive à être le personnage que l’on connait dans le conte des frères Grimm : l’archétype de la marâtre, vaniteuse, orgueilleuse et jalouse.

Ceci, Bad Queen le montre bien. Violaine se débat dans un monde d’hommes, avec des pouvoirs qu’il lui faut cacher. Le roman met en scène cette dualité : la magie est réservée aux femmes et les rend puissantes. Bad Queen insiste sur les stéréotypes qui contraignent toutes ces femmes, restant dans l’ombre et dominées par la violence masculine. Les aventures que Violaine vit expliquent son cheminement vers la rancune et l’aigreur, et cette métamorphose tout au long du roman est très bien réalisée.

J’ai également apprécié la fin du roman, qui nous apporte un regard différent sur les événements après Blanche-Neige. Là encore l’autrice apporte de la nuance, de la complexité et de ce fait rend le personnage de la Reine-Sorcière beaucoup moins simpliste.

Mais un prequel trop brièvement relié à son conte d’origine

En effet, Bad Queen est un récit que Violaine fait à Blanche-Neige a posteriori des événements du conte d’origine. De ce fait, je l’ai trouvé trop long pour un récit raconté par une personne. Et pour le coup (oui, je sais, je suis vraiment chiante, c’est fou), je n’ai pas trop compris le choix de la 3e personne du singulier. Ca amoindrit énormément l’implication du personnage dans le récit. Les émotions ressenties par Violaine sont intermédiées, donc beaucoup moins vivaces, et on perd aussi la marque des souvenirs de la conteuse qui s’estompent. J’ai trouvé ça un peu dommage, ça annule l’effet testimonial du récit. J’aurais aimé un dialogue entre les deux, quelque chose de plus dynamique et moins linéaire.

Enfin, quand ce prequel rejoint enfin le conte d’origine, le lien est très bref, et le récit s’accélère. Dommage, c’est la partie que j’attendais le plus ! J’aurais aimé m’étendre plus longuement sur le point de vue de la Reine-Sorcière pendant les événements du conte. J’ai été un peu frustrée d’avoir passé les 4/5e du roman sur le passé de Violaine. Je me suis longtemps demandé si Bad Queen n’était pas un roman à part. Ca n’en aurait pas fait un roman moins bon pour autant. Mais pour qui est attaché au conte, attendre aussi longtemps pour un lien finalement assez peu exploité dans la longueur est frustrant.

Un roman avec ses forces et ses faiblesses

Des points forts…

Je vais commencer par les points positifs qui m’ont marquée. D’abord, Bad Queen est un roman résolument centré sur les femmes et la féminité, à deux titres :

  • D’abord, le roman explore la féminité d’un point de vue social et sociétal. Il évoque les rapports de force entre les sexes, le positionnement de chacun et les attendus sociaux relatifs à chaque sexe. Etre une femme dans Bad Queen répond à des exigences auxquelles il ne faut pas dévier, au risque d’être considérées comme gênantes, puissantes… donc sorcières. Bad Queen émet l’idée que la figure de la sorcière n’est que le produit d’une société masculine et misogyne, effrayée par la perte de ses pouvoirs et de sa prédominance ;
  • Le roman traite également de la question du corps. Bad Queen évoque notamment le sujet de la maternité. Et c’est là le gros point fort du roman, parce que la thématique est très bien traitée, avec tact, subtilité, mais aussi douleur. C’est un roman qui est très personnel, intime. C’est douloureux mais touchant, et je n’ai nul doute que cela parlera et touchera beaucoup de femmes concernées.

Deux thématiques plutôt bien traitées, même si j’ai trouvé la première trop répétitive et trop peu nuancée sur le long terme.

Mais des blancs embêtants

Malgré toute la force de ces thématiques, Bad Queen ne m’a pas séduite.

D’abord, parce que le roman repose, dans une grande part, sur une romance. Si je reconnais sa qualité, elle m’a cependant un peu ennuyée, je ne suis vraiment pas friande de ce genre. Je reconnais que c’est bien ficelé et que sa présence a du sens. Le lien créé entre ce prequel et le conte est ainsi fort malin. Mais ça ne me réconcilie pas forcément avec ce genre. Et j’avoue que le discours féminin-masculin m’a un peu lassée à la longue. De la même manière, si je reconnais la qualité d’écriture des thématiques évoquées plus haut, je dois avouer qu’elles ne m’ont pas non plus bouleversée. Bad Queen sera une lecture très importante pour certaines, salutaire aussi, peut-être. Mais cela dépendra finalement du vécu de chacun(e).

D’autre part, j’ai regretté la longueur du roman. Pas en tant que telle, mais parce que le roman délaye beaucoup. J’ai lu en diagonale une bonne partie du roman, sans rien perdre du fil principal. Selon moi, c’est le dernier quart qui est vraiment intéressant, mais il est trop rapidement expédié. Le reste n’est pas désagréable à lire, mais j’ai trouvé qu’il manquait de force, n’apportait pas grand-chose de décoiffant ni de nouveau. A contrario, certaines scènes auraient mérité un développement supplémentaire. C’est par exemple le cas de ces mondes alternatifs ou de la scène à coloration un peu SF du début. Des choix que je n’ai pas compris, tant rien n’est expliqué, exploré ni suffisamment développé : le worldbuilding est plus que léger et c’est dommage.

Un roman déséquilibré ?

Enfin, j’ai trouvé que le sujet au cœur du roman prenait trop de place dans le roman, au détriment du reste.

Ceci dit, c’est peut-être aussi l’effet recherché : c’est exactement ce que ressent Violaine à un moment, étouffée par ses pensées qui tournent sans arrêt dans le même sens et obnubilée par ce qu’elle vit. Mais je n’ai pas ressenti non plus cette pesanteur dans les mots ni le style. Peut-être parce que le récit n’était pas au « je ». Mais peut-être que cela aussi s’explique, comme une manière pour l’autrice de prendre de la distance, de se protéger de ces émotions dévastatrices.

Certes, je n’ai pas retrouvé ici la plume de l’autrice qui s’amuse des mots et des codes du genre. Mais parfois, les mots ont un rôle bien plus important : celui de guérir des blessures encore vives. Car il y a un temps pour s’amuser, et il y a un temps pour apaiser sa peine. C’est bien ce que j’ai ressenti en lisant Bad Queen : une grande peine sur laquelle les mots agissaient comme autant de petits pansements. Et c’est peut-être cela, le pouvoir le plus fort des mots.

En pratique

Magali Lefebvre, Bad Queen

Editions Noir d’absinthe, 2023

Couverture : Amaryan

Autres avis : Retrouvez l’avis d’Audrey, qui est passée par des tas d’émotions différentes au cours de sa lecture du roman. Malgré quelques frustrations, Marion a adoré ce roman qui l’a émue. Des interrogations similaires aux miennes pour Nina, qui a néanmoins apprécié cette réécriture intelligente et originale.

Bad Queen est un conte de Magali Lefebvre qui propose un prequel au conte de Blanche-Neige. Conte dans son fort symbolisme, dans ses personnages bien marqués dans leurs positions, et dans la dure et implacable leçon de vie qui est racontée ici. Je ne suis pas vraiment le public cible de cette œuvre très personnelle, tant dans la forme choisie que dans la thématique traitée. Toutefois, parce que ce roman aborde un sujet grave et que l’autrice le traite avec une grande force, je recommande fortement sa lecture.

7 commentaires sur “Magali Lefebvre – Bad Queen

Ajouter un commentaire

  1. Ah effectivement si l’auteure est une de tes amies, ca a du être plus délicat de ne pas accrocher totalement, mais malheureusement c’est un risque qui existe et qui fait aussi tout le charme de la lecture. Rien n’aurait de saveur si on appréciait tout au même niveau non ? 😉
    Je ne lis pas souvent de réécriture de conte, soit ça passe soit ça casse. Mais malgré tout, je me laisserais peut-être tenter par celui-ci, j’aime bien l’idée de découvrir la naissance du mal dans le coeur des antagonistes. Comme Heartless de Marissa Meyer, sur la Reine de coeur. Et la construction de Violaine semble avoir bien marché pendant ta lecture donc pourquoi pas ? Dommage par contre si les émotions sont moins prononcés et les longueurs, à voir. Merci pour ton retour et bon réveillon !

    1. Ah j’en ai entendu parler de Heartless ! Tu devrais aimer ici, c’est bien fait ce cheminement vers l’aigreur, et le renfermement. Et puis je pense que tu seras surprise, aussi 🙂 Quant aux longueurs, elles s’avalent vite, le roman se lit tout seul, et elles se zappent aisément sans rien perdre de l’intrigue. Il y a des longueurs mais étonnamment ce n’est jamais lourd !Quant à la réécriture, comme on est sur un prequel, et que le lien se fait vraiment dans le dernier quart, il peut se lire comme un roman à part entière et indépendant; on peut en être un peu chagriné mais c’est aussi ce qui fait son intérêt selon moi !

      1. Le fait de le lire comme un livre totalement indépendant ne devrait pas trop me déranger, je l’ai noté. Je finirais bien par craquer un de ces jours, le personnage m’intrigue. 🙂

  2. Merci à toi pour ton retour sincère. Même si tu n’as pas été complètement convaincue, tu as saisie ce qui faisait l’importance de ce roman, et la conclusion de ta chronique me touche beaucoup. ❤️

  3. Merci à toi pour ton retour sincère. Même si tu n’as pas été complètement convaincue, tu as saisie ce qui faisait l’importance de ce roman, et la conclusion de ta chronique me touche beaucoup. ❤️

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Fièrement propulsé par WordPress | Thème : Baskerville 2 par Anders Noren.

Retour en haut ↑